TĂ©lĂ©. France 2. Jordi Savall joue Rameau, jeudi 6 mars 2014, 00h30. On se souvient dâun disque exemplaire restituant le faste chorĂ©graphique et cette sensibilitĂ© Ă la couleur et aux timbres dâun Rameau rĂ©enchantĂ© grĂące Ă la direction du chef fondateur du Concert des Nations, Jordi Savall. Le programme avait Ă©tĂ© rodĂ© dâabord au concert, comme ici en 2011, puis enregistrĂ© dans la foulĂ©e pour le disque (Alia Vox). France 2 en cette annĂ©e Rameau 2014 nous offre lâenregistrement filmĂ© du concert donnĂ© Ă lâOpĂ©ra royal de Versailles le 16 janvier 2011. Le lieu est dâautant mieux dĂ©signĂ© pour Rameau que le Dijonais occupa les fonctions les plus prestigieuses Ă la Cour de France sous Louis XV Ă Versailles prĂ©cisĂ©ment. A lâĂ©poque, le ChĂąteau ne dispose pas encore dâun opĂ©ra en dur, mais en divers sites du domaine, les compositeurs disposent dâun goĂ»t jamais attĂ©nuĂ© pour la machine lyrique et dans le cas de Rameau, du flamboiement dâun orchestre souverain, nâen dĂ©plaisent aux chanteurs et acteurs de lâAcadĂ©mie royale de musique. Le programme dĂ©fendu par Savall et ses Ă©quipes illustrent lâexcellence du compositeur dans lâart orchestral, câest mĂȘme dans le cas de Rameau, du premier symphoniste digne de ce nom, avant Berlioz et les romantiques. Â
Â

Â
Pleins feux sur Rameau le symphonisteÂ
Lâorchestre de Louis XV selon Rameau
Voici ce quâĂ©crivait Ernst Van Beck Ă propos du cd Rameau, lâorchestre de Louis XV lors de sa parution en juin 2006⊠Le programme du disque est identique aux Ćuvres abordĂ©s dans le concert filmĂ© diffusĂ© sur France 2.
Fastes et Ă©loquence ramistes⊠Ici, naĂźt lâorchestre français et dĂ©jĂ ce symphonisme ardent, ivre de couleurs et de climats tĂ©nus qui dĂ©passent bien souvent leur âprĂ©texte narratifâ: Ă Jordi Savall, reconnaissons ce gĂ©nie magicien du geste capable de transmettre aujourdâhui la modernitĂ© inclassable du plus grand compositeur français du XVIIIĂš. Magistral.
DĂšs les Indes Galantes, premiĂšre pierre de cette incursion chronologiquement respectĂ©e et qui restitue comme une maniĂšre de rĂ©capitulation de lâĂ©criture de Rameau des Indes Galantes donc (1735) aux BorĂ©ades (1764, que lâauteur ne put voir créé de son vivant): Jordi Savall se dĂ©voile immensĂ©ment inspirĂ© dans ce théùtre du dĂ©lire musical, de lâenchantement rocaille et de la pure invention baroque. Certes il y a le mordant et lâexpressivitĂ© des cordes (superbes coups dâarchet), la vitalitĂ© des bois (hautbois et bassons Ă la fĂȘte), avec lâaccent et la couleur des cuivres Ă©tonnamment ronds et prĂ©cis, Jordi Savall souligne tout ce que Rameau doit Ă Lully dans la grandeur et la solennitĂ© (jamais cependant grandiloquente: balancement suspendu du Menuet des guerriersâŠ). La
Chaconne laisse respirer la phrase, dĂ©ployant ce goĂ»t de la pĂąte, ce coloris savallien dont nous avons pu dire toute la subtilitĂ© et le raffinement jamais strictement dĂ©monstratif, toujours aĂ©rien, dâune onctuositĂ© si dĂ©lectable, dĂ©jĂ admirablement rĂ©alisĂ©s dans le prĂ©cĂ©dent disque dĂ©diĂ© Ă cet autre magicien au dĂ©but du XVIIIĂš, François Couperin.
Nostalgie, rĂȘve, enchantement, force et muscle (Ă©nergie de lâouverture de NaĂŻs, 1748: dâune Ă©lectrisante course construite comme une flamme ascensionnelle avec des fins de phrase pointĂ©es comme une touche sans appui)⊠toutes les facettes du soleil versaillais Ă©blouissent ici; comme compositeur officiel de la Cour de Louis XV, Rameau mĂ©ritait bien ce flamboiement de couleurs, cette prĂ©cision dâaccents, ce geste libĂ©rĂ© qui oublie la tenue strictement rythmique pour atteindre Ă une continuitĂ© Ă©lastique et organique totalement jubilatoire (Rigaudons si diversement caractĂ©risĂ©s de NaĂŻs, plage 16), sans omettre la lĂ©gĂšretĂ© de la Chaconne.
Beaux accents mordants de lâouverture de Zoroastre (1749) oĂč sâaccomplit avec une mĂȘme souplesse les pointes aigres surexpressives puis ce lĂącher prise dâune onctuositĂ© tout en finesse mĂ©lancolique: le contraste de ces deux climats enchaĂźnĂ©s est dĂ©jĂ le gage dâune superbe comprĂ©hension de la versatilitĂ© permanente du Rameau inventeur. Dans lâair des esprits infernaux plus lâair grave, Savall et sa noble assemblĂ©e font rugir la prĂ©sence du théùtre avec une pĂąte lĂ encore suractive et passionnante car la richesse dynamique ne ralentit jamais lâarchitecture dramatique. La Gavotte en rondeau puis la Sarabande (superbes respirations) convoquent le raffinement mondain des salons courtisans, cette dĂ©licatesse et ce poli dâintonation qui rappellent
Ă©videmment les piĂšces de clavecin en concerts, eux mĂȘme si inspirĂ©s par la succession prodigieuse des opĂ©ras du Dijonais.
Et que dire encore de la frĂ©nĂ©sie voire la transe de la conclusion des BorĂ©ades, lâultime oeuvre de Rameau, oĂč câest le gĂ©nie de la danse qui emporte tout lâorchestre au langage si flamboyant. Allant dramatique annoncĂ© dans les gavottes pour les heures et les zĂ©phyrs, rĂ©glĂ©es comme des mĂ©caniques fulgurantes⊠lâoption du tempo sâavĂšre convaincante. Instrumentalement, Jordi Saval poursuit une Ă©tude de la sonoritĂ© appliquĂ©e amorcĂ©e auparavant sur les orchestres de Louis XIII et de Louis XIV. LâHĂ©roĂŻque, la Pastorale, lâaction tragique sâincarnent ici avec une vitalitĂ© bouillonnante, une direction opulente et variĂ©e, qui aime sâalanguir et sâattendrir aux instants de repos et de mĂ©ditation; rugir et souffler des braises Ă lâĂ©vocation des tempĂȘtes et batailles en bon ordre. Pour accomplir cette recherche historique sur instruments dâĂ©poque selon la connaissance dâune recherche informĂ©e, Savall trouve en Manfredo Kraemer un violoniste complice Ă©videmment crucial: la sĂ©duction formelle de la pĂąte globale comme ce nerf musclĂ© des accents si habilement enchaĂźnĂ©s dans leurs climats contrastĂ©s (poĂ©sie saisissante des Vents, si emblĂ©matique pour les BorĂ©ades) offrent aujourdâhui la plus vivante des propositions pour la musique française baroque dont Rameau sort gagnant. Le compositeur officiel de Louis XV dĂšs 1745, incarne une maniĂšre rocaille pleinement aboutie et dĂ©jĂ visionnaire dans sa faveur dĂ©lirante rĂ©servĂ©e aux instruments. Lâorchestre vainc tout. Symphoniste, Rameau se distingue immĂ©diatement. Peu Ă peu, une Ă©criture dâabord dramatique et flamboyante dĂ©jĂ passionnante par sa verve crĂ©ative sĂ©duit immĂ©diatement; puis Savall nous initie Ă lâĂ©volution de la plume ramiste, autour de 1750, plus construite, plus audacieuse et mĂȘme abstraite: les ouvertures des Zoroastre et surtout des BorĂ©ades indiquent une pensĂ©e musicale de plus en plus libĂ©rĂ©e (pure invention rythmique de la contredanse en rondeau des BorĂ©ades).
Ici, naĂźt lâorchestre français et dĂ©jĂ ce symphonisme ardent, ivre de couleurs et de climats tĂ©nus qui dĂ©passent bien souvent leur âprĂ©texte narratifâ: Ă Jordi Savall, reconnaissons ce gĂ©nie magicien du geste capable de transmettre aujourdâhui la modernitĂ© inclassable du plus grand compositeur français du XVIIIĂš. Magistral. Rameau: Suites dâorchestre. Les Indes Galantes, 1735. NaĂŻs, 1748. Zoroastre, 1749. Les BorĂ©ades, 1764. Le Concert des Nations. Jordi Savall, direction. Ernst Van Beck. Voir la critique illustrĂ©e du disque Rameau, lâorchestre de Louis XV par Jordi Savall.