CD, critique. Sibelius : Symphonie n°1, En saga (Gothenburg Symphony, Santtu-Matias ROUVALI, 1 cd Alpha 2018). Voilà un vrai travail d’orfèvre tissant une tapisserie de timbres, à la fois lyrique et rageuse. Si certains continuent d’estimer l’œuvre comme la célébration par Sibelius de sa Finlande chérie, alors menacée par l’Empire russe (création en avril 1899), inspiré et plus universel, le chef finlandais Santtu-Matias ROUVALI sait traduire une dimension qui sait dépasser l’occurrence politique : il insinue dans l’écriture cette énergie première, gorgée d’éclairs naturels et de sursauts organiques. D’emblée, grâce au chef, nous sommes dans la matrice bouillonnante des éléments. Sur le motif.
Ainsi au début de la Symphonie n°1, la clarinette, au tragique pastorale, d’une intense dignité, chante les souffrances et l’éternité inatteignable de la Nature. Le chef creuse tout ce qui rend à cette partition princeps, sa profondeur et son introspection.
Cordes exaltées, bois parfois âpre (bassons),tutti tendus, vitalité ardente et portés par une énergie éperdue… Rouvali prend à bras le corps l’activité primitive des éléments qui semblent traverser les pupitres en élans faussement incontrôlés.
Sibelius : le premier écologiste
Santtu-Matias ROUVALI, chantre de la prière sibélienne
L’écriture est une prière exacerbée face à la Nature dans toute sa sauvagerie ; Sibelius exprime son admiration parfois inquiète, surtout animé par un désir supérieur, une exaltation qui se hisse au diapason de la tempête victorieuse. Sibelius observe et comprend de l’intérieur l’immensité de la Nature (cor et harpes, flûte) : son mystère, son essence miraculeuse. Une connivence s’inscrit et s’enfle au fur et à mesure de l’avancée du premier mouvement qui passe d’Andante non troppo… à Allegro energico.
Ici règne la gravité du dernier Tchaikovski (dernière mesure au contrebasses), avant l’émergence des cimes et des hauteurs plus mélancoliques du second mouvement.
Ainsi l’Andante (ma non troppo lento) est articulé avec une rondeur mordante, une belle sincérité qui vient elle aussi des replis du cœur, telle une chanson ancienne qui fait vibrer le sentiment d’une nature enchantée… en une cantilène instrumentalement détaillée qui montre tout ce que l’éloquence enivrée de Sibelius doit aux… russes. Ce qui est prenant c’est le sentiment d’une tragédie en cours, celle d’une nature sacrifiée et pourtant d’une ineffable beauté. Cette vision, et tragique et épique, prend corps dans les fabuleux arpèges des cordes, bouillonnants, éperdus.
Le Scherzo est abordé pour ce qu’il est : une scansion et une frénésie superbement mécanique, dont la verdeur ici captive. Enfin
le dernier mouvement plus agité, radical, dramatiquement très marqué par Tchaikovski là encore, exprime une inquiétude presque angoissée (lugubre des bassons, romances éperdues des cordes graves…)
Il y met une touche d’humanité, un panthéisme blessé : Sibelius souffre avec la Nature en son sein, et non à l’extérieur, comme en une distanciation asséchante. Au contraire, nous sommes au cœur des éléments. Dans le vortex où se jouent les transformations irréversibles ; comment ne pas inscrire cette vibration et cette conscience affûtée dans le chaos climatique qui est le nôtre, causé par la folie humaine ?
Sous la baguette intense mais nuancée et très détaillée de Rouvali, Sibelius semble réussir là où Tchaikovski nous avait laissés ; les lumières permises par le finnois font espérer une clarté filigranée et très vacillante chez le Russe (Pathétique, n°6) ; l’andante final de Sibelius autorise une issue difficile mais présente. Mais dans la difficulté et la souffrance. La fin est une rémission presque arrachée ; pas une victoire. Une vraie question laissée en suspens.
En saga : orchestration et couleurs se rapprochent plutôt de Moussorgski mais mâtiné d’impressionnisme ravélien. Là encore Sibelius exprime une activité invisible secrète, au souffle prenant. La narration qu’en offre Rouvali saisit par sa précision, et un vrai travail d’orfèvre sur le plan de la texture instrumentale, tout en soignant l’éclat et la vitalité des séquences plus rythmiques.
Moins lyrique que Bersntein peut-être, Rouvali n’oublie pas aux côtés de sa précision, un souffle et une tension qui enflamment chaque tutti, révélant aussi dans cette activité flamboyante, des accents wagnériens. Le chef exprime le mystère sauvage et la force de la nature, la beauté grandiose et fragile, c’est à dire inexprimable de l’animal (un lynx sur un arbre dans le paysage de neige peint sur le même titre par son beau-frère Eero Järnefelt ?).
En 1893, Sibelius est encore très narratif, mais dans cette très fine et scintillante écriture, à partir de 13’, il sait transmettre le cycle éternel, la transe primitive du miracle naturel. A l’homme de savoir en mesurer l’énergie rédemptrice, matricielle. De toute évidence, dans ce crescendo final, d’une intensité irrépressible, Rouvali l’a bien compris. Le chef fait entendre cette vibration première. Jusque dans le chant conclusif de la clarinette, extinction énigmatique. Superbe lecture et belle compréhension de l’univers symphonique de Sibelius. On souhaite une suite et on rêve d’une intégrale des Symphonies de Sibelius par ce chef et cet orchestre… aux qualités évidentes. Leur sincérité nous touche. Voilà qui préfigure le meilleur ? A suivre…
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Cd, critique. Sibelius : Symphonie n°1, En saga (Gothenburg Symphony, Santtu-Matias ROUVALI, 1 cd Alpha 2018 – Orchestre Symphonique de Gothenburg / Enregistrement réalisé à Gothenburg, en mai 2018.
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