CRITIQUE, opĂ©ra. Baden-Baden, le 12 novembre 2021. Tchaikovski : Mazeppa. Kirill Petrenko (version de concert) – On aurait tort de ne pas succomber aux charmes de Baden-Baden, une des rares villes allemandes ayant Ă©chappĂ© aux bombardements de la fin de la 2Ăš guerre mondiale, puis aux mĂ©faits de l’urbanisation Ă outrance : entourĂ©e du massif de la forĂȘt noire, la ville a fondĂ© sa rĂ©putation sur les bienfaits de ses sources naturelles, devenant la capitale d’Ă©tĂ© de toute l’aristocratie europĂ©enne au XIXĂš siĂšcle. De nos jours, le flot de touristes reprĂ©sente encore l’une des principales mannes financiĂšres, ce qui explique pourquoi la ville, avec seulement un peu plus de 55.000 habitants, a rĂ©ussi Ă se doter de la plus grande salle de concert dâAllemagne (2.500 places). Le Palais des festivals – c’est son nom – a Ă©tĂ© bĂąti en 1998, attenant Ă l’ancienne gare du centre-ville, parfaitement rĂ©habilitĂ©e et dĂ©sormais dĂ©diĂ©e Ă la billetterie, aux vestiaires et au restaurant de la salle de concert. Les habitants des environs, dont de nombreux frontaliers Français, ne s’y sont pas trompĂ©s et viennent rĂ©guliĂšrement en nombre pour applaudir les manifestations : organisĂ©e autour de 4 festivals saisonniers, la saison a en effet pour habitude d’attirer les formations les plus prestigieuses, dont l’Orchestre Philharmonique de Berlin en rĂ©sidence depuis 2013.
Un Mazeppa mitigé
On retrouve prĂ©cisĂ©ment son chef principal Kirill Petrenko pour dĂ©fendre l’un de ses compositeurs de prĂ©dilection, Piotr Ilitch Tchaikovski, et plus particuliĂšrement son rare Mazeppa (1884). Ces derniers mois, le 7Ăš opĂ©ra de Tchaikovski a jouĂ© de malchance avec la pandĂ©mie, voyant la prĂ©sente production repoussĂ©e plusieurs fois (et rĂ©duite Ă une version de concert, en lieu et place de la mise en scĂšne de Dmitri Tcherniakov), Ă l’instar de celle qui devait ĂȘtre prĂ©sentĂ©e Ă Toulouse et Paris avec les forces du Théùtre du BolchoĂŻ, dirigĂ© par Tugan Sokhiev. En attendant, place au bouillonnant Kirill Petrenko, dĂ©jĂ crĂ©ateur de l’ouvrage en France dans sa version scĂ©nique, Ă l’OpĂ©ra de Lyon (2006).
DĂ©sormais plus connu, le chef russe aborde ce concert sans temps morts, engageant ses troupes par des attaques franches et cinglantes dans les parties enlevĂ©es, sans aucune respiration ou vibrato, avant de s’apaiser ensuite dans les parties lyriques. Ce geste sans concession se montre toutefois trop rĂ©pĂ©titif dans ses partis-pris, en dĂ©laissant les aspects narratifs et l’Ă©motion, avec des phrasĂ©s pour le moins prĂ©cipitĂ©s. Si l’on peut se dĂ©lecter de cette impressionnante cravache et des couleurs de l’un des plus beaux orchestres du monde, ce sont surtout les amateurs de musique pure et de prĂ©cision technique qui se retrouveront dans cette interprĂ©tation, Ă mille lieux de l’exploration raffinĂ©e des dĂ©tails de l’orchestration, privilĂ©giĂ©e par l’ancien chef principal âŠSimon Rattle.
L’autre dĂ©ception de la soirĂ©e, plus relative, vient de la prestation sous-dimensionnĂ©e d’Olga Peretyatko (Maria), dans l’un des principaux rĂŽles. Faute d’un instrument plus consĂ©quent en volume, la soprano joue davantage sur la sĂ©duction et le veloutĂ© de son Ă©mission, mais ne peut faire oublier le peu de caractĂšre de son interprĂ©tation. C’est particuliĂšrement audible dans la scĂšne finale de la folie, beaucoup trop lisse pour nous emporter pleinement. Fort heureusement, tout le reste du plateau vocal se montre Ă un niveau superlatif, au premier rang desquels l’impressionnante basse de Dmitry Ulyanov (KotchoubeĂŻ, – notre photo ci-contre DR)) : l’aisance technique sur toute la tessiture n’a d’Ă©gal que son impact vocal, du fait d’une prĂ©sence vĂ©ritablement sonore (digne des plus grandes basses russes) et d’un tempĂ©rament dramatique percutant. A ses cĂŽtĂ©s, Vladislav Sulimsky n’est pas en reste dans le rĂŽle-titre, Ă force de noblesse de ligne et de projection puissante et harmonieuse. On aime aussi grandement son concurrent malheureux, interprĂ©tĂ© avec beaucoup de prestance par Dmitry Golovnin. ClartĂ© de la ligne, beautĂ© du timbre ne sont pas pour rien dans la chaleureuse ovation qu’il reçoit en fin de spectacle, avec ses comparses. On notera encore les graves cuivrĂ©s et charnus dâOksana Volkova (Lioubov), ainsi que le tempĂ©rament comique d’Alexander Kravets (Le cosaque ivre). Tous les seconds rĂŽles se montrent Ă la hauteur, de mĂȘme que l’impeccable Choeur de la Radio de Berlin, dont on entend prĂ©cisĂ©ment chaque individualitĂ© – un rĂ©gal de grande classe.
VirtuositĂ© grisante pour les uns, sĂ©cheresse Ă©motionnelle creuse pour les autres : ce concert aura laissĂ© des avis mitigĂ©s, mĂȘme si le public en grande partie debout en fin de concert pour applaudir les artistes, semble avoir choisi son camp, celui de Petrenko.
CRITIQUE, opĂ©ra. Baden-Baden, Festspielhaus, le 12 novembre 2021. Tchaikovski : Mazeppa. Vladislav Sulimsky (Mazeppa), Olga Peretyatko (Maria), Dmitry Ulyanov (KotchoubeĂŻ), Oksana Volkova (Lioubov), Dmitry Golovnin (AndreĂŻ), Dimitry Ivashchenko (Orlik), Anton Rositskiy (Iskra), Alexander Kravets (Le cosaque ivre), Rundfunkchor Berlin, Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction musicale). A lâaffiche du Festspielhaus Baden Baden, les 10 et 12 novembre 2021. Photo : © Monika Rittershaus.