Après l’avoir proposé en formats courts, comme des mises en bouches, la veille (sam 25 juin à Mélisey puis à Tonnerre), Sébastien Daucé et les musiciens de son ensemble Correspondances jouaient dans son intégralité le généreux programme « Molière et Charpentier » célébrant ainsi les 400 ans de la naissance de Poquelin. Sa verve gouleyante voire gargantuesque se (re)découvre ici à travers 2 volets : “ Intermèdes du Mariage forcé “(1672) et surtout le « premier intermède, églogue du Malade Imaginaire », ultime comédie de Molière de 1673. Remarqué par Poquelin, le jeune Marc-Antoine Charpentier collabore alors avec le dramaturge ; et apprend de son aîné, le piquant, le mordant, l’irrévérencieux dans le style parfois grivois de la Commedia dell’arte italienne ; de fait, le volet central du programme, « Les Plaisirs de Versailles » (1682), bien que postérieurs à la mort de Molière, révèlent combien Charpentier dont on connait si bien les histoires sacrées, a su faire son miel de son apprentissage auprès du génie du rire et de la satire ; à travers le filtre de sa musique impertinente, c’est la vie des courtisans à Versailles qui est ici épinglée, dans la querelle qui passionne et oppose violemment la Musique et la Conversation auxquelles se joignent Comus (dieu des festins), le jeu et l’un des plaisirs…
Toute la valeur du programme présenté par Correspondances tient à cette révélation : souligner à travers l’anniversaire Molière 2022, la grâce et la facilité de Charpentier dans la veine comique.
L’importance du texte et le jeu théâtral sont défendus par les chanteurs, mais aussi la présence et la personnalité piquante du comédien Soufiane Guerraoui qui a le verbe truculent (son incarnation du napolitain Polichinelle dans le Malade Imaginaire est pleine de vie et d’astuces, d’une « drôlerie » idéalement impertinente).
Correspondances met en lumière toute l’invention du Charpentier, juste revenu d’Italie (au début des années 1670 quand Poquelin le choisit pour ses comédies, en remplacement de Lully). Avec peu d’instruments (2 violons, 2 flûtes, hormis le continuo), toutes les couleurs et la vivacité du meilleur comique se déploient alors ; la sélection montre à quel point le compositeur a compris les spécificités de la langue moliéresque : son débit, ses accents, tous les effets d’un humour mordeur qui n’écarte ni l’ineffable tendresse, ni la parodie la plus acide. Une telle maîtrise à servir les situations les plus profondes et les plus contrastées allait aboutir en 1690 avec sa tragédie en musique, Médée (livret de Thomas Corneille).
Correspondances et Sébastien Daucé à Musicancy
Verve et satire, poésie et parodie
du duo Molière / Charpentier
Dans l’église d’Ancy-le-Franc, à défaut du cadre de la Cour d’honneur du Château (où était initialement proposé le spectacle), les interprètes comme les spectateurs à l’abri de la pluie, s’engagent dans cette arène où compte autant le geste que le chant ; d’abord la gouaille du « Trio des Grotesques » (Intermède pour Le Mariage forcé) soit 3 chanteurs (haute-contre, taille, basse) qui dégainent et « fagotent » car « tout bruit forme mélodie » ; un vrai trio hâbleur, facétieux ; de joyeux bonimenteurs qui parodient aussi avec dérision, l’harmonie d’une « belle symphonie » ; Les Plaisirs de Versailles composent ensuite la séquence la plus dramatique et aussi la plus riche sur le plus littéraire comme poétique (le livret est demeuré anonyme, mais il révèle néanmoins un vrai talent pour les situations comiques, formant une satire délirante de la vie de Cour à Versailles). Le texte montre combien Charpentier a aimé portraiturer la Musique en amoureuse nostalgique, sensible et galante (Élodie Fonnard), l’opposant en forts contrastes à la Conversation, directe, impertinente et « caqueteuse » (Blandine Sanson de Sansal) ; même le chocolat qu’offre Comus ne suffit pas à les adoucir l’une et l’autre. Ces plaisirs sont aigres et riches en surprises…
Le Malade Imaginaire offre en ouverture, une scène (Premier intermède) déjantée où la « Vieille à sa fenêtre » (chantée par le haute-contre Clément Debieuvre) cite avec génie, toutes les figures des Nourrices de l’opéra vénitien ; exigeant du soliste, une intensité versatile dans tous les registres de la parodie amoureuse et cynique ; le chanteur défend sa partie avec une ardeur à la hauteur de la situation théâtrale, tout en trouvant les accents justes qui permettent à Charpentier (en italien vernaculaire) de démontrer sa parfaite connaissance de l’opéra italien contemporain. Cette pièce, monologue saisissant en réalité, est un sommet dans l’art de la surenchère linguistique (et mélodique), produit emblématique de la coopération entre Molière et Charpentier.
Le morceau particulièrement apprécié est le dernier (« Églogue en musique et en danse »), sa saveur pastorale comme enivrée grâce à l’incarnation que la soprano Marie-Frédérique Girod cisèle en Flore ; le style, le timbre se révèlent irrésistibles, et malgré la claire apologie au Roy dont le prénom est répété moult fois, ce monde des bergers et des bergères (Climène, Daphné, Dorillas et Tircis) évoque le plus charmant bocage instrumental et vocal. Sébastien Daucé a le geste rond et précis, réalisant une caractérisation enjôleuse pour chaque séquence hautement dramatique.
Sous la direction nouvelle de Fannie Vernaz, le festival Musicancy commence avec ampleur et justesse sa nouvelle édition estivale 2022 (19è édition) : la ligne artistique sait y réunir de superbes interprètes rompus au labyrinthe vertigineux et expressif des passions baroques… voilà qui promet le meilleur pour les 20 ans à l’été 2023. Prochains concerts / rvs de Musicancy 2022 : les 12 puis 26 juillet (dans la Cour du Château d’Ancy-le-Franc), respectivement : « Lumières italiennes : Le Stagioni, Paolo Zanzu » ; puis « La Bella Donna », ApotropaïK. LIRE notre présentation générale du Festival Musicancy 2022 : https://www.classiquenews.com/ancy-le-franc-19e-festival-musicancy-25-juin-11-sept-2022/
LIRE aussi notre entretien avec Fannie VERNAZ à propos du Festival Musicancy 2022 : https://www.classiquenews.com/entretien-avec-fannie-vernaz-le-festival-musicancy-2022/
____________________________________
CRITIQUE, concert. ANCY-LE-FRANC, Festival MUSICANCY, dim 26 juin 2022. Molière et MA Charpentier. Correspondances, Sébastien Daucé.
Photo : concert / © CLASSIQUENEWS – Marie-Frédérique Girod © D Salamanca
