COMPTE RENDU, critique, concert. PARIS, Auditorium du Louvre, le 15 nov 2019. MUSIQUE SECRETE DE LEONARD, Doulce MĂ©moire. D RAISIN-DADRE. Nouvelle production. Difficile de concilier dans la rĂ©alisation dâun seul spectacle, onirisme des peintures, surtout celles de Leonardo, et vitalitĂ© expressive de morceaux musicaux, choisis par affinitĂ©s et par correspondance chronologique. Pourtant le gĂ©nie de Vinci fut assez Ă©tendu pour embrasser les deux disciplines,- entre autres, dons exceptionnels qui justifient absolument un dialogue de ce type : Leonardo fut organisateur de fĂȘtes somptueuses pour les princes quâil servit ; il fut tout autant un instrumentiste virtuose, capable dâimproviser comme personne, Ă la lira da braccio, instrument prĂ©sent ce soir et remarquablement chantant sous les doigts de Baptiste Romain.
Au demeurant, le spectateur – auditeur, est charmĂ© dâun bout Ă lâautre du programme par la complicitĂ© toute en nuances et prĂ©cision expressive des instrumentistes et des deux chanteurs trĂšs sollicitĂ©s (Clara Coutouly, soprano / Matthieu Le Levreur, baryton) dont lâĂ©loquence des accents comme des gestes servent le souci dâĂ©vocation du spectacle. Voix maternelle, de sĂ©duction, de drĂŽlerie piquante pour elle ; prĂ©sence noble et virile pour lui. Dans la tendresse Ă©merveillĂ©e, mariale ; dans la douleur languissante, digne et contenue (Mille regretz de Josquin) ; dans lâivresse amoureuse ; dans enfin, un pittoresque comique plus dramatique (« tante volte si si si / Tant de fois oui, oui, oui » de Marchetto Cara)⊠sans omettre la sĂ©duction rythmique dâairs et de mĂ©lodies au caractĂšre manifestement dansant et chorĂ©graphique : savant et inventif, Leonardo fut un exceptionnel ordonnateur de fĂȘtes, selon les tĂ©moignages de lâĂ©poque.
Doulce Mémoire explore les musiques de Leonardo da Vinci
Syncrétisme artistique
LEONARDO musicien et poĂšte
Le choix visuel retenu privilĂ©gie le dĂ©tail pour mieux sâimmerger dans lâunivers pictural du peintre – musicien. Ainsi lâAnnonciation ou Ginevra Benci ne se rĂ©vĂšlent ici quâĂ travers le dĂ©tail (Ă©poustouflant) de leur paysage respectif : frondaisons rendues vibrantes par la magie de lâimage retraitĂ©e / animĂ©e ; bleus lointains et clochers dâĂ©glise, esquissĂ©s en un geste fulgurant et prĂ©cis. De mĂȘme, La Vierge aux rochers se distingue non par la minĂ©ralitĂ© omniprĂ©sente de sa masse rocheuse qui lui sert dâĂ©crin, mais bien par ce dĂ©tail, jusque lĂ ignorĂ©, Ă torts, la plante perchĂ©e qui peut-ĂȘtre un jasmin et qui forme tonnelle pour la divine Marie en famille. Puis, le portrait dâun musicien portant comme un emblĂšme et un rĂ©bus Ă dĂ©chiffrer la partition qui submerge la scĂšne au dessus des instrumentistes, se rĂ©vĂšle Ă©galement tout autrement, Ă travers la mise en regard de deux airs dâune amoureuse nostalgie (« Mille regretz » de Josquin, puis « Les Miens aussi » de Tilman Susato, Ă©galement en vieux français, qui sonne ici comme lâĂ©cho du premier, sans perdre lâintensitĂ© Ă©motionnelle et pudique de son « modĂšle »)âŠ
Câest un bain de pure poĂ©sie auquel les piĂšces musicales rĂ©pondent dans la finesse et un climat de suggestivitĂ© heureuse. Se distingue aussi dans les passages purement instrumentaux, la flĂ»te souveraine et facĂ©tieuse (ou plus exactement les flĂ»tes) jouĂ©es par Denis Raisin Dadre, concepteur musical dont la digitalitĂ© et le souffle restituent Ă lâinstrument, sa flexibilitĂ© lumineuse, prĂȘte Ă captiver, saisir, enivrer⊠y compris dans une joute de plus en plus rapide avec la lira.
DĂšs lors des images marquantes sâimpriment dĂ©finitivement, comme dĂ©bordant du cadre de projection oĂč lâon pouvait en mesurer la magie : visage de Mona Lisa au veloutĂ© vaporeux des ombres sur le visage Ă©nigmatique ; matiĂšre soyeuse de la chevelure idĂ©alement peignĂ©e de la Belle FerronniĂšre Ă laquelle Denis RD associe la plainte dâune jeune beautĂ© que lâon force Ă la âŠpatience comme un PĂ©nĂ©lope obligĂ©e et contrainte (superbe texte dâun anonyme : « Patienza ognum mi dice ». / Tout le monde me dit « patience »)âŠ
Aux couleurs maĂźtrisĂ©es de Leonardo, rĂ©pondent les nuances et les accents des musiciens quâune pĂ©nombre propice caresse, dessinant sur leur vĂȘtement tout de blanc, la matiĂšre mĂȘme de ce sfumato dont Leonardo a dĂ©sormais le secret. Le spectacle onirique inscrit la musique dans un Ă©loge de lâombre et du mystĂšre ; mais un mystĂšre qui sâincarne dans une tendresse complice et une certaine sensualitĂ©, Ă la fois savante et imaginative comme lâatteste le splendide texte de Bartolomeo Trombocino sur le thĂšme aquatique et qui accompagne la contemplation du dessin perforĂ© pour le portrait dâIsabelle dâEste (« Non va lâacqua al mio gran fuoco » / Lâeau ne sert Ă rien pour mon grand feu) ; le dispositif scĂ©nique renouvelle et questionne aussi lâincroyable diversitĂ© expressive des musiques ainsi sĂ©lectionnĂ©es, leur facultĂ© Ă danser, parler, Ă©blouir aussi car la Renaissance est une pĂ©riode de grand raffinement comme dâinnovation organologique que lâensemble créé il y a 30 ans par Denis Raisin Dadre, ne cesse toujours et encore dâexplorer.
ComplĂ©ment magistral Ă lâactuelle rĂ©trospective LEONARDO au Louvre, la proposition de Doulce MĂ©moire enchante littĂ©ralement par sa finesse et son onirisme, la justesse des correspondances. Lâauditeur peut retrouver chaque tableau et les piĂšces musicales choisies pour lui correspondre dans lâexcellent livre cd paru chez Alpha : LEONARDO DA VINCI : La Musique secrĂšte dont la couverture reproduit lâautre fleuron des collections nationales, aux cĂŽtĂ©s de la Joconde, la sublime Sainte-Anne, lâEnfant et la Vierge⊠La nouvelle production marque aussi les 30 ans de Doulce MĂ©moire en 2019.
http://www.classiquenews.com/doulce-memoire-musique-secrete-de-leonardo-da-vinci-2/
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LIRE aussi notre présentation annonce du programme Musique secrÚte de Leonardo par Doulce Mémoire :
http://www.classiquenews.com/louvre-doulce-memoire-musique-secrete-de-leonard-de-vinci/
Illustrations : © studio classiquenews 2019