vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, danse. LIMOGES, opéra, les 6 et 7 novembre. Thierry Malandain : Les Saisons (d’après A. Vivaldi et G. A. Guido). Malandain Ballet Biarritz / Orchestre symphonique de l’Opéra de Limoges / Stefan Plewniak (direction)

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Créé en novembre 2023 au Festival de danse de Cannes, le dernier ballet de Thierry Malandain, Les Saisons”, fait escale à l’Opéra de Limoges, au sein d’une très riche et éclectique saison 24/25, toujours aussi intelligemment concoctée par Alain Mercier

 

L’idée de départ à été d’associer les musiques combinées d’Antonio Vivaldi et de son contemporain Giovanni Antonio Guido, tous deux inspirés par le thème des Saisons, servies en l’occurrence par le méritant et combatif Orchestre symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle-Aquitaine, pourtant peu rompu au répertoire baroque. Mais c’était sans compter sur la direction musicale du frénétique violoniste polonais Stefan Plewniak, chef “chouchou” de Laurent Brunner à l’Opéra Royal de Versailles, où il dirige la phalange versaillaise – avec l’ardeur qu’on lui connaît – quasi tous les mois. Sous l’impulsion de son archet incandescent, il emporte instrumentistes et danseurs sur un rythme trépidant qui sait exalter la force narrative des deux compositeurs baroques.

Au génie inclassable, irrésistible et légitimement célébré de Vivaldi sur le thème des Quatre Saisons, répond en dialogue, les pièces tout autant expressives de son confrère Guido : enchâssées les unes dans les autres, les deux écritures se répondent ; Guido fait mieux qu’un faire valoir ; ses Saisons produisent comme un résonance du modèle vivaldien, avec une facétie plus franche et une énergie égale. Dans la fosse, chaque timbre de l’orchestre, et chaque couleur (évidemment une majorité de cordes à laquelle la flûte et le basson, notamment, apportent une nuance délectable) reste perceptible ; l’individualisation et la forte caractérisation des instruments apportent ce contrepoint semblable sur la scène, où le chorégraphe joue des contrastes entre somptueux tableaux collectifs et séquences intimistes ; là brillent le tempérament et la silhouette spécifiques de plusieurs danseurs solistes. La présence de l’orchestre baroque, sa vibration particulière renforcent la tension globale du ballet. 

Crédit photo © Olivier Houeix

Thierry Malandain s’est expliqué sur l’engagement écologique du spectacle ; on ne peut guère aborder le thème des Saisons sans évoquer la Nature, ses miracles cycliques à travers la succession infinie des saisons ; miracle d’autant plus fragile et menacé aujourd’hui qu’il inspire un spectacle hautement esthétique qui constitue le manifeste d’une harmonie aussi somptueuse que menacée. “Et plus encore dans le climat désenchanté et corrompu d’aujourd’hui, où la dégradation de la nature constitue une menace existentielle”, précise le chorégraphe impliqué.  Alors ces pétales noirs qui s’exposent sur les murs, qui sont portés comme des flambeaux funestes ne sont-ils pas l’emblème glaçant et discret de l’extinction en cours ? Chez Malandain, la dénonciation s’énonce avec une rare élégance.

La scénographie imaginée par Jorge Gallardo (qui signe également les costumes) reste identique du début à la fin, mais par un savant dispositif de lumières et d’éclairages (de François Menou), la boîte couverte de grande feuilles noires aux nervures dessinées, se détache soit sur un fond clair, aérien et lumineux ; soit au moment des séquences intimistes sur un fond mat et noir qui l’assimile à un vaste cabinet fermé. De quoi mieux détacher la silhouette cursive des corps en solo ou en pas de deux, affublés d’une immense palme / nageoire qui prolonge le bras et dessine de formidables arabesques texturées aériennes. Se détache en particulier ce soir la silhouette élastique du danseur Hugo Layer, d’une élégance souple continue, au corps fluide comme touché par la grâce (dans un éblouissant premier solo avec la longue palme noire / Printemps de Guido) ; il est rejoint ensuite dans une nouvelle variation de ce costume, dans l’Automne du même Guido, aux côtés de Patricia Velasquez et de Raphaël Canet. Le trio ainsi constitué est la clé de ce ballet fascinant.

Crédit Photo © Olivier Houeix

Ailleurs, le travail de Thierry Malandain se dévoile pertinent dans le traitement du corps de ballet, dont le nombre – jusqu’à 22 danseurs sur scène -, permet de multiples combinaisons formelles : groupes en miroir, rondes ritualisées qui s’accordent entre autres aux convulsions rythmiques de la partition vivaldienne. En fusionnant écriture contemporaine et vocabulaire classique (nombreux portés), Thierry Malandain montre combien le thème du groupe en mouvement l’inspire ; et ce n’est pas la rythmique continue de Vivaldi qui l’arrête, bien au contraire. Le chorégraphe biarrot démontre une évidente maîtrise du ballet, comme intelligence collective, éclatée, synchronisée, dont il déduit plusieurs tableaux impressionnants. 

Aux Saisons de Guido, ainsi alternées, le chorégraphe réserve aussi des pas à quatre qui s’apparentent chacun à une conversation courtoise, parfaitement symétrique. On aurait ainsi tort de minimiser l’œuvre de Giovanni Antonio Guido ainsi outrageusement (pour certains) confronté au génie Vivaldien. En réalité, les Saisons de Guido, Suite de danses subtilement contrastées, pourraient bien être antérieures à celles du Prete Rosso, créées dès 1716 pour l’inauguration de l’ensemble décoratif sur le même thème peint par Antoine Watteau, pour l’hôtel parisien du sieur Pierre Crozat, Trésorier de France et grand mécène.

Thierry Malandain produit ici un ballet qui touche et captive par sa fabuleuse énergie, son esthétisme aigu et affûté… jusqu’au finale, où toute la troupe arbore ces palmes noires virevoltantes, animées, en une nuée évanescente qui semble flotter au dessus des corps en rotation : claire évocation du grondement des vents, tels qu’ils sont alors suggérés par Guido dans la séquence finale de l’Hiver. Virtuose, raffiné, sensible autant que spectaculaire. Indubitablement une des plus belles créations de Thierry Malandain !

 

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 CRITIQUE, danse. LIMOGES, opéra, les 6 et 7 novembre. Thierry Malandain : « Les Saisons » (d’après A. Vivaldi et G. A. Guido). Malandain Ballet Biarritz / Orchestre symphonique de l’Opéra de Limoges / Stefan Plewniak (direction). Toutes les photos © Olivier Houeix

 

VIDEO : Trailer des « Saisons » de Thierry Malandain (d’après Vivaldi et Guido) par le Malandain Ballet Biarritz

 

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