mardi 19 mars 2024

CRITIQUES, opéras et danse – Nous y étions

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NOUS Y ÉTIONS – Retrouvez ici nos comptes-rendus et critiques opéra et danse.

 

 

 

 

CRITIQUES SPECTACLES

opéra & danse

 

 

 

 

MONACO, le 16 nov 2022

CRITIQUE, opéra. MONACO, Opéra de Monte-Carlo (Salle des Princes, Grimaldi Forum), le 16 nov 2022. BERLIOZ : La Damnation de Faust. Kazuki Yamada / Jean-Louis Grinda – Par Florent Coudeyrat.

Comme chaque année à la même période, la fête nationale monégasque permet l’organisation d’une production prestigieuse dans le cadre de la vaste salle des Princes (1800 places) du Grimaldi forum. Cet événement prend davantage de relief cette année avec les célébrations du centenaire de la mort d’Albert 1er de Monaco, qui fut à l’origine de la montée en puissance de l’Opéra de Monte-Carlo, avec la nomination de Raoul Gunsbourg en 1892. Une riche exposition organisée au Grimaldi forum rend ainsi hommage à ce directeur inamovible de l’institution (jusqu’en 1951 !), qui fut à l’origine de nombreuses créations contemporaines en son temps, défendant aussi bien Massenet, Saint-Saëns ou Ravel que les voisins véristes Mascagni et Puccini.

Cette année, l’Opéra de Monte-Carlo nous rappelle aussi qu’il fut à l’origine de la création scénique de La Damnation de Faust de Berlioz, en 1893, donnant ainsi ses lettres de noblesse à cette légende dramatique proche de l’oratorio, souvent chantée en version de concert. Berlioz s’inspira en effet du premier Faust de Goethe sans lui donner une continuité dramatique soutenue, s’intéressant autant au parcours initiatique du héros qu’aux réflexions plus philosophiques du récit. Si Berlioz retravaille les huit tableaux de la version originale de 1828 pour les enrichir de nouvelles scènes en 1847, il ne se départit pas de cet aspect parcellaire souvent déroutant, bien éloigné du livret plus efficace du Faust de Gounod.

C’est à l’expérimenté Jean-Louis Grinda, ancien directeur des Opéras de Reims, Liège et surtout Monte-Carlo (2007-2022), que revient la tâche difficile de cette adaptation scénique. Comme à son habitude, le Monégasque n’a pas son pareil pour faire vivre le vaste plateau d’un faste de couleurs richement illustré, autant par la variété des costumes que des éclairages. Avant cela, les heures sombres sont incarnées par un Faust en perdition sur la rampe devant l’orchestre, rapidement tenté par un Méphistophélès aux aguets. Attentif aux moindres péripéties, ce travail classique donne à voir de grandes scènes populaires parfaitement étagées, à la direction d’acteur réglée sans fioritures excessives. Malgré quelques maladresses (notamment de bien kitchs couronnes de fleur en vidéo), Grinda s’autorise quelques clins d’oeil humoristiques, telle que l’étoile de David apposée puis retirée du domicile de Marguerite par Méphistophélès, comme une répétition avant l’heure de ses futurs méfaits. On aime aussi la capacité de Grinda à déconstruire le mythe à vue, en une plongée vertigineuse du théâtre dans le théâtre, lorsque Méphistophélès donne à voir tout son pouvoir sur les choristes ou les éléments de décors, jouets de son imagination délirante. Enfin, la scène de descente aux enfers apporte son lot d’extraversion, bien épaulé par un trucage vidéo haletant.

 

Le plateau vocal est dominé par le Méphistophélès de grande classe de Nicolas Courjal, vivement applaudi au moment des saluts par une salle manifestement ravie de sa prestation. Le natif de Rennes prouve une fois encore toutes ses affinités avec ce rôle qu’il connait sur le bout des doigts pour l’avoir chanté souvent, faisant valoir des qualités interprétatives saisissantes d’intelligence et une diction toujours aussi pénétrante. La tessiture du rôle évite à Courjal de recourir à un vibrato trop prononcé, ce qui est évidemment louable. A ses côtés, on attendait beaucoup de Pene Pati, peut-être trop, après son récent triomphe parisien dans Roméo et Juliette de Gounod. Le ténor samoan pèche cette fois dans les passages introspectifs de la première partie, certes parfaitement articulés, mais qui souffrent de son insuffisante maitrise de la langue française, à même de l’aider à incarner les tourments de Faust au niveau dramatique. On note aussi une propension irrésistible à rayonner lorsque la voix est en pleine puissance, mais infiniment plus neutre dans le médium, terne en comparaison. Aude Extrémo souffle aussi le chaud et le froid dans sa prestation, n’évitant pas quelques faussetés dues à un positionnement de voix délicat dans les accélérations. Fort heureusement, la chanteuse française nous régale de son timbre chaud et de ses graves corsés lorsque la voix est bien placée, faisant ainsi oublier ces quelques désagréments.

 

Si le choeur de l’Opéra de Monte-Carlo affiche une bonne forme, on est plus déçu en revanche par la direction routinière et pâteuse de Kazuki Yamada, qui peine à donner du relief à l’ensemble. Son geste legato avance solidement, sans se poser de questions, mais on est à mille lieux de la direction imaginative que l’on est en droit d’attendre dans ce répertoire frémissant. Dommage.

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CRITIQUE, opéra. MONACO, Opéra de Monte-Carlo (Salle des Princes, Grimaldi Forum), le 16 novembre 2022. Berlioz : La Damnation de Faust. Aude Extrémo (Marguerite), Pene Pati (Faust), Nicolas Courjal (Méphistophélès), Frédéric Caton Brander), Galia Bakalov (Une voix céleste), Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Stefano Visconti (chef de choeur), Orchestre de l’Opéra de Monte-Carlo, Kazuki Yamada (direction musicale) / Jean-Louis Grinda (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra de Monte-Carlo (Grimaldi Forum) jusqu’au 19 novembre 2022.
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PARIS, le 14 nov 2022

CRITIQUE, opéra. PARIS, TCE, le 14 nov 2022. OFFENBACH : La Périchole. Marc Minkowski / Laurent Pelly  – Par Florent Coudeyrat.

Pas moins de 10 dates pour aller applaudir l’une des productions les plus réjouissantes de l’année au Théâtre des Champs-Elysées : avec cette Périchole de haut vol, cela faisait longtemps que l’on avait entendu pareil public aussi enthousiaste au moment des saluts ! Il faut dire que la distribution réunie – en réalité une double distribution pour deux des trois interprètes principaux – se montre proche de l’idéal, jusque dans les moindres seconds rôles. Ainsi des excellents personnages de caractère, essentiellement parlés, tenus par les impayables Rodolphe Briand (Panatellas) et Lionel Lhote (Hinoyosa), de même que les trois cousines hautes en couleur, plus sollicitées au niveau chant, d’un niveau global superlatif. On aime aussi la prestation délirante d’Alexandre Duhamel (en alternance avec Laurent Naouri), méconnaissable en dictateur d’opérette d’une République bananière, qui offre un confort sonore gourmand à son rôle, à l’instar du choeur de l’Opéra national de Bordeaux, très bon connaisseur de l’ouvrage (voir notamment la production donnée à Bordeaux en 2018, dans la mise en scène de Romain Gilbert, ainsi que le disque enregistré dans la foulée par le Palazzetto Bru Zane). 

Grande triomphatrice de la soirée, la Périchole de Marina Viotti (en alternance avec Antoinette Dennefeld) impressionne par son aisance scénique et sa prononciation parfaite, elle qui maitrise parfaitement la langue de Molière, malgré ses origines italophones. Moins connue dans nos contrées que son père Marcello et son frère Lorenzo, tous deux chefs d’orchestre, la Suissesse a remporté en 2015 le Prix international du Belcanto au festival Rossini de Bad Wildbad, avant d’être accueillie sur les plus grandes scènes, de Barcelone à Strasbourg, en passant par Lausanne, Genève et Milan. De quoi se délecter de ses intentions gorgées de couleurs, son émission souple et naturelle, sans parler de son timbre grave splendide. On espère la retrouver très vite dans ce répertoire, à l’instar de Stanislas de Barbeyrac (Piquillo), qui donne une leçon de classe vocale à force de précision dans l’articulation et les nuances de phrasés, toujours en lien avec les intentions de la mise en scène. Son talent comique explose ici avec une énergie parfaitement maitrisée, tant le ténor français semble prendre un plaisir communicatif à jouer les naïfs bourrus, ne forçant jamais le trait dans l’accent populaire des passages parlés.  

L’attention à la prononciation est louable pour tous les interprètes, très à l’aise dans les parties théâtrales parlées : c’est là un grand atout pour faire vivre cette version aux dialogues raccourcis et modernisés par rapport à la version originale de 1874, grâce au travail réalisé par Agathe Mélinand (codirectrice, avec Laurent Pelly, du Théâtre national de Toulouse de 2008 à 2017). On retrouve précisément aux manettes de ce spectacle un couple phare de ce répertoire, en la personne de Laurent Pelly et Marc Minkowski, ce dernier donnant à l’ouvrage toute la vitalité de sa baguette, tour à tour tranchante et cinglante dans les parties endiablées, plus narratives et délicates dans les passages apaisés.

De quoi mettre en relief la transposition contemporaine de Pelly, qui insiste sur le fossé entre les masses populaires désargentées et débraillées avec l’élite manipulatrice : le renversement scénique n’est que plus spectaculaire au II, lorsqu’on passe des HLM déglingués aux salons venimeux, dont les velours chics et tocs évoquent une sauterie à venir. La farce, volontairement sombre, moque le comportement prédateur du Vice-Roi, tout autant que ses affidés, chiens de garde aussi superficiels que ridicules. Comme à son habitude, Laurent Pelly porte son attention sur le moindre protagoniste, aussi mineur soit-il, pour en développer le caractère par une gestuelle aux détails très travaillés : ainsi du choeur, très présent dans ses interactions avec les personnages principaux, mais aussi des rôles secondaires aux mimiques savoureuses, telles que les cousines délurées au I ou les courtisanes maniérées au II. Un grand spectacle à savourer jusqu’au 27 novembre prochain : courrez-y ! 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 14 novembre 2022. Offenbach : La Périchole. Marina Viotti, Antoinette Dennefeld (La Périchole), Stanislas de Barbeyrac (Piquillo), Laurent Naouri, Alexandre Duhamel (Don Andrès de Ribeira), Rodolphe Briand (Le Comte Miguel de Panatellas), Lionel Lhote (Don Pedro de Hinoyosa), Chloé Briot (Guadalena, Manuelita), Alix Le Saux (Berginella, Ninetta), Eléonore Pancrazi (Mastrilla, Brambilla), Natalie Pérez (Frasquinella), Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de choeur), Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (direction musicale) / Laurent Pelly (mise en scène). A l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 27 novembre 2022. Photo : Vincent Pontet

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PARIS, le 5 nov 2022

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 5 nov 2022. GLUCK : Armide. Christophe Rousset / Lilo Baur – Par Florent Coudeyrat.

Plus jamais donné en version scénique en France depuis 1913, l’Armide (1777) de Gluck fait son grand retour à l’Opéra-Comique avec un spectacle très réussi, vivement applaudi par un public enthousiaste en fin de représentation. Alors qu’aucun anniversaire ne concerne le chevalier Gluck cette année, les grandes maisons d’opéra semblent s’être données le mot pour le célébrer en grande pompe, tout particulièrement sa féconde et dernière période en France : outre ses plus célèbres ouvrages (Orfeo au Théâtre des Champs-Elysées et Iphigénie en Tauride à Rouen), on a ainsi pu avoir la chance d’entendre les rarissimes Iphigénie en Aulide (toujours au TCE), puis Echo et Narcisse (à Versailles). Place cette fois à la toute aussi peu jouée Armide, dont on se souvient des tentatives de Marc Minkowski pour la remettre au gout du jour, grâce à l’un de ses plus beaux disques en 1999, puis à l’occasion de concerts en 2016, à Paris et Bordeaux.  

D’abord essentiellement visuel, le spectacle réglé par Lilo Baur (dont les plus anciens se souviennent de son travail sur Lakmé en 2014, déjà à l’Opéra-Comique) gagne peu à peu en profondeur après l’entracte : la Suissesse imagine un univers dépouillé de tout artifice, si ce n’est un immense arbre au centre de la scène, plusieurs fois revisité pour symboliser les états d’âme des protagonistes. Dans sa forme décharnée, l’arbre évoque la raideur et la sécheresse émotionnelle d’Armida, toute occupée à se mentir à elle-même par sa quête d’un impossible amour, tandis que la vitalité reprend ses droits dans les scènes païennes avec un choeur grimé comme autant de bourgeons virevoltants. A l’instar du contexte de lutte entre croisés et musulmans, Lilo Baur choisit d’évacuer le merveilleux pour faire de l’héroïne une femme qui souffre, la Haine n’étant dans ce parti-pris qu’une évocation de ses tourments intérieurs. Ce travail tout en sobriété repose en grande partie sur une direction d’acteur millimétrée, donnant une présence soutenue aux pantomimes des trois danseurs, de même que l’excellent choeur, très sollicité tout du long. Des soutiens décisifs pour accompagner Armida dans son apprentissage initiatique de l’acceptation de l’incertitude amoureuse et du refus des artifices extérieurs comme la magie, au profit d’un retour à l’état de nature et à la simplicité.  

La réussite de la soirée doit aussi au plateau vocal réuni, très bien distribué jusqu’au moindre second rôle, sans parler du rôle-titre confié à une superlative Véronique Gens. Si le souvenir des représentations d’Alceste de Gluck, à Garnier en 2015, pouvait faire craindre une projection insuffisante, la soprano française évacue ces réserves en épousant d’emblée un rôle qui semble avoir été écrit pour elle : la tessiture centrale de sa voix est constamment sollicitée, avec quelques rares incursions dans les extrêmes, lui permettant de nous régaler de son timbre velouté et de son émission articulée avec souplesse, toujours au service du sens. Si on peut regretter un manque d’éclat et de noirceur lorsque Gens revêt trop timidement les atours de la magicienne au I, la tragédienne impressionne en dernière partie pour figurer la femme brisée face à son amant intraitable. Face à elle, on retrouve un autre nom bien connu du grand public en la personne de Ian Bostridge, qui nous régale de son art grâce à ses phrasés d’une éloquente noblesse. Malgré ces qualités, le ténor anglais ne peut toutefois faire oublier un timbre fatigué, quelques rudesses dans le suraigu arraché, ainsi qu’une difficulté à maitriser sa puissance dans les piani (surtout dans les duos avec Gens, déséquilibrés sur ce point). 

Impressionnante dans l’un des rôles les plus marquants de l’ouvrage, Anaïk Morel donne à sa Haine une jeunesse vocale rayonnante, surtout dans l’aigu, mêlant à sa prestation des regards hallucinés, tandis qu’Edwin Crossley-Mercer compose un solide Hidraot, aux graves mordants. On aime aussi le duo épatant entre Philippe Estèphe et Enguerrand de Hys, qui donne au IV une vérité saisissante par son engagement, rarement atteinte. Toujours aussi à l’aise dans l’articulation, Florie Valiquette s’impose dans ses différents rôles sur sa partenaire raffinée Apolline Rai-Westphal Phénice, encore un peu trop tendre dans la projection. Comme on pouvait s’y attendre, Christophe Rousset fait quant à lui crépiter son orchestre dès l’ouverture, donnant un relief impressionnant à sa battue, de la raideur volontaire des passages verticaux d’allure martiale aux déflagrations nerveuses des cordes déchainées par endroit. De quoi se régaler de l’instinct dramatique direct et immédiat de Gluck, très affuté dans ces passages, et ce malgré quelques longueurs ici et là (au I surtout).  

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 5 nov 2022. Gluck : Armide. Véronique Gens (Armide), Ian Bostridge (Renaud), Anaïk Morel (La Haine), Edwin Crossley-Mercer (Hidraot), Enguerrand de Hys (Artémidore, Le Chevalier danois), Philippe Estèphe (Aronte, Ubalde), Florie Valiquette (Sidonie, Mélisse, Bergère), Apolline Rai-Westphal Phénice (Lucinde, Plaisir, Naïade), Les Eléments, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset / (direction musicale) / Lilo Baur (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra-Comique jusqu’au 15 novembre 2022. Photo : S. Brion

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METZ, le 30 oct 2022

CRITIQUE, opéra. METZ, Opéra-Théâtre, le 30 oct 2022. Mel Brooks : Frankenstein Junior. Vincent Heden, Jean-Fernand Setti, Grégory Juppin, Lisa Lantieri… Aurélien Azan Zielinski, direction. Paul-Emile Fourny, mise en scène.  Par Emmanuel Andrieu.

Après avoir été reporté par deux fois à cause de la Pandémie, la comédie musicale Frankenstein Junior de Mel Brooks se voit programmée deux fois d’affilée, pour la fête d’Halloween 2021 et 2022. Adaptée en 2007 à partir de son film éponyme tourné en 1974, le facétieux homme de cinéma américain offre une parodie des multiples adaptations du roman de Mary Shelley, donnée ici dans version française de Stéphane Laporte, réalisée pour le Théâtre Déjazet en octobre 2011. Tout en étant proche du film, dans sa structure et dans son scénario, l’ouvrage est pourtant dans la lignée spirituelle des grandes comédies musicales de Broadway avec son livret cocasse et décalé, sa musique aux rythmes jazzy, ainsi que le rythme haletant des différents numéros chorégraphiques.

 

Pour mémoire, empruntons au programme le bref résumé de l’action : « Le jeune professeur d’anatomie Frederick Frankenstein, apprenant le décès de son arrière-grand-père, illustre créateur de monstre, dont il est peu fier, se rend en Transylvanie pour récupérer son patrimoine. A son tour il décide de créer un être vivant à partir d’un cadavre. Mais son serviteur bossu, Igor, chargé de trouver le cerveau d’un génie, lui rapporte en fait celui d’un anormal… ». Il faut ajouter les trois figures féminines essentielles que la fiancée du professeur, son assistante, et la vieille gardienne du château Frau Blücher, mais il a d’autres personnages hauts en couleur tels que l’inspecteur Kemp, au bras articulé ou Harold, l’ermite aveugle, pour une action qui tient l’auditeur en haleine. Clins d’œil, allusions appuyées, souvent en dessous de la ceinture, c’est du pur Mel Brooks !

 

Le directeur de l’institution messine, Paul-Emile Fourny, s’est auto-confiée la mise en scène, très inventive et facétieuse, faisant entrer rapidement le public dans cet univers à la fois étrange et drôle grâce à l’appui d’Emmanuelle Favre pour les décors, de Patrice Willaume pour les lumières, de Dominique Louis pour les costumes (très années 30), et enfin de Graham Ehrardt-Kotowich pour les nombreuses chorégraphies, interprétées par le corps de ballet maison. Marquée par de nombreux et rapides changements de décor, la mise en scène ne souffre aucun temps mort, et les scènes se succèdent à un rythme soutenu. On notera la beauté visuelle de certaines images, telle la scène du départ en paquebot de Frederick, la traversée en calèche de la forêt transylvanienne ou encore la fugitive scène du cimetière…

 

Et Fourny a su s’entourer d’une équipe de chanteurs mêlant spécialistes de l’opéra et de la comédie musicale, reprenant deux éléments-clés de la production parisienne du Théâtre Déjazet, l’étincelant et virevoltant Vincent Heden pour le rôle-titre, et Valérie Zaccomer, grandiose et glaçante Frau Blücher, deux acteurs-chanteurs complets et brillants. Le numéro de claquettes du premier, pendant le standard de Jazz Puttin’ On the Ritz d’Irving Berlin, rencontre un franc succès. De son côté, Jean-Fernand Setti campe un monstre à la voix aussi imposante que sa stature. Léonie Renaud est une Elisabeth aux graves solides et aux aigus éclatants, en plus d’être excellente comédienne, qui fait rire avec ses deux airs décalés : « Stop ! on n’touche pas » et « Profond, à moi l’amour ».  Grégory Juppin, spécialiste de la comédie musicale, met toute sa verve comique au service d’Igor, le serviteur-maître de cérémonie qui délivre un réjouissant « C’est la Transylvania mania ». Christian Tréguier, l’Ermite, offre l’air le plus touchant de la soirée, « Quelqu’un… », malgré le contexte parodique. Laurent Montel incarne un remarquable Inspecteur Kemp remarquable, tandis que Ia soprano Lisa Lanteri (Inga, l’assistante délurée) possède une voix lumineuse qui fait mouche dans son air « N’écoute que ton cœur ».

 

En fosse, enfin, Aurélien Alan Zielinski dirige un « Halloween Orchestra » riche en couleurs, et comporte notamment un discret synthétiseur ainsi qu’un saxophone baryton, rappelant assez aisément l’esprit de la musique américaine des années 1920-1930. Par rapport aux configurations plus « classiques », l’orchestre sonne très généralement plus fort, ce qui contraint les chanteurs et chanteuses à être tous équipés de micro-serre-tête, de sorte que l’orchestre ne couvre presque jamais.

 

Une réjouissante soirée, d’autant que dans la salle, nombre de (jeunes) spectateurs étaient venus déguisés, comme la direction du théâtre l’avait préconisé !

 

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CRITIQUE, opéra. METZ, Opéra-Théâtre, le 30 oct 2022. Mel Brooks : Frankenstein Junior. Vincent Heden, Jean-Fernand Setti, Grégory Juppin, Lisa Lantieri… Aurélien Azan Zielinski, direction. Paul-Emile Fourny, mise en scène.

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BERLIN, le 29 oct 2022

CRITIQUE, opéra. BERLIN, Unter der Linden, le 29 oct 2022. WAGNER : Der RHEINGOLD / Thielemann / Tcherniakov. Par Alban Deags

Tcherniakov a trouvé à Berlin (Opéra Unter den linden), l’occasion d’exposer sa vision du Ring wagnérien, soit les 4 opéras de la Tétralogie de 16h de musique sur une semaine, … comme à Bayreuth. Le cycle devait être dirigé par Daniel Barenboim mais celui-ci souffrant a nommé son remplaçant, … Christian Thielemann. Même si le chef remplaçant a démontré ses qualités lyriques et symphoniques (son intégrale en cours Bruckner), l’écoute de cette première journée révèle un sens de l’articulation, une clarté du geste mais parfois la conception d’un orchestre compact, qui sonne parfois plus dur et puissant que réellement détaillé… sans les nuances dignes d’un Barenboim (cf son Tristan und Isolde), ou d’un Karajan.

 

 

Wagner désenchanté façon Tcherniakov

 

 

 

 

Tcherniakov évacue toute poésie ou fantaisie onirique et place le drame dans un vaste Centre de recherche médicale gigantesque qui contient dans l’une des ses cours fermées, l’arbre monde, image du cosmos et aussi vénérable sacré (le frêne originel selon le mythe nordique dans le bois duquel Wotan a taillé sa lance légendaire)  : en tout 11 espaces qui défilent comme les compartiments d’un train, comme les boîtes que traversaient sur scène Tristan et Yseult dans la sublime mise en scène d’Olivier Py, de loin le spectacle le plus poétique et bouleversant qui soit. Plus prosaïque voire matérialiste, Tcherniakov détaille de son côté, laboratoires et salles de réunion, salles de conférence et réserves où sont stockées des milliers de cages à lapins… sans omettre le sous sol où travaillent et s’épuisent les esclaves d’Albérich… le tout dans un pur style 1970.

La première scène est emblématique du reste : point de naïades dans leur fleuve protecteur ; les 3 filles du Rhin, gardiennes de l’or (et de l’anneau à forger qui détient la suprématie du monde) sont 3 infirmières en blouse, dossiers des patients en mains ; elles se tiennent à distance d’un malade fardé d’électrodes (Albérich) dans une boîte en verre, bien arrimé à son fauteuil et attaché par de larges bandes qui l’entravent ; le nabaud velu et bossu qui voudrait tant lutiner l’une des lolitas maudit bientôt l’amour et le désir, préférant voler aux 3 beautés, l’or tant convoité… la fortune plutôt que le bonheur. Ainsi le malade déjanté s’échappe du Centre médical, perche de transfusion en main…
Même réalisme cynique, froid et lugubre dans la scène qui suit où paraissent Wotan et son épouse Fricka, en petits bourgeois consommateurs, satisfaits, conquérants, cependant que surgit Freia, soeur de la précédente qui fuit horrifiée la salle précédente car y ont parus les géants Fafner et Fasolt, en caïds des pays de l’est, ou maffieux flanqués de leurs sbires à lunettes… ils viennent réclamer leur dû à Wotan qui leur a commandé la construction de son palais sublime sur le Walhalla. Chacun trouvera son miel dans cette systématisation glaçante qui ne cite d’aucune façon les mythes et légendes fantastiques, épiques, médiévales… où Wagner a puisé son action. Finalement la grille visuelle pollue l’écoute directe de la musique articulée, souple, comme une soie scintillante et flamboyante d’autant que la machinerie est impressionnante en décors et figurants. Heureusement les chanteurs sont à la hauteur de ce nouveau défi wagnérien.

 

Saluons l’impeccable Alberich de  Johannes Martin Kränzle, prétendant maladroit incapable, d’un cynisme forcé, qui devient despote sadique dans las bas fonds du Nibelung –  mais aussi le Wotan placide et présent de Michael Volle, comme la bien chantante, à la voix puissante sans outrance de Claudia Mahnke en Fricka. Esprit malicieux et vrai protagoniste de cette première journée de la Tétralogie, le Loge du mexicain Rolando Villazon (en costume de velours jaune moutarde) tient la barre dramatique de son personnage central ; c’est qui qui pilote Wotan et lui permet de triompher, d’Albérich comme des géants Fafner et Fasolt (mais à quel prix!). A l’aise scéniquement, le chant de Villazon manque cependant de précision, avec cette accent latin qui brouille la netteté de la diction.

 

 

CONCLUSION
Autant dire que les amateurs d’un Wagner fantastique et féerique en resteront frustrés ; exit la poésie et le souffle épique de la geste légendaire conçue par Wagner – une réduction des effets scéniques d’autant plus regrettable que le théâtre wagnérien, synthèse d’une multitude de mythes avait nécessité la scène dédiée de Bayreuth pour être réalisé; Tcherniakov fait du Tcherniakov, c’est à dire du théâtre, stricto sensu, avec des idées souvent gadgets et toc dont le but est surtout de souligner le réalisme cynique de chaque scène : tractations et manipulations, sacrifice et falsification d’une société où les hommes ont perdu toute idée de beauté et de magie fraternelle, dans des pièces fermées datées années 70 (coupes de cheveux mi longs et pattes d’éph, …). On y perd son Wagner et la grille scénique et visuelle ne serait qu’anecdotique si elle ne parasitait constamment la pleine perception de la musique ; ce que dit la musique (et quelle orchestration !) est toujours contredit par les tableaux et le jeu d’acteurs. En définitive le vrai héros du drame ici reste Loge, esprit du feu, facétieux, manipulateur et séducteur de génie qui tout en ayant conscience de la naïveté des Dieux (Wotan et son clan, famille plutôt passive d’enfants gâtés), reste auprès d’eux sachant le profit qu’il peut en tirer, leur faisant croire qu’il peut les conseiller et les aider : payer les Géants contre le château Walhalla qu’ils ont bâti… en « volant le voleur » c’est à dire le Nibelung Albérich qui a dérobé l’or et le pouvoir de l’anneau aux filles du Rhin. Côté cynisme et manipulations le compte y est ; côté épisme, fantaisie féerique et magie visuelle, on repassera. Fort heureusement, le metteur en scène qui fait fi de la dramaturgie originale et du temps musical, n’a pas ici contrairement à ses approches précédentes de Carmen, Les Troyens, réécrit purement et simplement l’action. ARTE annonce sur son site ARTEconcert, la suite en replay, soit les 3 autres Journées du Ring. Critiques à venir.

 

 

 

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Wagner : L’or du Rhin / Der Rheingold. Spectacle filmé le 29 octobre 2022 à la Staatsoper Unter den Linden à Berlin

Distribution :
Anna Lapkovskaja (Flosshilde)
Natalia Skrycka (Wellgunde)
Evelin Novak (Woglinde)
Peter Rose (Fafner)
Mika Kares (Fasolt)
Stephan Rügamer (Mime)
Johannes Martin Kränzle (Alberich)
Anna Kissjudit (Erda)
Anett Fritsch (Freia)
Claudia Mahnke (Fricka)
Rolando Villazón (Loge)
Siyabonga Maqungo (Froh)
Lauri Vasar (Donner)
Michael Volle (Wotan)

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PARIS, le 25 oct 2022

CRITIQUE, DANSE. PARIS, Palais Garnier, le 25 oct 2022. Mayerling. Kenneth MacMillan, chorégraphie. Hugo Marchand, Dorothée Gilbert, Etoiles. Ballet de l’opéra. Juliette Mey, artiste lyrique invitée. Michel Dietlin, piano. Orchestre de l’Opéra national de Paris. Martin Yates, direction musicale. Par Sabino Pena Arcia.

 

Nous sommes au Palais Garnier pour l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris du ballet néo-classique de Kenneth MacMillan : Mayerling ; un moment très attendu des amateurs de grands ballets narratifs, avec les Étoiles Hugo Marchand et Dorothée Gilbert dans les rôles principaux et le chef Martin Yates à la direction de l’orchestre de l’Opéra. Une soirée bouleversante d’intensité, riche en drame et en virtuosité.

Créé en 1978 au Royal Ballet de Londres, Mayerling est le 6ème ballet de Kenneth MacMillan à entrer au répertoire de la Grande Boutique parisienne. Le public apprécie déjà régulièrement le très célèbre ballet « L’histoire de Manon » de ce maître incontestable de la danse britannique, avec les qualités singulières de son langage chorégraphique néo-classique, axé sur l’aspect acrobatique et l’expression dramatique des interprètes. Inspiré d’une anecdote historique, le double suicide (ou meurtre ?) de l’archiduc Rodolphe, prince héritier de l’Empire Austro-hongrois, et de sa maîtresse la baronne Mary Vetsera dans un pavillon de chasse à Mayerling, près de Vienne ; le ballet est une variation résolument moderne sur le thème de… Roméo et Juliette !

Sexe, violence, décadence

L’Étoile Hugo Marchand interprète Rodolphe pour la première (il y a au total 4 distributions différentes à l’affiche). Un rôle redoutable et intense, qui sollicite en permanence les qualités techniques et expressives du danseur, presque toujours présent sur scène au cours des 3 actes. Ce fantastique rôle de prince tourmenté, épris d’une ambiguïté mystérieuse qu’il ne peut résoudre que par la mort, correspond merveilleusement au danseur. En effet, Hugo Marchand est fort d’un magnétisme fiévreux dès le premier acte, effréné et scabreux. La fin de cet acte, terrifiante nuit de noces du prince avec la princesse Stéphanie interprétée brillamment par la Première Danseuse Sylvia Saint-Martin, est un duo sadique où la perversité mène la danse ; il se termine, après un certain nombre de portés dangereux avec une tête de mort et un revolver comme compagnons ; … dans un viol domestique au milieu de somptueux décors et costumes historiques de Nicholas Georgiadis.

 

Le deuxième acte est le moment où se révèle véritablement le couple pathologique du prince avec Mary Vetsera, interprétée magistralement par la splendide Étoile Dorothée Gilbert. Un couple pervers qui coupe le souffle par la symbiose des mouvements vertigineux ; tout y fascine et effraie l’auditoire constamment. Dans leur puissant duo à la fin de l’acte, la baronne reprend le revolver et la tête de mort de l’acte précédent et s’adonne à un jeu où les pulsions sexuelles des personnages sont mises en mouvement. C’est pour elle peut-être un jeu excitant de tension et de relâche, motivé par un étrange mélange de sensibilité dévoyée et d’attirance bravache. Mais pas de relâche pour lui, juste de la tension qui monte en puissance, comme sa folie. Les Étoiles sont particulièrement convaincantes dans l’incarnation psychologique des rôles, leur caractérisation ardente dramatiquement est rehaussée merveilleusement par l’exécution irréprochable des mouvements et enchaînements acrobatiques, grimpants, sinueux. Leur duo final, au troisième acte, est virtuosité et désolation. Un couple tragique et moche avec la plus grande harmonie de lignes ; un couple ravissant dans son excellence technique et surprenant dans le haut impact émotionnel de l’interprétation.

 

Chez les très nombreux rôles solistes l’excellence est au rendez-vous, également. Remarquons la Première Danseuse Hannah O’Neill dans le rôle piquant de la comtesse Marie Larisch, pleine d’esprit et techniquement géniale de sa couronne aux pointes, mais aussi avec une certaine profondeur amère dans la caractérisation qui la rend davantage touchante. Le Corps de ballet est à son tour hyper réactif et hyper actif, plein de brio, du début à la fin.

 

Enfin, remarquons l’autre performance étonnante, inoubliable de la représentation : celle de l’Orchestre de l’Opéra sous la direction impeccable de Martin Yates. Pour la création mondiale du ballet aux années 70, John Lanchberry s’est donné la tâche de sélectionner, arranger et orchestrer uniquement des œuvres, plutôt rares, de Franz Liszt, l’austro-hongrois. Le résultat est intelligent, pragmatique et fonctionnel, mais dans les mains habiles de ses interprètes à cette première parisienne, il est d’un plus grand impact musical. Le ballet offre aussi un joli cadeau aux amateurs du chant lyrique, avec l’interprétation ponctuelle d’un lied sur scène (superbes Juliette Mey et Michel Dietlin au chant et au piano). Félicitations à toutes les équipes pour cette entrée au répertoire incroyable. A l’affiche au Palais Garnier de l’Opéra national de Paris du 25 octobre jusqu’au 12 novembre 2022.

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GENEVE, le 23 oct 2022

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand Théâtre, le 23 oct 2022. Janacek : Katia Kabanova. Tomas Netopil / Tatjana Gürbaca – Par Florent Coudeyrat

Après L‘Affaire Makropoulos en 2020, puis Jenufa l’an passé, l’Opéra de Genève poursuit l’exploration du legs lyrique de Leos Janacek, encore largement méconnu du grand public. Ainsi de Katia Kabanova (1921), qui adapte la pièce L’Orage (1859) d’Alexandre Ostrovski (dont l’histoire rappelle celle de Madame Bovary). Pilier du répertoire en Russie, cette pièce reste peu donnée sous nos contrées, même si Denis Podalydès en présentera une production très attendue l’an prochain, aux Bouffes du Nord à Paris et en tournée dans toute la France. En attendant, il faut courir découvrir l’adaptation qu’en fit Janacek, en resserrant l’action autour des tourments de l’héroïne. C’est là en effet l’un des chefs d’oeuvre du compositeur tchèque, qui fut inspiré par l’histoire oppressante d’une femme prise dans l’étau de l’hypocrisie des conventions sociales, lui rappelant sa propre relation obsessionnelle et impossible avec Kamila Stösslová, mariée tout comme lui.

 

Tout amoureux de l’orchestre ne voudra pas se priver de ce bijou de raffinement à l’orchestration portée par des bois aériens, où Janacek fait l’étalage de ses courts motifs mouvants et ductiles, toujours au service de son sens dramatique affirmé : très affutée, la direction de Tomas Netopil est une merveille de bout en bout, allégeant les textures au service de tempi allants, mais jamais précipités. On aime aussi l’attention à bien différencier les climats, faisant ressortir toutes les spécificités des caractères en présence. 

Déjà applaudie l’an passé en Jenufa, Corrine Winters donne dans le rôle-titre, une composition saisissante, offrant un mélange de fragilité et de force, en lien avec les intentions de la mise en scène de Tatjana Gürbaca. Sa voix chaude et bien projetée donne beaucoup de satisfaction, malgré quelques rudesses dans l’aigu. A ses côtés, la fraîcheur de timbre rayonnante d’Ena Pongrac (Varvara) permet de bien figurer ce rôle, sorte de double positif de Katia, qui choisit de fuir le village corseté pour affronter la vie. Que dire, aussi, du toujours parfait Ales Briscein (Boris), qui n’a pas son pareil pour porter haut sa voix éloquente et son émission claire ? Quelle présence, encore, chez Tomas Tomasson, idéal de morgue et de brutalité en Dikoj, tandis que Magnus Vigilius est un Tichon de luxe, à l’émission sonore et parfaitement placée. Malgré quelques positionnements de voix un peu raides, Elena Zhidkova impressionne tout autant en belle mère Kabanicha, à force de composition aussi lunaire que vénéneuse.

 

On pense plusieurs fois aux huis clos étouffants d’un Fassbinder ou d’un Ozon (surtout le film « Huit Femmes ») avec la proposition scénique très stylisée de Tatjana Gürbaca : souvent figés et éloignés les uns des autres en un ballet milimétré, les personnages évoluent en un espace réduit, qui sert autant de caisse de résonance sonore (offrant un merveilleux confort acoustique aux interprètes) que de symbole de leur horizon social réduit. L’attention à la direction d’acteurs constitue le grand point fort de cette mise en scène toujours juste, même si l’on peut être surpris par certains partis-pris, montrant une Katia plus rebelle et provocatrice qu’attendu, de même qu’un couple Kabanicha-Dikoj plus trivial que jamais. De quoi animer cet opéra assez bref (environ 1h30) d’une constante vitalité sur le plateau, toujours en lien avec les moindres intentions musicales. Une réussite à ne pas manquer, à voir jusqu’au 1er novembre dans la belle cité genevoise.

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CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand Théâtre, le 23 octobre 2022. Janacek : Katia Kabanova. Corrine Winters (Katia Kabanova), Ales Briscein (Boris), Elena Zhidkova (Kabanicha), Magnus Vigilius (Tichon), Tomas Tomasson (Dikoj), Sam Furness (Vana), Ena Pongrac (Varvara), Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (chef de chœur), Orchestre de la Suisse Romande, Tomas Netopil (direction musicale) / Tatjana Gürbaca (mise en scène). A l’affiche du Grand Théâtre de Genève jusqu’au 1er novembre 2022. Photo : Carole Parodi

 

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Précédent opéra « coup de coeur » de classiquenews :

 

 

 

BOIELDIEU : La Dame Blanche, 6 nov 2020 – 5 fév 2021. Création. Écosse, 1759. Un château, abandonné, dresse ses ruines encore majestueuses. Autrefois y vivaient les Avenel qui ont du fuir. Protectrice du site chargée d’histoire, la mystérieuse dame blanche, apparition qui fascine et effraie tout autant. Mais le cupide Gaveston souhaite s’approprier tant de patrimoine délaissé, tandis que les paysans demeurent fidèles à la mémoire des Avenel. Surgit George, soldat solitaire à la recherche d’un amour perdu… Sur le livret de Scribe, Boieldieu signe un ouvrage propre aux années 1825, influencé par le gothique fantastique de Walter Scott, et le goût pour le genre historique (plutôt monarchique). L’opéra-comique à l’époque de la Restauration tend à louer un ordre harmonieux perdu (sacralisation des Avenel et de leur héritier loyal, George). L’intrigue souligne l’attente des paysans : tous souhaitent le retour du seigneur. La production présentée par Les Siècles et Nicolas Simon transpose l’action dans un monde imaginaire animalier, à la fois fantastique et onirique ; taille dans les dialogues parlés – trop datés aujourd’hui, qui sont réécrits et actualisés. Le spectacle veut souligner combien à trop vénérer un ordre perdu, on s’enferme dans une prison. La peur de l’inconnu empêche le renouvellement pourtant vital des sociétés. L’opéra de Boieldieu demeure l’un des plus grands succès de l’Opéra-Comique : la place devant la salle Favart est baptisé « place Boieldieu » en 1851, miroir de son succès historique.

AUX ORIGINES DE L’OPERA ROMANTIQUE FRANCAIS… Les airs de Boieldieu tiennent d’autant de tubes qui ont marqué les esprits : air de George du premier acte : « Ah ! Quel plaisir d’être soldat », la ballade de Jenny, les couplets de Marguerite, l’air d’Anna du troisième acte : « Enfin, je vous revois ». Boieldieu sait habilement mêlé comédie et profondeur, légèreté et romantisme. Au coeur du drame, George est ce héros en quête d’identité, qui a perdu la mémoire puis la retrouve « D’où peut naître cette folie ? D’où vient ce que je ressens ? » (acte III). Maître du fantastique, Boieldieu cisèle aussi les accents purement surnaturels de la partition quand paraît la Dame Blanche… au son du cor, timbre de l’accomplissement magique. C’et d’ailleurs tout l’apport des Siècles sous la direction de Nicolas Simon que d’offrir l’acuité caractérisée des timbres propre aux instruments historiques (en l’occurrence ceux de l’orchestre berliozien).

boieldieu-la-dame-blanche-opera-critique-annonce-opera-classiquenews-boieldieu-par-BoillyL’écriture de François-Adrien Boieldieu  (1775-1834)  influence toute une génération de compositeurs français depuis son élève Adolphe Adam (1803-1856) jusqu’à Georges Bizet (1838-1875), Léo Delibes (1836-1891) et Emmanuel Chabrier (1841-1894). En août 1824, Rossini s’est installé à Paris où sur la scène du Théâtre-Italien, il triomphe avec Le Voyage à Reims (1825). Son rival, Boieldieu compose ce dernier chef d’œuvre, reprenant un projet amorcé par Scribe en 1821. Scribe s’inspire de deux romans de Walter Scott (1771-1832), : Guy Mannering (1815)  et  Le Monastère  (1820). Avant Wagner très admiratif de l’ouvrage, Weber s’écrit : « C’est le charme, c’est l’esprit. Depuis Les Noces de Figaro de Mozart on n’a pas écrit un opéra-comique de la valeur de celui-ci ».

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François-Adrien Boieldieu (1775 – 1834)
LA DAME BLANCHE
Opéra-comique en trois actes créé le 10 décembre 1825
à l’Opéra-Comique à Paris.
Livret d’Eugène Scribe d’après Walter Scott
Nouvelle production
Création de la version pour 14 chanteurs, 19 instrumentistes et un chef

Mise en scène :  Louise Vignaud
Direction musicale : Nicolas Simon
Orchestre Les Siècles

Georges Brown, jeune officier anglais (ténor) : Sahy Ratia
Dikson, fermier (ténor comique) : Fabien Hyon
Jenny, sa femme (soprano) : Sandrine Buendia
Gaveston, ancien intendant (basse) : Yannis François
Anna, sa pupille (soprano) : Caroline Jestaedt
Marguerite, domestique (mezzo-soprano) : Majdouline Zerari
Mac-Irton, juge de paix (basse) : Ronan Airault

Le Cortège d’Orphée / direction : Anthony Lo Papa
Clara Bellon, Mylène Bourbeau, Caroline Michel ou Camille Royer
Léo Muscat, Olivier Merlin, Henri de Vasselot
Roland Ten Weges, Ronan Airault.

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15 représentations, du 6 nov 2020 au 5 fév 2021
ven 6 et sam 7/11/20 – Compiègne – Le Théâtre Impérial – 20h30
ven 20/11/20 – Tourcoing – Théâtre Raymond Devos – 20h
dim 22/11/20 – Tourcoing – Théâtre Raymond Devos – 15h30
mar 24/11/20 – Dunkerque – Le Bateau-Feu – 20h
mer 25/11/20 – Dunkerque – Le Bateau-Feu – 19h

mar 1 et mer 2/12/20 – Quimper – Le théâtre de Cornouaille, 20h
jeu 10 et ven 11/12/20 – Rennes – Opéra de Rennes – 20h
dim 13/12/20 – Rennes – Opéra de Rennes – 16h
lun 14/12/20– Rennes – Opéra de Rennes – 14h30 (scolaire)

mar 19/01/21 – Besançon – Les 2 Scènes – Théâtre Ledoux – 20h
mer 20/01/21 – Besançon – Les 2 Scènes – Théâtre Ledoux – 19h
ven 5/02/21 – Amiens – Scène nationale – 20h

 

 

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PLUS D’INFOS sur le site la CO OPERA TIVE :
http://www.lacoopera.com

VOIR la page dédiée à La Dame Blanche
http://www.lacoopera.com/la-dame-blanche

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