Livre Ă©vĂ©nement, critique. Le Clavecin des Romantiques par Jean-Patrice BROSSE (Ă©diteur BLEU NUIT, dĂ©c 2019)  -  Dans ce dernier tome de son histoire du clavecin, l’auteur met en lumiĂšre le destin du clavier baroque dĂšs la fin du XVIIIĂš, avec lâessor des nouveaux modĂšles ou pianoforte fortement concurrentiels ; lâinstrument emblĂ©matique de l’Ancien rĂ©gime sous la RĂ©volution française, certes a Ă©tĂ© dĂ©truit, dĂ©testĂ© en raison de ce quâil reprĂ©sentait ; mais lâauteur montre combien le clavecin sâest maintenu tout au long du XIXĂš, rĂ©vĂ©lant lâaction de producteurs de concerts Ă Paris (FĂ©tis, Prince de la Moskova, AmĂ©dĂ©e MĂ©reauxâŠ) qui continuent de programmer les oeuvres de Rameau ou Couperin, suscitant mĂȘme lâenthousiasme des grands pianistes romantiques passionnĂ©s eux aussi par lâinstrument et le rĂ©pertoire baroque ; le cas le plus emblĂ©matique reste Chopin, comme on le sait, passionnĂ© par JS Bach et aussi, ce qui est moins connu, François Couperin. Cette filiation avĂ©rĂ©e, passionnante nâest toujours pas abordĂ©e au concert : on sâen Ă©tonne toujours. Certains virtuoses du clavier romantique, jouent le clavecin comme Ignaz Moscheles (sur un Shudi) chez FĂ©tis dâailleurs.
Ailleurs, ce sont les grands virtuoses du piano qui cultivent une saine curiositĂ© pour les Baroques, jouant leurs piĂšces conçues pour le clavecin : Louis Farrenc et son Ă©lĂšve Marie Mongin (Rameau, Couperin, Bach), ⊠tout cela conforte le goĂ»t de Berlioz qui nâa jamais goĂ»tĂ© rĂ©ellement le timbre ni les dĂ©lices de la mĂ©canique du clavecin. Pour lui quand un piano sonnait mal, il sonnait comme un clavecin qui « clapote »⊠voilĂ qui est dit.
En dĂ©finitive, le goĂ»t du Baroque nâa jamais faibli tout au long du XIXĂš romantique ; saluons FĂ©tis et ses concerts parisiens qui dans les annĂ©es 1830 et jusquâau milieu des annĂ©es 1850, programme encore les compositeurs baroques et aussi de la Renaissance dont Jannequin ! Pionnier et visionnaire FĂ©tis rĂ©vĂšle une sensibilitĂ© inouĂŻe aux timbres et Ă lâaptitude des instruments Ă jouer « leur » rĂ©pertoire ; il nâhĂ©site pas Ă mesurer exactement en le discrĂ©ditant la pertinence dâun Erard sâagissant des partitions du Fitzwilliam virginal Book (qui regroupe une collection dâĆuvres anglaises signĂ©es Byrd, Bull, Gibbons, MorleyâŠ).
Des Ă©lĂ©ments mĂȘlĂ©s⊠A contrario dâune histoire de lâart et de la musique oĂč tout sâenchaĂźne distinctement ; oĂč de nouveaux Ă©lĂ©ments prennent la place des anciens, lâauteur montre en rĂ©alitĂ© que tout se mĂȘle, se chevauche et souvent fusionneâŠ. ainsi le clavecin, instrument royal Ă lâĂ©poque des LumiĂšres perdure quand les premiers pianoforte affirment leur voix spĂ©cifique : incroyable rĂ©vĂ©lation que cet instrument double Ă la fois clavecin et pianoforte, comportant deux claviers avec sautereaux et becs de plume, et un clavier dont les cordes sont frappĂ©es avec des marteaux ; les 2 esthĂ©tiques se mĂȘlent et peuvent ĂȘtre jouĂ©es par le mĂȘme musicien ; un tel « monstre fascinant » est prĂ©sent chez les Mozart ; il est aussi louĂ© par Diderot et DâAlembert dans leur EncyclopĂ©die mĂ©thodique (1785).
Les sociĂ©tĂ©s de musique ancienne Ă Paris, comme les mĂ©cĂšnes ayant favorisĂ© ce goĂ»t de lâAntiquitĂ© sont Ă©voquĂ©es avec justesse. Les concertos de Poulenc ou de Falla nâĂ©mergent pas dâun contexte nouveau ; ils participent et prolongent dâune tradition qui nâa en rĂ©alitĂ© jamais cessĂ© de se maintenir. Dans ce regard qui efface bien des classements et compartimentations rĂ©ducteurs, lâauteur souligne lâapport de certaines Ćuvres trĂšs riches en enseignement dans ce rapport continu au XVIIIĂš : ainsi Manon lâopĂ©ra de Massenet qui en 1884 cristallise la passion de lâĂ©poque pour un certain XVIIIĂš : lâouvrage lyrique est nourri de danses baroques et de rĂ©fĂ©rences Ă©videntes, assumĂ©es.
Erudit mais accessible, voire souvent passionnant, lâauteur Jean-Patrice Brosse, claveciniste et organiste, tort le cou Ă nombre de prĂ©jugĂ©s et dâidĂ©es reçues. Câest toute une perspective de la connaissance et de la recherche qui sâen trouve modifiĂ©e ; lâapport est majeur et le livre, captivant. CLIC de CLASSIQUENEWS de fĂ©vrier 2020.
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Livre Ă©vĂ©nement, critique. Le Clavecin des Romantiques par Jean-Patrice BROSSE (Ă©diteur BLEU NUIT, dĂ©c 2019) – RĂ©f: 9782358840927 (176 pages) – 20 x 14 cm – collection « Horizons », 2Ăš Ă©dition – CLIC de classiquenews de fĂ©vrier 2020.
http://www.bne.fr/page77.html