CD critique. RAMEAU : Dardanus, 1744 (Orfeo Orchestra, Vashegyi, 2 cd Glossa, 2020) â EnregistrĂ© au MĂPA, le principal centre de concerts de Budapest, en mars 2020, cette nouvelle lecture de Dardanus de Rameau, opĂ©ra hĂ©roĂŻque et fantastique du gĂ©nie Baroque français (créé en nov 1739 avec le lĂ©gendaire JĂ©lyotte dans le rĂŽle-titre, futur crĂ©ateur de PlatĂ©e en 1745âŠ), confirme Ă©videmment le souffle dramatique du chef György Vasgeyi dont classiquenews suit pas Ă pas les rĂ©alisations discographiques : aucun doute le maestro maĂźtrise la veine ardente, noble, expressive de Rameau sans omettre son sens premier de lâorchestre, son goĂ»t des timbres instrumentaux, surtout la vitalitĂ© organique des divertissements et des ballets qui leur sont associĂ©s : lourre, rigaudons, menuets, tambourins des Phrygiens qui occupent et ferment lâaction du III / menuet, musette, contredanse enfin chaconne finale, dans la tradition de Lully depuis le XVIIĂš, qui concluent le VâŠ);
Maestro Vashegyi insuffle Ă Â lâouverture une ampleur symphonique dĂ©voilant le Rameau dramaturge, le grand architecte de la scĂšne lyrique, le magicien des sons qui outrepasse le prĂ©texte narratif du livret (en particulier quand paraĂźt IsmĂ©nor qui commande aux forces infernales Ă lâacte II) et explore une palette de couleurs et de rythmes jamais conçus Ă son Ă©poque. La version retenue est celle de 1744.
La lecture bĂ©nĂ©ficie dâune distribution virile solide : Teucer /IsmĂ©nor (Thomas DoliĂ©), AntĂ©nor (Tassis Christoyannis) et surtout Dardanus auquel le timbre brillant du tĂ©nor Cyrille Dubois apporte une tendresse vaillante. Ouvrant lâacte IV et marquant ainsi toute la partition, sa plainte comme prisonnier exprimant le gouffre de la douleur atteint une sincĂ©ritĂ© directe grĂące au style dĂ©pouillĂ© du soliste français ; dommage cependant que le chant s’ Ă©paissit d’un maniĂ©risme pathĂ©tique parfois trop appuyĂ© (Ă©cart plus romantique que baroque) qui rend ainsi le texte souvent inintelligible : cette scĂšne est pourtant lâune des plus saisissante de tout lâopĂ©ra français du XVIIIĂš, entre dĂ©sespoir, hallucination, cauchemar Ă©veillé⊠RAMEAU y glisse une claire critique contre l’enfermement dĂ©cidĂ© par l’arbitraire, la dĂ©fense de cette libertĂ© absolue qu’il chĂ©rit en digne fils des LumiĂšres (un sujet quâil traite jusque dans son dernier opĂ©ra Les BorĂ©ades oĂč il dĂ©nonce la tortureâŠ). Le duo qui suit avec Ismenor, exprimant Le triomphe de la lumiĂšre sur les tĂ©nĂšbres de la geĂŽle prolonge cette quĂȘte libertaire. D’ailleurs tout l’acte IV tend vers la lumiĂšre, direction quasi maçonnique. Ce quâapprofondit encore et dĂ©ploie l’enchaĂźnement des Ă©pisodes de l’acte V quand VĂ©nus fait rĂ©gner l’empire de l amour, transformant le lieu carcĂ©ral en rive de CythĂšre.
Dardanus, hĂ©ros des LumiĂšres, sait pardonner Ă son rival tutĂ©laire Teucer, grĂące Ă lâamour quâĂ©prouve pour lui la fille de ce dernier, Iphise (dĂ©cevante Judith van Wanroij Ă la voix mĂ©tallisĂ©e, Ă lâarticulation poussive, bien peu naturelle). Pour le reste, lâĂ©lĂ©gance et le sens du dĂ©tail comme le geste imaginatif du chef atteint un haut niveau artistique qui inscrit la rĂ©alisation parmi les meilleures versions discographiques, ce malgrĂ© les faiblesses des autres solistes. Ici lâorchestre fait tout, en particulier dans la succession des tableaux chorĂ©graphiques de conclusion.