CRITIQUE, LIVE STREAMING, BACH Fest Leipzig, le 12 juin : JS BACH : Oratorio de NoĂ«l. Gotthold Schwarz. Sous lâimmense nef de Saint Thomas, plus grande et impressionnante encore que lâintimiste Saint Nicolas, mais dans le petit choeur et non Ă la tribune haute, les musiciens entonnent la cĂ©lĂ©bration de JĂ©sus qui vient de naĂźtre, telle que lâa imaginĂ©e JS Bach : tendre lĂ encore, et dâune douceur inĂ©narrable, que cultivent tout au long des 6 cantates ou 6 parties, les fameux hautbois (dâamour et da caccia) trĂšs sollicitĂ©s en soutien des chanteurs. Leur couleur enveloppe lâopĂ©ra sacrĂ© de Bach dâun nimbe bouleversant ; Ă travers les Ă©vangiles de Saint-Luc et de Saint-Matthieu (dont les extraits sont citĂ©s par lâĂ©vangĂ©liste, qui ne chante pas dâair), câest dâabord le miracle de la naissance, la candeur admirable de lâEnfant qui sont cĂ©lĂ©brĂ©es ; puis lâespoir et la croyance lumineuse et victorieuse que la Naissance fait naĂźtre dans le cĆur du croyant. La direction de Gotthold Schwarz, Cantor de Saint-Thomas, est sĂ©rieuse, exigeante, soignant la mise en place. Il manque cependant cette Ă©lectricitĂ© et cette urgence poĂ©tique que savait Ă lâĂ©poque de la rĂ©volution baroque, quand tout Ă©tait rĂ©estimĂ©, réévaluĂ©, insufflĂ© le visionnaire Harnoncourt. Cependant lâexercice dĂ©voile le niveau des jeunes chanteurs locaux(Thomanerchor Leipzig), tous trĂšs engagĂ©s, en particulier dans les « entrĂ©es et ouvertures » au contrepoint vertigineux.
Dans la 1Ăšre partie, se distingue lâair avec les 2 hautbois, Ă©merveillement instrumental, accompagnant le chant des enfants et de la basse qui affirme une assurance rĂ©jouie (Tobias Berndt est un excellent soliste Ă la voix claire, au texte intelligible, Ă la technique fluide, au chant jamais contraint), plus encore dĂ©ployĂ© dans lâair qui suit, avec trompette.
La 2Ăšme partie marque les esprits par sa superbe sinfonia dâouverture : page orchestrale et lever de rideau pour le tableau de lâadoration, cĂ©lĂ©bration de lâenfance, de lâinnocence oĂč les traversos alternĂ©s avec les hautbois (4, dâamour et da caccia) disent ce recueillement suspendu face au miracle de la naissance de lâenfant et de lâespĂ©rance que lâĂ©vĂ©nement suscite. LĂ encore, au niveau de son confrĂšre, la superbe clartĂ© chantante du tĂ©nor Martin Petzold pour son air avec traverso (« Frohe Hirten, eilt, ach eilet ») convainc de bout en bout.
Une pleine joie intĂ©rieure Ă©mane du non moins bouleversant air pour alto (« Schlafe, mein Liebster, genieĂe der Ruhâ » / Dors mon amour, profite de la paix⊠) oĂč sâĂ©coule toute la tendresse dâune humanitĂ© saisie par le miracle du nouveau nĂ© (le traverso accompagne tout le long cet air de cĂ©lĂ©bration admirative, et en Ă©chos les hautbois dâamour et da caccia) – Bach a exprimĂ© lâadmiration de Marie pour son enfant endormi. Dommage que le chant maĂźtrisĂ© dâElvira Bill, bien placĂ©, reste lisse comme distanciĂ©.
Le Final (choral entonnĂ© par les enfants) souligne encore lâĂ©merveillement pastoral pour lâenfant dont le sentiment de tendresse est Ă nouveau portĂ© par les deux hautbois dâamour, emblĂšmes de cette communion miraculeuse autour de lâEnfant.
Dramatique comme un opĂ©ra, la 3Ăš partie affirme la vitalitĂ© de son entrĂ©e, avec trompettes et choeur (dâenfants) ; lâouverture porte lâespoir des bergers qui marchent (et mĂȘme sâempressent) Ă BĂ©tlĂ©hem pour y admirer le nouveau nĂ© ; on admire le timbre noble et tendre de la basse qui avec la soprano (trĂšs musicale Gerlinde SĂ€mann) entonne alors le plus duo de parents aimants que Bach a jamais composĂ© (« Ich bin deine, du bist meine ») : aucun doute, Haydn sâen est inspirĂ© pour le duo de sa CrĂ©ation (Adam / Eve) ; et Mozart dut lâavoir en tĂȘte en Ă©crivant son duo de Papagena / Papageno pour La FlĂ»te. La sĂ»retĂ© des deux solistes se rĂ©vĂšle jubilatoire, communion de deux Ăąmes admiratives et sincĂšres. LâintelligibilitĂ© est totale, le sens du texte, nuancĂ© ; une entente parfaite.
La seconde partie du streaming, dĂ©bute avec la 4Ăš partie, fĂȘte pour le 1er janvier. La sĂ©quence est riche dâespĂ©rance, cĂ©lĂ©brant en JĂ©sus, le Sauveur et le guide protecteur. Le Choeur dâouverture est plein de sĂ©rĂ©nitĂ© aux couleurs cynĂ©gĂ©tiques (cor naturel), annonçant lâavĂšnement du Fils RĂ©dempteur. Puis lâArioso de la basse fait alliance avec « Mon JĂ©sus » protecteur qui Ă©carte toute inquiĂ©tude de la mort⊠ce que reprend lâair (central de cette JournĂ©e IV) de la soprano (excellente car sobre et claire Gerlinde SĂ€mann) en dialogue avec le hautbois (dĂ©licieux effets dâĂ©chos) et le soliste du chĆur dâenfants ; en un focus inouĂŻ, la ferveur devient individuelle et le texte comme la musique renforcent le lien entre JĂ©sus et chaque croyant. Ce dialogue entre Dieu et le fidĂšle est au coeur de la nouvelle section : les nombreux « Ja / oui » repris par la voix et le hautbois soulignent la certitude du croyant, comme baignĂ© par la tendresse infinie et caressante de JĂ©sus. MĂȘme fusion entre croyant et JĂ©sus, en un jeu de miroir, dâidentitĂ© dĂ©doublĂ©e, dans ce quâexprime le sublime rĂ©citatif qui suit, associant la basse accompagnĂ© par lâorchestre et le choeur des garçons sopranos. Comme un chĆur « cĂ©leste », les garçons accompagnent lâĂąme du fervent : la basse, dĂ©cidĂ©ment parfaite par sa justesse humaine et tendre).
Avec 2 violons obligĂ©s, lâair du tĂ©nor cĂ©lĂšbre lâhumanisme du Sauveur (« Ich will nur dir zu Ehren leben / Je veux vivre pour ta seule gloire ») : ardente, tendue, Ă la fois martiale et dansante mĂȘme, la volontĂ© du croyant est dĂ©bordante dâune sincĂ©ritĂ© qui sâexalte au contact des deux cordes. Martin Petzold, a la dĂ©termination de celui qui pense exactement ce quâil dit : le chant se fait prĂ©dication et tĂ©moignage. La fusion spirituelle des trois solistes, violons I, II et tĂ©nor est un autre moment bouleversant.
Comme le dĂ©but de la IIIĂš exprimait lâexaltation des bergers marchant vers BĂ©thlĂ©em, le portique dâouverture de la VĂš partie (pour le dimanche aprĂšs le 1er janvier), atteste de lâimpatience presque frĂ©nĂ©tique des rois mages venus honorĂ©s lâEnfant. Les instrumentistes de lâAkademie fuÌr Alte Musik Berlin expriment cette exaltation qui devient prĂ©cipitation⊠socle Ă une cathĂ©drale sonore vertigineuse qui exige de tous les pupitres choraux. En cela les garçons, sopranos, altos, tĂ©nors et basses, relĂšvent les dĂ©fis dâun massif contrapuntique parmi les plus impressionnants de Bach. Point dâorgue de la sĂ©quence, le trio sop / alto / tĂ©nor, parfaitement bien caractĂ©risĂ© (avec violon solo obligĂ©) : « Ach, wenn wird die Zeit erscheinen? / Ah quand viendra-t-il ce jour tant attendu ? », exprime le feu, la fiĂšvre des croyants, qui sâexaspĂšrent dans lâattente de lâavĂšnement du royaume de JĂ©sus. Les 3 interprĂštes offrent une leçon de ligne vocale dâune sĂ»retĂ© absolue, oĂč le chant se fait certitude.
Dans la derniĂšre sĂ©quence (6Ăš partie), lâoratorio dĂ©voile et souligne lâautoritĂ© de JĂ©sus, sa nature divine, telle que le proclament (aprĂšs le superbe choeur introductif avec les trompettes), dâabord la soprano (air « Nur ein wink von seinem hĂ€nden / Dâun seul signe de sa main ») ; puis le tĂ©nor, fier et heureux, presque martial, dont lâair « Nun mögt ihr stolzen feinde schrekken / Durs ennemis essayer de me terroriser » confirme quâil sera invincible, protĂ©gĂ© par le Sauveur. En dĂ©voilant lâessence divine de JĂ©sus, la musique souligne son caractĂšre protecteur. Le choral final complĂšte ce tableau des dĂ©lices en annonçant une nouvelle Ăšre pour lâhumanitĂ©. On souscrit totalement Ă lâexaltation finale portĂ©e par lâengagement de tous les musiciens.
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CRITIQUE, LIVE STREAMING, BACH fest, LEIPZIG. Sam 12 juin 2021 / 18h puis 20h30. Leipzig, Thomaskirche : J. S. Bach: Weihnachtsoratorium, BWV 248 (IâIII) puis (IV-VI) – Gerlinde SĂ€mann (Soprano), Elvira Bill (Alto), Tobias Hunger (TĂ©nor â Evangeliste), Martin Petzold (TĂ©nor â Arien), Tobias Berndt (Basse), Thomanerchor Leipzig, Akademie fuÌr Alte Musik Berlin – Direction : Thomaskantor / Gotthold Schwarz.