vendredi 29 mars 2024

Böhm, Johann Christoph, Jean-Sébastien Bach: Cantates, quodlibet. Clematis. Leonardo Garcia Alarcon, direction (2011) 1 cd Ricercar

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Superbe mise en regard entre Böhm et deux Bach dont l’un imprévu (l’aïeul: Jean Christoph, ravivrait presque la vedette à son lointain neveu Jean-Sébastien…): les cantates de Bach dévoilent une filiation évidente depuis l’aîné Georg Böhm né 24 ans avant Jean-Sébastien, en 1661; pas seulement sur le plan de la langue instrumentale, écriture, instrumentarium, mais aussi sur le plan de l’esprit et du caractère recueilli, fervent… Böhm et le jeune Bach se retrouvent à Lüneburg, travaillent ensemble.

Ici les auteurs baroques sur le thème stimulant (et quasi opératique) du mariage, célèbre l’amour comme un don de Dieu: il appartient aux futurs époux de l’honorer par une promesse morale et spirituelle partagée.
Passer de la cantate Mein Freund ist mein (encore très concert spirituel), entonnée par chacun des solistes (soprano, alto, basse), où resplendit la sobriété équilibrée de Böhm et encore fragmentée en une succession « archaïque » d’épisodes séquentiels alternés (choeur, air,ritornello, choeur…), à la libre et plus directe expressivité d’un Bach, en cela très proche de l’opéra, à cela près cependant que seule l’articulation du texte compte… plus que l’action; ou l’action et le sens sont totalement contenus et tenus par la musique et le verbe… Les deux premières cantates, de Böhm puis la BWV 196 de Bach sont très proches mais déjà y éclate le génie réducteur, franc d’un Bach saisi par la passion, la fulgurance du sentiment et une conception dramatique du texte: le compositeur va à l’essentiel, refondant le type de séquence et leur enchaînement, quasi opératique; tout prépare au sommet nuptial des serments partagés, saisis par la grâce de Jésus, et qui s’incarne remarquablement dans l’ivresse extatique de la Ciacona (plus de 10 mn de suspension flotante dans des éthers de bonheur vocal), chanté par la soprano: Mein freund ist mein…

vertiges nuptiaux et festifs

C’est un écho singulier de l’évolution musicale initiée par l’esprit synthétique de Jean-Sébastien et le rappel d’une figure exemplaire qui a favorisé son exceptionnelle maturité: Johann Christoph Bach (né en 1642) qui était cousin germain de son père; actif comme organiste Saint-Georges d’Eisenach, Johann Christoph influence son cadet Jean-Sébastien: la liberté du trait, l’efficacité des effets, la justesse des options compositionnelles, en font le musicien le plus passionnant de la famille… avant Jean-Sébastien et ses fils. La Cantate de Johann Christoph pourrrait bien avoir été composée pour son propre mariage en 1679.

Leonardo Garcia Alarcon et sa « muse », la chanteuse Mariana Florès, y développent avec tact et finesse, cet absolu de l’extase pour voix de soprano et violon obligé (tous deux malades de l’amour: coloration particulière du mot « krank » : malade…); saisissante immersion dans un nuage de volupté inimaginable dans un contexte liturgique: quel chef d’oeuvre! La cantatrice si légitimement applaudie dans le rôle de Rad d’Il Diluvio Universale de Falvetti révélé il y a 3 ans à Ambronay, éblouit par son intelligence et des phrasés, du texte, de la ligne et ce timbre suspendu aux étoiles… Bach y semble relire Lully, Purcell, Monteverdi en un balancement hypnotique qui se fait hommage aux lamentos du premier baroque.
D’autant que le partenaire de la soprano, l’excellente basse Philippe Favette cisèle un verbe mordant et rond, clair et précis: un duo exemplaire et le point d’orgue de ce programme admirablement conçu.
Les deux voix, -basse christique, soprano en pâmoison-, pourrait aussi incarner en un dialogo spirituel enflammé, l’ardente prière et communion du dieu de toute consolation et de l’âme errante en quête de salut et de rachat. Le double registre poétique, sacré et sensuel, n’ a jamais semblé plus élaboré ni plus naturel, d’une sincérité de ton flexible et direct, grâce à la fusion en conversation des deux chanteurs.

Semé de joyaux vocaux et instrumentaux, l’enregistrement se conclue avec facétie et poésie, profondeur et insolence, surtout invention fantaisiste par le Quolibet BWV 524 de Jean-Sébastien: morceau d’improvisation au texte picaresque et surréaliste avant l’heure, il n’est pas d’oeuvre plus représentative du génie musical qui a foudroyé la fratrie Bach. La musique y reprend ses droits et là encore, le talent opératique – et plutôt italianisant-, de Jean-Sébastien s’y dévoile explicitement (structure en da capo, deux violons à l’unisson).

Chef, instrumentistes de Clematis, solistes habités font les délices de ce disque exaltant. Un jalon dans la discographie de Clematis, et après les Cantates profanes réalisées par le chef au festival d’Ambronay 2011, la confirmation de son éloquente inspiration dans les oeuvres du divin Cantor de Leipzig.

Georg Böhm (1661-1733): Cantate Mein Freund ist mein. Jean-Sébastien Bach (1685-1750): Cantate BWV 196. JOhann Christoph Bach (1642-1703): Meine Freundin, du bist schön. 1 cd Ricercar ref.: RIC 323. 1h08mn.

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