COMPTE-RENDU, opĂ©ra. AVIGNON, OpĂ©ra. Le 3 fev 2019. GALUPPI : Il Mondo alla Roversa. F Lasserre. Dans les programmations sagement ou mornement rĂ©pĂ©titives des théùtres lyriques, ce nâest pas tous les jours que lâon a la chance de dĂ©couvrir un opĂ©ra, par ailleurs signĂ©, texte et musique, de deux cĂ©lĂšbres plumes ! Les deux G : non le fameux cafĂ© XVIIIesiĂšcle dâAix, cher Ă son Festival en ses dĂ©buts, mais Goldoni, de Venise, et Galuppi de lâĂźle voisine. Non la bruyante et grouillante Murano des verriers mais, au-delĂ , la minuscule Burano, adorable Ăźlot de calme aux maisons, cubes multicolores, dont mĂȘme le linge Ă©tendu au soleil semble autant de drapeaux Ă©clatants claquant pour une fĂȘte silencieuse. Comme un caillou bariolĂ© tombĂ© sur lâeau de la lagune dont les ondes, ondulations, vagues, vaguelettes, rides, en sâĂ©loignant Ă lâinfini de la brume, auraient atteint lâautre rivage dâune Ăźle, la rive du rĂȘve : celle des Antipodes, lieu diamĂ©tralement opposĂ© Ă un autre, ici, au diamĂštre social de la ligne de dĂ©marcation dĂ©crĂ©tĂ©e par les hommes, puisque les femmes y rĂšgnent : une Ăźle donc aux « antipodes du bon sens », expression retenue par un dictionnaire ancien de ce temps. Puisquâil est aussi supposĂ© que seuls les hommes sont dĂ©tenteurs du sens, du bon : de la Raison. Qui est forcĂ©ment celle du plus fort : force musculaire masculine contre le sexe dit faible.
LâopĂ©ra selon Galuppi : Il Mundo alla Roversa, 1750.
Intelligence, culture historique, goût le plus exquis
production événement
L’Ćuvre : Femmes
Câest donc par dâautres moyens, sans doute la ruse, arme du faible, du renard contre le lion, que les femmes de cette Ăźle antipodique, qui ne sont pas forcĂ©ment des Amazones guerriĂšres, ont renversĂ© le pouvoir des hommes, et les ont asservis Ă leur pouvoir et caprices. Lâastuce fĂ©minine et son triomphe sur lâordre patriarcal est dâailleurs lâun des ressorts presque obligĂ© de lâopera buffa. On nâoublie pas lâexemplaire piĂšce de Goldoni la âVeuve rusĂ©eâ (La vedova scaltra, 1748) qui prĂ©cĂšde dâun an ses insoumises insulaires.Sans appeler Ă tĂ©moignage les quelque autres quarante livrets bouffes Ă©crits par Goldoni, il suffit de parcourir les titres de ses innombrables comĂ©dies pour en voir la galerie dâhĂ©roĂŻnes fĂ©minines de toutes classes servantes ou aristocrates, curieuses, jalouses, vindicatives, rivales sociales, spirituelles, extravagantes, solitaires, Ă©pouses, mĂšres, de bonne ou mauvaise humeur, etc. Bref, un catalogue de femmes digne du Don Juan de sa piĂšce antĂ©rieure, Don Giovanni Tenorio o sia il dissoluto (âDon Juan Tenorio ou le Dissoluâ, 1735), un maillon entre le mythique hĂ©ros espagnol qui courait lâEurope sur les scĂ©narios de la Commedia dellâArte, et celui quâoffrira Ă Mozart en 1787 son concitoyen Da Ponte en utilisant largement celui de Bertati mis en musique par Gazzaniga,quelques mois plus tĂŽt, pour le Carnaval de Venise, dont il avait dâailleurs fait une adaptation dramatique et mĂȘme musicale Ă Londres.
Goldoni a donc toujours manifestĂ© un intĂ©rĂȘt scĂ©nique pour les femmes, leur situation sociale, naturellement dans les limites de la comĂ©die, et ici, les conventions Ă©troites de lâopera buffa. Il nây a pas, dans son Ăźle utopique, le militantisme fĂ©ministe de celle du Marivaux de La Nouvelle Colonie ou la Ligue des femmes, comĂ©die pour les ComĂ©diens italiens de 1729, un Ă©chec, quâil reprend justement, rĂ©sumĂ©e en un acte, dans le Mercure de 1750, la mĂȘme annĂ©e que lâopĂ©ra-bouffe de Galuppi. Mais le livret de Goldoni est loin dâĂȘtre mĂ©diocre et, sous couvert de farce obligĂ©e, nâen expose pas moins, trĂšs clairement, par la bouche expresse de ses trois hĂ©roĂŻnes, Aurora, Tullia et Cintia, leurs dolĂ©ances sociales qui ont justifiĂ© leur rĂ©volte passĂ©e rĂ©ussie contre le patriarcat tyrannique des hommes. Tullia rĂ©sumera la situation Ă son amant Rinaldino :
« Exclues des conseils, /non compagnes mais servantes et esclaves des hommes, / condamnĂ©es aux travaux serviles/ par votre sexe ingrat, / nous devrions contre vous faire de mĂȘme. »
Donc, dans cette Ăźle antipodique, utopie, uchronie, sans lieu ni temps, rĂšgnentânon puisque le rĂ©gime politique nây pas encore dĂ©finiâ commandent collectivement des femmes, ayant rĂ©duit « le fĂ©roce orgueil des hommes », rĂ©duits en esclavage, enchaĂźnĂ©s aux tĂąches serviles. Lâaimante Aurora, la sage Tullia et lâaltiĂšre et cruelle Cintia, expriment leur conception respective de la bonne gestion, dirons-nous, de lâhomme soumis : par la bienveillance pour la premiĂšre, par une intraitable rigueur vengeresse pour Cintia, et par un prudent juste milieu pour Tullia.
Tout en mĂ©prisant les hommes, chacune rĂšgne du moins sur un chacun, un favori, un esclave personnel : le tendre Graziosino, tout plein de charmes fĂ©minins, fait les dĂ©lices dâAurora, heureux dans la servitude imposĂ©e mais acceptĂ©e, il lui promet de tout faire pour elle : camĂ©riĂšre, cuisiniĂšre, lavant la vaisselle et mĂȘme lâurinoir. Elle ne lui en demande pas tant. Tullia aime Rinaldino qui vit heureux aussi dans sa servitude quâelle lui rend douce par son aimable magistĂšre. MĂȘme la combattive Cintia a succombĂ© aux charmes de Giacinto, un Narcisse amoureux de lui-mĂȘme, et le couple aux voix graves appariĂ©es, contralto et basse, entretient de turbulents rapports sado-maso.
Deux coqs vivaient en paix, une poule survint : voilĂ la guerre allumĂ©e. Ici, ce sont deux poules plutĂŽt et le coq, le bellĂątre Giacinto au cĆur dâartichaut, est disputĂ©, homme objet, par Aurora et Cintia. Jalousie amoureuse et rivalitĂ©s politiques, tentation de complot et tentative de meurtre, entraĂźneront la fin de cette domination des femmes : ce « Monde Ă lâenvers » des habitudes politiques, le pouvoir des hommes, sera remis à  « lâendroit »,  sera renversĂ©. Mais câest moins par les hommes eux-mĂȘmes qui dĂ©barquent que par ce matriarcat, divisĂ© sur le choix de rĂ©publique ou monarchie, qui dĂ©chire, lors dâĂ©lections tout de mĂȘme, les trois candidates au pouvoir suprĂȘme : aucune femme ne consent Ă ĂȘtre gouvernĂ©e par une autre, ni Ă partager le pouvoir. Ce qui nâest pas quâun trait fĂ©minin : câest le dĂ©sir de pouvoir qui corrompt et entraĂźne la catastrophe de la servitude, alors mĂȘme que le chĆur fĂ©minin chante :
« LibertĂ , libertĂ , cara, cara libertĂ ! », âLibertĂ©, libertĂ©, chĂšre, chĂšre libertĂ©!â
Musique
Un jour de tempĂȘte exceptionnelle de mistral faisant craquer dâhorribles dĂ©cibels les jointures de la salle en bois de lâOpĂ©ra provisoire Confluence, menaçant, eĂ»t-on dit, de le faire sâenvoler, nâoffrait pas les conditions les meilleures pour recevoir et dĂ©couvrir dignement cette Ćuvre dâun raffinement tout aussi exceptionnel. Mais cela nous donne au moins, dĂ©jĂ , une raison de dire lâexcellence, la vaillance des chanteurs devant affronter cet impĂ©tueux orchestre wagnĂ©rien du vent en lui opposant la dĂ©licatesse dâun chant acrobatique sur les ailes lĂ©gĂšres, de soie, de cette musique moirĂ©e, scintillante ou tamisĂ©e, comme la lagune vĂ©nitienne sous le soleil ou la lune. On souffrait pour eux du tapage ambiant, la rage et le ravage du vent, de lâair dessĂ©chĂ©, redoutable aux organes vocaux dĂ©licats, et lâon admire sans rĂ©serve leur maĂźtrise technique pour faire, contre mauvaise fortune mĂ©tĂ©o bonne voix, et toutes belles, notant Ă peine, en passant, une note suraiguĂ« assĂ©chĂ©e dans lâariditĂ© ingrate de lâair. Jamais les airs de « tempĂȘte », passage obligĂ© de lâopĂ©ra baroque, nâauront Ă©tĂ© mieux environnĂ©s dâun vĂ©risme qui ne doit rien Ă la musique. Et lâon sâĂ©merveillait, en vieux connaisseur de ce style, que cette vocalitĂ© virtuose, qui nâĂ©tait naguĂšre encore que lâapanage de grands festivals spĂ©cialisĂ©s, fĂ»t aujourdâhui parfaitement intĂ©grĂ©e et maĂźtrisĂ©e par de jeunes chanteurs, par ailleurs excellents comĂ©diens : conditions absolues pour refaire vivre ce théùtre chantĂ©. Tous Ă fĂ©liciter en bloc, comme ils salueront, sans quĂȘter les applaudissements compĂ©titifs singuliers.
MĂȘme avec la clĂ©mence titanesque du vent, cette immense salle nâest pas non plus la mieux adaptĂ©e au bijou de cette musique, qui nĂ©cessite un Ă©crin plus intime. Cependant, passĂ©e la premiĂšre surprise entre cet espace dĂ©mesurĂ© et les premiĂšres mesures de la musique, la gestuelle souple mais ferme, maĂźtresse, de Françoise Lasserre, parut mĂȘme, sinon imposer silence, du moins sâimposer contre le vent, magie visuelle du geste qui est dĂ©jĂ musique, qui colle, fait corps avec elle, la matĂ©rialisant aux yeux et Ă lâoreille.
Non pompeuse comme lâouverture Ă la française, mais pimpante, brillante, alternant Ă lâitalienne trois parties, deux au tempo vif entourant une lente, elle nâintroduit pas aux thĂšmes de lâĆuvre, câest unesinfonia, qui nâest pas encore ce quâon appellera bientĂŽt « ouverture », qui doit peut-ĂȘtre son nom au fait que cette musique dâavant le lever du rideau servait de signal du dĂ©but du spectacle, salle encore ouverte, Ă couvrir le bruit du public prenant place. UnchĆur homophonique, chantant lâesclavage volontaire, rare dans lâopĂ©ra baroque pour des raisons dâĂ©conomie, lui succĂšde et scandera les Ă©lections, saluant le finale, divisĂ© entre hommes et femmes, puis enfin unis.Ă partir de cette entrĂ©e chorale qui pose la situation, câest la succession obligĂ©e des arie da capo, introduites par un rĂ©cit.
Ces airs, sans avoir toujours la longueur ni lâefflorescence ornementale de ceux de lâopera seria, sommet du buon ou bel canto, au sens propre et premier du terme, câest-Ă -dire lâart du chant sublimĂ© par celui des castrats (qui, gĂ©nĂ©ralement, nâavaient pas cours Ă Venise), rĂ©pondent Ă la technique lyrique la plus raffinĂ©e, alternant selon le caractĂšre des personnages et de leurs sentiments les arias di portamento, de tenue de souffle et dâagilitĂ©, qualitĂ©s requises alors de tous les interprĂštes dans une typologie dâairs codĂ©s, en gĂ©nĂ©ral dâune grande difficulté : grands sauts, appoggiatures, cadences ornĂ©es, fleuries de trilles, de notes piquĂ©es, saufs quelques ariettes de caractĂšre humoristiques pour les hommes fĂ©minisĂ©s par leur servitude.
Ă porter aussi au crĂ©dit des interprĂštes, bons comĂ©diens et bons chanteurs comme on a dit, lâexcellence de leur diction italienne. Elle colle Ă la clartĂ©, lâintelligibilitĂ© remarquable du texte et non seulement dans les rĂ©cits, mais aussi lors des airs les plus virtuoses : aprĂšs la limpiditĂ© dramatique des rĂ©citatifs « secs », ponctuĂ©s des cordes pincĂ©es du clavecin traditionnel, Ă peine accompagnĂ©s par la corde frottĂ©e du violoncelle, la briĂšvetĂ© et la simplicitĂ© des strophes de lâaria, les rĂ©pĂ©titions de termes permettant Ă la fois de ne rien perdre des mots et servant de repĂšre Ă leur ornementation, laissant attendre le feu dâartifice des vocalises du da capovariĂ©.
Le nombre dâairs dĂ©pendait de lâimportance des personnages ou des chanteurs plus ou moins cĂ©lĂšbres qui les incarnaient. Dans la mesure des conditions dâĂ©coute quâon a dites et dĂ©plorĂ©es, dans cette version de lâĆuvre dont nous ignorons lâoriginal, toujours soumis dâailleurs Ă variations, il nous a semblĂ© que Tullia avait quatre airs Ă son actif pour trois Ă Aurora (qui a un air qui est une dĂ©jĂ une valse) et deux pour Cintia. Son premier air, deparagone (de comparaison), basĂ© sur le lion fĂ©roce ou domptĂ© dans lâarĂšne, mĂ©taphore de lâhomme asservi, rĂ©unit toute la complexitĂ© vocale requise en ce temps : bravoure par le rythme, portamentopar la tenue de certains mots, et dâagilitĂ© par les vocalises et les sauts. Sans doute le personnage le plus important par sa sage position moyenne sur la conduite Ă tenir envers les hommes vaincus et par son nom, explicitement rĂ©fĂ©rĂ© Ă CicĂ©ron.
Parmi ces derniers, Graziosino en a trois, ainsi que Giacinto et Rinaldino, Ferramonte, deux. Leur nom est Ă lâĂ©vidence humoristique : le premier, le âPetit gracieuxâ (il se vante lui-mĂȘme de ses grĂąces fĂ©minines) ; Ronaldino, câest le âPetit Rinaldinoâ, le pauvre petit Renaud qui nâest guĂšre le cĂ©lĂšbre chevalier, affublĂ© ici dâune voix de soprano. Giacinto, viril Narcisse disputĂ© par les dames, est sans doute lâavatar comique dâHyacinte, le bel Ă©phĂšbe que se disputaient les dieux, tuĂ© accidentellement par le palet de son amant Apollon. Quant Ă Ferramonte, dĂ©calque de FiĂ©rabras, voix de tĂ©nor, qui nâĂ©tait pas alors une voix noble, nâa que deux airs, un, rageur, sur lâincrĂ©dulitĂ© quâil porte aux femmes. Ă part deux airs de Rinaldino chantant le bonheur les fers de lâamour puis ses doutes, les hommes sont dotĂ©s dâairs humoristiques, chacun, dans un trio comique, chantant sa belle et une fleur, le viril Giacinto, le jasmin. Personnage vraiment bouffe, celui-ci, homme objet, entraĂźne dans sa dĂ©rive et son dĂ©lire amoureux, les deux femmes opposĂ©es, la tendre Aurore et la cruelle Cintia dans un trio puis un quatuor oĂč chacune veut faire tuer lâautre et enfin un duo avec Cintia sur le renversement des rĂŽles et lâaccord amoureux.
LâopĂ©ra avait pratiquement une production industrielle comparable, toute mesure gardĂ©e, avec celle du cinĂ©ma, avec des procĂ©dĂ©s dâĂ©criture rapide, comme le rĂ©citatif. Selon la codification des opĂ©ras baroques, câest le seul rĂ©citatif qui porte lâaction, le dynamisme dramatique, tandis que les airs, interchangeables dâune Ćuvre Ă lâautre, ne sont que lâexpression statique, extatique pour ceux dâamour, de lâaffect gĂ©nĂ©ral exprimĂ© par la situation, amour, rage, dĂ©sespoir, rapportĂ© Ă une comparaison (aria di paragone) comme lâair de Tullia sur le lion, de Rinaldino sur la mer agitĂ©e comme un cĆur amoureux, ou de Giacinto sur lâirrĂ©sistible puissance de labeautĂ© des femmes qui attendrit mĂȘme les bĂȘtes sauvages. Cependant, on note ici deux airs introduits dĂ©jĂ par le rĂ©cit, collant Ă lui, celui de Cintia aimant Ă faire souffrir les hommes, indiffĂ©rente Ă leur douleur, et celui Rinaldino sur les chaĂźnes de lâamour.
Ne pouvait manquer, autre trait presque obligĂ© de lâopera buffa, un air de liste, dâĂ©numĂ©ration, tels ceux de Graziosino sur les animaux et lâamour, avec son accĂ©lĂ©ration vĂ©loce, puis celui de ses serments Ă Cintia, celui des femmes du catalogue de Leporello de Don Giovanninâen Ă©tant quâun exemple entre autres. Ceci pour dire que, sans ĂȘtre un chef-dâĆuvre, cet opĂ©ra est un superbe exemple de la qualitĂ© de lâopĂ©ra, Ă Venise, oĂč naquit au XVIIesiĂšcle le premier théùtre lyrique public, ouvert tous, Ă lâinverse des fastueux spectacles de cour rĂ©servĂ©s aux princes.
Cela donne aussi la mesure, au-dessus de toute comparaison, de Da Ponte / Mozart qui, des types, des archĂ©types humains de lâopera buffa font des personnages, des personnes qui continuent de nous habiter et pourtant avec des airs qui, tout en restant absolument dans le moule et modalitĂ©s du bouffe, le dĂ©bordent, le transcendent par une humanitĂ©, une identitĂ©, une personnalitĂ© qui nâest plus interchangeable : la rage du Comte est un air traditionnel de fureur, mais la fureur est bien celle du noble Almaviva humiliĂ© par ses serviteurs, comme la nostalgie du passĂ© est celle de la Comtesse trahie et lâair de liste de Leporello est presque une preuve, un rĂ©quisitoire de lâappĂ©tit sexuel indiscriminĂ© de Don Juan : Ă©lĂ©ment dramatique qui sublime la convention bouffe.
Réalisation
Il faut dire que lâintelligence, la culture historique le disputent au goĂ»t le plus exquis, sans aucune miĂšvrerie, pour faire de ce spectacle un plaisir autant des yeux que des oreilles, et de lâesprit. La scĂ©nographie de Claire Niquet, jouxtĂ©e dâabord dâun lit oĂč voguera le rĂȘve ou cauchemar de lâun ses Ă©poux, une simple estrade aux pieds en poutrelles couleur de Venise la Rouge, deviendra tour Ă tour tribune Ă©lectorale, trĂ©teaux de théùtre, fortin final du dernier carrĂ© des femmes rĂ©sistant au vaisseau lit des envahisseurs. Il suffit dâun rideau et câest celui dâun théùtre de marionnettes, une voile et les mĂąts berlingots Ă la vĂ©nitiennes sont autant de hampes de drapeaux enflammĂ©s du combat Ă©lectoral que lances pour repousser le mĂąle ennemi.
Les costumes de Erick Plaza-Cochet sont en enchantement, un agencement plein dâhumour dâĂ©lĂ©ments dâĂ©poque par les couleurs et les coupes comme dâallusion antique avec le panache flambant, la cuirasse et gantelets de Cintia qui en font une arrogante Minerve guerriĂšre. Il suffit quâAurore, sur son bustier, ajuste sur sa cotte ou cotillon, comme deux ailes, lâĂ©bauche bouffante des anses dâune robe Ă panier et câest lâaurore « aux doigts de rose » de la mythologie, nâĂ©tait-ce son mignon et minuscule tricorne vĂ©nitien emplumĂ©. Tricorne vĂ©nitien aussi pour Tullia mais fraise et robe aux rĂ©miniscences arlequinesques. Les trois amants esclaves de ces dames, ainsi que le Ferramonte, Capitan, ou Matamore, semblent issus de la Commedia dellâArte : Rinaldino, en vĂȘtements de Scaramouche, mais mĂ©lancolique ; Giacinto, fraise dĂ©mesurĂ©e sous Ă©norme tricorne, tient du Docteur avec les fantaisies dâun Scapin, et Graziosino est un naĂŻf Pedrolino, un Pierrot ou Gilles digne de Watteau comme tant dâautres personnages qui paraissent animer de leur soie et joie ses ComĂ©diens italiens, nĂ©s de la peinture vĂ©nitienne dâĂ©poque, les dames avec ces dĂ©licieux et coquins chapeaux en paille de la campagne vĂ©nĂšte se souvenant de ceux des petits Tanagras. Câest un ravissement mis en valeur par les lumiĂšres dĂ©licates, expressives, ou fond sombre, de Carlos PĂ©rez.
La mise en scĂšne de Vincent Tavernier joue en virtuose sur tous ces registres harmonieux habilement convoquĂ©s, constitue des groupes picturaux ou plastiques sculpturaux, sĂ©duisants de vibrantes taches de couleur rythmĂ©es de bleus soyeux de peinture vĂ©nitienne, sans jamais de pose qui pĂšse, tout en singularisant les six hĂ©ros, sans contredire la musique. La gestique reprend souvent avec humour les gestes codifiĂ©s de la Commedia dellâArte, et, en certain moments de franc burlesque, les mouvements saccadĂ©s du théùtre de marionnettes. MalgrĂ© la tempĂȘte intempestive de mistral, bon vent Ă ce spectacle rĂ©ussi Ă tous niveaux.
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COMPTE-RENDU, opéra. AVIGNON, Opéra. Le 3 fev 2019. GALUPPI : Il Mondo alla Roversa. F Lasserre.
GALUPPI / GOLDONI : IL MONDO ALLA ROVERSA
O SIA LE DONNE CHE COMANDONO
Opera buffa
Création le 14 novembre 1750 au Teatro San Cassiano de Venise
Ădition de la partition de Michele Geremia
Opéra Confluence Avignon
En co-production avec AkadĂȘmia et lâOpĂ©ra de Reims
A lâaffiche de lâOpĂ©ra Confluence, Avignon
Samedi 2 février , dimanche 3 février 2019.
Direction musicale : Françoise Lasserre
Mise en scĂšne : Vincent Tavernier
Scénographie : Claire Niquet
Costumes : Erick Plaza-Cochet
LumiĂšres : Carlos Perez
Tullia : Marie Perbost
Rinaldinho : Armelle Marq
Aurora : Dagmar Saskova
Cintia : Alice Habellion
Graziosino : Olivier Bergeron
Giacinto : David Witczak
Ferramonte : Joao Pedro Coelho Cabral
Complément vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=-Kmn4qfPGck
Photos : Cédric & Michaël/ Studio Delestrade