Créées à Vienne (respectivement en 1877 puis 1883) et sous la direction de Hans Richter, les 2è et 3è affirment le tempérament hors du commun d’un génie au sommet de son inspiration qui à 44 puis 50 ans montre que l’on peut encore composer après Beethoven, sans ni le parodier ni en atténuer la force poétique. A cela s’ajoute cette manière à la fois hédoniste et implacable qui fonde aussi l’impact terriblement personnel et autobiographique des Symphonies brahmsiennes. Très impliqué dans leur restitution sonore, le chef a choisi une disposition instrumentale typiquement autrichienne et viennoise, caractérisée par le dispositif des cordes: violons I et II en avant, à droite et à gauche du maestro, les altos aux côtés des violons II, les violoncelles face à lui: surtout les contrebasses, assise et socle sonore du collectif, disposées au fond en un rang unitaire, et surélevé, ce qui assure la carrure et la profondeur d’une sonorité plus épanouie.
Nous avions pu suivre les avancées de l’Orchestre dans Tchaïkovski la saison passée (éblouissante et incandescente Symphonie n°5): tension admirable d’un tissu sonore magnifiquement conflictuel, la réalisation mettait en avant l’excellence de l’harmonie mais aussi la vitalité mordante des cuivres. Dans la 3ème de Brahms, l’intensité du propos saisit: une marche en bon ordre, portée par un feu premier d’une irrépressible motricité: la couleur héroïque noyautée autour des 3 accords de base (fa, la bémol, fa) structure toute l’arche conquérante: c’est aussi l’affirmation de la propre devise du compositeur FAF ( » froh aber frei « : libre mais joyeux), partagée avec son indéfectible ami, Joseph Joachim entre autres. L’affectivité étant une puissante force inspiratrice, la joie dont se prévaut Brahms n’est jamais exclusive ou prépondérante car les zones d’ombre et de rupture y sont légions; la complexité et la diversité troubles des sentiments et climats présents fondent ce magma bouillonnant d’idées, de caractères illusoirement opposés: telle richesse de ton s’exprime bien sous la baguette de Jean-Yves Ossonce. Sous le masque d’une forme classique (qui sait son Beethoven et toute la tradition des premiers romantiques viennois), rugit en vérité un océan tumultueux qui conspire. Schumann avait bien raison de voir en Johannes, ce messie musical, véritable génie, apportant sous un visage serein et olympien, le pur esprit volcanique. L’Andante exulte et enivre par sa vague somptueusement nostalgique quand le finale surprend là encore: cette Héroïque brahmsienne n’offre pas la victoire beethovénienne ultime ; l’énergie s’efface et se transforme en une méditation personnelle d’une teneur emblématiquement méditative. Quel parcours ! La sincérité de la direction emporte l’enthousiasme et l’on se dit qu’après ce cycle Brahms en cours (jusqu’à la prochaine saison 2013-2014), l’orchestre tourangeau serait déjà prêt pour de nouveaux Mahler…
Chants intérieurs
La Symphonie n°2, présentée en seconde partie de soirée, est de ce point de vue la plus réussie. D’une homogénéité allante, dont l’écoulement organique rétablit cette alliance remarquable d’amertume et de tendresse (voire de lumineuse conquête dans les mouvements I et surtout II). Le chant des violoncelles d’une suave profondeur exposé avec une lumineuse simplicité indique dès le début du premier mouvement, ce geste privilégiant le chant intérieur plutôt que l’affirmation à tout va: le maestro se fait économe, d’une conduite claire et musclée à la fois.
Il est capable de pianissimi murmurés d’une exceptionnelle tension: dès la 3è, on avait repéré cette affection particulière pour l’équilibre et une certaine écoute plus introspective (qui explique par exemple qu’on y entende davantage l’enchantement murmuré du cor plutôt que l’éclat vif argent des trompettes).
On retrouve l’excellence des instrumentistes, véritables solistes assumant parfaitement leurs parties respectives : flûte, hautbois, basson et surtout cor en majesté d’une idéale extase sereine. Cette effusion librement et immédiatement atteinte indique une maîtrise dont peu d’orchestres sont capables. Comprises avec une tel engagement (jaillissement exalté des airs populaires comme chez Schubert; force du contrepoint et des fugues; tendresse élégiaque des bois…), les Symphonies de Brahms ont encore bien des choses à nous apprendre et déjà, au cœur de leur développement, ce mystère jamais vraiment élucidé qui offre surtout ce bain symphonique prodigieux qui ne laisse pas de fasciner. Jean-Yves Ossonce nous a donc régalés en nous laissant espérer d’autres approches tout aussi investies.
Sous la houlette de son directeur musical, l’OSRCT (Orchestre symphonique Région Centre Tours) confirme sa pleine maturité expressive: une preuve nouvelle de la haute tenue orchestrale de Tours à l’échelle hexagonale.
Prochain concert Brahms à Tours: Symphonie n°4 les 1er et 2 juin 2013 (fin de la saison symphonique 2012-2013).
Prochains rendez vous symphoniques à Tours sous la direction de Jean-Yves Ossonce: les 8 et 9 décembre 2012 (4ème de Bruckner et Grieg: concerto pour piano avec Vanessa Wagner, soliste). Surtout les 12 et 13 janvier 2013: Symphonie de Franck, Concerto pour trompette de Tomasi et Suite en fa de Roussel…