CD, compte rendu critique. Vivaldi : Les Quatre Saisons (Gilles Colliard, 1 cd Klarthe, 2015). Encore une énième version des Quatre Saisons Vivaldiennes ? En vérité celle-ci compte indiscutablement ; pour sa conception exhaustive, combinant non sans raison, le verbe à la musique ; pour l’intégrité de sa réalisation instrumentale… à la faveur d’un excellent engagement de l’ensemble sur instruments d’époque, l’Orchestre Baroque de Barcelone, le chef et violoniste Gilles Colliard (récent directeur artistique de la phalange catalane depuis 2015) s’associe le concours d’un narrateur à l’éloquence discrète mais efficace, le journaliste sportif Nelson Monfort, plus habitué des plateaux télé et directs olympiques que des studios où s’enregistre la musique classique, … le chroniqueur s’affirme en diseur des textes que Vivaldi a conçu pour mieux comprendre l’enjeu de chaque Concerto composant le cycle entier. Le récitant précise le climat concerné, les séquences narratives qui lui sont associées : c’est un relecture des Saisons dans le texte poétique d’époque.
TRAME POETIQUE. On peut dès lors associer précisément chaque séquence climatique au prétexte narratif que Vivaldi avait à l’origine conçu, particulièrement doué d’un imaginaire fécond :
– joie des villageois réunis en kermesse pastorale « tendre et légère », orage toujours lointain, aboiements du chien (largo central) pour le Printemps ;
– brûlure étouffante d’un air chaud suffocant à l’énoncé des premières mesures de l’été (allegro non molto, le plus long des mouvements soit plus de 5mn) ; le compositeur n’oublie pas les nuées de moustiques sur fond d’orage lointain (adagio central)… jusqu’à ce que la tension palpable, accumulée alors se déverse en un torrent d’éclairs et d’orage menaçant (pour les cordes seules : fougueux Presto final, impétueux de l’été).
– la joie villageoise est de retour pour fêter l’automne, le temps des récoltes abondantes et nourricières, avant les délices de la sieste (formidable Adagio central). Pause réparatrice pour mieux réussir la chasse énoncée telle une marche au panache martelé au son du cor (allegro final).
– hiver hypnotique… Le plus réussi des Concertos demeure ici l’Hiver : froid saisissant et oppressant du vent du nord dans l’Allegro initial (cordes mordantes et persifflantes, aux couleurs aigres et incisives); puis ondulantes, dansantes et crépitantes mais a contrario, exprimant plutôt la chaleur brûlante des flammes du feu de cheminée (flexibilité onirique des cordes de l’Orchestre baroque de Barcelone). En poète esthète, Vivaldi fusionne finesse du violon et volutes et arabesques des patineurs sur la glace… avant que les vents dont le sirocco-, n’entrent en guerre, atteignant à une implosion recréatrice qui force l’admiration : véritable chaos regénérateur en guise de conclusion mobile.
Vivaldi dans le texte
Le chef, compositeur et violoniste Gilles Colliard signe une version des Quatre Saisons, indiscutable
Saisons subtiles et caractérisées
L’auditeur demeure saisi par la force emblématique des images climatiques et des loisirs humains évoqués, par la justesse des procédés expressifs que le compositeur vénitien a trouvé, pour en réaliser leur transposition musicale, combinant la subtilité et souvent l’inouï. Les interprètes savent ciseler la richesse dynamique liée à la maîtrise technique ; le violon de Gilles Colliard synthétise toutes les avancées de l’approche historiquement informée, en une lecture gorgée de vitalité saine, qui sait aussi murmurer et rugir, trépigner et s’alanguir, au diapason des atmosphères ténues dont Vivaldi a le secret.
L’éditeur prend soin de préserver les attentes de chacun : le cd comprend d’abord chacun des 12 épisodes (3 mouvements pour chaque saison) avec le commentaire, – les textes étant lus exactement au bon moment, – au début de chaque épisode pour en comprendre l’enjeu narratif et dramatique ; puis les Quatre Saisons sont jouées sans textes, – traditionnellement, afin que les puristes puissent se délecter de la musique et de l’interprétation, sans parasitage d’aucune sorte.
Chef violoniste et instrumentistes barcelonais défendent avec un réel sens des contrastes et des atmosphères chacun des Quatre Concertos. Le geste est sûr, onctueux et détaillé, trouvant d’un Concerto l’autre, ce lien continu qui nourrit la cohérence organique entre eux. Saluons le souci du chef compositeur Gilles Colliard (né à Genève en 1967) : partenaire de Gustav Leonhardt et de Christophe Coin, sa direction est affûtée, contrastée, d’un rare fini caractérisé (profondeur allusive des mouvements lents dont entre autres l’irrésistible adagio molto de l’Automne ou le volet central de L’Hiver…) : son charisme et sa fougue canalisée savent emporter voire souvent électriser les musiciens qui le suivent. L’énergie collective est magnifiquement mise en avant dans cet enregistrement qui s’avère de bout en bout très convaincant. L’enjeu de la partition est idéalement compris et mesuré : le prétexte textuel est évidemment présent dans l’écoute mais la réalisation des interprètes grâce à la justesse des instrumentistes savent atteindre à cette abstraction onirique qui fait de chaque Concerto, le volet d’un retable de musique pure. L’expressivité ardente supplantant ici la seule portée descriptive… Avant Beethoven et sa Pastorale (6ème Symphonie, comprenant elle aussi danses villageoises et orage fameux), Vivaldi éprouve jusqu’aux limites expressives de l’instrument à corde. Partie prenante de son recueil triomphal : « Il Cimento dell’armonia e dell’invenzione (opus 8, publié à Amsterdam en 1725), le compositeur démontre par son génie de la couleur combien harmonie et invention ne sont pas antinomiques mais bel et bien sœurs d’un art souverain à construire Dans ce sens, Vivaldi a atteint un chef d’œuvre d’une richesse poétique infinie, servie ici par des instrumentistes particulièrement inspirés.
Seule réserve : le concours de Nelson Monfort apporte le bénéfice du prétexte poétique, préludant à chaque développement musical. Dommage que la prise de son qui intègre la voix du narrateur / récitant ait été réalisée dans une prise trop réverbérante qui semble plaquer artificiellement la voix aux instruments.
CD, compte rendu critique. Vivaldi : Les Quatre saisons / Genesis. Version avec résitant / version musicale sans récitant. Nelson Monfort, récitant. Orchestre Baroque de Barcelone. Gilles Colliard, direction. Enregistrement réalisé à Barcelone en mai 2015. 1 cd Klarthe 012. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai et juin 2016.