ENTRETIEN avec le pianiste GASPARD DEHAENE⊠LE TENNIS, LE PIANO, LE GESTE… Quâil sâagisse de tenir la raquette (de tennis) ou de jouer sur le clavier (du piano), Gaspard Dehaene est lâun des rares artistes capables dâune ambivalence remarquable, profitable pour la richesse de lâexpĂ©rience, la soliditĂ© du mĂ©tier. Pour lâune et lâautre de ses passions, le perfectionniste a la souci du geste⊠« ĂȘtre le geste plutĂŽt que faire le geste ». Un idĂ©al qui nĂ©cessite tout un cheminement dans la discipline et la solitude. La sensibilitĂ© artistique qui en dĂ©coule, sâentend clairement dans son nouvel album, dĂ©diĂ© Ă Chopin dont le pianiste Ă©claire la prĂ©sence des Mazurkas et Ă travers elle, son attachement Ă jamais douloureux Ă la terre natale, Ă lâenfance⊠Entretien avec Gaspard Dehaene Ă propos de son nouvel album « à la mazur » (Ă©ditĂ© par le label 1001 NOTES) que le pianiste joue Salle GAVEAU, le 9 fĂ©vrier prochain.
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CLASSIQUENEWS : Quelle place occupe Chopin pour vous ? Pourquoi jouer Chopin au moment oĂč vous revenez au tennis en compĂ©tition ?
GASPARD DEHAENE : Chopin fut tout simplement Ă lâorigine du tournant de ma vie : lâabandon de ma passion dâenfance, le tennis, pour la passion de ma vie : la musique. Ă lâĂąge de 16 ans, jâentendis la 4Ăšme Ballade et immĂ©diatement aprĂšs sâensuivit une envie irrĂ©pressible de me mettre au piano pour la jouer. Dans un premier temps, jâĂ©tais « mono-maniaque » et ne jouais que Chopin, avec un amateurisme qui me comblait !
NĂ©anmoins, pour rĂ©aliser ce nouveau rĂȘve que reprĂ©sente la musique, il me fallut vite entamer une formation plus complĂšte, avec la dĂ©couverte du rĂ©pertoire mais aussi les gammes, arpĂšges et autres Ă©tudes qui jalonnent lâapprentissage.
Des annĂ©es plus tard, fin 2019, jâeus la curiositĂ© de revenir sur les terrains de tennis, en compĂ©tition, et cette pĂ©riode coĂŻncida Ă©trangement avec lâenvie de retourner Ă Chopin pour un 3Ăšme disque.
MalgrĂ© le danger que reprĂ©sente ce sport pour les poignets des musiciens, je retrouvai au piano ma joie dâantan en compagnie du compositeur fĂ©tiche de mon adolescence, mais aussi le plaisir des tournois de tennis ! Cette pĂ©riode quelque peu schizophrĂ©nique oĂč lâon se partage entre deux passions incompatibles ne durait que quelques mois, et je me remis vite au piano et Ă Chopin, fort de cette nouvelle expĂ©rience⊠vĂ©cue deux fois !
CLASSIQUENEWS : De quelle façon les 2 disciplines dialoguentâelles et enrichissent votre approche artistique et sportive ?
GASPARD DEHAENE : Le point commun de ces deux disciplines est la solitude, que lâon doit apprendre Ă chĂ©rir, chose difficile mais gratifiante.
En effet, savoir sâapprivoiser soi-mĂȘme face Ă lâadversitĂ© que reprĂ©sentent les exigences artistiques dâune Ćuvre oĂč la petite balle jaune que lâon tape et qui nâest jamais tout Ă fait la mĂȘme, est selon moi un temps prĂ©cieux pour parvenir Ă cet idĂ©al que dâautres ont dĂ©fini ainsi : « Connais-toi toi-mĂȘme » ⊠je pense que le tennis et le piano, notamment la scĂšne, mâont appris Ă garder autant que possible mon calme, revenir Ă la respiration pour incarner et sâabandonner à « ĂȘtre le geste », davantage que de crisper corps et esprit Ă vouloir « faire le geste » !
CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir sĂ©lectionnĂ© les Mazurkas opus 24, 30, 63 ? Que rĂ©vĂšlent-elles de lâĂ©criture, de lâinspiration de Chopin ? Entre mĂ©lancolie et aussi violenceâŠ
GASPARD DEHAENE : « Des canons sous les fleurs⊠» expression sublime de Robert Schumann pour dĂ©peindre lâĂ©lan cachĂ© des Mazurkas. Elles sont pour la plupart comme des miniatures en apparence, mais revĂȘtent en profondeur un haut patriotisme traduisant en musique les regrets dĂ©chirants de lâexilĂ© Chopin Ă ĂȘtre loin des siens. Ces trois cycles me semblent proposer un aperçu de lâĂ©volution de ce « journal intime », entre dĂ©pouillement, fiĂšvre, fiertĂ©, puissance, mĂ©lancolie⊠On y trouve les secrets de Chopin, des audaces rythmiques et harmoniques qui rĂ©sonneront plus tard dans les piĂšces crĂ©pusculaires comme les derniers Nocturnes, le 4Ăšme Scherzo, la 4Ăšme Ballade, la Polonaise-fantaisieâŠ
CLASSIQUENEWS : Quels sont les dĂ©fis qui se posent Ă lâinterprĂšte dans leur interprĂ©tation ? Quels sont les caractĂšres spĂ©cifiques des Mazurkas de Chopin ?
GASPARD DEHAENE : Bien que la Mazurka soit une danse, celles que Chopin composa nâĂ©taient, de sa propre volontĂ© : « pas faites pour ĂȘtre dansĂ©es ». Ainsi quel dĂ©fi dâapparence contradictoire pour lâinterprĂšte !
Se contenter de nâexĂ©cuter que les fameux accents sur les temps faibles (2Ăšme et 3Ăšme temps) est insuffisant, et mĂȘme caricatural !
Il faut saisir une « maniĂšre », un style de jeu qui caractĂ©rise avant tout le Zal (mot polonais intraduisible, si ce nâest la couleur de cette nostalgie si singuliĂšre de la musique de ChopinâŠ).
Lâexpression de Chopin « Ă la Mazur », pour un rondo de jeunesse, fut pour moi comme un encouragement Ă chercher cette maniĂšre de jouer ces danses, et de sâapproprier sa musique. Jâaime aussi beaucoup cette proposition du pianiste Jean-Marc Luisada, rĂ©fĂ©rence pour lâinterprĂ©tation des Mazurkas, qui les appelle : « Danses de lâĂąme ».
CLASSIQUENEWS : Vous associez aux Mazurkas, des piÚces complémentaires : la Polonaise opus 44, la Barcarolle op 60, la Ballade en fa mineur opus 52 ? Pour quelles raisons ?
GASPARD DEHAENE : Jâai souhaitĂ©, par la prĂ©sence des Mazurkas dans ce programme, mettre en lumiĂšre lâinfluence du folklore polonais dans la musique de Chopin. Ce folklore, transcendĂ© par le gĂ©nie du compositeur, dĂ©passe Ă©videmment la musique dâinspiration populaire et devient universel de par les accents dĂ©chirants de ses Ćuvres, Ă©voquant la nostalgie de lâenfance, le mal du pays, la fiertĂ©, la joie âŠ
Il Ă©tait donc important dâinclure Ă©galement des piĂšces plus longues, dont jâespĂšre que lâauditeur les Ă©coutera avec une oreille nouvelle, teintĂ©e de ce Zal, Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment.
CLASSIQUENEWS : Quâallez-vous jouer salle Gaveau le 9 fĂ©v prochain ? Quel parcours et voyage musical aimeriez-vous que lâauditeur rĂ©alise Ă son Ă©coute ?
GASPARD DEHAENE : Pour mon premier rĂ©cital Ă la salle Gaveau, câest un grand honneur que de jouer tout ce programme Chopin, avec en plus la Fantaisie-impromptu, Ćuvre datant de mon « Ăšre tennistique », câest-Ă -dire dâavant mes 16 ans, et que jâaime Ă©normĂ©ment⊠Il sâagira au long de ce concert dâapprĂ©cier lâĂ©volution du langage de Chopin, par le prisme secret de ses carnets dâexilĂ©s que sont les cycles de Mazurkas, et dâarriver Ă ses grands chefs-dâĆuvre de Nohant : la 4Ăšme Ballade, la Berceuse, la Barcarolle.
Propos recueillis en janvier 2022
ACTUALITĂS de GASPARD DEHAENE
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CD
CRITIQUE, cd Ă©vĂ©nement. GASPARD DEHAENE : CHOPIN, « Ă la mazur » (1 cd 1001 Notes) â Entre ombre et lumiĂšre, sur lâaile de phrasĂ©s pudiquement expressifs, Gaspard Dehaene livre son Chopin, Ă lâĂ©noncĂ© sobre et clair, dâune vivacitĂ© immĂ©diatement touchante. Ce quâapporte le pianiste, câest une comprĂ©hension naturelle et libre de lâĂ©lĂ©gance passionnĂ©e du grand exilĂ©, de sa pudeur secrĂšte, de ses miroirs crĂ©pusculaires (Nocturne en do diĂšse mineur), de ses soupirs suspendus tels quâils se dĂ©ploient avec toute la noblesse de lâintimitĂ© prĂ©servĂ©e dĂšs la Ballade premiĂšre (opus 52 n°4), celle qui a dĂ©cidĂ© le tennisman Dehaene Ă se dĂ©dier dĂ©sormais au piano. La piĂšce saisit par son ampleur enivrĂ©e, sobrement dĂ©ployĂ©e tel le manifeste personnel dâune passion indĂ©fectible pour la musique. Sortie le 28 JANVIER 2022 – CLIC de CLASSIQUENEWS / LIRE notre critique complĂšte ici :
https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-gaspard-dehaene-chopin-a-la-mazur-1-cd-1001-notes/
EN CONCERT
PARIS, Salle Gaveau, Mer 9 fĂ©v 2022. RĂ©cital Gaspard Dehaene, piano. Chopin : Mazurkas, Polonaises⊠Gaspard Dehaene a mis de cĂŽtĂ© sa carriĂšre de Champion de Tennis pour Ă©pouser lâhabit de concertiste (comme sa mĂšre Anne Queffelec), aprĂšs avoir eu le choc de Chopin, un compositeur qui a dĂ©cidĂ© ainsi de sa vocation artistique. Le pianiste nous avait fait partager sa sensibilitĂ© Ă part ; riche de filiations intimes. En un geste explorateur, osant des passerelles enivrantes entre Schubert, Liszt et la piĂšce contemporaine de Rodolphe Bruneau-Boulmier, dans son prĂ©cĂ©dent cd au titre emblĂ©matique « Vers lâAilleurs ». Son dernier cd (juin 2021, intitulĂ© « à la Mazur » ) est dĂ©diĂ© au Polonais. Le concert de Gaveau ce 9 fĂ©vrier 2022 prolonge la promesse et la rĂ©ussite de cet album discographique. Lâartiste sait nous surprendre car pour lui, lâexpĂ©rience de la scĂšne, stimulĂ© par la prĂ©sence du public, amĂšne lâinterprĂšte Ă se libĂ©rer de la rĂ©pĂ©tition solitaire ; face au public, il sâagit de se libĂ©rer et de sâaffranchir de toutes les contraintes liĂ©es Ă la prĂ©paration du pianiste.
PARIS, Salle Gaveau
Mercredi 9 février 2021, 20h
Gaspard Dehaene, piano
Frédéric CHOPIN
Nocturne op. posthume en do diĂšse mineur
Mazurkas op. 24, Barcarolle op. 60, 4 Mazurkas op. 30
Polonaise op. 44, 3 Mazurkas op. 63, Ballade n° 4 op. 52
Fantaisie-impromptu op. 66, Berceuse op. 57
INFOS et RĂSERVATIONS
https://festival1001notes.com/agenda/evenement/gaspard-dehaene-salle-gaveau