CRITIQUE, concert. Avignon, le 12 juin 2021. VIVALDI, airs. Lea Desandre, Ensemble Jupiter, Thomas Dunford. Las, si nous avions pu assister au premier concert de la saison 20/21 de Musique Baroque en Avignon â qui ne mettait rien moins Ă son affiche que le trĂ©pidant contre-tĂ©nor polonais Jakub Jozef Orlinski (accompagnĂ© par le formidable ensemble Il Pomodoro) -, tout le reste de son programme a dĂ» ĂȘtre annulĂ© (certains concerts sont dĂ©jĂ repoussĂ©s Ă la saison prochaine…), et seule cette ultime soirĂ©e rĂ©unissant la gracieuse mezzo italo-française Lea Desandre aux cĂŽtĂ©s de Thomas Dunford (luth et direction) et de lâEnsemble Jupiter parvient Ă sortir la manifestation provençale du naufrage engendrĂ© par la pandĂ©mie sur le monde de la culture (entre autres secteursâŠ).
FondĂ© il y a seulement trois ans, la jeune phalange baroque est composĂ©e ici de sept musiciens (deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, un clavecin et un luth) et joue sur instruments dâĂ©poque – ce qui nâa pas Ă©tĂ© sans consĂ©quence alors que le thermomĂštre affichait encore 32 degrĂ©s quand a dĂ©butĂ© le concert, des cordes (en boyaux) se rompant sous lâeffet de la chaleur sans compterla nĂ©cessitĂ© dâaccorder plus souvent que de coutume les diffĂ©rents instruments. Mais en dĂ©pit des alĂ©as climatique liĂ©es Ă une soirĂ©e de plein air (et au passage un vrai avant-goĂ»t des festivals !), le son, la couleur, la dextĂ©ritĂ©, la virtuositĂ©, le sens du style de lâĂ©poque de lâEnsemble Jupiter sont bel et bien au rendez-vous ce soir, notamment grĂące au premier violon (ThĂ©otime Langlois de Swarte) qui donne le La en termes dâagilitĂ©, de nerf, de tension permanente. Il se rĂ©vĂšle autant dans lâaccompagnement des airs chantĂ©s par Lea Desandre que dans les pages purement instrumentales, trois concerti qui serviront de pause pour la chanteuse, et qui mettront en avant le luth dĂ©licat de Thomas Dunford (dans les RV82&93) ou le violoncelle expressif de Bruno Philippe (dans le RV 416).
 Jupiter en Avignon (© E Andrieu)
Mais la soirĂ©e dĂ©bute par un extrait dâIl Giustino, « Vedro con mio diletto », un air lent et plein dâĂ©motion qui permet de goĂ»ter le timbre suave de la mezzo, mais aussi la finesse de son phrasĂ©, la longueur de son souffle.
Le programme fait ensuite la part belle Ă lâoratorio Juditha Triumphans que le Prete rosso composa en latin en 1716 pour les pensionnaires fĂ©minines de lâOspedale della PietĂ Ă Venise. Sâinspirant du classique biblique, lâĆuvre raconte le parcours de lâombre Ă la lumiĂšre de cette Ă©mule de Dalila, Judith, qui libĂ©ra la ville de BĂ©thulie de lâenvahisseur Holopherne en le dĂ©capitant aprĂšs lâavoir sĂ©duit. Le premier air retenu est « Armatae face et anguibus », auquel elle offre toute la vĂ©hĂ©mence requise par cet aria di furore, et dans lequel elle fait preuve dâune puretĂ© dĂ©sarmante dans les aigus et d’une souplesse de chaque instant dans la ligne de chant.
Le second est le plus doux et calme « Veni, veni me sequere fida », dans lequel la voix ronde et chaleureuse de la chanteuse imite le tendre chant dâune tourterelle pour affirmer son affection envers sa suivante Abra (auquel se fera lâĂ©cho dâun sansonnet perchĂ© dans lâun des quatre majestueux et centenaires platanes du jardin !). Quant au sublime air « Cum dederit dilectis suis », extrait du Nisi Dominus et dĂ©livrĂ© ici avec des sons parfaitement filĂ©s et tenus, qui rehaussent lâaspect doloriste de ce morceau, il ne manque pas dâĂ©mouvoir profondĂ©ment les spectateurs.
Lâair qui suit est un « incontournable » de tout rĂ©cital vivaldien, le fameux « Gelido in ogni vena » (Il Farnace) dont Cecilia Bartoli a fait lâun de ses chevaux de bataille. Sans possĂ©der (encore) le registre grave de sa consĆur italienne, on nâen admire pas moins la force de conviction de lâartiste, et lâĂ©motion sincĂšre qui lâĂ©treint au fur et Ă mesure de cette longue aria, une Ă©motion qui gagne Ă©galement sans peine un auditoire dissĂ©minĂ© selon les rĂšgles sanitaires en vigueur, formant comme un arc de cercle autour des musiciens placĂ©s sur une estrade contre la paroi Ă douze portes-fenĂȘtres du sublime HĂŽtel particulier Villeneuve-Martignan (qui abrite, depuis 1810, le MusĂ©e des Beaux-Arts de la CitĂ© des Papes). Puis les airs « Gelosia, tu gia rendi lâalma fida » (Ottone in Villa) et plus encore le fameux « Agitata da due venti » (tirĂ© de La Griselda) refont tourbillonner un vent de folie sous les frondaisons des platanes, alors que le jour dĂ©cline et que le ciel rougeoie : lâon y admire particuliĂšrement la clartĂ© dâarticulation dans les vocalises, la façon dont elle nĂ©gocie les redoutables Ă©carts de registre, ou encore les inflexions infiniment variĂ©es de la chanteuse.
En bis, la mezzo reprend une composition et une adaptation dues Ă la main de Thomas Dunford himself (qui chante avec elle…) : « Thatâs so you » et « We are the ocean, each one a drop », qui permettent de conclure la soirĂ©e dans une ambiance jazzy et festive !
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CRITIQUE, concert. Avignon, Jardins du Musée Calvet, le 12 juin 2021.
Lea Desandre (mezzo), Ensemble Jupiter, Thomas Dunford (direction &
luth). Vivaldi : airs dâopĂ©ras et dâoratorios.