COMPTE RENDU, ballet. La Folia de Mourad Merzouki. Le Concert de l’Hostel-Dieu / Franck Emmanuel Comte (direction). Les Nuits de Fourvière, le 4 juin 2018. Après un prélude cosmique, la basse obligée prend la parole et organise en rythmes baroques ce qui semblait être jusqu’alors une colonie mêlée, confuse… de corps et de sphères. Mais si le verbe agit, la musique envoûte et séduit… elle canalise le flux et bientôt tout s’organise par la danse, véritable transe souveraine qui désormais dirige les mouvements du corps de danseurs : la chorégraphie peut naître et s’épanouir. Tandis que surgit depuis une grosse citrouille, -lanterne magique aux contours surréalistes à la Jérôme Bosh-, la voix de la soprano Heather Newhouse entonnant sa mélodie entêtante, hymne sensuel à la folie : qui peut dire qu’il n’est pas fou ? ; ainsi les huit musiciens du Concert de l’Hostel Dieu en parfaite harmonie /dialogue avec les danseurs (dix-sept danseurs de la Compagnie Käfig), expriment le jeu libératoire de la folie musicale. C’est l’équilibre du monde qui est en jeu : d’où cette terre sphérique que porte le danseur, dont la rotation semble incertaine, soumise à des forces qui la rendent exposés, fragile, au bord du précipice.
Comment ne pas penser alors au désordre planétaire qui est le nôtre ? Et comment ne pas penser le cycle musical joué comme la nostalgie d’une société harmonieuse, celle d’un globe qui aurait retrouver son axe ? En de nombreuses reprises et séquences, les danseurs tournent et dansent autour du globe : à droite puis à gauche en quête d’une direction ; c’est bien l’état de notre monde en quête d’un cap et d’un sens qui se profile en filigrane… Sauf que le ballon finit par éclater. Voilà qui en dit assez long sur les risques que nous encourrons si nous ne changeons pas de direction… Et la soprano ramasse la baudruche, telle la prophétesse / Cassandre d’une catastrophe / d’un cataclysme annoncé(e).
Danse et baroque poétique, au secours
d’un monde en quête d’équilibre
Sur l’air de l’hiver de Purcell (King Arthur), les musiciens accompagnent et rythment les dernières convulsions des danseurs couchés comme à l’agonie, impuissants, démunis. Défaits. En fait il ne s’agit pas de l’air du froid de Purcell, mais plutôt de l’Adagio du Concerto RV 578 du même Vivaldi. Etonnante parenté et bouillonnante créativité du Pretre Rosso, à nouveau dévoilée par le travail musicologique de Franck Emmanel Comte. C’est d’ailleurs un voyage musical très fouillé que permet le spectacle (voir la playlist ci dessous), compilation et arrangements réalisés de façon inédite par le fondateur et directeur musical du Concert de l’Hostel-Dieu (l’enregistrement de la bande son du ballet Follia paraîtra en fin d’année 2018 chez 1001 Notes).
Puis Franck Emmanuel Comte et ses partenaires passent aux Quatre Saisons de Vivaldi, avec un art flexible de l’enchaînement : ils creusent les pulsions qui s’emparent des corps avant que ne s’affirme une séquence infernale de figures sur un trampoline. Vivaldi toujours embrase le corps de la danseuse seule sur la piste élastique, corps ritualisé, en figures convulsives qui chute, et toujours se redresse… avant de glisser sur le cercle quasiment redressé, défi à l’apesanteur.
La valeur du spectacle réside dans la fusion réjouissante de la musique et de la danse, cette dernière suscitant le relief des tableaux, auxquels les instruments apportent l’étincelle poétique, la motricité rythmique (tarentelle enfiévrée dans laquelle les danseurs portent la chanteuse tandis que deux danseuses sur pointes semblent parodier toute l’histoire du ballet classique, avec une verve parodique irrésistible).
Equilibre des sphères, équilibre des danseurs… le parallèle est éloquent et fonctionne à merveille. Et lorsque le thème même de la Folia prend son essor, les deux violonistes s’emparent de la scène ; les meilleurs danseurs de hip-hop, tête en bas font virevolter leur corps comme des toupies en quête de rotation : la virtuosité enchaînée inscrit de sublime façon, le langage de la danse contemporaine et urbaine dans l’écrin du baroque classique. La séquence est admirable (à partir de 41:15 / dans la captation visible sur Arte Concert jusqu’en juin 2019). A couper le souffle par sa puissance poétique.
Enfin, dans un rythme bien géré, le spectacle alterne danse pure, transe instrumentale, chant enivré ; tout se déroule avec beaucoup de subtilité, laissant toujours la part à la fantaisie poétique. Joute des 2 violonistes en fureur, exaltation des corps en transe qui les suivent dans les rythmes vivaldiens échevelés : dans une gestuelle de plus en plus affirmée, le spectacle va vers sa résolution car la la folie libère. Elle prépare à un nouvel ordre festif (tableau final collectif avec derviche tourneur).
Pizzicati et cordes pincées sur le fil de plus en plus tendu (aigu) : trois danseurs (dont une danseuse avec chaussons pour les pointes) évoquent les élans du cœur partagés à la façon d’une séquence allégée, resserrée de commedia dell’Arte. La fusion du chant, de la danse, des instrumentistes est particulièrement soignée. Savant métissage entre hip hop, chaconne et tarentelle baroques, le spectacle est un retour régénéré à cette hybridation réjouissante des styles, urbains, contemporains et danses baroques, déjà abordée par Mourad Merzouki en 1998, il y a 20 ans (dans « Récital »). La saveur particulière de l’orchestre sur instruments anciens (surtout cordes en boyau) rétablit cette fragilité et cette tension spécifiques qui accordée aux mouvements des corps dansants, créent le grand frisson du spectacle vivant. Les noces du Baroque et de la danse n’ont jamais été aussi justement associées. Combinaison magistrale.
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COMPTE RENDU, ballet. La Folia de Mourad Merzouki. Le Concert de l’Hostel-Dieu / Franck Emmanuel Comte (direction). Les Nuits de Fourvière, le 4 juin 2018 – spectacle à voir sur ARTE Concert jusqu’au 5 juin 2019
https://www.arte.tv/fr/videos/082953-000-A/folia-de-mourad-merzouki-aux-nuits-de-fourviere/
La FOLIA
Direction artistique et arrangements : Franck-Emmanuel Comte
Musiques électroniques : Grégoire Durrande
Heather Newhouse, soprano
LE CONCERT DE L’HOSTEL-DIEU
Reynier Guerrero et Florian Verhaegen, violons
Aude Walker-Viry, violoncelle
Nicolas Muzy, théorbe et guitare
Nicolas Janot, contrebasse
David Bruley , percussions
Franck-Emmanuel Comte, clavecin, orgue et direction
PLAYLIST du Ballet FOLIA
La Playlist
1. Tarentella, Santiago de Murcia (1673-1739) (Codex Salivar Mexico)
2. « Yo Soy Locura », air de Henry Le Bailly (158? – 1637)
3. Tarentelles napolitaines, Anonyme
4. « La Carpinese », tarentelle, Anonyme
5. Adagio, extrait du Concerto RV 578, Antonio Vivaldi (1678-1741)
6. « Cum dederit », air Largo extrait du Nisi Dominus RV608, Antonio Vivaldi
7. La Cicerenella, Tarentelle napolitaine, Anonyme
8. Sonate en trio RV 63 La Folia,, Antonio Vivaldi
9. « Sento in seno », aria extrait de Tieberga, opéra perdu de Antonio Vivaldi
10. « Si Fulgida » aria extrait de Juditha Triumphans RV644, Antonio Vivaldi
11. Cachua Serranita, Anonyme (Codice Trujillo del Perù,1713)
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AGENDA : La Follia, en tournée – les prochaines dates du programme musical La Follia (sans chorégraphie) par Le Concert de l’Hostel-Dieu (Franck-Emmanuel Comte, direction)
12 juillet 2018
Festival Saoû chante Mozart (26)
19 juillet 2018
Les Concerts de Vollore (63)
20 juillet 2018
Festival de l’été Mosan (BE)
7 septembre 2018
Concert privé à Saint Rémy de Provence (13)
+ d’infos sur le site du CONCERT DE L’HOSTEL-DIEU / page FOLLIA 2018