Recréation attendue, l’opéra d’Élisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729), Céphale et Procris, première tragédie en musique composée par une femme créé à l’Académie royale, ressuscite triomphalement sous la direction et avec le ténor Reinoud van Mechelen, lui-même entouré par son propre ensemble a nocte temporis (fondé en 2016) et de solistes, comme lui, engagés, convaincants. A l’heure où les romantiques wagnériennes et franckistes Augusta Holmès, Mel Bonis, sont ressuscitées non sans raison, la partition de Jacquet de la Guerre est bien une œuvre maîtresse de l’époque Louis XIV.
Céphale et Procris (1694)
Recréation réussie pour le seul opéra
d’Elisabeth Jacquet de la Guerre
Celle qui fut associée au service de la Montespan, favorite en titre, perpétue avec génie le modèle opératique lullyste. Céphale (1694) seul opéra d’Élisabeth, plus connue pour ses cantates et pièces de clavecin, a pour sujet l’une des Métamorphoses d’Ovide. Jalousée par L’Aurore, éprise de Céphale, Procris est manu militari tuée par son propre fiancé (sa maudite lance) ; tragédie déchirante à la mesure de la cruauté divine… Pour enrichir l’action et créer d’inévitables contrastes, le librettiste Joseph-François Duché de Vancy ajoute Borée, dieu des vents septentrional (auquel Rameau dédiera son dernier ouvrage lui aussi majeur) lui-aussi amoureux de Procris ; un couple pastoral, attendri, amoureux secondaires, Arcas et Dorine. Jacquet suit le modèle Lullyste (Prologue, 5 actes avec nocturne à 3 flûtes et surtout une tempête furieuse au diapason de l’Aurore déchaînée contre le couple dont elle est jalouse) tout en ciselant un final dans le souffle murmuré de la mourante : Procris sacrifiée, amoureuse, supplie Céphale de ne pas la suivre dans la mort.
Soliste solide, familier des opéras baroques et de la rhétorique des passions (son dernier cd dédié à la figure de la haute-contre légendaire Jélyotte, interprète de Rameau et Mondonville, en témoigne), Reinoud van Mechelen chante Céphale, entre effusion tendre et tempérament héroïque, tout en dirigeant les instrumentistes de son ensemble :
Partenaire tout aussi habitée et éloquente, d’une intelligibilité maîtrisée, la Procris de Deborah Cachet, affirme une sensibilité sacrificielle efficace et prenante dont la noblesse déclamatoire convainc. Tandis que l’Aurore d’Ema Nikolovska, la moins articulée, a l’ardeur vengeresse voire haineuse parfaite avant que le doute et la culpabilité ne tempèrent ses humeurs comminatoires. Epris et sensuel, le baryton Lisandro Abadie chante avec finesse Borée (et aussi Pan dans le Prologue, autre visage de l’amour éperdu). Saluons tout autant, la Jalousie de Marc Mauillon, aux saillies sardoniques et âpres ; le couple Arcas et Dorine, Samuel Namotte et Lore Binon ; sans omettre, très juste, la prêtresse de Gwendoline Blondeel. Précis, articulé, très percutant (comme à son habitude) le Chœur de chambre de Namur se joint à la réussite de la résurrection.
L’atout est aussi du côté du continuo, tout en relief et vivacité canalisée, grâce à l’instinct et au métier du chef-chanteur. Les nuances, la variété des reprises, les courts intermèdes assurant la fluidité des enchaînements démontrent et le plaisir et l’implication graduelle des instrumentistes ; l’orchestre de Jacquet gagne en expressivité et en éloquence dramatique. Ici le souci du moindre détail traité comme une intention ciselée, associée à la compréhension des situations font mouche. Recréation enthousiasmante. Le cd qui découle de la performance devrait tout autant séduire. L’enregistrement est annoncé dans la collection « Château de Versailles Spectacles ».
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CRITIQUE, opéra, recréation baroque. VERSAILLES, Salon d’Hercule, le 24 janv 2023. E. JACQUET DE LA GUERRE : Céphale et Procris, 1694. a nocte temporis, Reinoud van Mechelen.
Élisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729) : Céphale et Procris tragédie en musique en 5 actes et un prologue
Livret de Joseph-François Duché de Vancy,
d’après les Métamorphises d’Ovide
Reinoud van Mechelen : Céphale ;
Déborah Cachet : Procris ;
Ema Nicolovska : L’Aurore ;
Lore Binon : Flore (Prologue) et Dorine ;
Gwendoline Blondeel : Iphis, la Prêtresse ;
Marc Mauillon : La Jalousie ;
Lissandrto Abadie : Pan (prologue) et Borée ;
Samuel Namotte : Arcas.
Chœur de chambre de Namur
A nocte temporis
Reinoud Van Mechelen, direction
Approfondir
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VIDÉO : reportage Festival Musique & Mémoire 2022
REPORTAGE MUSIQUE & MEMOIRE 2022 – A l’été 2022, le premier festival de musique dans les Vosges du Sud (29è édition) propose un parcours poétique à travers un cycle itinérant dont les jalons sont les sites patrimoniaux du Pays des 1000 étangs… Reportage exclusif dédié à l’un des volets d’une programmation riche : résidence de l’ensemble a nocte temporis (Reinoud Van Mechelen, ténor et direction : programmes Jéliote et JS Bach) ; valorisation et place de l’orgue, dont l’orgue de la Basilique Saint-Pierre Saint-Paul de Luxeuil (récital d’Emmanuel Arakélian : musique du Grand Siècle) – Entretien avec Fabrice Creux, directeur artistique et fondateur du Festival Musique & Mémoire – fondamentaux : la résidence des artistes, l’ancrage d’une programmation musicale dans le territoire – la relation aux publics et aux lieux… Rv est pris à l’été 2023, pour la 30ème édition du Festival Musique & Mémoire : du 15 au 30 juillet 2023 © studio CLASSIQUENEWS.TV 2022 / 2023.