samedi 20 avril 2024

Les premiers opéras (Vicence, Venise – 1713-1716) – Ottone (1713)

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A Venise, qui veut gagner un nom, doit s’imposer sur la scène des théâtres. Vivaldi qui est déjà une célébrité comme compositeur de musique de chambre, ambitionne les planches. Mais quand il compose son premier opéra en 1713, soit à l’âge de trente cinq ans, l’opéra est un genre soumis à de profondes turbulences, investi par un cercle de protecteurs jaloux. L’opéra est né depuis un siècle déjà et au début du XVIII ème siècle, il connaît une évolution structurelle capitale. Sans appuis locaux, et avant qu’il ne se fixe au théâtre San Angelo au centre de la Cità, Vivaldi produit son premier ouvrage hors de la lagune, à Vicence. Pour l’inauguration du théâtre delle Grazie : il dirige son « Ottone in Villa ». Il existe un enregistrement convaincant de cet opéra des origines chez l’éditeur CHANDOS (Richard Hickox dirige en 1998 son ensemble Collegium Musicum 90 avec côté solistes : Nancy Argenta, Sophie Daneman, Susan Gritton, Monica Groop et Mark Padmore). Aucune complaisance à la mode napolitaine mais la continuité de la poésie purement vénitienne où la voix se fond dans la pâte instrumentale d’un luxe de couleurs inouï. Vivaldi reprend même le principe de l’écho, emblématique de la Venise du XVII ème siècle quand Monteverdi y créait ses opéras. En fait s’il vient relativement tardivement à la scène, tout son bagage musical le destine à l’expression fulgurante et plastique des passions humaines. Les ouvrages qui suivent, expriment une volonté irrépressible d’imposer son style musical et sa conception de la dramaturgie lyrique. S’agirait-il aussi pour ce fils de Barbier de conquérir une arène où les aristocrates tirent les ficelles ? Ambition sociale, certainement. On verra d’ailleurs, que dans le conflit qui l’opposera à Marcello, véritable dilettante vénitien et membre de l’élite patricienne de Venise, peut se cacher une guerre des classes où le roturier conquiert seul contre le système bien établi, ses galons de dramaturge lyrique. Nul doute que cette ambition qui cible la scène a été longuement préparée lorsque jeune violoniste déjà prodigieusement doué, il jouait aux côtés de son père dans la fosse des ces mêmes théâtres d’opéras tenus par l’élite de Venise.

L’opéra vénitien depuis le XVIIe préserve un fragile équilibre entre tension et vérité de l’action scénique grâce aux textes des livrets d’une grande qualité générale et une sensibilité profonde de l’écriture musicale et vocale. Mais au tournant du nouveau siècle, les choses évoluent : sous l’action de quelques « réformateurs » enclins à plus de simplicité poétique, le style de l’opéra change profondément et ses enjeux aussi : désormais les poètes imposent leur loi et les chanteurs électrisent les foules. Les compositeurs doivent suivre le mouvement. La musique bien souvent est un faire valoir, un « artifice » qui permet aux chanteurs de gravir toutes les cimes des aigus les plus vertigineux, au public d’entendre l’inaudible toujours plus haut toujours plus vite, aux librettistes d’élaborer des canevas psychologiques soit disant vraisemblables. En fait, la sophistication du système engendre des situations souvent rocambolesques. Vivaldi incarne la dernière chance de l’opéra vénitien : il souhaite démontrer la vitalité de la tradition lyrique née depuis le XVII ème en particulier face à la faveur envahissante dont jouissent les auteurs napolitains.

Sur un livret conçu par le napolitain Domenico Lalli, Ottone aborde avec une grande liberté le genre héroïque et laisse une place majeure à la passion amoureuse. Lalli s’inspire de la Messalina mise en musique à Venise en 1680 par Pallavicino. Mais il en réadapte le texte, coupe, raccourcit. Le nombre des personnages passant de huit à cinq. Opéra chambriste, Ottone est conçu comme un huit-clos : pas de chœur mais une action resserrée sur l’intimité conflictuelle d’individualités en souffrance. La fresque historique qui convoque l’empereur Otton, insiste sur les ravages de l’amour dans le cœur d’un empereur aveugle et manipulé par l’intrigante Cleonilla. L’écriture de Vivaldi a déjà toutes les caractéristiques des opéras à venir : opulence des timbres, génie mélodique et vitalité rythmique. Il privilégie les instruments solistes, -hautbois, bassons, flûtes-, conférant à l’ensemble de son premier opéra, le climat d’une pastorale amoureuse. Plus en relation avec son activité de violoniste virtuose, l’air final de Caio au III : « l’esser amante… », sollicite une cadence improvisée du violon solo, certainement tenu par Vivaldi lui-même. Langueurs et extases, pièges et souffrances : rien n’est omis dans cette superbe peinture des cœurs solitaires. On verra que sur ce sujet mais dans une langue renouvelée, celle de la passion et de la frénésie, le compositeur ira plus loin avec ses deux Orlando. Pour l’heure, Ottone incarne un premier essai idéalement réussi : la scène 3 de l’acte II est à ce titre emblématique. Comme Monteverdi au XVII ème innovait en déplaçant dans la coulisse et sur la scène ses chanteurs, créant plusieurs plans en perspective, usant de l’écho comme d’un signature personnelle, Vivaldi fait de même et dans l’air « l’ombre, l’aure, e ancora il rio », créée à son tour, un dispositif en registres imbriqués dont les anneaux insistent davantage sur les vertiges successifs du cœur douloureux (Caio qui est le personnage le plus approfondi de l’œuvre : il totalise le plus d’airs dont les plus longs de la partition). Le musicien sollicite toutes les couleurs de son orchestre, produisant un tableau d’un sublime onirisme… prélude à l’imagination des Quatre Saisons, composées onze ans plus tard.
Notons par ailleurs que l’opéra contient aussi l’un des airs que le musicien affectionnait particulièrement : « Chi seguir vuol la costanza » du même Caio (5, acte I) dont il réutilisera la mélodie pour ses œuvres postérieures : Orlando Furioso (1714), Tito Manlio (1719) ; mais aussi dans les versions successives de son Laudate pueri Dominum et dans son concerto pour violon RV 268.
Enfin, Vivaldi n’est pas venu sur les planches sans une intuition affûtée. A la création d’Ottone, c’est la contralto vénitienne Diana Vico, spécialiste des rôles masculins qui tenait le rôle titre. Il est intéressant de préciser que la chanteuse rejoint Londres en 1714 dans la troupe de Haendel au King’s Theatre. Nous voici bien en présence de deux génies de la scène lyrique, également soucieux de disposer des meilleures voix de l’heure.<</html>

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