EDITO (janvier 2021). DiversitĂ© et excellence. Le sociĂ©tal sâinvite Ă la table de lâartistique. Par PellĂ©as FOG. Alors que le monde de la culture vivante reste sonnĂ© par son empĂȘchement Ă poursuivre lâactivitĂ©, covid oblige, un nouvel aiguillon frappe Ă la porte des ensembles artistiques : la diversitĂ© ethnique. Les ensembles de musique comme les compagnies de danse doivent reflĂ©ter au plus prĂšs la diversitĂ© de la rue. Le thĂšme nâest pas neuf : il avait dĂ©jĂ concernĂ© en son temps, les programmes de tĂ©lĂ©vision. Pour la musique en 2021, une nouvelle Ă©quation sâinvite Ă prĂ©sent : comment concilier excellence et diversitĂ© ?
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LâOpĂ©ra de Paris et le Wiener Philharmoniker Ă lâĂ©preuve de la diversitĂ©. Depuis le temps, emblĂ©matique dâune tendance souvent dĂ©criĂ©e, que la scĂšne lyrique, investie par les nouveaux metteurs en scĂšne venus du cinĂ©ma et du théùtre, ne cessent de rapprocher la scĂšne théùtrale de la rue, au prix dâactualisations souvent sauvages voire confuses, voilĂ quâun sujet sociĂ©tal trĂšs actuel, envahit lâespace musical : la diversitĂ© ethnique. Il est juste de se poser la question de la reprĂ©sentativitĂ© et de lâĂ©quilibre ethnique au sein des plateaux artistiques, des ensembles instrumentaux, des distributions, et rĂ©cemment des ballets de danseurs. Surtout lorsquâil sâagit dâinstitutions financĂ©s par les deniers du contribuable (comme câest le cas de la « grande boutique », comprenez lâOpĂ©ra de Paris).
La qualitĂ© artistique doit elle ĂȘtre sacrifiĂ©e
au nom de la diversité ethnique ?
Soyons divers et excellents !
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LA QUESTION DE LA DIVERSITĂ A L’OPĂRA… En dĂ©cembre 2020, son nouveau directeur, le canadien Alexander Neef a pris acte dâun manifeste signĂ© en septembre 2020 par les salariĂ©s de lâOpĂ©ra (400 signataires sur 1895), soucieux de dĂ©noncer lâabsence criante dâartistes non blancs au sein de la troupe ou parmi les oeuvres du rĂ©pertoire (« de la question raciale Ă lâOpĂ©ra national de Paris », texte Ă©crit par 5 danseurs du Ballet) ; le directeur a rĂ©pondu quâil fallait sâinterroger sur lâhistoire et la tradition mĂȘme du genre chorĂ©graphique, quitte Ă Ă©carter dĂ©sormais certains piliers du rĂ©pertoire ; non sans susciter de trĂšs vives rĂ©actions. DĂ©jĂ Ă terre, depuis les grĂšves nĂ©es de la rĂ©forme des retraites, puis soumis Ă la fermeture des salles de spectacles, crise sanitaire oblige, lâOpĂ©ra de Paris doit aujourdâhui refonder ses valeurs identitaires et rassurer les partisans de lâĂ©galitĂ© raciale au sein de lâinstitution. Et donc envisager probablement dâĂ©carter certaines oeuvres clĂ©s comme La BayadĂšre (et sa danse des « nĂ©grillons »), Le Lac des cygnes et Casse-Noisette, chorĂ©graphiĂ©s par Rudolf Noureev.
En Ă©cho Ă la « cancel culture » qui tend aux USA, Ă effacer dĂ©sormais toute oeuvre ou tout auteur qui imposerait la suprĂ©matie blanche en relĂ©guant les minoritĂ©s, la France reçoit Ă son tour ce questionnement, fondĂ© dans son approche critique, mais qui nĂ©glige ce qui compose lâidentitĂ© mĂȘme dâune nation et dâune culture : son histoire, ses particularitĂ©s, admirables ou moins avouables, donc ses contradictions⊠Notre Ă©poque est Ă la réécriture ; quitte Ă nier la vĂ©ritĂ© de ce qui fut; ou de ce qui a Ă©tĂ© conçu. Les dĂ©tracteurs de cette chasse aux sorciĂšres nâont pas manquĂ© de souligner que le nouveau directeur de la premiĂšre maison de France (par les subventions publiques dont elle bĂ©nĂ©ficie), Ă©tant canadien, a Ă©tĂ© dâune certaine façon imprĂ©gnĂ© par la culture amĂ©ricaine et son rapport Ă lâidentitĂ©. Alexander Neef est-il prĂȘt Ă sacrifier un pan entier de lâhistoire de lâOpĂ©ra au prĂ©texte quâelle ne serait plus politiquement correcte ? Dans le cas du Ballet de lâOpĂ©ra, lâexcellence technique comme lâidentitĂ© artistique sont fondĂ©es sur lâĂ©cole de danse : une tradition qui mĂȘle au plus haut niveau, virtuositĂ© et rĂ©pertoire, câest Ă dire un langage gestuel particulier, une typologie spĂ©cifique dâemplois, de rĂŽles, de personnages. Autant dâĂ©lĂ©ments qui caractĂ©risent aujourdâhui lâexcellence du corps de ballet de lâOpĂ©ra national. Diversifier, oui ; censurer, non.
REPRĂSENTATIVITĂ DU PHILHARMONIQUE DE VIENNE… Plus proche de nous, câest la question de la composition du plus cĂ©lĂšbre orchestre au monde, le Philharmonique de Vienne / Wiener Philharmoniker qui a Ă©tĂ© critiquĂ©e lors de son dernier Concert du Nouvel An, le 1er janvier dernier, dirigĂ© par le chef Riccardo Muti, et diffusĂ© dans le monde entier via le petit Ă©cran (90 pays / 35 millions de tĂ©lĂ©spectateurs ce 1er janvier 2021). Spectateur de la retransmission planĂ©taire, le trompettiste Ibrahim Maalouf questionnait la diversitĂ© (ethnique) au sein dâune phalange rĂ©putĂ©e traditionnaliste et que la notion de paritĂ© au sein des pupitres avait dĂ©jĂ Ă©branlĂ©. A partir de 1997, le cercle jusque lĂ exclusivement masculin sâest ouvert Ă la « diversité » : timide avancĂ©e⊠aujourdâhui, 19 femmes seulement au sein dâun orchestre de 140 instrumentistes. Certes on peut regretter lâuniformitĂ© qui rĂšgne au sein des pupitres viennois, cependant la notion dâĂ©quilibre identitaire ne devrait pas peser sur lâexcellence du niveau artistique. Les critĂšres dâacceptation au sein de la phalange orchestrale demeurent essentiellement artistiques et Ă lâaveugle (câest le cas aussi de tous les orchestres professionnels) : le recrutement se fait sur lâaptitude musicale, en rien sur le fait dâĂȘtre africain, asiatique, grand, blond, petit ou poilu, gay, hĂ©tĂ©ro, homme ou femmeâŠ
AgacĂ©e, la violoniste Zhang Zhang du Philharmonique de Monte-Carlo, a rappelĂ© Ă sa façon, la prééminence salvatrice de lâartistique sur lâidentitaire sociĂ©tal : « Peut-ĂȘtre M. Malouf l’ignore-t-il : le concours de recrutement des orchestres symphoniques professionnels est menĂ© derriĂšre un paravent. Le jury ne voit pas les candidats, il n’Ă©coute que la qualitĂ© de la prestation. Les artistes sont choisis en fonction de leur musique, et NON en fonction de leur couleur de peau/genre/ethnicité ». Discipline, travail et encore travail⊠Ces valeurs il est vrai nâont plus rien de sexy. Surtout dans un monde en pĂ©ril, sans repĂšres ni valeurs, oĂč le discours officiel qui lisse et attĂ©nue en permanence, proclame que tout se vaut et inversement.
Et Zhang Zhang de conclure : « Laissez le Philharmonique de Vienne tranquille ! Vous voulez jouer avec eux ? RĂ©pĂ©tez !». On souhaite que tous les orchestres respectent Ă la lettre ce principe dâĂ©quitĂ© et de travail. La discrimination Ă valeur artistique Ă©gale ne devrait plus avoir lieu. Lâavenir des orchestres passera Ă©videmment par la diversitĂ© sans rien sacrifier ni de lâexcellence artistique ni des particularismes qui fonde son rĂ©pertoire. Un seul mot dâordre : soyez fiers dâĂȘtre qui vous ĂȘtes et travaillez ! Soyons donc divers et excellents.
Pelléas FOG
éditorialiste / classiquenews.com
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Illustration : ON LILLE / Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch © ON LILLE Ugo Ponte