Compte rendu, opéra. Metz, Opéra-Théâtre de Metz Métropole, le 1er février 2019. Puccini : Tosca. José Miguel Pérez-Sierra / Paul-Emile Fourny. Il en va de Tosca comme de la Traviata ou de Carmen : éternellement jeunes, ce sont des amies de longue date dont on croit connaître tous les secrets, et que l’on retrouve toujours avec bonheur comme avec appréhension. La surabondance de propositions est loin d’en avoir épuisé la richesse. Une nouvelle preuve nous en est donnée avec la production que signe Paul Emile Fourny pour l’ Opéra de Metz. Plus que beaucoup d’ouvrages véristes, l’efficace drame de Sardou se prête à la caricature expressionniste, au Grand-Guignol. Ici, le refus de transposition ou d’actualisation de l’intrigue se conjugue à la volonté de dépasser l’anecdote pour concentrer toute l’attention sur les principaux acteurs, broyés tour à tour par le drame.
TOSCA DE CLASSE
Le classicisme de la vision, mûrie, décantée, donne une force singulière à l’ouvrage, tout en contenant le pathétique de la situation. La qualité rare des costumes, servant chaque personnage avec raffinement et efficacité, mérite d’être soulignée. Ceux de Tosca, évidemment, comme ceux des spadassins de Scarpia, ou des choristes et des ecclésiastiques au finale du premier acte. La mise en scène évite la vulgarité, l’outrance. Elle fourmille de propositions bienvenues, ainsi les finales des actes extrêmes : l’explosion, la désagrégation des portiques du fond de scène renvoient à la disparition, à l’engloutissement par le néant de Tosca, au terme de l’opéra. L’usage pertinent de la vidéo est une belle leçon d’intelligence, alors que l’on est trop souvent témoin de débauches d’effets spéciaux, qui altèrent le sens de l’ouvrage. On est très loin de la théâtralité de Sarah Bernhardt : la direction d’acteurs cultive le naturel, tout est juste. Seul artifice, les quatre acteurs principaux sont discrètement doublés par des personnages muets, silhouettes neutres, le plus souvent impassibles, qui s’animent lentement durant la chanson du pâtre, après que le double de Tosca ait redressé le corps de Scarpia sur son bureau, le meurtre accompli. La mise en scène s’autorise aussi quelques libertés avec deux personnages secondaires. Le pauvre sacristain, ici ensoutané, plus glouton que famélique, et le pâtre, dépourvu de tout caractère populaire et bucolique. Mais là n’est pas l’essentiel : si l’œil est comblé, il en va tout autant de l’oreille.
La distribution est homogène, de chanteurs se connaissant bien, accoutumés au jeu collectif. Francesca Tiburzi, familière du rôle bien que jeune, est une authentique soprano dramatique, au medium puissant, avec de solides aigus, vaillants jusqu’au contre-ut, assortis des beaux graves (le parlando au finale). Voix sonore, à la conduite admirable, dépourvue des minauderies – fréquentes au premier acte – pour la plus large palette expressive, des piani, des mezzo-voce aux bouffées de passion, à la révolte. Les récitatifs du premier acte imposent sa riche personnalité, attachante. Le « Vissi d’arte », attendu, lui vaut un triomphe mérité, soutenant la comparaison avec les références que chacun a dans l’oreille. Michele Govi est Scarpia, personnage central du drame. Si la première apparition au milieu de la fête à l’église du détestable tyran et prédateur manque un peu de noirceur et de brutalité, celle-ci et la violence érotique de l’ homme du monde s’affirmeront, vocalement et dramatiquement jusqu’à sa disparition, sans trivialité ni outrance. La voix est solide, tranchante comme insinuante, bien timbrée. Le Mario Cavaradossi qu’incarne Florian Laconi confirme toutes les qualités du ténor. L’émission est généreuse, colorée, et le personnage est convaincant, de sa passion pour Tosca, de son engagement républicain (les « Vittoria, vittoria » à l’annonce de la victoire de Bonaparte), de sa vaillance héroïque jusqu’au sacrifice de sa vie. L’animation des premiers dialogues, puis le « Recondita armonia », attendu, sont autant de bonheurs. Mais c’est encore dans le lamento de la lettre qu’il écrit avant son exécution, « E lucevan le stelle », que l’émotion nous étreint le plus. L’introduction orchestrale, avec la clarinette qui l’accompagnera sont exemplaires. Nul maniérisme, nulle affectation, la sincérité la plus touchante. D’une stature imposante, d’une voix aussi étonnante, Jean Fernand Setti est un remarquable Angelotti. Julien Belle nous vaut un sacristain bigot et sautillant, vocalement irréprochable. Spoletta (Scott Emerson) a la voix aigre, ce qui ne dérange aucunement compte-tenu de sa fonction, détestable. Les autres petits rôles remplissent fort bien leur office. Toute cette équipe est conduite avec maestria, sans esbrouffe, par José Miguel Pérez-Sierra. Nerveuse, contrastée à souhait, lyrique sans jamais être sirupeuse, bien articulée, sa direction fait merveille. L’Orchestre National de Metz, le chœur de l’Opéra comme celui des enfants du Conservatoire de région ne sont qu’un pour donner le meilleur d’eux-mêmes. La richesse d’écriture, l’orchestration somptueuse de la partition sont mises en valeur par la lecture qui en est donnée : de la poésie, de la tendresse, mais aussi de l’animation, des tensions qui s’exacerbent, des progressions conduites de main de maître, tout est là.
Le public, d’un enthousiasme rare, ovationne longuement tous les acteurs de cette incontestable réussite, qui mérite pleinement une captation, permettant de revivre et de partager ce moment fort.
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Compte rendu, opéra. Metz, Opéra-Théâtre de Metz Métropole, le 1er février 2019. Puccini : Tosca. José Miguel Pérez-Sierra / Paul-Emile Fourny. Crédit photographique : © Luc Berteau. Légendes : Scarpia à l’église (Acte I, finale) / Scarpia – Tosca / Mario et Floria Tosca