jeudi 28 mars 2024

CD, compte rendu critique. BRUCKNER : Symphonie n°3, WAGNER : Ouverture de Tannhäuser / Andris Nelsons / Gewandhausorchester Leipzig ( 1 cd Deutsche Grammophon, Leipzig juin 2016).

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NELSONS andris cd critique cd review classiquenews CLIC de classiquenews Bruckner-Symphony-number-3-Wagner-Tannhauser-OvertureCD, compte rendu critique. BRUCKNER : Symphonie n°3, WAGNER : Ouverture de Tannhäuser / Andris Nelsons / Gewandhausorchester Leipzig ( 1 cd Deutsche Grammophon, Leipzig juin 2016). L’expérience à laquelle nous convie le chef letton Andris, – pas encore quadragénaire (né à Riga en Lettonie en 1978), est une immersion intelligente et réfléchie, de Bruckner à Wagner, d’autant plus pertinente et convaincante que l’ambition des effectifs requis ici n’écarte jamais le souci de précision claire, de sonorité transparente et riche. C’est même un modèle de finesse et d’élégance à mettre à présent au crédit d’un jeune chef superbement doué (on le connaît davantage dans une fosse d’opéra que comme maestro symphonique), dont le parcours discographique chez DG Deutsche Grammophon devra être suivi à présent, avec l’attention qu’il mérite… Le chef débute ainsi sa coopération à Leipzig comme directeur musical du Gewandhausorchester Leipzig,- fonction dédiée qu’il partage avec un poste équivalent à Boston (directeur musical du Boston Symphony Orchestra). Engagement et pourtant humilité, Andris Nelsons perpétue aujourd’hui cette abnégation pour la musique comme son mentor et maître (depuis 2002) : l’immense Mariss Jansons.

La Symphonie n°3 de Bruckner est une expérience d’abord spirituelle dont beaucoup de chef ratent la réalisation soit par incompréhension et lourdeur déclamatoire, soit par réduction des nuances instrumentales. Or il y a beaucoup de finesse et de sensibilité dans l’alternance et la dialogue continu entre les pupitres : cordes, harmonie, cuivres. Lettré mais jamais pédant ni abstrait, Andris Nelsons aborde les multiples et permanentes références de Bruckner aux opéras de Wagner, avec simplicité et franchise ; ainsi Tristan, bient présent et magnifiquement réassimilé, dans le tissu orchestral du second mouvement ; ainsi Tannhäuser dans le Finale, qui fait ainsi une transition / filiation parfaite avec l’ouverture wagnérienne qui suit.
En orfèvre des équilibres orchestraux, veillant à la lisibilité comme à la cohésion du format et de la balance sonore, le chef révèle en définitive tout ce qui fait de la 3è Symphonie de Bruckner, une « oeuvre fondamentale » dans laquelle après les deux premières, Bruckner trouve son écriture tout en demeurant dans le giron paternel, inspirant, de son modèle Wagner. La 3è fut un four retentissant lors de sa création viennoise : confirmation d’une incompréhension totale au sujet du Bruckner symphoniste. Andres Nelsons s’en montre un ambassadeur argumenté et affûté, wagnérien déjà accompli (cf son Lohengrin à Bayreuth en 2011 avec l’excellent ténor Klaus Florian Vogt)

Dès le début du premier mouvement (noté « Mehr langsam, Misterioso »), Nelsons exprime l’humanité du parcours, celui d’un croyant sincère, qui doutant de lui-même comme artiste comme de sa foi ne transigeait cependant pas sur les élans et l’ardeur qui portent toute la structure symphonique. Les multiples péripéties confiées aux pupitres des cordes, harmonie et aux cuivres, tour à tour, trouvent sous sa baguette, une évidence rhétorique, à la fois équilibrée et très détaillée. La somptuosité des timbres éblouit de part en part et confirme l’excellence artistique de l’orchestre de Lepizig. Sur le plan expressif et poétique, le chef parvient surtout à concilier les faux ennemis, de l’intimité et du colossal. Ainsi à 12mn17, au moment de la réitération grandiose du portique monumental qui semble écraser toutes les aspirations avant filigranées, l’orchestre résout tout conflits d’échelle, en déployant un somptueux mode intime d’une pudeur juste surprenante.
D’ailleurs la symphonie du moins dans ce premier mouvement alterne constamment entre l’expression d’une aspiration personnelle profondément et viscéralement inscrite dans la chair la plus enfouie de l’auteur, – invitation à un oubli suspendu extatique , et la présence terrifiante du colossal. C’est en relation avec l’être qui hésite et doute – propre de tout croyant qui se respecte, l’intime conviction et l’espérance enfouie confrontée à un destin voire une fatalité qui dépasse et submerge. L’épisode s’achève (et s’accomplit) en une série de fanfares puissantes et déclamatoires à l’énoncé irrésolu.

Le mouvement second – Adagio (coeur émotionnel du cycle), est murmuré dans la pudeur la plus intacte où percent les hautbois et les violons, gonflés, suractifs mais d’une rare finesse d’intonation; tissant une irrésistible sensualité vibrante, portée par les somptueux cors d’une noblesse infinie. Le chef joue là encore la transparence et la clarté faisant surgir le songe et le rêve, ainsi l’accent du hautbois lointain d’une lueur (solitaire, poétique) toute tristanesque. Bruckner ainsi suggère par étapes et jalons progressifs, déploie des trésors de sensibilité dans une pâte flamboyante dont Andris Nelsons parvient à capter la souple matière scintillante. Ses brumes wagnériennes éblouissant d’une intensité revivifiée, s’affirment dans le mystère. Dans le secret viscéral, moteur, central, qui n’appartient qu’à son auteur. Le souffle des cors structure tout l’épisode plus introspectif qu’au début, jusqu’à la dernière mesure énoncée, ténue basculant alors dans l’ombre.

Wagnérien accompli, Andris Nelsons s’affirme ici en Brucknérien subtil et profond

Le 3è épisode qui est le Scherzo, vif, contrasté permet enfin à la fanfare et aux cuivres pétaradants de revendiquer le premier plan, dans un sentiment de large insouciance. Les instruments comme libérés dialoguent avec les cordes : dont l’ivresse et la souple frénésie apportent libération et proclamation.

Le dernier épisode rééquilibre l’écriture dans le sens d’une valse élégante, magnifiquement insouciante elle aussi aux cordes, bientôt rattrapée par le pupitre des cuivres aux déflagrations spectaculaires à chaque assaut; avant que les trombones n’éclairent différemment le final dans le sens d’un mystère qui s’épaissit puis enfin, une libération collective, victorieuse et lumineuse à 12mn. Dans les quatre mouvements, dévoilant la 3è dans une version très équilibrée de 1888/89 (Leopold Nowak, moins longue que l’originale qui comporte quelques maladresses), la direction du maestro se fait subtile et intérieure, d’une humanité inquiète et sincère, miroir de la ferveur contradictoire de Bruckner lui-même : entre certitude et angoisse profonde, nostalgie enivrée et vertiges abyssaux.


TANNHAÜSER… Wagner, à la source. Evidemment jouer l’ouverture programmatique, plutôt resserrée et dense de Wagner pour Tannhaüser avec ce magnifique choeur des pèlerins, – et cette montée en triomphe que Nelsons traite en parsifalien avisé, – expression d’une révélation enfin comprise et assumée aussi, met en balance l’écriture du maître adoré (Wagner), construite, enivrée, d’une architecture progressive irrésistible, et celle de son « disciple » adorateur (Bruckner), qui en regard paraîtrait presque phraseur et « péroreur », trop dilué comme « bavard ». Mais c’est oublié l’élégance et la clarté et ce goût des timbres que défend le chef très inspiré. Habile, et mesuré, opulent et éloquent, Nelsons offre une somptueuse vibration des cordes, mise en dialogue avec la fanfare des cuivres d’une noblesse aérienne. Une telle acuité instrumentale détaillée rappelle l’éloquence et l’activité des poèmes symphoniques straussiens. La pâte onctueuse, la transparence de la sonorité, l’homogénéité étant la valeur la plus défendue ici, portent leur fruit dans un ouverture wagnérienne, – la source de Bruckner de facto, qui éclaire tout l’édifice programmatique par son élégance et cet hédonisme fiévreusement dramatique. Son geste impérial, analytique et sensuel, – celui d’un esthète, assoit la hauteur de vue d’une vision brucknérienne et wagnérienne de premier intérêt. A suivre avec acuité. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2017.

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CLIC_macaron_2014CD, compte rendu critique. BRUCKNER : Symphonie n°3, WAGNER : Ouverture de Tannhäuser / Andris Nelsons / Gewandhausorchester Leipzig (1 cd Deutsche Grammophon, enregistrement live réalisé à Leipzig en juin 2016). CLIC de CLASSIQUENEWS

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