PARIS, Bastille. WAGNER : Le RING. 10 oct > 21 nov 2020. AprĂšs le cycle Ă©vĂ©nement conçu par GĂŒnther KrĂ€mer (dĂ©jĂ dirigĂ© par Philippe Jordan, Bastille 2013), lâOpĂ©ra de Paris prĂ©sente sa nouvelle production de la TĂ©tralogie wagnĂ©rienne, mise en scĂšne cette fois par le catalan volontiers provocateur Calisto Bieito dont la vision reste souvent laide voire prosaĂŻque, soulignant dans lâaction tout ce qui relĂšve de notre Ă©poque postmoderniste, cynique, barbare, dĂ©senchantĂ©e. Ce nâest pas ce nouveau cycle qui contredira sa rĂ©putation et force est de prĂ©sumer que ce Ring sâaffirmera par son rĂ©alisme dĂ©sabusĂ© et froid (comme sa Carmen, toujours Ă lâaffiche). Coronavirus oblige, le théùtre parisien peut ouvrir ses portes par les deux derniĂšres productions du cycle de 4 : Siegfried (3 reprĂ©sentations : les 10, 14 et 18 oct 2020) ; Le CrĂ©puscule des dieux (3 reprĂ©sentations aussi, les 13, 17 et 21 nov 2020).
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SIEGFRIED (1876)
Opéra Bastille, les 10, 14 et 18 oct 2020
puis 26 nov et 4 décembre 2020
séance : 18h, le dimanche à 14h (18 oct)
RĂSERVEZ vos places
directement sur le site de lâOpĂ©ra de Paris
Durée : 5h15, avec 2 entractes
https://www.operadeparis.fr/saison-20-21/opera/siegfried
Que vaudra cette nouvelle production ? Visuellement, les dĂ©fis relevĂ©s par Calisto Bieito sont multiples. Comment se concrĂ©tiseront-ils ? Vocalement, le cast se rĂ©vĂšle tout autant hypothĂ©tique, avec le Siegfried dâAndreas Schager, le Mime de Gerhard Siegel, le Wanderer de Iain Paterson, lâAlberich de Jochen Schemckenbecher, la BrĂŒnnhilde de Martina Serafin⊠Osons espĂ©rer que la force vocale et la puissance sonore ne sacrifieront pas ici lâarticulation du texte. Karajan en son temps avait dĂ©montrĂ©, remarquablement, la pertinence dâune vision autant orchestrale que chambriste, en particulier permise par la diction et le sens des phrasĂ©s de ses solistesâŠ
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LE CRĂPUSCULE DES DIEUX (1876)
Opéra Bastille, les 13, 17 et 21 nov 2020
repris les 28 nov et 6 déc 2020
séance : 18h, le dimanche à 14h (6 déc)
RĂSERVEZ vos places
directement sur le site de lâOpĂ©ra de Paris
Durée : 5h50, avec 2 entractes
https://www.operadeparis.fr/saison-20-21/opera/le-crepuscule-des-dieux
DĂ©monisme des Gibishungen / grĂące salvatrice de BrĂŒnnhilde… Ultime journĂ©e de la TĂ©tralogie de Wagner, dans la mise en scĂšne de Calisto Bieito. Si lâon retrouve les Siegfried dâAndreas Schager, Alberich de Jochen Schemckenbecher ; en revanche BrĂŒnnhilde a changĂ© (Ricarda Merbeth). Or ici tout repose sur le couple manipulĂ© mais lumineux et tragique de Siegfried et de BrĂŒnhilde, Ă©prouvĂ©s par les intrigues du clan des Gibishungen dont les mĂąles Hagen (Ain Anger) et Gunther (Johannes Martin KrĂ€nzle) incarnent le dĂ©monisme le plus infect, inspirĂ© par la haine et la conquĂȘte du pouvoir.
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LâANNEAU DU NIBELUNG / LE RING en version intĂ©grale
LâOpĂ©ra Bastille propose lâensemble du RING 2020, par Jordan et Bieito, en un festival complet, comprenant le PrĂ©lude et les 3 journĂ©es, en 2 cycles. Le Premier festival, les 23 nov (Lâor du Rhin), 24 nov (La Walkyrie), 26 nov (Siefried) puis 28 nov (Le CrĂ©puscule des dieux) ; puis le second festival : les 30 nov (Lâor du Rhin), 2 dĂ©c (La Walkyrie), 4 dĂ©c (Siefried) puis 6 dĂ©c (Le CrĂ©puscule des dieux)
RĂ©servez ici, directement sur le site de lâOpĂ©ra de Paris
pour les 2 festivals du RING : du 23 au 28 nov / du 30 nov au 6 déc 2020
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approfondir
LIRE NOS DOSSIER Siegfried et Le Crépuscule des dieux :
SIEGFRIED, éducation et maturité du jeune héros
Siegfried se concentre sur le 2Ăšme JournĂ©e de la TĂ©tralogie ou Ring de Wagner. Les enchantements de la fable Ă laquelle se nourrit le Wagner conteur rĂ©alise ici une Ă©popĂ©e hĂ©roĂŻque et onirique qui rĂ©capitule aprĂšs lâivresse amoureuse et compassionnelle de La Walkyrie (1Ăšre JournĂ©e), lâenfance du jeune hĂ©ros puis sa transformation en jeune adulte victorieux amoureux. La figure est Ă lâorigine de tout le cycle : on sait quâau dĂ©but de son oeuvre lyrique, avant la conception globale en tĂ©tralogie, Wagner souhaitait mettre en musique le vie et surtout la mort de Siegfried. Câest en sâintĂ©ressant aux Ă©vĂ©nements qui prĂ©cĂšdent lâavĂšnement du hĂ©ros, que le compositeur tisse peu Ă peu la matiĂšre du Ring (le prologue de LâOr du Rhin dĂ©voilant la rivalitĂ© de Wotan et des Nibelungen, la malĂ©diction de lâanneau et les sacrifices Ă accepter / assumer pour sâen rendre mettre) : tout converge vers la geste du champion qui nâa pas peur, et le sens de ce quâil fait, est, devient. Dans Siegfried, drame musical en 3 actes, sâopposent le forgeron Mime qui est aussi lâĂ©ducateur de Siegfried, et Siegfried. Le premier vit dans lâespoir de reforger lâanneau qui donne la toute puissance : câest un ĂȘtre calculateur, fourbe, peureux. Ce quâil forge lâenchaĂźne Ă un cycle de malĂ©diction.
Geste amoureux, héroïque de Siegfried
A lâinverse, Siegfried, ĂȘtre lumineux et conquĂ©rant, forge sa propre Ă©pĂ©e, Nothung, instrument de son Ă©mancipation (qui est aussi lâex Ă©pĂ©e de son pĂšre Siegmund) : avec elle, il tue le dragon Fafner, et suit la voix de lâoiseau intelligible qui le mĂšne jusquâau rocher oĂč repose sa futur Ă©pouse, BrĂŒnnhilde, ex walkyrie, dĂ©chue par Wotan. Comme dans La Walkyrie oĂč se dĂ©veloppe le chant amoureux des parents de Siegfried (Siegmund et Sieglinde), Siegfried est aussi un ouvrage dâeffusion enivrĂ©e : quand le hĂ©ros bientĂŽt vainqueur du dragon, sâextasie en contemplant le miracle de la nature soudainement complice et protectrice (les murmures de la forĂȘts). En portant le sang de la bĂȘte Ă ses lĂšvres, il est frappĂ© de discernement et dâintelligence, vision supĂ©rieure qui lui fait comprendre les intentions de Mime⊠quâil tue immĂ©diatement : on aurait souhaitĂ© que dans le dernier volet, Le CrĂ©puscule des dieux, Siegfried montrĂąt une intelligence tout aussi affĂ»tĂ©e en particulier vis Ă vis du clan Gibishungen⊠mais sa naĂŻvetĂ© causera sa perte.
Pour lâheure, aprĂšs lâaccomplissement du prodige (tuer le dragon, prendre lâanneau), Siegfried dĂ©couvre au III, lâamour, rĂ©compense du hĂ©ros mĂ©ritant : et Wagner, peint alors un tableau saisissant oĂč Siegfried dĂ©couvre BrĂŒnnhilde sur son roc de feu, puis lâenlace en un duo Ă©perdu, digne des effluves tristanesques, au terme duquel, le fiancĂ© remet Ă sa belle, lâanneau maudit. Dans Siegfried, se prĂ©cise aussi la rĂ©alisation du cycle fatal : au dĂ©but du III, le dieu si flamboyant dans LâOr du Rhin, Wotan : manipulateur (piĂ©geant honteusement avec Loge, le nain AlbĂ©rich), brillant bĂątisseur (du Wallhala), nĂ©gociateur (avec les gĂ©ants), se dĂ©couvre ici en âWandererâ (voyageur errant), tĂȘte basse, Ă©puisĂ©, usĂ©, renonçant au pouvoir sur le monde : la chute assumĂ©e de Wotan est criante lorsquâil croise la route du nouveau hĂ©ros Siegfried dont lâĂ©pĂ©e dĂ©truit la vieille lance du solitaire fatigué⊠Tout un symbole. De sorte quâĂ la fin de lâouvrage, la partition est portĂ©e Ă travers le duo des amants magnifiques (Siegfried / BrĂŒnnhilde) par une espĂ©rance nouvelle : Siegfried ne serait-il pas cette figure messianique, annonciatrice dâun monde nouveau ? Câest la clĂ© de lâopĂ©ra. Mais Wagner rĂ©serve une toute autre fin Ă son hĂ©ros car lâanneau est porteur dâune malĂ©diction qui doit sâaccomplir : tel est lâenjeu de la 3Ăšme JournĂ©e du Ring : Le CrĂ©puscule des dieux. Par Elvire James
Crépuscule des dieux : avÚnement des Hommes ?
Lâorchestre suit en particulier tout ce quâĂ©prouve BrĂŒnnhilde, tout au long de lâouvrage, tour Ă tour, ivre dâamour, puis Ă©cartĂ©e, trahie, humiliĂ©e par celui quâelle aime : Siegfried trop crĂ©dule est la proie des machinations et du filtre dâoubli ⊠une faiblesse trop humaine qui la mĂšnera Ă la mort. Le hĂ©ros se laissera convaincre de rĂ©pudier BrĂŒnnhilde pour Ă©pouser Gutrune âŠ
Musique de lâinĂ©luctable
Mais BrĂŒnnhilde est elle aussi manipulĂ©e par lâinfĂąme Hagen. Le fils dâAlbĂ©rich (qui surgit tel un spectre au dĂ©but du II), intrigue et complote⊠forçant lâamoureuse Ă dĂ©voiler le seul point faible du hĂ©ros : son dos. Siegfried pĂ©rira donc dâun coup de lance sous la nuque. Wagner compose alors lâune des pages les plus saisissantes du Ring pour exprimer la mort de Siegfried. Câest que la malĂ©diction qui menace lâĂ©difice, portĂ© tant bien que mal par Wotan jusquâĂ lâopĂ©ra Siegfried, se rĂ©alise finalement et lâanneau ira irrĂ©sistiblement aux filles du Rhin, ses vĂ©ritables propriĂ©taires. Entre temps, les hommes ont rĂ©vĂ©lĂ© leur vraie nature : dissimulation, fourberie, complots, coups bas, hypocrisie, manipulation, barbarie criminelle⊠Si dans lâOr du Rhin, Wagner avait reprĂ©senter lâesclavage des opprimĂ©s sous le pouvoir dâAlbĂ©rich le Nibelung, â portrait visionnaire des masses asservies par lâultracapitalisme -, le CrĂ©puscule des Dieux cultive un tension tout aussi Ăąpre et mordante mais moins explicite. La musique et tout lâorchestre cisĂšle en un chambrisme subtil, lâocĂ©an des complots tissĂ©s dans lâombre, lâimpuissante solitude des justes dont Ă©videmment BrĂŒnnhilde. Car câest bien la Walkyrie dĂ©chue, la vĂ©ritable protagoniste de ce dernier volet qui voit la fin des dieux et ⊠de la civilisation. Face aux agissements de Hagen et son clan matĂ©rialiste, BrĂŒnnhilde prĂŽne la vertu de lâamour, seule source tangible pour lâavenir de lâhumanitĂ©.
Rien nâest comparable dans sa continuitĂ© Ă lâivresse hypnotique de la partition du CrĂ©puscule des dieux. Le Voyage de Siegfried sur le Rhin, les retrouvailles avec BrĂŒnnhilde, le sublime prĂ©lude orchestral qui prĂ©cĂšde lâarrivĂ©e de Waltraute venue visiter sa soeur Walkyrie, le trio des conspirateurs Ă la fin du II, la mort du hĂ©ros puis le grand monologue de la BrĂŒnnhilde sur le bĂ»cher final sont quelques uns des jalons de lâĂ©popĂ©e wagnĂ©rienne, lâune des plus incroyables fresques lyriques de tous les temps.
Au moment oĂč Philippe Jordan poursuit son travail (admirable) sur lâorchestre de Wagner en dirigeant en mai et juin 2013, le dernier volet du Ring, Le CrĂ©puscule des dieux, classiquenews partage sa passion de la musique de lâauteur de Tristan et souligne la rĂ©ussite du compositeur dramaturge, en particulier dans la rĂ©alisation de son Ă©criture orchestrale. Câest peu dire que le musicien fut un immense symphoniste, peut-ĂȘtre le plus grand de lâĂšre romantique âŠ
On ne dira jamais assez le gĂ©nie de Wagner quand hors de lâaction proprement dite, par exemple concrĂštement : lâenchaĂźnement et la rĂ©alisation des tractations infĂąmes de lâabject Hagen contre le couple Siegfried et BrĂŒnnhilde, le compositeur sait sâimmiscer dans la psychĂ© de son hĂ©roĂŻne pour exprimer tout ce qui la rend grande et admirable : prenez par exemple lâintermĂšde orchestral du I, assurant la transition entre la scĂšne 2 et la scĂšne 3 : alors que le spectateur dĂ©couvre le gouffre dĂ©moniaque qui habite le noir Hagen digne fils dâAlbĂ©rich â le rancunier vengeur et amer, Wagner nous transporte vers son opposĂ©, lumineux, clairvoyant, loyal et capable de toute abnĂ©gation au nom de lâamour : BrĂŒnnhilde.
éclat des interludes symphoniques
Il nâest pas de contraste plus saisissant alors que ce passage orchestral qui Ă©tire le temps et lâespace, passant des abĂźmes tĂ©nĂ©breux oĂč le mal rĂšgne sans partage vers le roc oĂč se tient la Walkyrie dĂ©chue : le chant des instruments (clairon, puis hautbois, enfin clarinette) dit tout ce que cette femme sublime a sacrifiĂ©, trahissant la loi du pĂšre (Wotan), accomplissant lâidĂ©al terrestre de lâamour pur et dĂ©sintĂ©ressĂ© (pour Siegfried) ⊠Wagner prĂ©cise les didascalies : la jeune femme assume sa condition de mortelle et contemple lâanneau par la faute duquel tout est consommĂ© et qui dans son esprit pur incarne a contrario de la malĂ©diction qui sâaccomplit, le serment amoureux qui la relie Ă son aimĂ© ⊠BientĂŽt paraĂźt Waltraute sa soeur, Walkyrie venue du Walhalla de leur pĂšre pour rĂ©cupĂ©rer lâanneau (car toujours toute action tourne autour de la bague magique et maudite : Wotan sait que sâil rĂ©cupĂšre lâanneau, son rĂȘve politique et lâenfer quâil a suscitĂ©, disparaĂźtra) âŠ
Wagner excelle dans la combinaison des thĂšmes ; tous tissent cet Ă©cheveau de pensĂ©e et de sentiments mĂȘlĂ©s qui dans lâesprit de BrĂŒnnhilde fonde son destin dâamoureuse entiĂšre et passionnĂ©e, de femme et dâĂ©pouse bientĂŽt bafouĂ©e, sans omettre lâimmense source de compassion qui anime cet ĂȘtre miraculeux touchĂ© par la grĂące ⊠car bientĂŽt, son vaste monologue final permettra de conclure tout le cycle, en une scĂšne dâultime sacrifice (comme dans Isolde). Il faut mesurer dans lâaccomplissement de cet interlude de prĂšs de 6mn (selon les versions selon les chefs) tout le gĂ©nie de Wagner, dramaturge psychologique, dont lâĂ©criture sait Ă©tirer le temps musical, abolir espace et nĂ©cessitĂ© de lâĂ©coulement dramatique, atteignant ce vertige et cette effusion dont il reste le seul Ă dĂ©tenir la clĂ© sur la scĂšne lyrique âŠÂ Cet interlude est un miracle musical. La clĂ© qui apprĂ©ciĂ©e pour elle-mĂȘme pourrait faire aimer Wagner absolument.
IIlustration : BrĂŒnnhilde et son cheval Grane ⊠La Walkyrie par compassion pour les WĂ€lsungen (Siegmund et Sieglinde) recueille leur fils Siegfried, lâĂ©pouse bravant la loi du pĂšre Wotan. La fiĂšre amoureuse allume le grand feu purificateur au dernier tableau du CrĂ©puscule des dieux (GötterdĂ€mmerung) pour rejoindre dans la mort son Ă©poux honteusement assassinĂ© par Hagen ⊠Par Carter Chris-Humphray