Festival dâAmbronay (01), 36e Ă©dition: 11 septembre-4 octobre 2015. Sous lâinvocation gĂ©nĂ©rale de « mythes et mystĂšres ». Du 11 septembre au 4 octobre 2015, en quatre week-ends et des intervalles. « Approchez ! Laissez-vous en conter, petits et grands, curieux et passionnĂ©s de lâEtrange », dit la recommandation stĂ©rĂ©ophonique de cette 36e Ă©dition dâun Festival Phare. Cette annĂ©e, câest autour de quatre thĂ©matiques â le Roi-Soleil,chefs-dâĆuvre mystĂ©rieux, figures mythologiques, dĂ©clinaisons personnelles â que se groupent les⊠trĂšs nombreux concerts et manifestations de culture Ă Ambronay. Essai dâun tour dâhorizon en partant de lâAbbatialeâŠogivale de ce festival Baroque.
La fable et le caché, dieux et Dieu
LâĂ©tymologie antique nâest pas coquetterie : elle nous guide en bien des labyrinthes, nous rappelant Ă Â des « poteaux indicateurs » les directions que prennent ces mots quâon emploie maintenant sans y prĂȘter attention⊠Ainsi les deux que la Direction dâAmbronay ( Alain Brunet, le PrĂ©sident ; Daniel Bizeray, le Directeur GĂ©nĂ©ral) a choisis pour sous-titrer son Ă©dition 2015 : « mythes et mystĂšres »⊠Le mythe, câest la fable, le rĂ©cit, lâhistoire, puis lâapprofondissement de lâindividuel pour aller vers une dimension universelle. Le mystĂšre : ce qui est cachĂ©, peut-ĂȘtre parce que dĂ©fendu par les dieux, et que lâon peut feindre dâorganiser en laissant dans lâombre les intentions du culte (MystĂšres dâEleusisâŠ), ou mĂȘme chez les adeptes dâun Dieu unique, ce en quoi un tel Dieu se dĂ©robe Ă la connaissance (Deus absconditus, Dieu cachĂ©, dira Pascal)⊠Et le Baroque dont Ambronay a fait son lieu gĂ©omĂ©trique se situe bien dans lâ Histoire europĂ©enne entre Renaissance â retour Ă la civilisation antique, recherche dâune voie moderne que vont condamner les guerres de religion â et RĂ©volution, qui ouvrira aussi bien sur le dĂ©senchainement de la conscience en face des dogmes monarcho-religieux que lâ exaltation dâun moi romantique poursuivant son « chemin vers lâintĂ©rieur ».
Change et Protée
Mais alors, entre ce XVIe et ce XVIIIe finissants, pourquoi une doctrine esthĂ©tique qui privilĂ©gie ce quâon nomme le change (changement), lâillusion, lâinstabilitĂ©, lâĂ©loquence des formes mouvantes et captivantes des sens ? Câest que â du moins et surtout dans les pays catholiques- les pouvoirs ont dĂ©cidĂ© dâadopter la théùtralitĂ© comme arme (plastique, musicale, poĂ©tique) contre la rĂ©flexion (rĂ©formĂ©e) sur les textes, en particulier aprĂšs le Concile de Trente (2e tiers du XVIe), lâimaginaire paradoxalement encouragĂ© contre la rigueur dâun ordre âclassique, si on veut -âŠ
⊠pour un Roi-Soleil, du berceau à la tombe
Le 1er thĂšme 2015 â mythe du Roi-Soleil â se situe donc bien Ă la jonction de ces tensions que lâĂ©volution de la France au cours du XVIIe illustre. Au fait, Louis le Magnifique, vous le prĂ©fĂ©rez bĂ©bé ? alors ne manquez pas âune recrĂ©ation mondiale, par le Galilei Consort de Benjamin ChĂ©nier â la Messe pour la naissance du Grand Dauphin, alias pâtit Louis-1638, commandĂ©e par Louis XIII au VĂ©nitien Giovanni Rosetta. Un Louis qui devenu grand (bon guitariste, fou de danse) devra beaucoup â esthĂ©tiquement – Ă un autre immigrĂ© italien, il signor Gian Battista Lulli : lâaĂźnĂ©, grand humaniste et ami protecteur de lâesprit ambronaisien, Jordi Savall Ă la tĂȘte de sonâŠmythique Concert des Nations, lui rend hommage, ainsi quâĂ Rameau, Purcell et Boccherini. Puis il y a le guerrier, conquĂ©rant (et souvent metteur Ă sac) de lâEurope, glorifiĂ© par le mĂȘme Lulli dans son Te Deum de 1677, cĂ©lĂ©brant en fait le baptĂȘme de son fils, parrainĂ© par le Souverain ; (câest en le dirigeant dix ans plus tard que le povero Signor se donna le coup de canne fatal porteur de gangrĂšneâŠ)
Je te viens voir pour la derniĂšre fois
Et aussi le mĂȘme hymne militaire par M.A.Charpentier, dit plus tard de lâEurovision au temps si lointain oĂč les « étranges lucarnes » sâindicativaient de son leit-motiv⊠par Le PoĂšme Harmonique de Vincent Dumestre (un des ensembles mythiques de la 3e gĂ©nĂ©ration baroqueuse). Et puis mĂȘme le Soleil (« ce sacrĂ© Soleil dont je suis descendu », disait la coupable PhĂšdre racinienne) sâĂ©teint aprĂšs 54 ans de rĂšgne : en 1715, « Soleil, je te viens voir pour la derniĂšre fois » (encore PhĂšdre), le hĂ©raut baroque de lâOstentation (le Grand Paon, que le mythique livre de J.Rousset mettait en dialogue avec lâenchanteresse CircĂ©)lĂąchait prise, aprĂšs une vieillesse rangĂ©e en cagoterie morose. Franco Fagioli lâArgentin â « la voix-soleil » -, rĂ©vĂ©lĂ© par Ambronay, rend cet ultime hommage (1715-2015) via Lulli et Haendel, accompagnĂ© par lâOrchestre de Chambre de BĂąle .
Le Wanderer par amour dâEuridice
Dans lâhistoire des Mythes hĂ©ritĂ©s de lâAntiquitĂ©, le plus touchant et troublant ne revient-il pas Ă celui dâOrphĂ©e ? Et pas seulement pour les musiciens dont le chanteur thrace est devenu une sorte de Saint Patron (diraient les chrĂ©tiens).Mais surtout parce quâĂ travers les variantes de lâOdyssĂ©e OrphĂ©enne, beautĂ©, dĂ©fis Ă lâordre « divin », amour fou pour la femme prisonniĂšre, hĂ©roĂŻsme du wanderer amoureux aux enfers, et cruautĂ© des Puissants (ceux dâen-haut, les Ouraniens, ceux dâen-bas, les Chtoniens, selon la mise en catĂ©gorie des Grecs), chacun, spectateur ou lecteur, ressent que cela  parle vie et menaces de perte  à « lâĂȘtre pour la mort » que nous sommes tous. Naissance de lâopĂ©ra aussi, en Italie, pour lâEurope et au-delĂ , avec Peri, Caccini et Monteverdi : câest ce quâillustrent Scherzi Musicali et le couple Euridice (Deborah Cachet)- Orfeo (Nicolas Achten, qui dirige et sâaccompagne au thĂ©orbe), en y ajoutant Rossi, Merula, Sartorio et Falconiero.
Le grand dĂ©couvreur argentin (naguĂšre dĂ©couvert par Ambronay), Leonardo Garcia Alarcon nous emmĂšne avec sa Cappella Mediterranea et trois chanteuses (A.Reinhold, G.Bridelli, M.Flores) du cĂŽtĂ© de chez Cavalli, immense auteur dâopĂ©ras (dites 33 !) « explorateur sans Ă©gal des passions amoureuses ». Et si vous Ă©chappez ici Ă lâincâŠ.(complĂ©tez lâadjectif convenable) OrphĂ©e aux Enfers dâOffenbach, vous pouvez en revanche faire raconter Ă vos enfants le Voyage dotĂ© dâ happy end, grĂące Ă J.P.Arnaud, le hautboĂŻste fondateur-directeur de Carpe Diem, avec marionnettes, théùtre dâombres et musiciens du Théùtre sans Toit. Version dĂ©risoire et dĂ©ridante de la mythologie par lâĂ©crivain XVIIe Scarron,baroque-burlesque français ( qui fut le premier mari de Madamede Maintenon,ultĂ©rieure et gardienne de la vertu trĂšs catholique de son Louis XIV revenu aux bĂ©nitiers ), un Typhoo relookĂ© par Arnaud Marzorati et sa trĂ©pidante Clique des Lunaisiens.
Selon Saint Marc, Alessandro Striggio, Nicola Haym
Revenons au plus sombre,en tout cas, sans (trop de) soleil : ce sont « chefs-dâĆuvre mystĂ©rieux », longtemps remisĂ©s Ă lâarriĂšre-plan. Ainsi, la surprise peut venir encore deâŠJohann-Sebastian Bach, dont vous nâignorez pas quâil Ă©crivit aussi une Passion selon Saint Marc, patchwork du dĂ©but des Thirtheen XVIIIe, (de 1731 Ă 1744), dont « la seule copie connue brĂ»la » pendant la Guerre de Six ans (la 2nde mondiale, bien sĂ»r), mais dont la rĂ©apparition du livret en Russie a inspirĂ© lâorganiste F.Eichelberger puis le chef Israelien Itay Jedlin pour une version intĂ©grale-reconstituĂ©e de la partition « perdue », ici donnĂ©e par le trĂšs internationaliste Concert Etranger. Et aussi, ĂȘtes-vous certain que « les grandes pages chorales de Vivaldi Ă©taient Ă©crites pour voix fĂ©minines » ? Geoffroy Jourdain en tout cas le pense et le fait rĂ©aliser par les chanteuses de ses Cris de Paris, rebaptisĂ©es Orphelines des Ospedali (HĂŽpitaux) de Venise. Retour à  Monteverdi via un Striggio pĂšre du librettiste dâOrfeo (1607), qui fut aussi compositeur, notamment dâune « Messe Ă 40 voix indĂ©pendantes, dâun gigantisme et dâune sensualitĂ© inouĂŻs », (tiens, comme celle plus connue de lâAnglais Tallis), qui « disparut mystĂ©rieusement pendant quatre siĂšcles ».
Câest un autre grand redĂ©couvreur, HervĂ© Niquet qui la confie Ă son Concert Spirituel, et lui adjoint dâautres oeuvres de Monteverdi, Corteccia et Benevolo. Et puisquâon parle librettistes, voici « dans lâombre du gĂ©ant Haendel », lâun de ses inspirateurs de rĂ©cits opĂ©ratiques, un Nicola Francesco Haym, qui ne mĂ©rite certainement pas la mise Ă lâoubli, et dont certaines piĂšces instrumentales et arias sâentrelacent Ă celles de Georg-Friedrich (LâAllemand puis Italien et enfin AnglaisâŠ) grĂące au travail de lâensemble Aura Rilucente.
Les étoiles et le scintillement hivernal
4e catĂ©gorie retenue par Ambronay : « dĂ©clinaisons personnelles des artistes autour de Mythes et MystĂšres ». Les Surprises (L.N.Bestion de Camboulas) explorent le versant chrĂ©tien de mĂ©ditation sur vie et mort, Ă partir du finalement mystĂ©rieux H.Biber, surprenant Allemand fin XVIIe (ses Sonates du RosaireâŠ), et dâautres contemporains ou successeurs de Biber, en y joignant la recherche du jeune F.Brennecke sur la notion de chaconne⊠Le 15e Quatuor de Schubert est-il mythique, en son ampleur de Winterreise dans le tremolo du froid glacial qui va vers lâinconnu ? Le Quatuor Terpsychordes qui lâinterprĂšte lui adjoint en crĂ©ation mondiale un 4e op.54, (« mythes et mystĂšres »), de la compositrice française Florentine Mulsant. Câest rappeler la vocation permanente dâAmbronay : prolonger le Baroque jusquâau-delĂ de ses frontiĂšres historiques ou gĂ©ographiques. Ici donc F.Mulsant, et F.Brunnecke. »Au dessous des Ă©toiles », les polyphonies et madrigaux du groupe Voces Suaves (F.S.Pedrini) organisent la rencontre quelque part dans lâespace-temps des mĂ©taphysiciens baroques ou renaissants (Vittoria, Gesualdo, Palestrina, Monteverdi) et des XXIe Thierry PĂ©cou, Silvan Loher et Joanne Metcalf. Et revenons vers le mystĂšre du temps bi-polaire (baroque errant et classique canalisĂ©) de Louis XIV, avec son compositeur de la Chapelle Royale, Henry du Mont, dont on ne jouait naguĂšre quâune Messe, et qui se rĂ©vĂšle maintenant « inventeur du grand motet Ă la française, cette forme quâil porte immĂ©diatement Ă des sommets stupĂ©fiants » : câest le jeune et trĂšs lancĂ© ensemble Correspondances (dâorigine lyonnaise, via le CNSMD) qui explore ce MystĂ©rium, sous la direction de SĂ©bastien DaucĂ©, son chef fondateur.
Orient-Occident
Lâintemporel fado, porteur de la mĂ©lancolie lusitanienne de « saudade », surgit dans MistĂ©rios de Lisboa (Duarte) ; dans Contar,Cantar, les polyphonies ibĂ©riques de la Seconda Pratica (lâensemble sâest donnĂ© un titre monteverdien)remontent Ă travers XVe,XVIe et XVIIe les chemins de la mĂ©moire, pour interroger « la vĂ©ritĂ© fantasmĂ©e du passé »(musical et psychologique). Selon lâesprit dâautres Correspondances analogues Ă celles que reconstruit lâesprit de Jordi Savall, un trio baroque (luth de T.Dunford, clavecin de J.Rondeau)et oriental (percussions de K.Chemirani, « rĂ©vĂ©lation de rĂ©centes Victoires, donne vie Ă une toccata aux fragrances de jasmin,parsemĂ©e dâimprovisations et de rythmes endiablĂ©s ». Et encore voici Aashenayi,(qui signifie en Persan : rencontre), en terre ottomane et sĂ©farade du temps de Soliman le Magnifique, par le Canticum Novum (Emmanuel Bardon)âŠ.
Ambronay ou Avignon ?
Ou sans rattachement trop cataloguĂ© aux thĂ©matiques (foin du tiroir Ă compartiments Ă©tanches, proclame tout le baroque dâhier et aujourdâhui !), mais baignant aussi en mythe et mystĂšre : la Messe en si de J.S.Bach par le Collegium 1704 de Vaclav Luks, quatre cantates sacrĂ©es (BWV 4,153,156 et 159) avec le Banquet CĂ©leste de Damien Guillon, lâĂ©nigmatique King Arthur de Purcell relu par le si imaginatif Jean TubĂ©ry (La Fenice, Vox Luminis), le Dixit Dominus de Vivaldi par le mĂȘme Ghislieri Choir de G.Prandi qui honora le Dixit de Haendel, et insiste ici sur les Ćuvres sacrĂ©es de Galuppi, et lâancĂȘtre toujours en fleurs polyphoniques des ZartsFlo (W.Christie pour les intime)s, ici dirigĂ© par Paul Agnew, dans des Madrigaux de Monteverdi. Et puis ne pas oublier les anniversaires, tel le 10e du label-disques dâAmbronay (plus de 50 titres et de 100.000 exemplaires vendus), le festival interne eeemerging (jeunes ensembles Ă©mergeants europĂ©ens)qui persiste et signe en son engagement, les spectacles en rĂ©sidence future proposĂ©s par lâAcadĂ©mie EuropĂ©enne, formules toniques du Chapiteau, les afters, les visites patrimoniales, les « mises en oreilles », confĂ©rences⊠Bref, tout un monde pas si lointain de Lyon et Ailleurs. Ou pour oser la formule-maison cependant laissĂ©e dans lâinterrogatif : « Ambronay, Avignon de la musique baroque ? »âŠ
Ambronay (01), 36e Ă©dition du Festival Baroque. Du 11 septembre au 4 octobre 2015, quatre week-ends et leurs intervalles. Environ 30 concerts Ă Ambronay (Abbatiale, Tour des Archives, Chapiteau, Salle Monteverdi, ParcâŠ), AmbĂ©rieu, Lagnieu, Jujurieux, Bourg-en-Bresse (01),Lyon. Renseignements, rĂ©servations : T.04 74 38 7404 ; www.ambronay.org