Belle entrée en matière que cette Valse de Mel Bonis en ouverture qui intègre au seins des pupitres de cuivres, de jeunes musiciens dans le cadre d’élèves d’Orchestre à l’école, tremplin pour les futurs instrumentistes. Transmission, professionnalisation sont concrètement mis en œuvre. A l’instar de ce soir, chaque concert devrait réaliser ce dispositif exemplaire.
photo : l’Orchestre Lamoureux, concert Sévère, Bruch, Moussorgski © classiquenews TV
Puis l’Orchestre Lamoureux accueillent deux solistes au tempéraments accomplis et ce soir très complémentaires, dans deux œuvres associant l’alto et la clarinette : Adrien La Marca et Raphaël Sévère ; d’abord le double concerto de Max Bruch, aux élans passionnels Brahmsiens, entre gravité et classicisme ; la ductilité expressive, l’écoute en partage entre les deux solistes, leur souci d’une articulation fluide et naturelle produisent un remarquable flux sonore et expressif dont de magnifiques phrasés.
Après la pause, le clarinettiste Raphaël Sévère créée ensuite en complicité avec le même altiste sa propre partition « Phoenix », splendide immersion dans des univers plutôt sombres voire énigmatiques et suspendus auxquels les musiciens de l’Orchestre Lamoureux apportent couleurs et accents ciselés.
La pièce phare du programme de ce dernier concert de la saison 2024 – 2025 sont les 10 séquences des Tableaux d’une exposition de Moussorgksi (« Promenades » exceptées) auxquels l’orchestration de Ravel apporte le raffinement espéré, entre ampleur, expressivité, là aussi et d’une conception superlative, en couleurs et timbres associés. Élaboré en 1922 à la demande du chef américain Serge Koussevitzki, la version conçue par Ravel est de l’or et du miel pour tout orchestre, un véritable coup de génie qui fait passer les pièces originelles (laissées par Moussorgski dans leur version piano), d’un canevas brut mais hyperexpressif déjà, à un sommet de souffle et de caractérisation orchestrale ; les climats contrastés, la plasticité ininterrompue des séquences jonglent avec les caractères les plus variés : poétique et terrifiant, intime et sombre, murmuré et lugubre, féerique puis terrifiant, animé insouciant et grimaçant démoniaque… A travers des épisodes aussi dramatiques, auxquels Ravel apporte le sublime raffinement de sa parure instrumentale, la partition permet à l’Orchestre d’exprimer tour à tour une palette d’accents et d’ambiances d’une grande originalité laquelle ne s’explique que par la propre fascination de Moussorgski, d’autant plus que le compositeur russe, visiblement très inspiré par les tableaux de son ami peintre et architecte Viktor Hartmann, réalise aussi un agencement et une succession riche en surprises, distorsions hallucinées, contrastes âpres voire brutaux.
Avec une baguette de plus en plus précise et ferme, Adrien Perruchon sculpte la matière orchestrale et ses brillants effets en s’appuyant sur toutes les ressources des musiciens de l’Orchestre Lamoureux. On suit le parcours de l’exposition hommage en ne perdant aucune tension ni aucune subtilité expressive ; chaque tableau produisant chez Moussorgski, une manière de vision puissante, souvent saisissante qui exige de chaque instrumentiste ; le tout dans un cadre dramatiquement percutant qui traverse les sujets et leur atmosphère dans la caractérisation requise…
Les instrumentistes font chanter leurs instruments délivrant le formidable livre d’images attendu : des rictus du gnôme boiteux et sarcastique (le casse-noisette Gnomus), au chariot de Bydlo qui se meut tel un pachyderme monstrueux (superbe solo de Tuba), comme une marche aux couleurs militaires (les 2 caisses claires), sans omettre ce terrifiant féerique des « Catacombes » où brillent les instruments d’une fanfare percutante et large (trombones, cors, …) à laquelle répond les appels célestes, suspendus de la harpe. Même dans le tendre facétieux et insouciant (« Ballet des poussins dans leurs coques »), l’agilité trépidante et espiègle (« Tuileries »), le truculent délirant emporté dans un grand crescendo impérieux (« la Cabane sur des pattes de poules » qui est la demeure de la sorcière Babayaga), chef et instrumentistes déploient une sensibilité expressionniste en phase avec les défis de l’écriture de Moussorsgki comme de l’orchestration de Ravel.
Outre sa générosité et l’équilibre dans le choix des œuvres jouées, le programme s’inscrit idéalement dans l’histoire même de l’Orchestre Lamoureux en créant une pièce contemporaine, ce soir signée du clarinettiste Raphaël Sévère. On sait combien la phalange (à l’époque « les Concerts Lamoureux ») ont œuvré pour la création musicale à commencer par … Ravel justement dont l’Orchestre parisien a créé plusieurs œuvres (dont le Concerto en sol en 1932) ou Wagner dont l’Orchestre crée le premier acte de Tristan (en mars 1884), suscitant alors l’admiration de Debussy… puis Lohengrin (en version de concert en mai 1887, sous la direction de Charles Lamoureux). Suivra entre autres pièces majeures, L’Apprenti sorcier de Dukas en 1899 sous la direction de Camille Chevrillard…
Au moment où nous concluons cet article, l’Orchestre Lamoureux vient de mettre en ligne sa nouvelle saison 2025 – 2026, incontournable cycle à venir dans lequel s’inscrit entre autres, les célébrations du 150ème anniversaire Ravel (et à la clé une expérience immersive dans l’orchestre)… : https://orchestrelamoureux.com/~orchestrgy/site/wp-content/uploads/2025/06/OL-brochure2025-26.pdf
photo © classiquenews TV 2025
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CRITIQUE, concert. La Seine Musicale (Auditorium Patrick Devedjian), Ile Seguin – 92100 Boulogne-Billancourt, le 7 juin 2025. Bonis, Bruch, Sévère (Adrien La Marca, alto / Raphaël Sévère, clarinette), Moussorgski (Tableaux d’une exposition, version Ravel), Orchestre Lamoureux, Adrien Perruchon (direction).
Programme
Mel Bonis, Valse
Ouverture du concert avec les élèves d’Orchestre à l’École
Raphaël Sévère, Phoenix, pour clarinette, alto et orchestre (création française)
Max Bruch, Double concerto pour clarinette, alto et orchestre
Modest Moussorgsky, Les Tableaux d’une exposition (Orchestration de Maurice Ravel)