LILLE PIANOS FESTIVAL 2022. Le 11 juin 2022, Mozart, De Falla. Nguci, JĂĄuregui / Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus, direction  -  AprĂšs le concert dâouverture dirigĂ© par Alexandre Bloch, auquel nous nâavons pu hĂ©las assister, voici le second grand concert symphonique du Festival Lillois. DâemblĂ©e dans le n°21 de 1785, Marie-Ange Nguci sâempare de la grĂące mozartienne avec un investissement trĂšs personnel, sans maniĂ©risme aucun, en un geste droit, franc, caressant. Sa nature la porte vers lâintĂ©rioritĂ© et les chants indicibles. Ainsi, lâAllegro maestoso, son allure de marche Ă pas feutrĂ©s expose le jeu pianistique tout en insouciance heureuse, dâautant plus souple et lumineuse que la fusion entre orchestre et soliste est totale. LâAndante dĂ©ploie son climat de plĂ©nitude suspendue, de chant tendre et enivrĂ©, celui dâun nocturne paradisiaque. Dans le Finale (allegro vivace assai), la soliste galvanisĂ©e par le cadre orchestral, prĂ©cis et clair sous la baguette de JC Casadesus, ajoute cette touche bien calibrĂ©e dâespiĂšglerie savoureuse.
Avant de quitter la scĂšne, Marie-Ange Nguci offre un splendide bis qui dĂ©voile lâĂ©loquence athlĂ©tique de sa main gauche, uniquement sollicitĂ©e. Impressionnante gageure technique. Le public lillois suit la maturation et l’essor d’un nouveau talent du clavier : ampleur et goĂ»t du risque animent la silhouette Ă©lĂ©gante de celle que Classiquenews avait dĂ©jĂ distinguĂ©e lors du prĂ©cĂ©dent festival lillois intĂ©gralement diffusĂ© sur internet : câĂ©tait le 17 avril 2021. Et dĂ©jĂ le 21Ăšme de Mozart (Lire notre critique ici : https://www.classiquenews.com/concert-live-streaming-critique-lille-sam-17-avril-2021-orchestre-national-de-lille-mozart-concerto-pour-piano-n21-marie-ange-nguci-piano-david-reiland-direction/ )
En seconde partie de programme, nouvelle interprĂšte, la pianiste catalane Judith JĂĄuregui dans les flamboiements crĂ©pusculaires dâune partition atypique de Manuel De Falla : « Nuits dans les jardins dâEspagne ».
En dĂ©pĂźt de leur forme tripartite, les 3 « nocturnes » formant les Nuits dâEspagne (1915) nâont rien Ă voir avec la forme traditionnelle du concerto classique : comme une guitare amoureuse (riche en trilles et arpĂšges), les doigts de Judith JĂĄuregui caressent le clavier et dĂ©livrent les fameuses « impressions » amplifiĂ©es par le velours dâun orchestre somptueux (tissant de fait comme un cocon dâondes capiteuses et Ă©vocatrices surtout dans les 2 premiers Ă©pisodes) ; Ă Paris, De Falla se montre proche dâIberia de Debussy et aussi des Variations dâaprĂšs Paganini de Rachmaninov, la forme libre, presque fantasque et lâunivers de rĂȘverie imprĂ©visible rappelant pour beaucoup le dĂ©veloppement en rhapsodie. La pianiste Ă©voque lâimagerie exotique de cette contemplation envisagĂ©e ici comme une dĂ©ambulation fĂ©erique : le Generalife, ou rĂ©sidences dâĂ©tĂ© des rois maures, puis la Dansa lejana affirment leur caractĂšre enchantĂ©, avec dans le second mouvement, lâĂ©clat particulier des bois (baguette fine, caressante et dĂ©taillĂ©e de Jean-Claude Casadesus). Les « jardins cordouans » conclusifs, (rondo Ă refrain) accorde un relief spĂ©cifique Ă lâorchestre, Ă la fois onirique et rutilant, comme un Watteau de nuit, Ă la façon dâune fĂȘte de nuit (versaillaise) dont cependant les effets de « zambras » gitanes rappellent la couleur ibĂ©rique, comme le chant du piano solo, introduit par les cors somptueux, cite un motif clairement andalou. Tout est Ă©vocation, suggestion, dâune voluptĂ© heureuse et dansante, puis murmure Ă©vanescent que referme un ultime spasme orchestral.
Chef, instrumentistes, solistes sont unis en un mĂȘme Ă©lan, accordĂ©s au mĂȘme souffle ; lâorchestration Ă©blouissante et les harmonies dĂ©licates indiquent une parentĂ© ravĂ©lienne, hautement « impressionniste » Ă laquelle le jeu de la soliste,tout en rondeur et crĂ©pitements, rĂ©tablit aussi la fluiditĂ© aĂ©rienne, Ă©noncĂ©e comme une improvisation naturellement accordĂ©e Ă lâorchestre.
On savoure lâessor de cet enchantement impressionniste avec dâautant plus de plaisir que cohĂ©rence assumĂ©e de la programmation ou non, ce « premier impressionnisme » allait ĂȘtre davantage creusĂ© lors du concert de clĂŽture, dans la houle non moins enchanteresse des timbres dâĂ©poque de lâOrchestre Les SiĂšcles, le lendemain soir, mĂȘme lieu mĂȘme heure, dans les 3 volets symphoniques de La Mer de Debussy. Photos : Ugo Ponte / ON LILLE – Orchestre National de Lille