jeudi 28 mars 2024

CRITIQUE, opéra. NANCY, Opéra national de Lorraine, le 15 mars 2023. C. W. GLUCK : Iphigénie en Tauride. J. Boulianne, J. van Mellaerts, P. Nekoranec, P. Doyen… S. Paoli / A. Cemin.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

 

La programmation (d’une nouvelle production) d‘Iphigénie en Tauride à l’Opéra national de Lorraine (en coproduction avec le Stadtheater de Berne) est une bonne surprise dans un contexte où l’œuvre de C. W. Gluck se résume pour la majorité des théâtres hexagonaux (comme internationaux) à une surenchère de productions et reprises diverses de son Orphée et Eurydice, même si – hasard des calendriers – l’Opéra de Montpellier mettra également ce titre à son affiche le mois prochain, dans une nouvelle mise en scène de l’iconoclaste Rafael R. Villalobos.

 

Splendide Iphigénie à Nancy
sous la direction d’Alphonse Cemin

A Nancy, c’est à la non moins sulfureuse Silvia Paoli que Matthieu Dussouillez a confié le soin de cette nouvelle production, que femme de théâtre florentine place sous le signe de la mémoire. Au I, pendant l’ouverture, on assiste à une scène de ménage entre un couple (en fait Agamemnon et Clytemnestre incarné ici par Sébastien Dutrieux et Chloé Scalese) dont les deux enfants (Iphigénie et Oreste incarnés par Alice Lacoste-Rémy et Axel Lecrivain) se retrouvent au cœur du drame familial, tiraillés et même écartelés (au sens propre du terme, dans une scène particulièrement violente) entre leurs deux géniteurs. Au II, les « Tristes apprêts » invoqués par Diane ne sont rien d’autres que des objets d’enfance ayant appartenus à l’héroïne (jouets, doudous, chaussons de danse et autres carnets), tandis qu’au III, la scénographie (conçue par Lisetta Buccellato) offre au regard sa chambre de jeune fille constellée d’affiches, posters et photos diverses, comme n’importe quelle chambre d’ado, même si le palais mycénien fait place ici à une demeure des années 60/70 particulièrement délabrée. Les deux enfants apparaissent, à la fin du spectacle, devant un rideau de scène, le garçon en cape de super-héros, et la jeune fille sous le masque d’un cervidé, révélant qu’ils ont en fait, inventé toute cette histoire dans une sorte de mise en abîme de théâtre (mental) dans le théâtre, afin de s’amuser mais surtout oublier la violente séparation initiale de leurs parents (un Agamemnon en costume moderne et une Clytemnestre en manteau de fourrure et lunettes de soleil, les deux démultipliés par moult clones pendant la « scène des Euménides »).

La mezzo québécoise Julie Boulianne entre admirablement dans l’option dramatique de la metteure en scène, d’un bout à l’autre extraordinairement concentrée, et s’avère une interprète idéale pour l’ouvrage de Gluck. Le style et le raffinement de la musicienne, son aisance dans la déclamation, l’incroyable beauté de son chant, dont chaque mesure est habitée avec intensité, font de son Iphigénie une composition inoubliable. Timbre riche, voix projetée avec franchise, expression sincère, et discipline musicale, rien ne manque au baryton (clair) du néo-zélandais Julien van Mellaerts, qui campe donc un superbe Oreste. Son collègue tchèque Petr Nekoranec incarne, de son côté, le plus touchant des Pylade : la ligne est dessinée avec souplesse, dans la tendresse ou l’effusion, illuminée par des couleurs d’une virile clarté. Dommage que le baryton wallon, Pierre Doyen pousse les sons bien plus que ne le réclame son personnage de Thoas, tandis que Lucie Peyramaure révèle un bien séduisante Diane. Quant au chœur maison, excellemment préparé par Guillaume Fauchère, il impressionne par la précision de son intonation autant que l’homogénéité du son.

En fosse, le jeune chef français Alphonse Cemin est la révélation de la soirée, insufflant à l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine une tension théâtrale constante, tout en soulignant la tristesse majestueuse et violente de la sublime partition de Gluck. La richesse et l’intensité des contrastes, l’expressivité des trémolos de cordes dans « Ô toi qui prolongeas mes jours », l’explosion des percussions sur « Les dieux apaisent leur courroux », tout est ici sujet d’admiration. Le public ne s’y trompe pas, ni ne boude son plaisir, et fait un triomphe à l’ensemble des artisans de cette magnifique soirée lyrique !

 

 

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CRITIQUE, opéra. NANCY, Opéra national de Lorraine, le 15 mars 2023. C. W. GLUCK : Iphigénie en Tauride. J. Boulianne, J. van Mellaerts, P. Nekoranec, P. Doyen… S. Paoli / A. Cemin. Photos © Jean-Louis Fernandez
A l’affiche de l’Opéra national de Lorraine à Nancy, jusqu’au 21 mars 2023 : https://www.opera-national-lorraine.fr/fr/activity/526-iphigenie-en-tauride-gluck

 

Extrait vidéo : « Iphigénie en Tauride » de C. W. Gluck selon Silvia Paoli à l’Opéra national de Lorraine :

 

 

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