CD, critique. PRÆLUDIO : Patrick Langot, violoncelle (1 cd Klarthe Records). Le geste et la performance sont au cœur de ce programme réjouissant. Patrick Langot croise Gabrielli et Gubaidulina, enchante Menut à l’aulne de Bach, en une éloquence critique et poétique… superlative. Les Gubaidulina (10 Études de 1974) imposent la matérialité mordante, âpre, rugueuse de l’instrument, sa physicalité brute, hurlante, surexpressive dont l’interprète joue allègrement et en contrastes. Comparé aux arabesques fluides et coulantes des 7 Ricercari de Gabrielli (conçus à la fin du XVIIè soit 3 siècles auparavant), inventeur entre Bologne et Venise d’une certaine éloquence soliste pour le violoncelle, les 10 Préludes / Études de Gubaidulina, ainsi enchâssés, produisent par contrastes et dialogue avec le compositeur baroque, une surenchère qui interroge la musicalité ; jusqu’à éprouver la vocalité de l’instrument. Tout est syncopes, cris, spasmes jusqu’à la section VIII. « Arco – pizzicato » – plage 14, qui semble s’approprier le discours baroque en une hallucination éruptive. Le IX creuse davantage le sens et le discours des cordes en bonds et rebonds élastiques / énigmatiques, d’une infinie résonance, jusqu’au delà de la vibration et de la phrase. L’arche sonore s’étire, se détend en questions posées d’une indicible motricité.
Même s’agissant de JS BACH, de ses Préludes BWV 1007 à 1012), Gubaidulina semble questionner directement le sens et l’architecture du génie de Leipzig, tant dans l’alternance des deux modes de jeu qu’elle a choisi, l’illusion de la polyphonie renvoie directement à l’édifice et à la pensée même du Director Musices.
Gabrielli, Gubaidulina, Menut, JS Bach…
PRÆLUDIO : le geste suprême
du violoncelliste Patrick Langot
Tout circule avec un tact suprême, une intelligence flexible incarnée par l’expérience et la maîtrise du violoncelliste Patrick Langot dont ne saurait louer trop la sûreté du geste comme la cohérence du programme. Pratique historiquement informée, affinités contemporaines, interprétation et création… tout se répond et s’exalte dans ce parcours aux dialogues captivants ; tout sonne naturel, crépitant, idéalement pensé et investi de la part du violoncelliste. Il sait d’ailleurs maîtriser 3 violoncelles différents, chacun adapté au mieux aux enjeux expressifs et aux esthétiques sonores des 3 séquences.
Cette probité et cet engagement à servir la musique comme à « musiquer » (au sens de l’essai de Christopher Small, récemment édité en français par les éditions de la Philharmonie de Paris) sont pour nous … : exemplaires ; un accomplissement rare qui assoit davantage la ligne artistique du label Klarthe, plus que jamais aux côtés de l’interprète, de ses défis les plus personnels.
Bien sûr au cœur de ce cycle passionnant brille le gemme musical central « Postlude pour violoncelle solo » de Benoît MENUT (né en 1977) et qui en 2017, alors répondant à une commande du violoncelliste, réalise l’une de ses pièces les plus éblouissantes. Une ampleur de vue et une diversité d’intentions à la mesure du geste et des capacités de Patrick Langot.
De plus de 8 mn, la pièce fait elle aussi écho au répertoire baroque, à l’esprit et au développement des Ricercari ; comme sur un axe tournoyant, la partition s’inspire du principe répétitif de la basse obstinée, mais sait varier et s’engendrer à l’infini, en un flux kaléidoscopique, proprement vertigineux. Et pourtant rien de strictement virtuose ou soliloquant, mais un développement prenant et dramatique qui sous l’archer du violoncelliste, saisit, sidère, enchante… comme un vortex aux mouvements cinématographiques (fin répétitive sombrant dans le silence). Le déroulement relève de la transe et de l’ivresse, serties de questionnements multiples qui éprouvent encore et toujours, le chant et le sens de l’instrument. Enchaîné avec la sublime Suite en sol majeur BWV 1007, l’écoute est bouleversée : après l’esprit du chaos le plus mystérieux, surgit alors l’or de Bach, dans sa plénitude olympienne et sereine. Magistral déroulement, dû à un artiste accompli. Evidemment CLIC de CLASSIQUENEWS de mai et juin 2019.
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CD, critique. PRÆLUDIO : Patrick Langot, violoncelle (1 cd Klarthe Records) – Enregistrement réalisé en novembre 2017 à Paris. A noter la superbe prise de son d’Alban Moraud.
VOIR un extrait vidéo du cd PRAELUDIO :