COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. VERSAILLES, OpĂ©ra Royal, le 4 dĂ©c 2019 . Les FantĂŽmes de Versailles, John Carigliano. Yelena Dyachek, Jonathan Bryan, Kayla Siembieda, Ben Schaefer⊠Orchestre de lâOpĂ©ra Royal. Joseph Colaneri, direction. Jay Lesenger, mise en scĂšne. CrĂ©ation française de lâopĂ©ra du compositeur amĂ©ricain John Corigliano (nĂ© en 1938), « Les FantĂŽmes de Versailles  » sâaffichent Ă lâOpĂ©ra Royal du ChĂąteau de Versailles! Coproduite avec le Festival de Glimmerglass aux Etats-Unis, lâouvrage créé en 1991 au Metropolitan Opera de New York, se veut grand opĂ©ra bouffe mettant en scĂšne les monarques guillotinĂ©s par la RĂ©volution Française ainsi que Beaumarchais et plusieurs autres personnages phares de lâĂ©poque⊠LâĆuvre est dâune grande modernitĂ© et complexitĂ© musicale, avec le chef Joseph Colaneri Ă la direction de lâorchestre de la maison.
A Versailles,
Carigliano expose
un post-néoclassicisme savant et assumé
LâĆuvre du compositeur contemporain amĂ©ricain est peu connue dans lâHexagone. Nous apprenons dans le programme quâil sâagĂźt en effet de la premiĂšre Ćuvre majeure de son opus Ă ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en France. Presque 30 ans aprĂšs sa crĂ©ation au MET, elle atterrit dans lâendroit le plus Ă -propos, et le plus juste au regard de son sujet, dans une fantastique production du Festival Glimmerglass. « The Ghosts of Versailles » (titre originel) raconte une histoire fictive plus ou moins inspirĂ©e de la piĂšce « La mĂšre coupable » de Beaumarchais. OpĂ©ra dans lâopĂ©ra et parodie de lâopĂ©ra, lâhistoire a lieu en principe dans lâau-delĂ Â : Louis XVI, Marie-Antoinette et leur cour, sont des fantĂŽmes errants dans lâenceinte du ChĂąteau de Versailles. Le fantĂŽme de Beaumarchais, amoureux de la Reine dĂ©capitĂ©e, dĂ©cide dâĂ©crire un opĂ©ra pour la rende heureuse aprĂšs sa mort. Ce « nouvel » opĂ©ra voit le retour des personnages emblĂ©matiques des Noces de Figaro et du Barbier de SĂ©ville, notamment Figaro, Susanna, le Comte Almaviva et Rosina. Au cours des deux actes, nous avons droit Ă une comĂ©die plus ou moins absurde mais percutante, oĂč toute une palette de timbres et de styles musicaux se cĂŽtoient et rĂ©alisent un show idĂ©alement divertissant.
Le beau chant vient souvent des citations et transfigurations plus ou moins savantes des morceaux conventionnels de lâart lyrique. Nous avons ainsi droit Ă des duos handĂ©liens, mozartiens, rossiniens, en version parodique et parfois purement dĂ©jantĂ©e. Distinguons aussi un moment de dĂ©licieuse moquerie de lâorientalisme musical avec un final au premier acte tout Ă fait⊠ottoman ! AprĂšs diverses danses du ventre sur scĂšne vient une Walkyrie wagnĂ©rienne dĂ©clamer que cette chose nâest surtout pas un opĂ©ra. Un trĂšs fin quatriĂšme mur, dans un opĂ©ra sur lâopĂ©ra dĂ©jĂ , victime dâeffondrement. Sourires et fous rires permanents face Ă cette confrontations de citations stylĂ©s qui sâentrechoquent.
Un tel « dĂ©lire » ne peut ĂȘtre correctement exĂ©cutĂ© que par un groupe dâartistes trĂšs fortement soudĂ©s et tout particuliĂšrement investis dans le parti pris (lâopĂ©ra lâĂ©tant dĂ©jĂ en soi!). En ce sens, la distribution sâavĂšre impeccable, implacable, majestueuse⊠et tueuse Ă©galement ! Les bondissements sans fin de Ben Schaefer en Figaro, tuent lâennui dĂšs le dĂ©but, et sa performance vocale au milieu des nombreuses pirouettes est remarquable. Il plaĂźt aux sens malgrĂ© sa bouffonnerie parfois grotesque. La Susanna de Kayla Siembieda est un sommet de comĂ©die physique accouplĂ© Ă un chant charnu riche et une clartĂ© expressive pleine de brio. Joanna Latini est une Rosina Ă la belle voix ; la maĂźtrise de lâinstrument est excellente ; son rĂŽle tragicomique est interprĂ©tĂ© avec une aisance confondante !
Jonathan Bryan dans le rĂŽle de Beaumarchais paraĂźt presque ⊠dramatique. De grande et belle allure, et trĂšs souvent prĂ©sent sur scĂšne, il incarne un personnage touchant dâhumanitĂ© la plupart du temps, mais qui ne se prive surtout pas de moquer brillamment Le Commandeur venu dâoutre-tombe dans Don Giovanni de Mozart, si besoin. Lâobjet de son affection, Marie-Antoinette, est interprĂ©tĂ© par Yelena Dyachek, le personnage dont la musique est la plus complexe Ă notre avis. Elle est fait de frissons dans sa performance, par la force de son chant trĂšs souvent de facture presque expressionniste, ainsi que par son engagement scĂ©nique. Fantasmagorique Ă souhait.
Les nombreux rÎles secondaires sont tout autant excellents. Le Louis XVI de Peter Morgan, vraie force comique ; le Bégearss de Christian Sanders, délicieusement maléfique ; Emily Misch et Spencer Britten en Florestine et Léon respectivement, à la fois mignons et toniques.
LâĆuvre, qui nâest pas sans rappeler The Rakeâs Progress de Stravinsky, ce chef dâĆuvre nĂ©oclassique, en sa saveur parodique dĂ©lirante, est savamment conçue et trĂšs intĂ©ressante dans les moyens expressifs. Les moments les plus originaux et modernes ne sont bien Ă©videmment pas les citations et transfigurations dâairs classiques, mais plutĂŽt dans la musique dâoutre-tombe, la plus dissonante et cacophonique de lâopus. Mais il serait injuste de rĂ©duire lâoriginalitĂ© de lâĂ©criture Ă la dissonance ponctuelle. Car la partition, tout mĂ©li-mĂ©lo quâelle se veut, est Ă la fois populaire et savante. Lâorchestration est dâune grande richesse au niveau des timbres et les performances des musiciens sous la direction du chef Joseph Colaneri atteignent un vĂ©ritable exploit ! Nâoublions pas les chĆurs et les danseurs du Festival de Glimmerglass, trĂšs sollicitĂ©s, et tout Ă fait Ă la mĂȘme hauteur. Un spectacle rare, en langue anglaise, trĂšs heureusement accueilli par le public et qui rĂ©ussit sa crĂ©ation française dans le palais versaillais qui rehausse sa pertinence.
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COMPTE-RENDU, ballet. PARIS, OpĂ©ra National de Paris, le 30 oct 2019. Body and Soul, Crystal Pite, chorĂ©graphe. LĂ©onore Baulac, Hugo Marchand, Ludmila Pagliero, Etoiles. Ballet de l’opĂ©ra. Owen Belton , musique originale. Retour de Crystal Pite Ă la maison nationale parisienne pour sa nouvelle crĂ©ation, deuxiĂšme commande de lâOpĂ©ra, « Body and Soul », ballet en trois actes, musique originale dâOwen Belton ; et aussi de Chopin. Une crĂ©ation mondiale trĂšs attendue qui a tout pour plaire Ă un trĂšs grand public hĂ©tĂ©roclite.
La chorégraphe canadienne Crystal Pite triomphe à Paris
Le corps, lâespritâŠ
et les insectes
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Le nouveau ballet de la canadienne Crystal Pite , « Body and Soul  », arrive au bon moment. AprĂšs lâimmense succĂšs de son The Seasonsâ Cannon crĂ©e en 2016, repris en 2018, nous voilĂ devant une soirĂ©e qui lui est entiĂšrement dĂ©diĂ©e pour la premiĂšre fois. Dans son ballet prĂ©cĂ©dent sur la musique de Vivaldi / Richter nous avons pu dĂ©couvrir son style contemporain dâinspiration nĂ©o-classique. Dans Body and Soul nous dĂ©couvrons davantage son style, ses influences, ses inspirations et prĂ©occupations.
Body and Soul est un ballet riche en duos , voire en duels. Lâoeuvre commence avec deux danseurs qui suivent avec leurs corps une narration au microphone (voix enregistrĂ©e de Marina Hands). Le premier acte est un condensĂ© de Pite dans tous les sens de son art et de sa maniĂšre. Si les duos et duels sont intĂ©ressants, le bijou est dans la danse collective. Pite confirme presque sa signature dans des mouvements de masse qui ensorcellent et qui impactent lâauditoire. Il y a un je ne sais quoi dâorganique qui rappelle les mouvements de groupes dans The Seasonsâ Cannon, quelque part transfigurĂ©s et mis davantage en valeur par la force des contrastes. Les danseurs sont habillĂ©s en costume-cravate (signĂ©s Nancy Bryan t) ; ils dansent sous une lumiĂšre ponctuelle spartiate (de Tom Visser ).
Des personnalitĂ©s se distinguent malgrĂ© tout : Simon Le Borgne , CoryphĂ©e, et Takeru Coste , Quadrille, toniques, tout Ă fait excellents dans le langage chorĂ©graphique contemporain de Pite. En ce qui concerne ce langage, nous voyons davantage au deuxiĂšme acte lâinfluence de Forsythe (dans la dĂ©sinvolture cachant la virtuositĂ©), ou encore de Kylian. Dans cet acte sâenchaĂźnent des duos, des trios et des danses de groupe, avec une volontĂ© apparente de mettre en valeur les danseurs de la compagnie. En lâoccurrence les performances de LĂ©onore Baulac et Hugo Marchand , comme celles de Ludmila Pagliero et François Alu , sont des interprĂ©tations de trĂšs haut niveau, charmantes mais souvent trop fugaces ou indistinctes pour devenir captivantes. Se distingue nĂ©anmoins une personnalitĂ© par la force de son exĂ©cution, celle dâAdrien Couvez , CoryphĂ©e, plein de brio.
Le troisiĂšme acte vient aprĂšs un prĂ©cipitĂ©. Changement vĂ©ritable de dĂ©cors et de⊠costumes !!! AprĂšs la sobriĂ©tĂ© des deux premiĂšres actes sâaffirme ensuite une sorte dâexplosion de lumiĂšre par le biais du dĂ©cor, avec des panneaux mĂ©talliques qui reprĂ©sentent une forĂȘt. Les danseurs y Ă©voluent, ; sont tous de noir vĂȘtus, dans des costumes dâinsecte. Changement musical aussi, aprĂšs les prĂ©ludes de Chopin Ă lâacte prĂ©cĂ©dent, nous voilĂ dans un univers plus Ă©lectro-pop que jamais. Si les danseurs continuent Ă se confondre dans la masse, ils ne sont plus indiffĂ©renciĂ©s ; dans cet acte dernier les danseuses sont en pointe. Il y a une surprise rocambolesque et dĂ©concertante Ă la toute fin, qui a beaucoup plu visiblement.
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Lâauditoire ne peut pas sâempĂȘcher de faire une standing ovation Ă la fin, cĂ©lĂ©brant les excellentes performances de la soirĂ©e. Un ballet contemporain de facture nĂ©o-classique qui a tout pour plaire au plus grand nombre, Ă voir et Ă revoir au Palais Garnier encore les 1er, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 16, 17, 19, 20, 22 et 23 novembre 2019 . Incontournable. Photos © Julien Benhamou â OnP
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Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Comique, 28 septembre 2019. Francesco Filidei: LâInondation. ChloĂš Briot, Boris Grappe, Norma Nahoun⊠Orchestre Philharmonique de Radio France. Emilio Pomarico, direction. JoĂ«l Pommerat, livret et mise en scĂšne. La saison sâouvre Ă lâOpĂ©ra Comique avec la crĂ©ation mondiale de lâInondation de JoĂ«l Pommerat et Francesco Filidei. LâOpĂ©ra contemporain dâaprĂšs un texte de lâauteur russe Zamiatine est trĂšs fortement attendu, sâagissant du premier vĂ©ritable livret dâopĂ©ra du metteur en scĂšne français et du deuxiĂšme opĂ©ra du compositeur italien. Une distribution de prestige et les musiciens de lâOrchestre Philharmonique de Radio France sont dirigĂ©s par le chef Emilio Pomarico.
PellĂ©as et MĂ©lisande, Written on SkinâŠ
lâInondation 2019
LâOpĂ©ra Comique est dĂšs ses dĂ©buts un endroit dâexpĂ©rimentation, propice aux crĂ©ations, bien plus audacieux historiquement que lâOpĂ©ra de Paris. Avec cette nouvelle commande dâopĂ©ra contemporain, la salle Favart affiche sa claire volontĂ© de perpĂ©ter cette tradition. Lâendroit oĂč est nĂ©e Carmen brille toujours de cette ouverture Ă lâexpĂ©rimentation. Le succĂšs rĂ©cent dâune de ses coproductions, – qui a marquĂ© lâhistoire des crĂ©ations Ă lâopĂ©ra, Written on Skin de George Benjamin, en tĂ©moigne. Nous voyons dans cette production une continuation dâune dynamique dĂ©jĂ en place.
Lâhistoire de lâopus est simple. Un couple – un homme et une femme, nâont pas dâenfants. Ses voisins, oui. Une ado du bĂątiment devient orpheline suite Ă la mort de son pĂšre. Elle est accueillie par le couple. Lâhomme trompe la femme avec lâadolescente. Il y a une inondation. Ăa dĂ©borde. Alors ils sont logĂ©s chez les voisins. Tout sâamĂ©liore. La vie reprends aprĂšs lâinondation. Le couple repart chez eux. Lâado disparaĂźt soudainement. La femme tombe enceinte. Elle accouche. Elle avoue le meurtre de lâado. VoilĂ .
Quant Ă la musique, elle est particuliĂšrement agrĂ©able, accessible, souvent naturaliste, avec une prĂ©sence importante des percussions, parfois exotiques. La direction du chef est dâune grande prĂ©cision. LâĂ©criture orchestrale est trĂšs rĂ©ussie, lâĂ©criture vocale est intĂ©ressante, mais il y a parfois des Ă©trangetĂ©s au niveau de la prosodie. Parfois tous les Ă©lĂ©ments de la production vibrent en harmonie, et parfois, il y a un fort contraste entre sons et bruits imitant la nature et une articulation linguistique artificielle (il ne sâagĂźt pas dâun artifice formel, comme serait lâAlexandrin, mais lâartifice se trouve dans un parler dâapparence informel, mais au final, forcĂ©).
Les performances sont remarquables. ChloĂš Briot dans le rĂŽle principal de la Femme est une force totale et absolue (NDLR : la soprano a créé Ă Nantes le nouvel ouvrage Little Nemo de David Chaillou / janvier 2017 : voir notre vidĂ©o classiquenews ). Elle fait preuve dâun travail dâacteur remarquable et dâune force physique insoupçonnĂ©e. Son chant charnu est parfois troublant dâintensitĂ©, comme son investissement sur scĂšne, dĂ©lectable. Une rĂ©vĂ©lation !
Son partenaire le baryton Boris Grappe dans le rĂŽle de lâHomme a un certain magnĂ©tisme scĂ©nique, efficace et sans prĂ©tention. Sa voix est percutante et seine, et il est parfois tragi-comique dans lâexpression, ce qui correspond parfaitement Ă lâĆuvre. Le contre-tĂ©nor Guilhem Terrail est une dĂ©couverte tout Ă fait rĂ©jouissante! Dans son rĂŽle de narrateur, il est excellent ; le timbre de sa voix, superbement projetĂ©e ajoute un je ne sais quoi de mystĂ©rieux Ă la reprĂ©sentation.
Enguerrand de Hys en pĂšre de famille / voisin a une prĂ©sence théùtrale et vocale Ă la fois captivante, attendrissante. Il est en excellente forme comme lâest aussi sa partenaire Yael Raanan-Vandor en mĂšre / voisine. La chanteuse israĂ©lienne a une voix profonde et touchante ; au niveau théùtrale, sa performance est tout aussi tendre quâintense. Le rĂŽle de lâadolescente est dĂ©doublĂ©, interprĂ©tĂ© par une comĂ©dienne, Cypriane Gardin , irrĂ©prochable, et la soprano Norma Nahoun , fait ses dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra Comique : sa partie est riche en effets expressifs et curiositĂ©s, et sa performance sâĂ©lĂšve au-delĂ du dĂ©fi musical, pour notre plus grand bonheur.
La conception scĂ©nique nâest pas sans rappeler celle de Written on Skin. Le dĂ©cors unique dâEric Soyer est un immeuble dâhabitation, de trois Ă©tages, oĂč sont parfois projetĂ©es des vidĂ©os (de Renaud Rubiano ). Comme dâhabitude chez Pommerat, le travail dâacteur est remarquable, lâexpression physique maĂźtrisĂ©e, la nuance psychologique affirmĂ©e. Dans le programme de lâopĂ©ra nous lisons des Ă©lĂ©ments probants quant Ă la symbiose et collaboration entre lâauteur et le compositeur. Pommerat cherchant un compositeur-collaborateur avec qui il nây aurait pas de rapport de force, Fidilei croyant que lâopĂ©ra est mort et dĂ©sirant le ranimer⊠Ces deux lĂ , ce sont trouvĂ©s. Ils ont rĂ©ussi. Mais Ă quoi ?
En dehors du sens, si lâon accepte que lâapport rĂ©el nâa pas sa place dans cette crĂ©ation, la nouvelle production ne suscite que des applaudissements. A dĂ©couvrir Ă lâOpĂ©ra Comique encore le 1er et 3 octobre 2019 , avant de partir en tournĂ©e nationale et internationale lâannĂ©e prochaine. Illustrations : photos © Stefan Brion / OpĂ©ra Comique / OC 2019
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Garnier, 12 septembre 2019. La Traviata, Verdi. Pretty Yende, Benjamin Bernheim, Ludovic TĂ©zier⊠Orchestre de lâopĂ©ra. Michele Mariotti, direction. Simon Stone, mise en scĂšne . Nouvelle production du chef-dâĆuvre verdien, La Traviata, Ă lâaffiche pour la rentrĂ©e 2019 2020 de lâOpĂ©ra National de Paris. Lâaustralien Simon Stone signe une transposition de lâintrigue Ă notre Ă©poque, avec la volontĂ© Ă©vidente de parler Ă la jeunesse actuelle. La soprano Pretty Yende dans le rĂŽle-titre fait une prise de rĂŽle magistrale , entourĂ©e des grandes voix telles que celles du tĂ©nor Benjamin Bernheim et du baryton Ludovic TĂ©zier . Lâorchestre maison est dirigĂ© par le chef italien Michele Mariotti . Une nouveautĂ© riche en paillettes et perlimpinpin, bruyante et incohĂ©rente parfois, malgrĂ© la beautĂ© plastique indĂ©niable de la soprano, les nĂ©ons, les costumes hautes en couleur… le bijou reste invisible aux yeux.
La Traviata 2.0âŠ
en frivolité stylisée
La Traviata est certainement lâun des opĂ©ras les plus cĂ©lĂšbres et jouĂ©s dans le monde entier. Le livret de Francesco Maria Piave d’aprĂšs La Dame aux camĂ©lias d’Alexandre Dumas fils n’y est pas pour rien. Le grand Verdi a su donner davantage de consistance et d’humanitĂ© aux personnages mis en musique. Si lâhistoire archiconnue de Violetta ValĂ©ry, « courtisane », est un produit de son Ă©poque, inspirĂ© dâailleurs de faits rĂ©els, seule la musique fantastique de Verdi cautionne lâindĂ©niable popularitĂ© inĂ©puisable de lâopus. Si le public contemporain europĂ©en est de moins en moins friand dâhistoires tragiques oĂč les femmes sont condamnĂ©es Ă la victimisation par une sociĂ©tĂ© Ă la misogynie conquĂ©rante, nous aimons toujours ĂȘtre conquis par les sopranos qui sâattaquent au rĂŽle, et qui malgrĂ© la mort tragique sur scĂšne, gagnent nĂ©anmoins Ă la fin de la performance, par la force de leur talent et leur insigne compĂ©tence.
Dans la transposition du metteur en scĂšne, M. Stone , nous avons droit Ă un premiĂšre acte qui frappe lâoeil par lâusage ingĂ©nieux de la vidĂ©o (signĂ©e Zakk Hei n), avec les rĂ©fĂ©rences contemporaines dâInstagram et Whatsapp. Violetta a donc des milliers de « followers », va faire la fĂȘte dans un cĂ©lĂšbre club privĂ© parisien, sâachĂšte un #kebab en fin de soirĂ©e, etc.. Ca interpelle, câest surprenant, câest agrĂ©able, câest cool, câest fugace⊠Câest souvent anti musical. Regardons ce quâil se passe sur scĂšne au moment le plus connu du grand public de cet acte, la chanson Ă boire (le Brindisi)⊠Rien. Cela pourrait ĂȘtre presque intĂ©ressant, de faire dâun morceau choral et dansant un moment de tension dramatique apparente⊠Mais pourquoi ? Et comment ? Personne ne sait. La musique est dansante et lĂ©gĂšre, mais personne ne bouge. Si les interprĂštes nâavaient pas tournĂ© le dos au public Ă certains moments, nous aurions pu dire quâil sâagissait dâune mise en scĂšne dâinspiration baroque, du fait de lâaspect profondĂ©ment conventionnel de la proposition.
A un moment au 2e acte, nous avons droit Ă des nĂ©ons tout Ă fait orgiaques, câest audacieux et câest kitsch. On adore. ImmĂ©diatement aprĂšs vient une procession des choristes dĂ©guisĂ©s en plusieurs personnages des fantasmes Ă©rotiques, il y a du cuir, du latex, des godemichets⊠et sagement se forment des couples tout Ă fait hĂ©tĂ©ronormĂ©s, qui sagement regardent le public de face, sans bouger, pendant quâils chantent leur chĆur puis quittent la scĂšne. Il y a aussi pendant cet acte un bovidĂ© sur scĂšne. A la fin de lâacte la salle fut inondĂ© dâapplaudissements⊠et de quelques huĂ©es. Au troisiĂšme acte, le plus sobre, dans un contexte mĂ©dical, plus ou moins explicite, lâespace scĂ©nique est constamment « pollué » par des mĂ©canismes qui font marcher la scĂ©nographie, produisant dâinsupportables bruits.
Heureusement les performances vocales sont salvatrices. Il y a un travail dâacteur indĂ©niable, surtout de la part des protagonistes, mais Ă©galement chez quelques seconds rĂŽles. Ils sont habitĂ©s par le drame, mĂȘme si la proposition est Ă©trangement moins dramatique que ce que nous en attendions.
Pretty Yende dans le rĂŽle-titre est une force discrĂšte. Nous savons quâelle a longtemps attendu avant dâincarner le rĂŽle, malgrĂ© les propositions depuis de nombreuses annĂ©es. Elle a bien fait ! Elle a le physique qui correspond au personnage et surtout elle est tout particuliĂšrement juste dans la caractĂ©risation, qui peut facilement sombrer dans lâexcĂšs de pathos. Si son jeu dâactrice est gĂ©nial, le bijou est dans la voix. Sa performance est resplendissante, son souffle coupe le souffle et son legato ensorcelle, tout simplement. Le timbre est beau et touchant, et ses coloratures, bien que virtuoses, ne sont jamais frivoles. Son interprĂ©tation ultime, lâ«addio del passato » Ă la fin de lâopĂ©ra est un moment inoubliable, oĂč seul les frissons nous rappellent que le temps nâĂ©tait pas vraiment suspendu. Une prise de rĂŽle magistrale !
Dans le triumvirat des protagonistes, les rĂŽles masculins dâAlfredo et de Giorgio Germont, fils et pĂšre, sont tout aussi brillamment interprĂ©tĂ©s. La performance de Ludovic TĂ©zier dans le rĂŽle du pĂšre est une Master Class de chant lyrique et de style. Le tĂ©nor Benjamin Bernheim est tout panache ! Il est vaillant dans les limites de la proposition scĂ©nique, mais a surtout une force expressive remarquable dans lâinstrument. Le timbre est charmant ; sa voix remplit la salle et touche les coeurs.
Le choeur de lâOpĂ©ra sous la direction de JosĂ© Luis Basso est Ă la hauteur des autres Ă©lĂ©ments de la production. La direction musicale du chef Michele Mariotti est tout Ă fait intĂ©ressante. Si dans lâensemble tout paraĂźt correcte, la performance des vents est tout Ă fait hors du commun. Si les voix de la Yende et de Bernheim, lors du duo du 1er acte « Un di, felice, eterea » sont ravissantes, les vents sont quant Ă eux, âŠsublimes.
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Nouvelle Traviata Ă lâOpĂ©ra National de Paris, avec un trio de protagonistes qui cautionnent entiĂšrement le dĂ©placement, une mise en scĂšne pĂ©tillante et lĂ©gĂšre qui ne laisse pas indiffĂ©rent. A lâaffiche au Palais Garnier les 18, 21, 24, 26 et 28 septembre ainsi que les 1, 4, 6, 9, 12 et 16 octobre 2019, avec deux distributions. Illustrations : © Charles Duprat / OnP
COMPTE-RENDU, ballet. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 26 juin 2019. Tree of codes. Wayne McGregor, mise en scĂšne et chorĂ©graphie. Olafur Eliasson, conception viseulle. Jamie xx, musique. Ballet de l’opĂ©ra & Company Wayne McGregor . Fabuleuse reprise du Tree of Codes de Wayne McGregor , chorĂ©graphe rĂ©sident du Royal Ballet Ă Londres. Un spectacle protĂ©iforme qui continue dâimpressionner par le mariage des talents concertĂ©s du chorĂ©graphe, de lâartiste visuel Oliafur Eliasson et du musicien Jamie xx. Un ballet pleinement ancrĂ© dans le 21e siĂšcle, dĂ©licieusement interprĂ©tĂ© par les danseurs de la Compay Wayne McGregor et les danseurs du Ballet de lâOpĂ©ra National de Paris !
Intellectuel ma non troppo,
Contemporain ma non tanto
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Le ballet de McGregor est une vĂ©ritable collaboration, une crĂ©ation en Ă©quipe, et la fine Ă©quipe est composĂ©e dâindividus talentueux qui semblent avoir des nombreuses affinitĂ©s. Le tout est basĂ© sur un livre qui se veut objet dâart (Tree of Codes de Jonathan Safran Foer), et qui est lui-mĂȘme une sorte de transfiguration « hipsterienne » dâun recueil de nouvelles des annĂ©es 30 au siĂšcle passĂ© (The street of crocodiles de Bruno Schulz). La musique de Jamie xx, de lâĂ©lectro-pop pure et dure, paraĂźtrait avoir tout une histoire originelle de conception, oĂč des passages du texte passent par un algorithme qui fait des mĂ©lodies⊠On peut se demander sâil sâagĂźt des textes de Safran Foer ou de Schulz… et de lâintĂ©rĂȘt artistique du procĂ©dĂ©. La musique enregistrĂ© de Jamie xx fonctionne parfaitement, elle est trĂšs souvent entraĂźnante et percussive, avec quelques moments contemplatifs.
Dans une salle comme lâOpĂ©ra Bastille, la vue est un sens qui a une grande importance. En lâoccurrence, la vue est sollicitĂ©e en permanence, surtout par les dĂ©cors et la scĂ©nographie imposante et haute en couleurs de lâartiste Olafur Eliasson . Chromatismes, transparence, illusions optiques, phares-poursuites qui illuminent les spectateurs, pour Ă©blouir davantage⊠ou pas. La recherche artistique de cette trinitĂ© so 21th century est lâaspect le plus intĂ©ressant de la production. Si nous sommes en effet immergĂ©s dans le jeux permanent des miroirs et des lumiĂšres, nous arrivons malgrĂ© tout Ă apprĂ©cier Ă©galement la danse et les mouvements des danseurs.
Le ballet commence dans lâobscuritĂ© totale avec des danseurs habillĂ©s des lumiĂšres ponctuelles qui dĂ©jĂ troublent la perception sensorielle des spectateurs, pourtant la musique met rapidement en transe et lâon peut questionner dâoĂč viennent ces mouvements fabuleux que seul quelques LEDs dĂ©voilent. Ces lucioles ne reviendront plus aprĂšs cette sorte dâouverture dans lâobscuritĂ©. Nous aurions droit par la suite Ă lâarc-en-ciel, Ă tout un camaĂŻeu de couleurs sur le plateau. Y compris dans les vĂȘtements,⊠peut-ĂȘtre lâaspect le moins allĂ©chant.
En ce qui concerne lâaspect chorĂ©graphique⊠câest du McGregor : mouvements hyper rapides, portĂ©s insolents, extensions vertigineuses, un cĂŽtĂ© acrobatique et gymnastique pleinement assumĂ©, couplages non-conventionnels⊠on adore. Câest contemporain, parce que, mais tout particuliĂšrement nĂ©oclassique. Il y a mĂȘme des pointes sur scĂšne Ă un moment !
Pour la premiĂšre, se sont distinguĂ©s les danseurs de la compagnie invitĂ©e, quâon a rarement lâoccasion de voir, ainsi que six danseurs solistes du Ballet de lâOpĂ©ra. Pour les derniers, lâEtoile Valentine Colasante a Ă©tĂ© de grand impact par la force expressive de ses mouvements et une tonicitĂ© stimulante. Le Corps de Ballet, souvent sollicitĂ©, est super tonique ; rayonnant mĂȘme dans ce ballet. Les danseurs ont vraiment lâair de sây plaire, et nous pouvons voir de temps en temps par ci par lĂ des lueurs de personnalitĂ©, y compris chez de jeunes danseurs, comme Nine Seropian ou Francesco Mura . RĂ©jouissante participation des deux groupes associĂ©s.
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Câest donc un spectacle recommandable pour le (trĂšs) large public, oĂč nous avons lâillusion dâun Ă©quilibre entre trois arts diffĂ©rents qui dĂ©coiffe et qui plaĂźt, mais dâoĂč nous sortons surtout avec la sensation dâavoir vĂ©cu une expĂ©rience artistique sĂ©duisante et contemporaine Ă souhait. La performance des danseurs de deux compagnies est tout simplement formidable. A consommer sans modĂ©ration ! Encore Ă lâaffiche de lâOpĂ©ra Bastille les 1er, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13 et 14 juillet 2019.
Illustrations : ©J Chester Fildes, Manchester Festival 2015
COMPTE-RENDU, opĂ©ra. Nancy. OpĂ©ra National de Lorraine, 23 juin 2019. PUCCINI : Madame Butterfly. Sunyoung Seo, Edagaras Montvidas, Cornelia Oncioiu⊠Orchestre symphonique et lyrique de Nancy. Modestas PitrĂšnas, direction . Emmanuelle Bastet, mise en scĂšne. Nouvelle production du chef-dâĆuvre puccinien, Madame Butterfly, Ă lâaffiche Ă lâOpĂ©ra National de Lorraine. La metteur en scĂšne Emmanuelle Bastet signe un spectacle intimiste, dâune grande dĂ©licatesse et sensibilitĂ© et le chef Modestas PitrĂšnas assure la direction musicale de lâorchestre et des chanteurs superbement investis Ă tous niveaux!
Madame Butterfly Ă©tait l’opĂ©ra prĂ©fĂ©rĂ© du compositeur, « le plus sincĂšre et le plus Ă©vocateur que j’ai jamais conçu », disait-il. Il marque un retour au drame psychologique intimiste, Ă l’observation des sentiments, Ă la poĂ©sie du quotidien. Puccini pris par son sujet et son hĂ©roĂŻne, s’est plongĂ© dans l’Ă©tude de la musique, de la culture et des rites japonais, allant jusqu’Ă la rencontre de l’actrice Sada Jacco qui l’a permit de se familiariser avec le timbre des femmes japonaises !
L’histoire de Cio-Cio-San / Butterfly s’inspire largement du roman de Pierre Loti : Madame ChrysanthĂšme. Le livret est conçu par les collaborateurs fĂ©tiches de Puccini, Giacosa et Illica, d’aprĂšs la piĂšce de David Belasco, tirĂ©e d’un rĂ©cit de John Luther Long, ce dernier inspirĂ© de Loti. Il parle du lieutenant de la marine amĂ©ricaine B.F. Pinkerton qui se « marie » avec une jeune geisha nommĂ© Cio-Cio San (« Butterfly »). Le tout est une farce mais Butterfly y croit. Elle se convertit au christianisme et a un enfant de cette union. Elle sera dĂ©laissĂ©e par le lieutenant qui reviendra avec une femme amĂ©ricaine, sa vĂ©ritable Ă©pouse, pour rĂ©cupĂ©rer son fils bĂątard. Butterfly ne peut que se tuer avec le couteau hĂ©ritĂ© de son pĂšre, et qu’il avait utilisĂ© pour son suicide rituel Hara-Kiri.
Nouvelle Butterfly Ă Nancy
Ăblouissante simplicitĂ©
quand le mélodrame se soumet au drame
La mise en scĂšne Ă©lĂ©gante et Ă©purĂ©e dâEmmanuelle Bastet , avec les sublimes dĂ©cors de son collaborateur fĂ©tiche Tim Northon , reprĂ©sente une sorte de contrepoids sobre et dĂ©licat Ă la musique marquĂ©e par la sentimentalitĂ© exacerbĂ©e de Puccini. Les acteurs-chanteurs sont engagĂ©s et semblent tous portĂ©s par la vision théùtrale pointue et cohĂ©rente de Bastet. Dans ce sens, le couple protagoniste brille dâune lumiĂšre qui dĂ©passe les clichĂ©s auxquels on assigne souvent les interprĂštes des deux rĂŽles. La soprano sud-corĂ©enne Sunyoung Seo est trĂšs en forme vocalement et incarne magistralement , Ăąme et corps, le lustre de son aveuglement, derriĂšre lequel se cachent illusion et dĂ©sespoir. Elle est trĂšs fortement ovationnĂ©e aprĂšs le cĂ©lĂšbre air « Un bel di vedremo ». Le tĂ©nor Edgaras Montvidas est quant Ă lui un lieutenant Pinkerton tout Ă fait charmant et charmeur. Le Suzuki de la mezzo-soprano Cornelia Oncioiu se distingue par le gosier remarquable et sa voix Ă la superbe projection, ainsi que par un je ne sais quoi de mĂ©lancolique et touchant dans son jeu. Le Sharpless du baryton Dario Solaris sĂ©duit par la beautĂ© du timbre et la maĂźtrise exquise de sa voix. Les nombreux rĂŽles secondaires agrĂ©mentent ponctuellement la reprĂ©sentation par leurs excellentes performances, que ce soit le Goro vivace et rĂ©actif de Gregory Bonfatti ou le passage grave et intense de la basse Nika Guliashvili en oncle Bonze.
Le choeur de lâOpĂ©ra National de Lorraine sous la direction de Merion Powell est Ă la hauteur des autres Ă©lĂ©ments de la production. La direction musicale de Modestas PitrĂšnas se prĂ©sente presque comme une rĂ©vĂ©lation. Il a rĂ©ussi Ă maĂźtriser la rythmique de lâopus et Ă fait scintiller le coloris orchestral dâune façon totalement inattendue ! Sâil y a eu des imprĂ©cisions dans lâexĂ©cution ponctuellement chez les vents, la direction du chef et lâinterprĂ©tation de lâorchestre sont tout aussi poĂ©tiques que la mise en scĂšne. Production heureuse dâun sujet malheureux, revisitĂ© subtilement par Emmanuelle Bastet et son Ă©quipe artistique.
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COMPTE-RENDU, opĂ©ra. Nancy. OpĂ©ra National de Lorraine, 23 juin 2019. PUCCINI : Madame Butterfly. Sunyoung Seo, Edagaras Montvidas, Cornelia Oncioiu⊠Orchestre symphonique et lyrique de Nancy. Modestas PitrĂšnas, direction. Emmanuelle Bastet, mise en scĂšne. Illustrations : Sunyoung Seo (Cio-Cio-San) © C2images pour lâOpĂ©ra national de Lorraine
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, 11 juin 2019. Don Giovanni, Mozart. Etienne Dupuis, Jacquelyn Wagner, Nicole Car, Philippe Sly⊠Orchestre et choeurs de lâopĂ©ra. Philippe Jordan, direction. Ivo van Hove, mise en scĂšne . Nouvelle production du chef-dâĆuvre de Mozart, Don Giovanni, Ă lâaffiche Ă lâOpĂ©ra de Paris. Le metteur en scĂšne Ivo van Hove signe un spectacle gris parpaing ; le chef Philippe Jordan assure la direction musicale de lâorchestre associĂ© Ă une distribution fortement histrionique, rayonnante de théùtralitĂ©, entiĂšrement Ă©prise du mĂ©lodrame joyeux du gĂ©nie salzbourgeois !
L’opĂ©ra des opĂ©ras, la piĂšce fĂ©tiche des romantiques , ce deuxiĂšme fils du duo Da Ponte-Mozart, transcende le style de l’opera buffa proprement dit pour atteindre les sommets dans le registre de la… tragĂ©die. Avant cette fresque immense, jamais la musique n’avait Ă©tĂ© aussi vraie, aussi rĂ©aliste, aussi sombre ; jamais elle n’avait exprimĂ© aussi brutalement le contraste entre les douces effusions de l’amour et l’horreur de la mort. Peut-ĂȘtre le chef dâĆuvre de Mozart le plus enflammĂ©, le plus osé⊠qui raconte l’histoire de notre anti-hĂ©ros libertin prĂ©fĂ©rĂ© et sa descente aux enfers avec la plus grande attention aux pulsions humaines, avec la plus grande humanitĂ© en vĂ©ritĂ©.
nouvelle production de Don Giovanni Ă Garnier
⊠Prima la musica, mais pas trop
Le spectacle commence avec la scĂšne ouverte montrant le dĂ©cor unique dâarchitecture brutaliste signĂ© Jan Versweyveld , oĂč lâon aperçoit des escaliers, des fenĂȘtres⊠le gris maussade omniprĂ©sent paraĂźtrait servir de fond neutre au jeu dâacteur trĂšs ciselĂ© dont les chanteurs font preuve⊠et qui peut ĂȘtre apprĂ©ciĂ© glorieusement par les personnes assises prĂšs de la scĂšne et avec des jumelles. Si nous nous sommes rĂ©galĂ©s du travail dâinterprĂ©tation et de caractĂ©risation des interprĂštes sur scĂšne, la production met en valeur surtout la partition. Ma non troppo.
Certaines mise en scĂšnes sâaffirment volontairement extra-sobres avec lâidĂ©e sous-jacente de laisser parler la musique. Câest un bel idĂ©al qui peut faire des effets inouĂŻs sur lâexpĂ©rience lyrique. Il paraĂźt que ce nâest pas une volontĂ© affichĂ©e par le metteur en scĂšne, qui, malgrĂ© quelques moments de grand impact et de justesse, est parfois carrĂ©ment anti-musical. Ainsi le baryton Etienne Dupuis dans sa prise du rĂŽle Ă©ponyme a-t-il apprĂ©ciĂ© le fait de chanter le morceau le plus sensible, le plus beau, le plus sublime de sa partition, la chansonnette du 2e acte « Deh vieni alla finestra », en coulisses, cachĂ©. Difficile Ă comprendre, et encore plus Ă pardonner.
Nous sommes en lâoccurrence contents de nous concentrer sur lâinterprĂ©tation musicale. LâOrchestre maison dirigĂ© par Philippe Jordan est pure Ă©lĂ©gance et raffinement, les tempi sont plutĂŽt modĂ©rĂ©s. Bien sĂ»r comme dâhabitude, les vents font honneur dans leur excellente interprĂ©tation aux sublimes pages que leur dĂ©die Mozart, et les cordes dans leur perfection trouvent un bon dosage entre tension et relĂąche dans lâexĂ©cution. Remarquons Ă©galement les musiciens jouant sur la scĂšne au deuxiĂšme acte, avec un swing chambriste et pompier digne du XVIIIe siĂšcle. Nous nâavons pas senti lâeffroi durant la cĂ©lĂšbre ouverture en rĂ© mineur, mais nous avons eu droit Ă une sorte de dĂ©charnement diabolique et trĂšs enjouĂ© pour le pseudo-final Ă la fin de lâĆuvre, la descente aux enfers de Don Giovanni (nous sommes heureux du respect de la partition originale avec le maintien du lieto fine, la fin heureuse conventionnĂ©e propre au 18e siĂšcle malgrĂ© ses trĂšs nombreux dĂ©tracteurs du 19e).
Le baryton Etienne Dupuis signe un Don Giovanni sobre , plus hautain quâaltier, plus vicelard que libertaire, et ceci lui va trĂšs trĂšs bien. Son Ă©pouse dans la vie rĂ©elle incarne le rĂŽle de la femme rĂ©pudiĂ©e du Don, Donna Elvira. Nicole Car est une des artistes qui captivent lâauditoire avec sa prĂ©sence et son chant en permanence. Que ce soit dans sa cavatine au 1e acte « Ah che mi dice mai » ou son air au 2e « Mi tradi quellâalma ingrata » oĂč elle est fabuleusement dramatique Ă souhait dans son incarnation dâune femme amoureuse et blessĂ©e. Si elle est touchante, bouleversante dâhumanitĂ©, son chant est riche, charnu, charnel, tout au long des trois heures de reprĂ©sentation.
La Donna Anna de la soprano Jacquelyn Wagner , avec une partition encore plus redoutable, est tout autant brillante dâhumanitĂ©, et elle assure ses airs virtuoses avec dignitĂ©, sans faire preuve dâaffectation pyrotechnique, mais au contraire donnant Ă ses vocalises une intensitĂ© fracassante de beautĂ©. Le Leporello de Philippe Sly est un beau valet. Son physique agrĂ©able et son attitude espiĂšgle sont une belle contrepartie lĂ©gĂšre Ă lâaspect trĂšs sensuel et troublant de son instrument en action. Il a cet incroyable mĂ©rite dâavoir rĂ©ussi des interventions personnelles sur la partition dĂšs son entrĂ©e au 1er acte « Notte e giorno faticar », oĂč il sâapproprie du personnage avec facilitĂ©, et ajoute un je ne sais quoi qui marche et qui plaĂźt. Quâil continue dâoser ! Câest lui Ă©galement qui suscite la toute premiĂšre Ă©closion dâapplaudissements dans la soirĂ©e, aprĂšs son cĂ©lĂšbre air du 1er acte « Madamina, il catalogo Ăš questo », sans aucun doute grĂące Ă la force de son expression musicale plus quâĂ lâintĂ©rĂȘt de la proposition scĂ©niqueâŠ
Le Don Ottavio du tĂ©nor Stanislas de Barbeyrac est une trĂšs agrĂ©able surprise. Nous remarquons lâĂ©volution de son gosier, et ceci impacte aussi son interprĂ©tation lyrique qui sâĂ©loigne un maximum de la caricature viennoise Ă laquelle elle est souvent condamnĂ©e. Sâil y a un moment dâune incroyable beautĂ© dans les propositions dâune beaucoup trop austĂšre sobriĂ©tĂ©, câest prĂ©cisĂ©ment lâair redoutable du 1er acte : « Dalla sua pace ». Ivo van Hove lâoblige Ă lâinterprĂ©ter assis par terre au milieu de la scĂšne, et ceci a le plus grand impact Ă©motionnel de la soirĂ©e ; le tĂ©nor y est touchant et lâauditoire lui fait le cadeau dâapplaudissements et de bravos bien mĂ©ritĂ©s. Le couple Zerlina et Masetto interprĂ©tĂ© par Elsa Dreisig et Mikhail Timoshenko est plein de vivacitĂ©, mĂȘme si les voix sont un peu instables en dĂ©but de soirĂ©e, nous fĂ©licitons leurs efforts. Remarquons Ă©galement lâexcellente prestation des choeurs de lâOpĂ©ra parisien, dirigĂ©s par Alessandro di Stefano.
Une production qui a Ă©galement le mĂ©rite de finir aprĂšs trois heures de gris avec une projection-crĂ©ation vidĂ©o (signĂ©e Christopher Ash ) inspirĂ©e des scĂšnes infernales de Bosch, et qui est tout Ă fait effrayante, puis par une Ă©closion de couleurs estivales qui sâaccorde avec lâĂ©pilogue-fin heureux de lâopus. A voir et revoir, Ă©couter et applaudir… pour Mozart et les chanteurs. A lâaffiche Ă lâOpĂ©ra Garnier encore les 16, 19, 21, 24 et 29 juin ainsi que les 1, 4, 7, 10 et 13 juillet 2019 .
ENTRETIEN avec LEIF OVE ANDSNES : Mozart rĂ©inventé⊠plus romantique et moderne que vraiment « classique » . Le pianiste Leif Ove Andsnes questionne pendant quatre ans avec les instrumentistes du Mahler Chamber Orchestra, lâĂ©criture concertante de Mozart, Ă travers son nouveau projet musical intitulĂ© « MOZART MOMENTUM 1785/1786 ». AprĂšs un cycle dĂ©diĂ© aux Concertos de Beethoven, le pianiste Leif Ove Andsnes interroge le sens et la modernitĂ© des Concertos de Mozart dont il Ă©claire lâĂ©criture personnelle, classique certes, mais surtout prĂ© romantique. Un tĂ©moignage qui passionne lâinterprĂšte dont les compĂ©tences sâĂ©largissent Ă la direction dâorchestre car il retrouve le MAHLER CHAMBER Orchestra , en une sĂ©rie de concerts et de propositions musicales dâun nouveau genre⊠Entretien exclusif pour classiquenews.com
CNC : Beethoven est considĂ©rĂ© comme lâultime figure du triumvirat classique Ă Vienne, aprĂšs Haydn et Mozart. Suite Ă votre « Beethoven Journey » avec le Mahler Chamber Orchestra, pourquoi aujourd’hui (re)venir Ă Mozart ?
Leif Ove Andsnes : Cela a beaucoup Ă voir avec ma collaboration avec le Mahler Chamber Orchestra / MCO : notre travail autour du Beethoven Journey, sâest traduit par plusieurs enregistrements et concerts. Câest une sensation unique de travailler exclusivement avec un ensemble pendant des annĂ©es. Pour les concerts, je dirigeais lâorchestre depuis le piano. Jâai senti pour la premiĂšre fois de ma vie ce que les grands chefs accomplis doivent ressentir : une sorte dâosmose, de complicitĂ© totale avec lâorchestre par rapport aux Ă©motions, aux couleurs, dans la plus grande spontanĂ©itĂ© et une libertĂ© totale. En tant quâartiste en rĂ©sidence chez MCO, on sâest questionnĂ© par rapport aux projets et dans le contexte, il nous a paru tout a fait naturel et logique chez Mozart, voire encore plus que chez Beethoven, de diriger lâorchestre depuis le piano.
A LA CHARNIERE DES ANNEES 1785 – 1786⊠Ceci est dâautant plus lĂ©gitime quâil y a ce dialogue entre le piano et lâorchestre chez Mozart, qui est vraiment parfait pour ce contexte, comme une sorte de musique de chambre augmentĂ©e, mĂȘme sâil y a quand mĂȘme un soliste. Donc on a dĂ©cidĂ© Mozart, et jâai proposĂ© de choisir une pĂ©riode prĂ©cise de la vie de Mozart, les annĂ©es 1785 / 1786, qui sont trĂšs particuliĂšres. Je crois que quelque chose de remarquable sâest passĂ© en 1785, avec son Concerto pour piano n° 20, qui est, dâabord, son premier dans une tonalitĂ© mineure, trĂšs dramatique, aux couleurs sombres, par rapport aux prĂ©cĂ©dents, mais au-delĂ de ça, encore plus remarquable est le fait que lâorchestre commence avec une musique complĂštement diffĂ©rente par rapport au piano. Lâorchestre dĂ©bute de façon exubĂ©rante et le piano, lui, entre en une voix Ă la fois intime et solitaire ; câest la premiĂšre fois que cela arrive dans le genre. Lâusage est que lâorchestre commence le concerto, puis le piano reprend la mĂȘme musique et la dĂ©veloppe ensuite. Cela a dĂ» ĂȘtre trĂšs surprenant pour lâaudience de Mozart, et je pense il a bien aimĂ© lâeffet, parce quâil a continuĂ© Ă utiliser ce procĂ©dĂ© dans ses concertos ultĂ©rieurs.
LâintimitĂ©, la solitude…
MOZART invente un nouveau canevas dramatique pour le Concerto pour piano
Les compositeurs aprĂšs lui, de toute Ă©vidence, ont bien aimĂ© cette idĂ©e, comme Beethoven, qui fait des choses de plus en plus radicales par rapport Ă lâentrĂ©e du piano dans ses concertos. Câest un peu la graine du futur concerto « hĂ©roĂŻque », plutĂŽt romantique, oĂč le soliste sâexhibe « Here I am ! » (Je suis lĂ ), comme chez Schumann. Mozart fait ainsi grandir la narration, lâhistoire⊠le concerto pour piano devient quelque chose de beaucoup plus complexe, avec lâapparition d’un drame psychologique oĂč lâindividu (le soliste) parle Ă la sociĂ©té⊠Et il a aussi donnĂ© des rĂŽles importants aux instruments, notamment aux vents, ce qui rĂ©vĂšle davantage, bien sĂ»r, lâinfluence de lâopĂ©ra. Mozart Ă©tait alors en train dâĂ©crire Les Noces de Figaro.
CN : Mozart est lâicĂŽne par excellence du Classicisme musical ; pourtant les annĂ©es 1780 dĂ©voilent une grande diversitĂ© et complexitĂ© dans sa crĂ©ation. En particulier les piĂšces Ă©crites entre 1784 et 1786. A ce titre, certains musicologues estiment que Mozart est le premier compositeur romantique. Quâen pensez-vous ?
LOA : Oui, dâune certaine façon cela se voit dĂ©jĂ dans les inventions de Mozart Ă cette Ă©poque, par exemple dans le Concerto n° 20, lâentrĂ©e du piano avec une voix trĂšs individuelle, câest un peu le germe du romanticisme musical. Et cette voix est vraiment trĂšs particuliĂšre, trĂšs personnelle, trĂšs touchante. Il y a plein des moments dans les concertos de Mozart oĂč lâon peut entendre cette voix sensible, sentimentale, mais Mozart ne tombe jamais dans une dĂ©marche dâexploitation romantique pleine de douleur et de souffrance exacerbĂ©e comme chez⊠Schumann ou Wagner. Ces derniers le font de façon dĂ©libĂ©rĂ©e ; chez eux, câest formellement fantastique, mais parfois un peu trop Ă©cĆurant. On peut ĂȘtre touchĂ© au plus profond de soi avec Mozart, par exemple dans le mouvement lent du Concerto en La, sans que cela ne soit jamais indigeste. Câest un de morceaux les plus poignants dans la vie, et pourtant il y a une puretĂ© dans lâharmonie, tout Ă fait classique. Au final quâest-ce que câest le romanticisme ? Il y a des gens qui trouvent Mozart romantique grĂące Ă toutes les Ă©motions prĂ©sentes dans sa musique⊠Il y a quelque de cet ordre. Son dĂ©veloppement est impressionnant. Jâaime bien quand on se sĂ©pare un peu de lâimage du gĂ©nie prĂ©coce et immaculĂ© ; ce quâil Ă©tait bien Ă©videmment, mais il y a une progression et une maturation Ă©vidente chez Mozart tout au long de sa vie. Câest tout autant impressionnant lâassurance quâil a dans ces gestes crĂ©ateurs, le dĂ©but de la Symphonie Prague par exemple, est inattendu, dâun formidable impact, et sans le moindre doute. Quelle maĂźtrise ! Par rapport Ă la question Ă©motionnelle, une chose mâa toujours interpellĂ©e : la capacitĂ© quâa Mozart Ă bouleverser de façon soudaine ; on croirait que tout est lisse, que tout va bien, et lĂ il y a une surprise, souvent courte, oĂč quelque chose dâinattendu se prĂ©sente ; tu ressens alors ton cĆur se serrer sans avertissement. Tous ces bouleversements font partie de la richesse de sa musique, et plus il y a des voix, plus il est capable dâexprimer les contrastes, comme d’Ă©clairer la complexitĂ©.
CN : Liszt est souvent considéré comme la premiÚre rockstar de la musique classique, voire de la musique tout court. Mozart, quant à lui, serait-il alors le premier auto-entrepreneur de la musique populaire ?
LOA : (rires) Peut-ĂȘtre ! Jâaurais tout fait pour assister Ă lâun de ses concerts de son vivant. Parfois il nous est difficile Ă notre Ă©poque de mesurer Ă quel point ses piĂšces sont virtuoses⊠comparĂ©es Ă Rachmaninov ou Bartok qui ont Ă©crit des piĂšces extrĂȘmement difficiles. On peut sâimaginer le moment juste avant le dĂ©but dâun Concerto de Mozart, disons le 21Ăšme par exemple, … comment il a du se faire plaisir, page aprĂšs page ; dans la partition se voit clairement la volontĂ© de plaire Ă son auditoire, une claire ambition d’affirmer ses compĂ©tences. Comment il a fait avancer le piano, câest impressionnant, notamment en comparaison avec Haydn. Il y a une grande joie chez Mozart, y compris dans sa virtuositĂ©. Je dois aussi dire quâil y a une joie physique pour le pianiste Ă interprĂ©ter ces concertos. Un vrai plaisir pour les mains de les jouer. Je pense quâil Ă©tait un pianiste tout Ă fait spectaculaire !
ENTRETIEN 2 ⊠suite de notre entretien avec Leif Ove ANDSNES, entretien 2/2
LIRE AUSSI notre annonce du cycle de concerts MOZART MOMENTUM par Leif Ove Andsnes
Propos recueillis en avril 2019 par notre envoyé spécial Sabino PENA ARCIA
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Compte-rendu, ballet. Paris. OpĂ©ra National de Paris, le 18 avril 2019. Leon, Lightfoot, Van Manen. Sol Leon, Paul Lightfoot, Hans Van Manen, chorĂ©graphes. LĂ©onore Baulac, Germain Louvet, Hugo Marchand, Ludmila Pagliero, Etoiles. Ballet de l’opĂ©ra. Elena Bonnay, pianiste. Fabuleux programme contemporain nĂ©oclassique au Ballet de lâOpĂ©ra de Paris, nĂ©erlandais Ă souhait, mĂ©langeant intensitĂ© stylisĂ©e et lĂ©gĂšretĂ© printaniĂšre. Le chorĂ©graphe nĂ©erlandais Hans Van Manen revient Ă lâOpĂ©ra pour la reprise heureuse de son court ballet Trois Gnossiennes. Deux de ses hĂ©ritiers artistiques, Sol Leon et Paul Lightfoot, chorĂ©graphes en rĂ©sidence au Nederlands Dans Theater, la compagnie nationale de danse contemporaine aux Pays-Bas, transmettent deux de leurs oeuvres pour la premiĂšre fois Ă Paris. DĂ©couverte extraordinaire !
Triptyque Made in the Netherlands
Audace néerlandaise, flair français
Deux ballets du duo Leon Lightfoot orbitent autour des Trois Gnosiennes de Van Manen. La soirĂ©e commence dans le noir avec Sleight of Hand (2007), piĂšce pour 8 danseurs sur une musique de Philippe Glass. Il semblerait que les chorĂ©graphes invitĂ©s ont une volontĂ©, Cunninghamienne presque, anti-narrative affirmĂ©e. Or, le ballet qui ouvre le programme (comme celui qui le termine) sont chargĂ©s de symboles et dâĂ©lĂ©ments extra-chorĂ©graphiques. DĂšs la levĂ©e du rideau, nous voyons sur scĂšne, au fond, deux gĂ©ants immobiles tout de noir vĂȘtus, Ă la mine expressive insolente (Hannah OâNeill et StĂ©phane Bullion). Les Etoiles Germain Louvet et LĂ©onore Baulac forment une sorte de couple. Si nous respectons lâenvie des maĂźtres dâĂ©viter toute lecture ou analyse narrative, on peut croire que ce « couple » se trouve plus ou moins perdu dans la scĂšne, et quâil cherche quelque chose, quelque part, au milieu de lâatmosphĂšre Ă©trange ambiante. Si lui rayonne toujours par la perfection absolue des mouvements, et assure les portĂ©s complexes de sa partenaire, elle brille par lâintensitĂ© de lâexpression.
Le trio des danseurs Chun Wing Lam, Pablo Legasa er Adrien Couvez est une rĂ©vĂ©lation ! Leur performance est chic choc au niveau de la danse, avec Lam particuliĂšrement tonique, et théùtralement superbe; leurs mouvements nĂ©oclassiques sont trĂšs souvent accompagnĂ©s dâexpressions et de grimaces concordantes avec lâambiance. Ils rentrent et sortent sur scĂšne avec une prĂ©sence magnĂ©tique qui mĂ©lange dĂ©contraction et mystĂšre. MickaĂ«l Lafon, lui, est comme une sorte dâĂȘtre quelque peu sauvage qui entre et sort de la scĂšne avec un rythme vertigineux et une prĂ©sence qui a tout pour plaire Ă une partie de lâauditoire.
AprĂšs un prĂ©cipitĂ© vient le ballet Trois Gnossiennes de Van Manen, dont le rĂ©pertoire est mĂ©connu en France, sauf pour les amateurs de la danse et les disciples, artistiques ou humains, de Rudolf NourĂ©ev, ancien Directeur du Ballet de lâOpĂ©ra. Le court ballet, musique Ă©ponyme dâErik Satie est un bijoux dâabstraction nĂ©oclassique, de sensualitĂ© subtile et de musicalitĂ© ! Le couple dâEtoiles qui lâinterprĂšte est constituĂ© de Ludmila Pagliero et Hugo Marchand. Ils excellent Ă tout niveau. Leurs lignes sont vraiment fantastiques, et le va et vient entre danse nĂ©oclassique, mathĂ©matique, millimĂ©trique et attitude/expression tout modernement tendue, est dĂ©licieux Ă regarder. Le partenariat est rĂ©ussi comme dâhabitude ; lui, assurant sans faille les portĂ©s compliquĂ©s, et elle avec une aisance frappante dans le langage chorĂ©graphique. Remarquons Ă©galement lâexcellente interprĂ©tation en direct sur scĂšne des Trois Gnossiennes de Satie par la pianniste Elena Bonnay.
AprĂšs lâentracte vient la piĂšce Speak for yourself (1999) pour 9 danseurs, sous des musiques -enregistrĂ©es- de Bach et de Reich. Elle commence avec le Premier Danseur François Alu, dansant avec un dispositif mobile qui produit de la fumĂ©e. Il restera collĂ© Ă sa machine qui fait des beaux effets. Sa danse a un cĂŽtĂ© volontairement projecteur, quâil gardera tout au long du ballet, Ă cĂŽtĂ© des autres. Ces derniers forment des couples quelque peu idiosyncratiques, et ils sont tous Ă©ventuellement contraints de⊠danser sous la pluie ! En effet, un dispositif inonde la scĂšne dâune fine pluie. Lâeffet est impressionnant, comme lâest lâaudace et le courage des danseurs sur scĂšne.
Le couple de Simon Le Borgne et Sylvia Saint-Martin captive dĂšs leur entrĂ©e, par une aisance Ă©lĂ©gante et insolente dans les mouvements. Le jeune Pablo Legasa se distingue comme dans la premiĂšre piĂšce au programme, ainsi que les Etoiles Valentine Colasante, Hugo Marchand et Ludmila Pagliero. Le style renvoie bien sĂ»r Ă Van Manen, mais aussi au langage nĂ©oclassique dâun autre personnage emblĂ©matique de la Nederlands Dans Teater, Jiri Kylian.
Si la durĂ©e du programme (1h30) peut paraĂźtre courte, ce sentiment sâexacerbe, bien sĂ»r, grĂące Ă la qualitĂ© des piĂšces prĂ©sentĂ©es. Deux superbes entrĂ©es au rĂ©pertoire et une reprise fantastique sont au rendez-vous au Palais Garnier. RĂ©alisations trĂšs fortement recommandĂ©es. Encore Ă lâaffiche les 26 et 27 avril ainsi que les 5, 11, 12, 14, 17, 18, 20 et 23 mai 2019 . Illustrations : © Agathe Poupeney / OpĂ©ra national de Paris
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, 7 avril 2019. Lady Macbeth de Mzensk, Chostakovitch. Dmitry Ulyanov, Ausrine Stundyte, Pavel Cernoch⊠Orchestre et choeurs de lâopĂ©ra. Ingo Metzmacher, direction. Krzysztof Warlikowski, mise en scĂšne. Chostakovitch, un des derniers compositeurs symphoniques de gĂ©nie, a créé seulement deux opĂ©ras. En cette premiĂšre printaniĂšre, nous assistons Ă la troisiĂšme production parisienne de son chef dâĆuvre lyrique, Lady Macbeth de Mzensk, dâaprĂšs NikolaĂŻ Leskov. Lâenfant terrible de la mise en scĂšne actuelle Krzysztof Warlikowski est confiĂ© la mise en scĂšne de la nouvelle production, et le chef allemand Ingo Metzmacher assure la direction musicale dâune partition redoutable. Une premiĂšre dâune grande intensitĂ© qui nous rappelle dâun cĂŽtĂ© la pertinence de lâopus rarement jouĂ©, et dâun autre, le fait indĂ©niable que lâopĂ©ra est bel et bien un art vivant.
Balance ton paradigme, mais un seul…
Dans lâopĂ©ra, Katerina IsmaĂŻlova est lâĂ©pouse du commerçant Zynovi IsmaĂŻlov, lui-mĂȘme fils du commerçant Boris IsmaĂŻlov. Elle sâennuie, elle est peu aimĂ©e de son mari, souvent humiliĂ©e par son beau-pĂšre, notamment aprĂšs le dĂ©part temporaire du mari. La cuisiniĂšre Aksinia lui fait remarquer le nouvel ouvrier SergueĂŻ, qui avait perdu son travail prĂ©cĂ©dent Ă cause dâune liaison avec sa patronne. Il et elle / Serguei et Katerina, commencent une relation amoureuse qui est dĂ©couverte par le beau-pĂšre. Elle lâempoisonne, mais celui-ci fait appeler son fils avant son trĂ©pas. LâĂ©poux arrive : il trouve le couple adultĂšre, qui le tue, puis cache le cadavre dans la cave. Fast-forward aux noces de Katerina et SergueĂŻ oĂč en plein milieu de diverses festivitĂ©s la police les arrĂȘte. Ils sont condamnĂ©s aux travaux forcĂ©s dans un camp en SibĂ©rie et partent au bagne. SergueĂŻ accuse Katerina dâĂȘtre la cause de son malheur et la trompe avec Sonietka, une autre condamnĂ©e. Katerina nâen peut plus ; elle finit par pousser sa rivale dans lâeau et sây jeter aprĂšs. Si le sordide nâassĂšche pas lâinspiration de Chostakovitch, il lui permet aussi dâĂ©crire une partition orchestralement somptueuseâŠ
Chostakovitch et son collaborateur, le librettiste Alexandre Preis, sâinspirent dâun conte Ă©ponyme du romancier russe NikolaĂŻ Leskov pour lâhistoire de lâopĂ©ra. Nous sommes en 1934, le compositeur a moins de 30 ans. Si le conte expose la cruautĂ© de la tueuse Katerina IsmaĂŻlova, Chostakovitch, en bon communiste obĂ©issant quâil Ă©tait encore Ă lâĂ©poque (protĂ©gĂ© du militaire soviĂ©tique Toukhatchevski), transforme le drame, et par rapport aux meurtres de son hĂ©roĂŻne, et trouve des circonstances attĂ©nuantes : il dit quâils nâĂ©taient « pas vraiment des crimes, mais une rĂ©volte contre ses circonstances, et contre lâatmosphĂšre maladive et sordide dans laquelle vivaient les marchands de classe moyenne au 19e siĂšcle ». Un commentaire destinĂ© Ă Ă©dulcorer un rien la vulgaritĂ© ordinaire et cynique du sujet⊠Cette rationalisation idĂ©ologique nâa pas Ă©tĂ© suffisante pour convaincre les autoritĂ©s soviĂ©tiques qui interdisent lâĆuvre. Son adhĂ©sion officielle au Parti Communiste en 1961 lui permet de voir lâinterdiction levĂ©e, et il refait lâĆuvre en 1963 dans une version allĂ©gĂ©e. Son ancien Ă©lĂšve, le violoncelliste Rostropovich, dirige et enregistre la version originale pour la premiĂšre fois en 1978, trois ans aprĂšs la mort du compositeur.
#MeToo, ok ? OK ???
Sur le plan musical, la fusion du tragique et du cynisme transparaĂźt dans les sonoritĂ©s polystylistiques et dans le clash violent de lâinconciliable ; des bruits cĂŽtoient le contrepoint ; des effets folklorisants et naturalistes couvrent un vaste paysage symphonique, un lyrisme vocal presque vĂ©riste coexiste dans un orchestre expressionniste, aux procĂ©dĂ©s parfois rĂ©pĂ©titifs, cinĂ©matographiques. Les interludes dans lâopus sont les moments les plus beaux et les plus impressionnants dans lâorchestre, mĂȘme si tout au long des 4 actes, les diffĂ©rents groupes et solistes se distinguent, notamment les bois et les cuivres, ainsi que les percussions que nous fĂ©licitons particuliĂšrement. La direction de Metzmacher est claire et limpide, presque belle et Ă©motive, un aspect bienvenu dans une Ćuvre parfois cacophonique, mais qui ne plaĂźt certainement pas Ă tous.
La distribution avec des nombreux rĂŽles secondaires est solide dans les performances, mĂȘme si inĂ©gale. Si nous apprĂ©cions le chant et le jeu du Pope drolatique de Krzysztof Baczyk , ou lâexcellente et intense Sofija Petrovic en Aksinia ; ou encore le jeu dâactrice dâOksana Volkova en Sonietka, ainsi que les chĆurs de lâOpĂ©ra (moussogrskiens Ă souhait, sous la direction du chef des chĆurs JosĂ© Luis Basso ), nous retiendrons particuliĂšrement les prestations du couple adultĂšre et du beau-pĂšre. Ce dernier, interprĂ©tĂ© par la basse russe Dmitry Ulyanov se montre maĂźtre absolu de la partition difficile, et malgrĂ© le grotesque du personnage conquit lâauditoire par un chant parfois dâun lyrisme inattendu.
Inattendue Ă©galement lâaisance scĂ©nique des protagonistes dans la mise en scĂšne trĂšs physique de Warlikowski, sur laquelle nous reviendrons. Si le tĂ©nor Pavel Cernoch incarne dĂ©licieusement lâouvrier sĂ©ducteur par son jeu dâacteur et ses tenues rĂ©vĂ©latrices, il le fait aussi par sa voix solaire au rayonnement sensuel, mais qui nâĂ©clipse jamais rien. La soprano lituanienne Ausrine Stundyte dĂ©butant Ă lâOpĂ©ra de Paris captive lâauditoire en permanence, elle dessine un personnage complexe par son jeu dâactrice et campe une prestation monumentale au niveau musical. Le pseudo-air du printemps (ou plutĂŽt air du couchage) Ă la fin du Ier acte est un moment dâune Ă©trange sensualitĂ© musicale, oĂč elle montre dĂ©jĂ toutes le qualitĂ©s vocales quâelle exploitera jusquâĂ la fin de la reprĂ©sentation. Velours, aisance dans les aigus, projection idĂ©ale⊠Une rĂ©ussite !
Et la mise en scĂšne de Warlikowski ? Une immense rĂ©ussite qui a suscitĂ© beaucoup dâĂ©motion Ă la premiĂšre. Le Polonais campe une crĂ©ation focalisĂ©e sur la question sexuelle, au dĂ©triment (ou pas) de lâaspect soviĂ©tique / socialiste. Pleinement ancrĂ©e dans son temps, la mise en scĂšne a lieu dans un lieu unique, un abattoir de porcs , oĂč lâon a droit a des scĂšnes de viol dâun grand rĂ©alisme et intensitĂ©, Ă un grotesque cabaret, et a beaucoup dâattouchements qui ne sont pas gratuits, puisque le parti pris est explicitement en rĂ©fĂ©rence Ă #metoo. Si vous lâignoriez, la mise en scĂšne en permanence nous le rappelle. On serait tentĂ© de croire que le metteur en scĂšne ait voulu faire une crĂ©ation manichĂ©enne, avec un camp du bien et un camp du mal dĂ©finis, Ă lâinstar de la rĂ©alitĂ© mĂ©diatique et volontĂ© politique actuelle, mais il nous montre dĂšs le dĂ©but quâil ne touchera pas vraiment lâopus du maĂźtre (bien lui en fasse), oĂč malgrĂ© la sympathie marxiste, tous les camps sont dĂ©solants et meurtriers. Lady Macbeth est une machine cynique et lyrique dâun souffle manifeste. A dĂ©couvrir Ă lâOpĂ©ra Bastille encore les 13, 16, 19, 22 et 25 avril 2019 (retransmission en direct dans certains cinĂ©mas le 16 avril 2019) . Illustrations : © Bernd Uhlig / OpĂ©ra national de Paris)
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NDLR : Le site de l’OpĂ©ra de Paris prend les mesures qui s’imposent : certaines scĂšnes peuvent choquer la sensibilitĂ© des plus jeunes comme les spectateurs non avertis, est-il prĂ©cisĂ© sur la page de prĂ©sentation et de rĂ©servation. Utile prĂ©caution. AprĂšs une production des Troyens dont le metteur en scĂšne lui aussi scandaleux (Dmitri Tcherniakov) n’hĂ©sitait pas Ă réécrire l’histoire et les relations des personnages, contredisant et dĂ©naturant Berlioz , voici une nouvelle production dont la violence et l’absence de poĂ©sie, certes lĂ©gitimes eu Ă©gard au sujet et au style de Chostakovitch, malmĂšne le confort ordinaire du spectateur bourgeois… CQFD.
COMPTE-RENDU, opĂ©ra. MONTPELLIER, OpĂ©ra, le 20 fĂ©vrier 2019. DONIZETTI : Don Pasquale. Taddia, Muzychenko, Greenhalgh⊠Spotti / Valentin Schwarz. L’opĂ©ra bouffe parisien de Donizetti, Don Pasquale, tient lâaffiche de lâOpĂ©ra de Montpellier dans la production du laurĂ©at du Ring Award 2017, le jeune autrichien Valentin Schwarz et son Ă©quipe artistique. Jeunesse Ă la baguette Ă©galement avec le chef italien Michele Spotti qui dirige lâorchestre maison avec une fougue impressionnante laquelle sâexprime aussi dans les performances de la distributions des chanteurs-acteurs. Une crĂ©ation riche en surprises !
Comédie romantique, mais pas trop
Donizetti, grand improvisateur italien Ă l’Ă©poque romantique, compose Don Pasquale en 1843 pour le Théùtre-Italien de Paris. Un peu moins sincĂšre que son autre comĂ©die : LâElixir dâamour, lâopus raconte les mĂ©saventures de Don Pasquale. Il a un neveu, Ernesto, quâil veut marier afin de le faire hĂ©riter, mais ce dernier est hĂ©las amoureux dâune jeune veuve, Norina. Elle se met dâaccord avec Malatesta, le mĂ©decin du Don, et simule de se marier avec le vieux riche⊠stratagĂšme et tromperie⊠qui finissent heureusement, comme dâhabitude, par le mariage des jeunes amoureux contre toute attente, et avec lâombre pesante de lâhumiliation acharnĂ©e, mais bien drĂŽle, de Don Pasquale.
La distribution incarne les rĂŽles avec une fraĂźcheur et une panache confondantes. Le jeu dâacteur est un focus de la production. La Norina de la soprano Julia Muzychenko (prise de rĂŽle) est une belle dĂ©couverte : elle est dĂ©capante par la force de son gosier. DĂšs son premier air, la jeune diva fait preuve dâune colorature pyrotechnique qui sied bien Ă lâaspect plutĂŽt physique de ses contraintes scĂ©niques. Elle est piquante, voire mĂ©chante, Ă souhait. LâErnesto du tĂ©nor Edoardo Miletti rayonne dâhumanitĂ© , bien quâil soit une sorte de jeune homme autiste dans la transposition de la mise en scĂšne ; au-delĂ du grotesque « light » théùtral, il brille par la beautĂ© de son instrument. La bellissime sĂ©rĂ©nade du 3e acte « ComâĂš gentil la notte a mezzo april ! », lâair rĂ©signĂ© du 2e acte « Cerchero lontana terra » avec trompette mĂ©lancolique obligĂ©e, sont des vĂ©ritables sommets musicaux.
Le rĂŽle-titre est interprĂ©tĂ© par le doyen de la distribution, le baryton italien Bruno Taddia . Il incarne le rĂŽle avec toutes les qualitĂ©s qui sont les siennes, un style irrĂ©prochable, une prĂ©sence et performance physique presque trop pĂ©tillante et tonique, un vĂ©ritable tour de force comique. Sâil a lâair un peu perdu dans la production, – car il doit mĂȘme y voler dans les airs, ceci correspond drĂŽlement Ă la tragĂ©die lĂ©gĂšre du personnage Ăągé : il est seul avec ses dĂ©sirs, son passĂ©, son argent, tout en Ă©tant entourĂ© de gens trĂšs attentionnĂ©s qui veulent lui prendre quelque chose, quelque part⊠Le jeune baryton amĂ©ricain Tobias Greenhalgh en trĂšs bonne forme vocale interprĂšte un Malatesta dĂ©licieusement sournois. Son duo schizophrĂšne avec Don Pasquale au 3e acte est un bijou comique difficile Ă oublier. Remarquons Ă©galement la performance courte mais solide du baryton-basse Xin Wang en notaire.
Moins convaincant, le chĆur de lâopĂ©ra dirigĂ© par NoĂ«lle GĂ©ny paraĂźt quelque peu en retrait, mais la performance satisfait.
Cette production est unique pour diffĂ©rentes raisons. En dehors de la mise en scĂšne de Valentin Schwarz, dans son dĂ©cors unique (excellent « cabinet de curiositĂ©s » dâAndrea Cozzi, scĂ©nographe LaurĂ©at du Ring Award 2017), et jouant beaucoup sur des gags théùtraux plus ou moins typiques, nous avons une premiĂšre en France avec lâinclusion de deux chant-signeurs Ă la production. DĂ©jĂ accessible aux malvoyants (le dimanche 24 fĂ©vrier), câest la premiĂšre fois en France quâon adapte un opĂ©ra en Langue de Signes Française. Ce sont comme deux spectres sur scĂšne qui ne se contentent pas de juste traduire lâintrigue, mais lâadaptent, lâinterprĂštent. Ceci ajoute une qualitĂ© supplĂ©mentaire pour le spectacle, qui est globalement bien accueilli par lâauditoire Ă la premiĂšre.
La musique instrumentale de Donizetti nâĂ©gale pas le naturel de sa musique vocale, mais le chef Michele Spotti rĂ©ussit Ă trouver la dynamique correcte avec lâorchestre pour que les voix soient toujours privilĂ©giĂ©es, pour que les cordes soient frĂ©missantes Ă commande, et la performance des percussions et des bois est particuliĂšrement engageante. Une rĂ©ussite globale et une excellente initiative Ă inscrire au mĂ©rite de la Directrice GĂ©nĂ©rale, ValĂ©rie Chevalier. A voir Ă lâOpĂ©ra-ComĂ©die de Montpellier encore jusquâau 26 fĂ©vrier 2019. Illustrations : © Marc Ginot 2019
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COMPTE-RENDU, opĂ©ra. MONTPELLIER, OpĂ©ra, le 20 fĂ©vrier 2019. DONIZETTI : Don Pasquale. Bruno Taddia, Julia Muzychenko, Tobias Greenhalgh⊠Orchestre et choeurs de lâopĂ©ra. Michele Spotti, direction. Valentin Schwarz, mise en scĂšne.
Compte rendu, opĂ©ra. PARIS, OpĂ©ra Garnier, le 29 janvier 2019. Dvorak : Rusalka. Klaus Florian Vogt, Karita Mattila, Camilla Nylund… Choeurs et Orchestre de lâOpĂ©ra. Susanna MĂ€lkki, direction. Robert Carsen, mise en scĂšne. Le Dvorak lyrique de retour Ă lâOpĂ©ra avec la reprise de la production de Robert Carsen du conte Rusalka, dâaprĂšs la mythique crĂ©ature aquatique des cultures grecques et nordiques. La direction musicale du drame moderne et fantastique est assurĂ©e par la cheffe Susanna MĂ€lkki, et une distribution de qualitĂ© mais quelque peu inĂ©gale en cette premiĂšre dâhiver.
Rusalka : la magie de lâeau glacĂ©e
Lâhistoire de la nymphe dâeau douce, immortelle mais sans Ăąme, qui rĂȘve de devenir humaine pour connaĂźtre lâamour, souffrir, mourir et⊠renaĂźtre (!) est inspirĂ©e principalement de lâOndine de La Motte-FouquĂ© et de la Petite SirĂšne dâAndersen. Créé au dĂ©but du 20e siĂšcle, lâĆuvre peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme lâapothĂ©ose des talents multiples du compositeur tchĂšque. Il ajoute Ă sa fougue rythmique, un lyrisme Ă©nergique. Il utilise tous ses moyens stylistiques pour caractĂ©riser les deux mondes opposĂ©s : celui des crĂ©atures fantastiques, dĂ©pourvues dâĂąme, mais non de compassion; celui des ĂȘtres douĂ©s dâĂąmes mais aux Ă©motions instables. Un heureux mĂ©lange de formes classiques redevables au Mozart lyrique et proches des audaces lisztiennes et wagneriennes. Parfois il utilise des procĂ©dĂ©s impressionnistes, et parfois il anticipe lâexpressionnisme lyrique.
UNE FROIDEUR LYRIQUE QUI PEINE A SE CHAUFFER⊠Les nymphes de bois qui ouvrent lâĆuvre sont un dĂ©licieux trio parfois Ă©mouvant parfois piquant, interprĂ©tĂ© par Andrea Soare, Emanuela Pascu et Elodie MĂ©chain. Leur prestation au dernier acte relĂšve et de Mozart et de Wagner sous forme de danse traditionnelle. La Rusalka de la soprano finnoise Camilla Nylund prend un certain temps Ă prendre ses aises. Son archicĂ©lĂšbre air Ă la lune du premier acte dĂ©chire les coeurs de lâauditoire par une interprĂ©tation bouleversante dâhumanitĂ© et de tendresse. Câest dans le finale de lâopĂ©ra surtout, lors du duo dâamour et de mort qui clĂŽt lâouvrage, quâelle saisit lâaudience par la force de son expression musicale. Son partenaire le tĂ©nor Klaus Florian Vogt prend Ă©galement un certain temps Ă se chauffer. A la fin du premier acte, il conquit avec son air de chasse, qui est aussi la rencontre avec Rusalka devenue humaine. La prestation est instable et perfectible : il paraĂźt un peu tendu, voire coincĂ© sur scĂšne. Il semble avoir des difficultĂ©s avec des notes ; est parfois en dĂ©calage, mais il essaie de dĂ©tendre sa voix dans les limites du possible, et sa performance brille toujours par la beautĂ© lumineuse et incomparable du timbre comme la maĂźtrise de la ligne de chant. Le duo final est lâapothĂ©ose de sa performance.
La Princesse Ă©trangĂšre de Karita Mattila est dĂ©licieuse et mĂ©prisante au deuxiĂšme acte, sans doute lâune des performances les plus intĂ©ressantes et Ă©quilibrĂ©es de la soirĂ©e. La sorciĂšre de la mezzo-soprano Michelle DeYoung est un cas non dĂ©pourvu dâintĂ©rĂȘt. Théùtralement superbe au cours des trois actes, nous trouvons que câest surtout au dernier quâelle dĂ©ploie pleinement ses qualitĂ©s musicales. Remarquons le duo comique et folklorique chantĂ© avec brio et candeur par Tomasz Kumiega en Garde Forestier et Jeanne Ireland en garçon de cuisine, âŠpeureux, superstitieux, drolatiques Ă souhait. La performance de Thomas Johannes Mayer en Esprit du Lac a Ă©tĂ© dĂ©chirante, par la beautĂ© du texte et du leitmotiv associĂ©, mais comme beaucoup dâautres interprĂštes Ă cette premiĂšre, son chant sâest souvent vu noyĂ© par lâorchestre.
LES VOIX SONT COUVERTES PAR LâORCHESTRE ⊠Lâorchestre de la maison sous la baguette fiĂ©vreuse de Susanna MĂ€lkki est conscient des timbres et des couleurs. Lâinstrumentation de Dvorak offre de nombreuses occasions aux vents de rayonner, et nous nâavons pas manquĂ© de les entendre et de les apprĂ©cier. La prĂ©cision des cordes Ă©galement est tout Ă fait mĂ©ritoire. Or, la question fondamentale de lâĂ©quilibre entre fosse et orchestre, notamment dans lâimmensitĂ© de lâOpĂ©ra Bastille, paraĂźt peu ou mal traitĂ©e par la chef. La question sâamĂ©liore au cours des actes, et nous pouvons bien entendre et lâorchestre et les chanteurs au dernier. Un bon effort.
Sinon que dire de la mise en scĂšne Ă©lĂ©gante, raffinĂ©e et si musicale de Robert Carsen ? Jeune de 17 ans, elle conserve ses qualitĂ©s dues Ă un travail de lumiĂšres exquis (signĂ© Peter van Praet et Carsen lui-mĂȘme), qui captive visuellement lâauditoire. Le dispositif scĂ©nique est une boĂźte oĂč un jeu de symĂ©tries opĂšre en permanence, comme le jeu des doublures des chanteurs par des acteurs. Dâune grande poĂ©sie, la transposition sage du canadien ne choque personne, malgrĂ© un numĂ©ro de danse sensuelle au deuxiĂšme acte qui reprĂ©sente la consommation de lâinfidĂ©litĂ© du Prince, ou encore lâinstabilitĂ© et la frivolitĂ© violente des hommes. Si le jeu dâacteur est prĂ©cis, de nombreux dĂ©calages sont prĂ©sents dans lâexĂ©cution et la rĂ©alisation de la production. Une premiĂšre dâhiver qui se chauffe progressivement⊠pour un rĂ©sultat final qui enchante.
A voir Ă lâOpĂ©ra Bastille encore les 1er, 4, 7, 10 et 13 fĂ©vrier 2019. Incontournable.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 25 janvier 2019. Hector Berlioz : Les Troyens. StĂ©phanie DâOustrac, Ekaterina Semenchuk, Brandon Jovanovich, StĂ©phane Degout, Christian Van Horn… Choeurs et Orchestre de lâOpĂ©ra. Philippe Jordan, direction. Dmitri Tcherniakov, mise en scĂšne . Retour des Troyens dâHector Berlioz Ă lâOpĂ©ra Bastille pour fĂȘter ses 30 ans ! La nouvelle production signĂ©e du russe Dimitri Tcherniakov sâinscrit aussi dans les cĂ©lĂ©brations des 350 ans de lâOpĂ©ra National de Paris. Une Ćuvre monumentale rarement jouĂ©e en France avec une distribution fantastique dirigĂ©e par le chef de la maison, Philippe Jordan. La premiĂšre est en hommage Ă son dĂ©funt PrĂ©sident dâHonneur, et principal financeur du bĂątiment moderne, le regrettĂ© Pierre BergĂ©. Le metteur en scĂšne quant Ă lui dĂ©die la production Ă GĂ©rard Mortier. Une soirĂ©e forte en Ă©motion.
Fin tragique, retour heureux
Les Troyens de Berlioz (livret du compositeur Ă©galement) est dâaprĂšs lâĂ©popĂ©e latine de Virgile : lâEnĂ©ide, avec une inspiration et une volontĂ© dramatique shakespearienne Ă©vidente. Probablement lâopus le plus ambitieux, le plus complexe et le plus complet du compositeur, une sorte de Grand OpĂ©ra qui ne veut pas dire son nom ; câest une TragĂ©die Lyrique, romantique Ă souhait qui rĂȘve dâun classicisme passĂ© et qui se dresse volontairement contre la frivolitĂ© supposĂ©e de son temps (lâĆuvre est achevĂ©e en 1858). Lâhistoire se situe Ă Troie et Ă Carthage Ă lâĂ©poque de la guerre de Troie. AprĂšs des annĂ©es de siĂšge, les Grecs disparaissent et laissent le cĂ©lĂšbre cheval. Cassandre, prophĂšte troyenne et fille de Priam, le Roi de Troie, met en garde contre la joie prĂ©maturĂ©e des Troyens. Ils consacrent le cheval comme une divinitĂ© malgrĂ© le mauvais prĂ©sage de la mort du prĂȘtre Laocoon. Les Grecs cachĂ©s dans le cheval tuent tous les habitants, mais VĂ©nus sauve EnĂ©e, le hĂ©ros troyen⊠et il est sommĂ© de fonder une nouvelle patrie en Italie. La fin de Troie est marquĂ©e par le suicide de Cassandre et des femmes troyennes.
Le voyage mĂšne EnĂ©e chez les Carthaginois au nord de lâAfrique oĂč il tombe amoureux de Didon, Reine de Carthage. Le hĂ©ros y vit son bonheur jusquâau moment oĂč les spectres de ses ancĂȘtres le poussent Ă poursuivre sa route. Didon, abandonnĂ©e, met fin Ă ses jours.
Formellement, lâinspiration gluckiste est une Ă©vidence, avec lâajout bien personnel dâune instrumentation Ă©largie et novatrice pour son temps, et de longs dĂ©veloppements passionnĂ©s et passionnants. Riche en pages Ă©mouvantes, avec beaucoup de vĂ©racitĂ© et des cris de passion bouleversants, lâĆuvre est avant tout une rĂ©ussite instrumentale, lâinventivitĂ© orchestrale du français est Ă son sommet. Berlioz parachĂšve la tradition lyrique tout en dĂ©clarant la guerre ouverte aux conventions de lâĂ©poque.
Nous avons droit Ă une succession de grands moments musicaux, pourtant sans apparentes prĂ©tentions virtuoses. Dans la premiĂšre moitiĂ©, Ă Troie, le personnage de Cassandre est le chef de file. Brillamment interprĂ©tĂ© par le mezzo-soprano StĂ©phanie dâOustrac . Convaincante, la maĂźtrise impressionnante du souffle, et une expression incarnĂ©e, dâune dignitĂ© troublante, bouleversante de beautĂ©. Son duo du 1er acte « Quand Troie Ă©clat » avec le baryton StĂ©phane Degout est tout simplement magnifique, voire sublime. Il est le digne compagnon de la mezzo-soprano Ă tous niveaux, par sa diction impeccable et la force sombre et rĂ©solue de son expression musicale. Le finale du 2e acte est tout simplement Ă©poustouflant. Nous avons encore des frissons de frayeur. Inoubliable dans tous les sens.
La deuxiĂšme partie en apparence plus heureuse est lâoccasion pour le tĂ©nor Brandon Jovanovich dans le rĂŽle dâEnĂ©e de briller davantage. Il est capable de tenir les cinq actes ; le chanteur interprĂšte le rĂŽle avec la puissance vocale et le lyrisme expressif nĂ©cessaire. La Didon de la mezzo-soprano Ekaterina Semenchuk a une voix qui remplit lâimmensitĂ© de lâauditorium, tĂąche pourtant peu Ă©vidente. Son style Ă©galement est surprenant et trĂšs Ă propos, tellement quâon lui pardonnera les dĂ©fauts ponctuels dans lâarticulation. Le nocturne qui clĂŽt lâacte 4, « Nuit dâivresse et dâextase infinie » est un duo dâune ensorcelante beautĂ©, avec des lignes mĂ©lodiques interminables saisissantes, comme lâest lâespoir de leur amour condamnĂ©. La mort de Didon au dernier acte est Ă©galement un sommet. Nous remarquons Ă©galement les performances dâAude ExtrĂ©mo en Anne, sĆur de Didon, celle de Cyrille Dubois en Iopas avec son chant sublime et archaĂŻsant du 4e avec harpe obligĂ©e, ou encore celle de Christian Van Horn en Narbal, Ă la voix veloutĂ©e et large comme sa prĂ©sence sur scĂšne.
Le protagoniste est lâorchestre, pourtant, magistralement dirigĂ© par Philippe Jordan . Les cuivres sont expressifs Ă souhait et les cordes dramatiques ponctuelles. LâintermĂšde qui ouvre le 4e acte « Chasse royale et orage » est le moment symphonique de la plus grande prestance et dâun grand intĂ©rĂȘt. Les vents Ă lâoccasion nous transportent dans les merveilleuses contrĂ©es du talent musical du compositeur. Si lâorchestre est protagoniste, le chĆur dirigĂ© par JosĂ© Luis Basso pourrait lâĂȘtre Ă©galement. Le dynamisme est Ă©vident, mais surtout la maĂźtrise des couleurs et la force de lâexpression.
Que dire de la transposition de lâargument proposĂ© par Dmitri Tcherniakov ? Un coup de gĂ©nie pour beaucoup, une chose affreuse incomprĂ©hensible pour certains. Lâaction est situĂ©e dans une pĂ©riode contemporaine imaginĂ©e, on ne saurait pas oĂč ni quand exactement, mais le drame Troyen devient drame de famille politique quelque part, et le sĂ©jour carthaginois a lieu dans un « Centre des soins en psycho-traumatologie pour les victimes de guerre », oĂč les victimes sont les protagonistes de lâopus, et oĂč lâon fait du théùtre (dans le théùtre), du ping-pong, du yoga ; oĂč certains figurants sont des vĂ©ritables mutilĂ©s⊠Chose insupportable pour une partie de lâauditoire qui, en forte contradiction avec leur dĂ©sir supposĂ© dâĂ©lĂ©gance antique et formelle, dĂ©cide dâoffrir le cadeau empoisonnĂ© de ses violentes huĂ©es Ă lâĂ©quipe artistique embauchĂ©e. Mais un tel poison en cette premiĂšre fait lâeffet contraire Ă celui souhaitĂ©, puisque la majoritĂ© de lâauditoire contre-attaque et se lĂšve pour faire une standing ovation, Ă notre avis, mĂ©ritĂ©e. Berlioz enfin sâadresse sans doute Ă ces derniers. De son vivant, il avait conscience de lâimplacable adversitĂ© parisienne, voilĂ©e de frivolitĂ©, et de sa rĂ©sistance Ă lâinnovation. On pourrait dire quâil fait nĂ©anmoins un clin dâĆil aux premiers dans une lettre dont nous aimerions partager un extrait « Ătant classique, je vis souvent avec les dieux, quelquefois avec les brigands et les dĂ©mons, jamais avec les singes  ». Une production de choc Ă vivre absolument.
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Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 25 janvier 2019. Hector Berlioz : Les Troyens. StĂ©phanie DâOustrac, Ekaterina Semenchuk, Brandon Jovanovich, StĂ©phane Degout, Christian Van Horn… Choeurs et Orchestre de lâOpĂ©ra. Philippe Jordan, direction. Dmitri Tcherniakov, mise en scĂšne. Encore Ă lâaffiche Ă lâOpĂ©ra Bastille le 28 et 31 janvier, ainsi que les 3, 6, 9 et 12 fĂ©vrier 2019.
Compte-rendu, ballet. Strasbourg. OpĂ©ra National du Rhin, le 17 novembre 2018. Spectres dâEurope. Bruno BouchĂ©, Kurt Jooss, chorĂ©graphes. Ballet de l’opĂ©ra. Maxime Georges, Stella Souppaya, pianistes. Automne kalĂ©idoscopique au Ballet de lâOpĂ©ra National du Rhin avec le programme trĂšs attendu Spectres dâEurope. Il comprend la toute premiĂšre crĂ©ation du nouveau directeur du ballet, le jeune Bruno BouchĂ©, intitulĂ©e Fireflies , et une rĂ©surrection toujours bienvenue de lâiconique et atemporelle Table Verte de Kurt Jooss, pĂšre du Tanztheater.
Un diptyque incandescent, Ă la pertinence bouleversante…
Le programme commence bien avant le dĂ©but officiel de la reprĂ©sentation, avec Les Spectres, une sorte dâinstallation vivante aux espaces publiques de lâopĂ©ra imaginĂ©e et rĂ©alisĂ©e par Daniel Conrod et Pasquale Nocera. Un avant-goĂ»t quelque peu dĂ©coratif mais agrĂ©able du programme chorĂ©graphique qui suit. La piĂšce qui ouvre la soirĂ©e est la premiĂšre crĂ©ation du Directeur pour la compagnie. Fireflies est aussi une Ćuvre conçue avec Daniel Conrod, journaliste-Ă©crivain, artiste associĂ© au CCN / Ballet de lâOpĂ©ra National du Rhin. Il fourni un texte plus ou moins explicatif dans le programme, « Le Chant des Lucioles », qui, au-delĂ de dĂ©voiler lâinspiration philosophique derriĂšre lâoeuvre, suscite des rĂ©flexions pertinentes qui perdurent. Le texte est dâune valeur qui cautionne tout Ă fait lâacquisition du programme, bien quâil ne soit pas nĂ©cessaire pour apprĂ©cier le diptyque.
Fireflies de Bruno BouchĂ© , parle par il mĂȘme. Si lâintention originale est aussi de faire un contrepoint lumineux Ă La Table Verte, dâapparence sombre, nous avons lâimpression que beaucoup se cache derriĂšre lâaspect un peu limpide voire austĂšre de lâoeuvre, et ce malgrĂ© des Ă©lĂ©ments trĂšs flashy comme les costumes mĂ©talliques de Thibaut Welchin et les lumiĂšres sophistiquĂ©es de Tom Klefstad. Aucun rideau ne se lĂšve en cette premiĂšre. La fine narration est dĂ©jĂ en train de vivre pendant que le public sâinstalle dans la salle ; des danseurs traversent la scĂšne. Comme une sorte de nonchalance bienvenue qui se dĂ©gage aussi parfois lors des ensembles. Ils sont parfois timides, comme une lumiĂšre qui nâoserait pas trop briller par peur de faire mal aux yeux⊠Mais des figures gĂ©omĂ©triques intĂ©ressantes se distinguent, des bribes de personnalitĂ© parfois se dĂ©marquent ; un curieux mĂ©lange dâexigence classique et dâangoisse contemporaine, jamais choquant, toujours allĂ©chant. Un ballet qui reprĂ©sente pour nous une aspiration heureuse, une graine nouvelle dont nous ignorons lâespĂšce mais que nous voulons voir fleurir sans le moindre doute.
AprĂšs lâentracte nous passons Ă la rĂ©surrection de la Table Verte de Kurt Jooss. Lâoeuvre créée en 1932 est un ballet carrĂ©ment anti-guerre. Kurt Jooss, figure de lâexpressionnisme allemand, collaborateur de Laban et prof de Pina Bausch, signe une Ćuvre quelque peu hĂ©tĂ©roclite comme son parcours, mais surtout dâune grande puissance dramatique. Deux pianistes Ă la fosse, Maxime Georges et Stella Souppaya, interprĂštent dĂ©licieusement la musique du compositeur allemand et collaborateur fĂ©tiche de Jooss, Fritz Cohen. Ici, des messieurs en noir assis autour dâune table verte dĂ©cident la sorte des milliers dâhumains contraints de partir en guerre pour y pĂ©rir. La mort tient la baguette invisible cachĂ©e derriĂšre chaque tableau, et elle se montre et sâexhibe souvent maĂźtresse, notamment grĂące Ă lâinterprĂ©tation saisissante du danseur Marwick Schmitt, implacable de tĂ©nacitĂ©, Ă la prĂ©sence effrayante et captivante. Une sĂ©rie de personnages dansent leur vĂ©cu, leurs peurs et leurs espoirs avec une force expressive tout Ă fait impressionnante. Les soldats sont rangĂ©s et enthousiastes, mĂȘme si parfois sots, parfois pompiers. Le porte-drapeau de Pierre-Emile Lemieux-Venne, par son attitude et sa cadence, chaque fois quâil passe conquit lâauditoire avec sa danse. La mĂšre de Susie Buisson est dâune expressivitĂ© perçante, comme la Jeune Fille de Monica Barbotte est attendrissante. Et aprĂšs ces tableaux parfois dĂ©chirants, parfois pompeux, toujours militaires ; aprĂšs la fabuleuse danse macabre de la mort, revient le tango dĂ©licieux du dĂ©but et les hommes en noir autour dâune table verte. OĂč la guerre en forme sonata. Un diptyque de qualitĂ© qui demeurera longtemps dans les consciences.
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Compte rendu, ballet. Strasbourg. OpĂ©ra National du Rhin, le 17 novembre 2018. Spectres dâEurope. Bruno BouchĂ©, Kurt Jooss, chorĂ©graphes. Ballet de l’opĂ©ra. Maxime Georges, Stella Souppaya, pianistes.
Compte-rendu, ballet. Paris. OpĂ©ra Garnier, le 29 octobre 2018. Hommage Ă Jerome Robbins . Mathias Heymann, Amandine Albisson, Hugo Marchand… Ballet de l’opĂ©ra. Sonia Wider-Atherton, Violoncelle solo. Orchestre de l’opĂ©ra, Valery Ovsyanikov, direction.
LâOpĂ©ra National de Paris participe Ă la cĂ©lĂ©bration du centenaire de la naissance du chorĂ©graphe nĂ©oclassique Jerome Robbins, avec une soirĂ©e dâhommage oĂč quatre de ses Ćuvres sont interprĂ©tĂ©es, dont le Fancy Free Ă qui il doit sa notoriĂ©tĂ© initiale (en 1944!), qui fait aujourdâhui entrĂ©e au rĂ©pertoire du ballet de la Grande Boutique. Le programme commence exceptionnellement avec le DĂ©filĂ© du Ballet pour cette premiĂšre automnale. La direction musicale de lâorchestre maison est assurĂ©e par le chef Valery Ovsyanikov.
Musicalité, modernité, humour, amour⊠Robbins !
Le DĂ©filĂ© a comme dâhabitude la capacitĂ© dâattendrir grĂące aux petits rats de lâEcole de danse de lâOpĂ©ra et dâimpressionner ⊠par lâĂ©lĂ©gance et prestance caractĂ©ristiques des Ătoiles. Ce soir, qui est lâavant dernier dĂ©filĂ© pour lâEtoile Karl Paquette partant Ă la retraite le 31 dĂ©cembre de cette annĂ©e, le public est quelque peu froid, voire enrhumĂ©. Cependant, le dĂ©filĂ©, sur la musique extraite des Troyens de Berlioz, fut beau. Un amuse-bouche certes un peu particulier compte tenu du programme nĂ©oclassique, mais toujours dĂ©licieux.
AprĂšs le DĂ©filĂ©, voici lâentrĂ©e au rĂ©pertoire de « Fancy Free  », lâoeuvre qui a catapultĂ© les carriĂšres de Jerome Robbins et Leonard Bernstein au siĂšcle dernier. François Alu en chef de file a Ă©tĂ© tout particuliĂšrement remarquable dans le peps, avec un entrain, un dynamisme Ă la fois comique et particulier qui sied bien Ă lâoeuvre. CarrĂ©ment inspirĂ©e des comĂ©dies musicales, la danse est tonique et acrobatique. Si tous les danseurs sur scĂšne ont Ă©tĂ© techniquement parfaits, certains cependant, avec leurs lignes si belles et leur maĂźtrise absolue des Ă©motions, ont du mal Ă incarner la libertĂ© et lâhumour. Nous gardons lâheureux souvenir dâAlice Renavand , dâEleonora Abbagnato ou encore de StĂ©phane Bullion pour lâeffort.
AprĂšs cette entrĂ©e au rĂ©pertoire dĂ©licieuse mais mitigĂ©e, est venu le moment de grĂące baroque ma non troppo, en musicalitĂ©, et en beautĂ© tout simplement. Il sâagit du ballet « A suit of dances  » (musique de Bach pour violoncelle solo, magistralement interprĂ©tĂ©e par la violoncelliste sur scĂšne Sonia Wider-Atherton ). Le danseur Etoile Mathias Heymann sâabandonne sur scĂšne et nous offre toute sa musicalitĂ© et sa virtuositĂ© pour notre plus grand bonheur.
AprĂšs lâentracte place Ă la modernitĂ© et la sensualitĂ© du Afternoon of a faun , sous la fantastique musique de Debussy PrĂ©lude Ă lâaprĂšs-midi dâun faune jouĂ©e par lâorchestre de façon envoĂ»tante Ă souhait. Le duo est interprĂ©tĂ© par les Etoiles Amandine Albisson et Hugo Marchand, le couple absolu pour ce ballet oĂč il est question de sĂ©duction du partenaire, mais avant-tout de sĂ©duction de son propre ego. Si Marchand est toujours allĂ©chant avec un mĂ©lange de force et de raffinement, lâAlbisson captive par ses pointes et par lâincarnation ; mĂȘme en tenue de cours de danse, elle sait  transmettre un je ne sais quoi de femme fatale troublante Ă souhait.
Le programme se termine avec lâattendu « Glass Pieces  » , musique rĂ©pĂ©titive de Philip Glass. Les Etoiles StĂ©phane Bullion et Ludmila Pagliero se dĂ©marquent lors du trĂšs beau duo central, tandis que le corps du Ballet tient le bateau du dĂ©but Ă la fin. Un ballet fort sympathique prĂ©sentant une autre façade de Robbins, plus gĂ©omĂ©trique et plus intellectuelle, certains croient plus moderne, mais surtout plus New-Yorkaise et tonique. Le programme se termine donc en couleurs pĂ©tillantes aprĂšs 25 minutes de danse.
Illustrations : © S Mathé / Opéra national de Paris 2018
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Compte-rendu, ballet. Paris. OpĂ©ra Garnier, le 29 oct 2018. Hommage Ă Jerome Robbins . Programme fortement recommandĂ© aux amateurs de danse nĂ©oclassique et pas que⊠Encore Ă lâaffiche les 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13 et 14 novembre 2018.
https://www.operadeparis.fr/saison-18-19/ballet/hommage-a-jerome-robbins
Compte rendu, opĂ©ra. Strasbourg. OpĂ©ra National du Rhin, le 19 octobre 2018. PellĂ©as et MĂ©lisande. Debussy . Jean-François Lapointe, Anne-Catherine Gillet, Jacques Imbrailo⊠Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Franck Ollu, direction. Barrie Kosky, mise en scĂšne. Hommage Ă Debussy Ă Strasbourg pour cette annĂ©e du centenaire de sa mort (NDLR : LIRE notre dossier CENTENAIRE DEBUSSY 2018 ) ; ainsi la production inattendue de PellĂ©as et MĂ©lisande de Barrie Kosky avec une superbe distribution plutĂŽt engagĂ©e ; Anne-Catherine Gillet et Jacques Imbrailo dans les rĂŽles-titres, sous la direction du chef Franck Ollu, pilotant lâOrchestre Philharmonique de Strasbourg, en pleine forme.
Pelléas de Debussy à Strasbourg : production choc !
RĂ©cit dâune tragĂ©die de la vie de tous les joursâŠ
Le chef dâoeuvre de Debussy et Maeterlinck revient Ă Strasbourg avec cette formidable production grĂące Ă un concert des circonstances brumeuses ⊠comme lâoeuvre elle mĂȘme. La production programmĂ©e au dĂ©part Ă Ă©tĂ© annulĂ©e abruptement apparemment pour des raisons techniques qui nous Ă©chappent. Heureux mystĂšre qui a permis Ă la directrice de la maison Eva Kleinitz de faire appel Ă Barrie Kosky, le metteur en scĂšne australien, Ă la direction de lâOpĂ©ra Comique de Berlin (que nous avons dĂ©couvert Ă Lille en 2014 : lire notre compte rendu de CASTOR et POLLUX de Rameau : ” De chair et de sang”, sept 2014 )
Pas de levĂ©e de rideau dans une production qui peut paraĂźtre minimaliste au premier abord grĂące Ă lâabsence notoire dâĂ©lĂ©ments de dĂ©cors. La piĂšce Ă©ponyme de Maeterlinck est en soi le bijou du mouvement symboliste Ă la fin du 19e siĂšcle. Le théùtre de lâindicible oĂč lâatmosphĂšre raconte en sourdine ce qui se cache derriĂšre le texte. Un théùtre de lâallusion subtile qui ose parler des tragĂ©dies quotidiennes tout en dĂ©ployant un imaginaire poĂ©tique souvent fantastique. Le parti pris fait fi des didascalies et rĂ©fĂ©rences textuelles. Pour notre plus grand bonheur ! Lâhistoire de Golaud, prince dâAllemonde qui retrouve MĂ©lisande perdue dans une forĂȘt et quâil Ă©pouse par la suite. Une fois installĂ©e dans le sombre royaume, elle tombe amoureuse de PellĂ©as, demi-frĂšre cadet de Golaud⊠Un demi-frĂšre quâil aime plus quâun frĂšre, bien quâils ne soient pas nĂ©s du mĂȘme pĂšre. LâopĂ©ra du divorce quelque part, se termine par le meurtre de PellĂ©as, la violence physique contre MĂ©lisande enceinte, et sa propre mort ultime.
Puisquâil sâagĂźt dâune sorte de théùtre trĂšs spĂ©cifique, – peu dâaction, beaucoup de descriptions-, lâopus se prĂȘte Ă plusieurs lectures et interprĂ©tations. Celle de Barrie Kosky est rare dans sa simplicitĂ© apparente et dans la profondeur qui en dĂ©coule. Nous sommes devant un plateau tournant, oĂč les personnages ne peuvent pas faire de vĂ©ritables entrĂ©es ou sorties de scĂšnes, mais sont comme poussĂ©s malgrĂ© eux par la machine. GrĂące Ă ce procĂ©dĂ©, le travail dâacteur devient protagoniste.
Quelle fortune dâavoir une distribution dont lâinvestissement scĂ©nique est palpable, Ă©poustouflant. Le grand baryton Jean-François Lapointe interprĂšte le rĂŽle de Golaud avec les qualitĂ©s qui sont les siennes , un art de la langue impeccable, un chant sein et habitĂ©, et sa prestance sans Ă©gale sur scĂšne. Sâil est dâune fragilitĂ© bouleversante dans les scĂšnes avec son fils Yniold (parfaitement chantĂ© par un enfant du Tölzer Knabenchor, Cajetan DeBloc h) en cause lâaspect meurtri, blessĂ© du personnage, le baryton canadien se montre tout autant effrayant et surpuissant, et théùtralement et musicalement, notamment dans ses « Absalon ! Absalon ! » au 4e acte, le moment le plus fort et forte de lâouvrage.
La MĂ©lisande dâAnne-Catherine Gillet est aĂ©rienne dans le chant mais trĂšs incarnĂ©e et captivante dans son jeu dâactrice, tout aussi frappant. Le trouble du personnage mystĂ©rieux se rĂ©vĂšle davantage dans cette production. Le PellĂ©as de Jacques Imbrailo , bien quâun peu caricatural parfois, est une dĂ©couverte gĂ©niale. Encore le jeu dâacteur fait des merveilles progressivement, mais il y a aussi une gradation au niveau du chant, avec une puretĂ© presque enfantine dans les premier, second et troisiĂšme actes, il devient presque hĂ©roĂŻque au quatriĂšme.
Des compliments pour lâexcellente GeneviĂšve de Marie-Ange Todorovitch , redoutable actrice, et aussi pour lâArkel de Vincent Le Texie r, dont les quelques imprĂ©cisions vocales marchent en lâoccurrence. Lâautre rĂŽle, principal, si ce nâest LE rĂŽle principal, vient Ă lâorchestre, en pleine forme, presque trop. Si les chanteurs doivent souvent sâĂ©lever au dessus de la phalange, nous avons eu la sensation parfois pendant cette premiĂšre quâil sâagissait dâun vĂ©ritable combat, sans rĂ©els gagnants. Parce que lâexĂ©cution des instrumentistes a Ă©tĂ© trĂšs souvent âŠincroyable, notamment lors des interludes sublimes, nous soupçonnons que la direction de Franck Ollu a impliquĂ© des choix qui ne font pas lâunanimitĂ©. Le chef a Ă©tĂ© nĂ©anmoins largement ovationnĂ© aux saluts comme tous les artistes collectivement impliquĂ©s.
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A voir et revoir sans modĂ©ration pour le plaisir musical pour lâannĂ©e du centenaire DEBUSSY 2018, mais aussi et surtout pour dĂ©couvrir lâart de Barrie Kosky et son Ă©quipe (impeccables costumes de Dinah Ehm, dĂ©cors et lumiĂšres hyper efficaces de Klaus GrĂŒnberg notamment), que nous voyons trop rarement en France. A lâaffiche Ă Strasbourg les 21, 23, 25 et 27 octobre, ainsi que les 9 et 11 novembre 2018 Ă Mulhouse.
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Compte rendu, opéra. Strasbourg. Opéra National du Rhin, le 19 octobre 2018. Pelléas et Mélisande. Debussy . Jean-François Lapointe, Anne-Catherine Gillet, Jacques Imbrailo⊠Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Franck Ollu, direction. Barrie Kosky, mise en scÚne. Illustrations : © Klara Beck / Opéra national du Rhin 2018
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Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Comique, le 12 octobre 2018. Orphée et Eurydice. Gluck / Berlios. Marianne Crebassa, HélÚne Guilmette, Lea Desandre⊠Choeur et Orchestre Ensemble Pygmalion. Raphaël Pichon, direction. Aurélien Bory, mise en scÚne.
RĂ©surrection de lâOrphĂ©e et Eurydice de Gluck remaniĂ© par Berlioz Ă lâOpĂ©ra Comique. Marianne Crebassa interpĂšrete le rĂŽle travesti dâOrphĂ©e avec HĂ©lĂšne Guilmette annoncĂ©e souffrante dans le rĂŽle dâEurydice, et une pĂ©tillante Lea Desandre dans le rĂŽle dâAmour. Le Choeur et Orchestre Ensemble Pygmalion sous la direction du jeune chef RaphaĂ«l Pichon assure lâexĂ©cution de la partition. Le metteur en scĂšne AurĂ©lien Bory propose une conception spatiale pleine de mirages parfois efficaces parfois confondants, mais trĂšs souvent rĂ©fĂ©rentiels.
Cadeau aux musicologues et curieux confondus
Massimo Mila a fait un hommage Ă Gluck en parlant dâOrphĂ©e dans ces termes « Câest la premiĂšre fois que lâopera seria du XVIIIe siĂšcle montre une participation aussi intime du musicien aux sentiments exprimĂ©s dans le drame, une traduction musicale aussi forte des caractĂšres, un sens aussi sobre et solennel de lâhellĂ©nisme dans lâinterprĂ©tation de la mythologie antique ». Il parlait de la version italienne dâorigine (1762), dont le principal pĂ©chĂ© semble ĂȘtre lâouverture pompeuse, quelque peu Ă cĂŽtĂ© du drame. Bien sĂ»r, la rencontre de Gluck avec lâhomme de lettres italien Ranieri deâ Calzabigi, qui signe le livret dâOrfeo ed Euridice, donnera naissance Ă la « rĂ©forme » de lâart lyrique dĂ©montrĂ©e 5 ans aprĂšs, avec la concrĂ©tisation de son drame lyrique tout aussi cĂ©lĂšbre, Alceste.
Lâhistoire tragique dâOrphĂ©e, musicien-poĂšte lĂ©gendaire plaisait sans doute aux sensibilitĂ©s romantiques de Berlioz, et il semblerait quâil sâestimait hĂ©ritier spirituel et musical du viennois. Pour son remaniement il a dĂ©cidĂ© dâutiliser les parties de la version italienne quâil estimait supĂ©rieures par rapport Ă la version française du compositeur datant de 1774, tout en refusant, ma non troppo, de faire des concessions Ă la Viardot (NDLR : – mezzo française aux possibilitĂ©s qui semblaient illimitĂ©es) qui crĂ©a sa version en 1859, ou encore au directeur du Théùtre-Lyrique oĂč elle eĂ»t lieu. En vĂ©ritĂ©, ce fut lâassistant de Berlioz, le jeune Camille Saint-SaĂ«ns qui a Ă©crit certaines modifications accommodantes.
Si dĂšs la levĂ©e du rideau, nous sommes frappĂ©s par les nombreuses rĂ©miniscences stylistiques de la cĂ©lĂšbre mise en scĂšne de Robert Carsen, quâon a pu voir Ă Paris le printemps dernier, nous focalisons notre attention trĂšs rapidement sur la performance de Marianne Crebassa, pleine dâĂ©motion et au chant toujours envoĂ»tant malgrĂ© la prosodie parfois malheureuse de la partition. HĂ©lĂšne Guilmette dans le rĂŽle dâEurydice dĂ©cide dâassurer la premiĂšre malgrĂ© sa souffrance, elle rĂ©ussit malgrĂ© tout Ă captiver les ouĂŻes lors des duos avec OrphĂ©e notamment. LâAmour de Lea Desandre est pĂ©tillant Ă souhait. LâĆuvre Ă©tant trĂšs fortement chorale, nous regrettons les choix stylistiques et partis pris de cette rĂ©surrection les concernant ; sans doute M. Berlioz a trouvĂ© meilleure la langueur et lâabsence de contrastes par exemple dans le choeur qui suit le cĂ©lĂšbre morceau « Quel nouveau ciel ». « Vieni al regni dei riposo » spirituel et exaltant et dynamique dans la version dâorigine, devient un « Viens dans ce sĂ©jour paisible » un peu trop ⊠somnolent.
En dĂ©pit de ses bĂ©mols, lâorchestre dirigĂ© par RaphaĂ«l Pichon exĂ©cute dignement la partition. FĂ©licitons particuliĂšrement les vents dĂ©licieux, les percussions ponctuelles rĂ©ussies et un groupe des cordes trĂšs rĂ©actif, qui fait preuve dâune grande complicitĂ©. Si nous prĂ©fĂ©rons la version italienne dâorigine, malgrĂ© son ouverture, nous recommandons cette nouvelle production de lâOpĂ©ra Comique surtout pour des raisons musicologiques, et bien sĂ»r pour lâinvestissement artistique des excellents musiciens engagĂ©s. A lâaffiche de la Salle Favart encore les 14, 16, 18, 20, 22 et 24 octobre 2018 . Illustrations : S BRION / OpĂ©ra Comique 2018
Compte rendu, opĂ©ra. Saint-Etienne. OpĂ©ra de Saint-Etienne, le 4 mai 2018. BenoĂźt Menut : Fando et Lis. Mathias Vidal, Maya Villanueva, Mark van Arsdale… Choeurs lyrique Saint-Etienne Loire. Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Daniel Kawka , direction. Kristian FrĂ©dĂ©ric, mise en scĂšne et livret dâaprĂšs lâĆuvre Ă©ponyme de Fernando Arrabal. CrĂ©ation mondiale contemporaine Ă Saint-Etienne ! Fruit du vĆu du directeur Eric Blanc de la Naulte de proposer des crĂ©ations contemporaines bisannuelles, nous sommes dans la maison StĂ©phanoise pour la dĂ©couverte de Fando et Lis du compositeur BenoĂźt Menut , prix Sacem 2016, livret de Kristian FrĂ©dĂ©ric dâaprĂšs la piĂšce de théùtre de Fernando Arrabal. Pour cette premiĂšre commande de la nouvelle direction, le chef Daniel Kawka dirige un orchestre symphonique en pleine forme et une distribution dâacteurs-chanteurs rayonnants dâinvestissement.
En route pour Tar⊠Ou pas
Fernando Arrabal, essayiste dramaturge et cinĂ©aste exilĂ© du franquisme au siĂšcle dernier, Ă©crit la piĂšce de théùtre : Fando et Lis en 1958. Lâhistoire deviendra encore plus cĂ©lĂšbre avec le film du camarade Alejandro Jodorowsky de 1968. Avec Roland Topor, les trois constitueront un mouvement artistique, Panique (1962 â 1973), en rĂ©action Ă la popularisation massive et institutionnelle du surrĂ©alisme. Si un mot clĂ© du mouvement est la violence, rĂ©elle ou imaginaire, comme facteur Ă purger dans toute quĂȘte de paix, la cruautĂ© et la dĂ©solation dĂ©saffectĂ©e touchent toujours et davantage les sensibilitĂ©s actuelles. Kristian FrĂ©dĂ©ric adapte une histoire dâamour post-apocalyptique, si lâon veut bien accorder Ă lâamour, anxiĂ©tĂ© et insignifiance ambiantes, oĂč Fando pousse sa copine paralysĂ©e Lis, dans une petite voiture qui fait office de lit, dans leur voyage dâallure initiatique vers la ville de Tar ; câest un endroit oĂč paraĂźt-il, « tout va bien ». Ils rencontrent trois personnages dans leur aventure qui participent aux joies absurdes du livret. Ils arrivent Ă destination, mais nulle nouveau commencement pour le couple, seulement la mort. Lis, des mains de son bien-aimĂ© Fando, et lui par le tir de son compagnon de route, Toso.
LâopĂ©ra en trois actes a un prologue et 6 tableaux, oĂč nous voyons passer souvent les chĆurs⊠et des corbeaux ! La conception scĂ©nographique et les dĂ©cors de Fabien TeignĂ©, avec les sombres lumiĂšres Ă©pileptiques de Nicolas Descoteaux, instaurent une atmosphĂšre tout Ă fait apocalyptique et dĂ©solante. Les costumes sales de MarilĂšne Bastien sây accordent magistralement. Ce dĂ©sir de haute qualitĂ© Ă©voquĂ© par le directeur de lâopĂ©ra dans le programme sây dĂ©montre mĂȘme dans les perruques et maquillages de Corinne Tasso et ChristĂšle Phillard.
Lâorchestre symphonique Saint-Etienne Loire sous la direction du chef Daniel Kawka se prĂ©sente en trĂšs bonne forme, et la direction musicale est suffisamment claire, articulĂ©e, parfaitement structurĂ©e que lâon peut discerner les caractĂ©ristiques et qualitĂ©s de la composition, dĂ©cidĂ©ment tonale, avec un pluralisme stylistique affirmĂ© qui trahit un esprit savant peut-ĂȘtre un brin trop sage et rĂ©fĂ©rentiel. Les promenades (on ne pourra pas vraiment dire explorations) harmoniques sont intĂ©ressantes, comme le rĂŽle des percussions qui fait penser Ă la gĂ©nĂ©ration des opĂ©ras des annĂ©es 70 qui a la vedette en ce moment ; ou encore la conjonction des timbres ou les essais dâĂ©criture contrapuntique, remarquables notamment chez le choeur.
Le bijoux dâune telle parure de dĂ©solation se trouve dans les performances heureuses et rĂ©ussies des chanteurs engagĂ©s. Le Fando de Mathias Vidal est superlatif. A la fois touchant et perchĂ© comme son ambitus, il livre une performance tonique, haute en mouvement et en dĂ©rision quelque peu bouleversante. LâĂ©tendue de la voix impressionne autant que la diction. Si lâarticulation des lignes de Maya Villanueva en Lis semble plus complexe, son interprĂ©tation nâest pas moins impressionnante. Elle a un magnĂ©tisme indĂ©niable sur scĂšne et son chant reste le plus lyrique (et vocalisant mĂȘme!) de toute la production. Le trio de Mark van Arsdale, Nicolas Certenais et Pierre-Yvess Pruvot en Toso, Namur et Mitaro respectivement, fait penser aux Juifs de la SalomĂ© de Richard Strauss. Leur interprĂ©tation est comique, bien jouĂ© et bien chantĂ©, mais pas assez dĂ©rangeante, ni pas assez drĂŽle. Presque trop « parfaite » dans une Ćuvre oĂč la raison cĂšde Ă lâidiotie et oĂč le beau cĂšde au moche. Enfin, remarquons le choeur de la maison qui fait vibrer lâauditoire par son dynamisme, malgrĂ© les quelques bĂ©mols au niveau de la prosodie.
Heureuse dĂ©marche que celle de la nouvelle direction de lâOpĂ©ra Saint-Etienne, soucieuse dâĂ©largir lâart lyrique hors des sentiers battus, dĂ©sireuse de nouveau, protagoniste active Ă la crĂ©ation musicale. Le public quitte lâauditoire aprĂšs presque deux heures oĂč malgrĂ© quelques longueurs et la violence trĂšs graphique de la rĂ©alisation scĂšnique, le mot maĂźtre est⊠émotion ! Pari rĂ©ussi.
SAISON LYRIQUE 2018 – 2019 / OPERA DU RHIN. Paris, Maison de lâAlsace, le 25 avril 2018. PrĂ©sentation de la saison 2018-2019 de lâOpĂ©ra National du Rhin. Eva Kleinitz, directrice gĂ©nĂ©rale. Bruno BouchĂ©, directeur artistique du Ballet de lâOpĂ©ra National du Rhin.
7 nouvelles productions dont une crĂ©ation française, un opĂ©ra dansĂ© et un opĂ©ra argentin au centre de la deuxiĂšme Ă©dition du Festival Arsmondo, ouverture, interdisciplinaritĂ©, transversalitĂ© comme fondements, partage dâĂ©motions et propagation des arts comme origine et aspiration⊠La nouvelle saison 2018-2019 de lâOpĂ©ra National du Rhin se rĂ©vĂšle riche en idĂ©es et en crĂ©ations, et ce Ă tous les niveaux. Voici un aperçu suite Ă la confĂ©rence de presse Ă laquelle nous avons assistĂ© en avril dernier.
« Je tiens Ă ouvrir plus encore lâOpĂ©ra Ă de nouveaux publics afin que notre communautĂ© dâart et dâesprit soit plus large et diversifiĂ©e », souligne avec raisons, Eva Kleinitz .
Lâambition qui fait mouche ! DeuxiĂšme saison officielle et premiĂšre saison vĂ©ritable pour la nouvelle directrice de lâOpĂ©ra National du Rhin, Eva Kleinitz. Nous sommes accueillis au rooftop de la Maison de lâAlsace aux Champs ĂlysĂ©es pour une confĂ©rence de prĂ©sentation de la nouvelle saison. Le cadre contemporain et design du rooftop, Ă lâendroit iconique et historique oĂč il se situe, sâaccorde Ă merveille aux intentions et dĂ©cisions de la nouvelle direction pour la saison prochaine.
2018-2019 rĂ©serve au public deux opĂ©ras pour les jeunes, dont une dâaprĂšs les musiques de Juan Crisostomo de Arriaga, aussi connu comme le Mozart Espagnol. IntitulĂ© La Princesse Arabe, câest une occasion unique de dĂ©couvrir davantage lâĆuvre joyeuse du compositeur mĂ©connu. Lâautre, dâaprĂšs les FrĂšres Grimm sâintitule Le Garçon et le Poisson Magique (du jeune compositeur contemporain hollandais Leonard Evers). De quoi rafraĂźchir lâĂ©tĂ© pour la premiĂšre, et sublimer lâhiver pour la deuxiĂšme.
A ces productions sâajoutent le retour des Talens Lyriques et Christophe Rousset pour La Divisione del Mondo, opĂ©ra baroque italien du XVIIe siĂšcle de Giovanni Legrenzi, et le retour du Festival Arsmondo Ă©dition Argentine, avec la piĂšce phare : Beatrix Cenci, opĂ©ra en deux actes dâAlberto Ginastera (1971) dont le chef Marko Lentonja assure la crĂ©ation française en mars/avril 2019. Autour de lâĆuvre orbite une sĂ©rie de manifestations pluridisciplinaires : des expositions, des rĂ©citals, des rencontres et encore plus. Le baryton argentin Armando Noguera en recital « argentino » Ă la guitare, les choeurs de lâopĂ©ra sous la direction fabuleuse de Sandrine Abello pour la « Misatango » ou Messe Ă Buenos Aires, lâexploration de la harpe dans la musique symphonique argentine avec lâOrchestre Philharmonique de Strasbourg sont lâoccasion de dĂ©couvrir davantage la culture du pays sud-amĂ©ricain.
Si la saison lyrique commence avec la nouvelle production du Barbier de SĂ©ville mise en scĂšne par Pierre-Emmanuel Rousseau, elle continue avec un Ă©vĂ©nement choc, PellĂ©as et MĂ©lisande avec mise en scĂšne, chorĂ©graphies et conception signĂ©es Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramovic, avec les dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra du Rhin du baryton Jacques Imbrailo dans le rĂŽle-titre, et les fabuleux Anne-Catherine Gillet et Jean-François Lapointe en MĂ©lisande et Golaud. Dans lâannĂ©e centenaire aprĂšs la mort de Debussy, nous nous rĂ©jouissons dĂ©jĂ pour la programmation de cette coproduction europĂ©enne.
LâannĂ©e lyrique 2018 se termine avec le retour de Mariame ClĂ©ment, metteur en scĂšne, pour une nouvelle production dâun opĂ©ra rare dâOffenbach, Barkouf ou un chien au pouvoir.
La saison, elle, se termine avec deux retours heureux Ă lâOpĂ©ra du Rhin. Dâabord le dĂ©licieux FreischĂŒtz de Carl Maria von Weber en avril/mai 2019 et surtout le retour de Mozart avec une nouvelle production de Don Giovanni juin/juillet, dont la mise en scĂšne est confiĂ©e Ă Marie-Eve Signeyrole.
Au niveau de la danse, la saison commence avec un ballet lĂ©gendaire du rĂ©pertoire moderne du théùtre dansĂ© La Table Verte de Kurt Joos et une crĂ©ation du directeur Bruno BouchĂ© intitulĂ©e Fireflies. Elle continue avec Le Lac des Cygnes revisitĂ©, transfigurĂ© par le danseur chorĂ©graphe tunisien Radhouane El Meddeb et un programme accueillant diffĂ©rentes compagnies de danse intitulĂ© Ballets EuropĂ©ens au XXIe siĂšcle. AprĂšs lâopĂ©ra-tango Maria de Buenos Aires dâAstor Piazzolla et Horacio Ferrer pendant le festival printanier Arsmondo, la saison se termine avec deux crĂ©ations sur les musiques de Mahler ; Harris Gkekas et Shahar Binyamini, chorĂ©graphes invitĂ©s.
Maintes surprises encore Ă dĂ©couvrir et redĂ©couvrir au cours de la prochaine saison⊠DĂźners sur scĂšne, midis lyriques, Singing Garden, rĂ©citals de Julie Fuchs, VĂ©ronique Gens, Simon Keenlyside, des efforts efficaces et ingĂ©nieux dâaction culturelle⊠Une saison qui brille dĂ©jĂ par la valeur de sa pensĂ©e large et inclusive rendue manifeste dans la programmation, et lâĂ©motion Ă©difiante quâimplique la propagation des arts, origine et objectif explicite de la nouvelle direction. A suivre, Ă soutenir, Ă dĂ©guster !
TOUTES LES INFOS sur le site de lâOpĂ©ra national du RHIN, saisn 2018 – 2019 .
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Bouffes du Nord, le 20 avril 2018. John Gay : LâopĂ©ra des gueux. Beverly Klien, Kate Batter, Benjamin Purkiss, musiciens des Arts Florissants. William Christie, direction musicale et clavecin. Robert Carsen, co-adaptation du livret et mise en scĂšne.RĂ©surrection insolente et heureuse du Beggarâs Opera (« LopĂ©ra des gueux ») de Gay/Pepusch grĂące aux talents concertĂ©s de Robert Carsen et des Arts Florissants, en co-production au Théùtre des Bouffes du Nord. LâancĂȘtre de la comĂ©die musicale par excellence est une piĂšce controversĂ©e voire scandaleuse dĂšs sa crĂ©ation en 1728. Elle est ici accueillie dans une nouvelle production/adaptation 100% anglophone (fort heureusement!) et 100% pertinente !
Comédie musicale ou pastiche ?
Lâoeuvre de John Gay est une « ballad opera » propre Ă lâAngleterre du dĂ©but du XVIIIe siĂšcle. Gay nâest pas musicien mais auteur et dramaturge. Il « compose » lâopĂ©ra des gueux en se servant des mĂ©lodies du folklore Ă©cossais, anglais, irlandais et mĂȘme français, plus des nombreuses citations voire reprises des opus des compositeurs tels que Purcell, Haendel, Frescobaldi, Buononcini et⊠Pepusch. Ce dernier est considĂ©rĂ© comme le responsable de lâarrangement musical des piĂšces hĂ©tĂ©roclites. Il s’agit lĂ dâune anecdote dont la vĂ©racitĂ© nâa jamais pu ĂȘtre Ă©tablie, par contre nous savons quâil Ă©tait le chef dâorchestre de la crĂ©ation en 1728.
Il nây a pas de version ou Ă©dition dĂ©finitive de lâoeuvre, en partie Ă cause de sa nature. Remarquons notamment lâadaptation de Benjamin Britten, ou encore lâopĂ©ra des quatâ sous de Weill Ă©galement. Puisque nous nous trouvons au Bouffes du Nord, le souvenir du film de Peter Brook, ancien directeur du théùtre, datant de 1953 est fort prĂ©sent.
Lâhistoire, une critique acerbe du temps, explore des sujets tabous, sans rĂ©serve et sans pudeur. Lâordre social et Ă©conomique est le terrain sur lequel les excellents acteurs-chanteurs engagĂ©s crachent et forniquent, et les conventions sociales se portent, se salissent et se jettent comme des vieilles fringues que nous gardons au placard par habitude et conditionnement.
Humour scandaleux pour tous !
Robert Carsen avec son dramaturge fĂ©tiche Ian Burton, signe une adaptation oĂč la question capitaliste et sexuelle sâexposent avec franchise, et la troupe brille en cohĂ©sion et investissement, et ce sans avoir forcĂ©ment les fous-rires encourageants dâun public non-anglophone. LâintĂ©gration de la danse (excellente chorĂ©graphie de Rebecca Howell) et de la musique (William Christie et ses musiciens des Arts Florissants habillĂ©s en gueux jouant les mendiants hystĂ©risĂ©s Ă cĂŽtĂ©) est une rĂ©ussite qui sert et magnifie davantage le propos et lâexpĂ©rience théùtrale, musicale et esthĂ©tique.
Le casting est trĂšs large et 100 % anglophone, ce qui assure rythme et punch. Beverley Klein en Mrs. Peachum est un tour de force comique. Le couple principal de Polly Peachum et Macheath, interprĂ©tĂ©s par Kate Batter et Benjamin Purkiss respectivement,  est fantastique. Elle, rayonnante de naĂŻvetĂ© et lui, sĂ©ducteur blasĂ© assumĂ©. Si la musique a une place peut-ĂȘtre moins importante que le théùtre, la performance vocale et instrumentale est digne. Les nombreux chĆurs sont notamment dâun grand impact.
Une rĂ©surrection heureuse, intĂ©ressante et pertinente. Un spectacle unique dont la beautĂ© plastique typique de lâoeuvre de Carsen sâaccorde mystĂ©rieusement Ă lâaspect acerbe, scandaleux et choquant de lâoeuvre. A consommer sans modĂ©ration aux Bouffes du Nord jusquâau 3 mai 2018 puis en tournĂ©e internationale, repassant par la France jusquâen 2019.
Sabino Pena Arcia.
Compte rendu, opĂ©ra. Strasbourg. OpĂ©ra du Rhin, le 21 mars 2018. Mayuzumi : Le Pavillon dâor. Daniel / Miyamoto. RĂ©ussite du Festival Arsmondo – dĂ©diĂ© aux arts japonais-, avec son spectacle phare, la crĂ©ation française du Pavillon dâor du compositeur contemporain japonais, mĂ©connu en France, Toshiro Mayuzumi . DâaprĂšs un roman du cĂ©lĂšbre auteur japonais du XXe siĂšcle, Yukio Mishima, lâopĂ©ra raconte lâhistoire troublante dâun moine japonais handicapĂ© qui dĂ©cide de mettre feu Ă son temple Ă Kyoto au moment de lâaprĂšs-guerre. Le chef Paul Daniel dirige lâOrchestre Philharmonique de Strasbourg en pleine forme, et une distribution des chanteurs au bel investissement. Une pĂ©pite lyrique de notre temps, troublante dâintensitĂ©, qui mĂ©rite dĂ©couverte et vulgarisation ainsi dĂ©fendues, malgrĂ© le sujet âŠdĂ©licat pour certains.
Création contemporaine, festival pluridisciplinaire
Eva Kleinitz , nouvelle directrice de la maison nationale du Rhin, a conçu un premier festival Arsmondo avec panache ! Pour cette premiĂšre Ă©dition du festival pluridisciplinaire dĂ©diĂ©e au Japon, lâOpĂ©ra du Rhin et ses partenaires proposent une sĂ©rie de manifestations diverses autour du spectacle principal. Ainsi, le public de la rĂ©gion peut nourrir encore davantage sa soif de culture avec des confĂ©rences, colloques, rĂ©citals et expositions, en lien direct avec le pays et lâopus lyrique mis en valeur. En lâoccurrence, câest lâoccasion de redĂ©couvrir et revisiter les auteurs : Yukio Mishima (la plus cĂ©lĂšbre plume nippone du XXe siĂšcle) et Haruki Murakami (la plus lue au XXIe) entre autres manifestations au cĆur du riche programme de cette annĂ©e (voir http://www.festival-arsmondo.eu/ )
Si tu vois tes chaĂźnes, coupe-les
Nous venons Ă Strasbourg surtout pour dĂ©couvrir lâopĂ©ra de Mayuzumi, et nous sommes loin dâĂȘtre déçus. MĂ©connu en France mais trĂšs cĂ©lĂšbre au pays du soleil levant, notamment grĂące Ă une Ă©mission de tĂ©lĂ©vision de vulgarisation de la musique classique ; le compositeur a créé le Pavillon dâOr en 1976 Ă Berlin. Il y a donc dĂ©jĂ 42 ans⊠LâopĂ©ra est donc un « classique lyrique » du XXĂš. TrĂšs attirĂ© par la musique occidentale et lâavant-garde dans sa jeunesse (il sera Ă©lĂšve au conservatoire national Ă Paris), au dĂ©but des annĂ©es 60, il sâintĂ©resse davantage Ă la musique japonaise et dâAsie en gĂ©nĂ©ral. Cette pĂ©riode voit la naissance dâĆuvres complexes, faisant preuve dâun mĂ©lange parfois savant mais surtout sensĂ© et sensible dâinfluences diverses. La dĂ©couverte du Pavillon dâOr nous rĂ©vĂšle un travail de recherche pointu sur des questions de fibre musicale comme le rythme (il fait penser parfois Ă La Petite Danseuse de Degas de Levaillant), un penchant pour des choeurs hautement dramatiques, un orchestre symphonique occidental agrĂ©mentĂ© de procĂ©dĂ©s crypto-japonisants ainsi quâune efficacitĂ© et cohĂ©rence qui renvoie Ă la musique de film (Mayuzumi sâĂ©tant aussi particuliĂšrement distinguĂ© en tant que compositeurs de bandes originales).
LâexĂ©cution sous la baguette de Paul Daniel est tout autant distinguĂ©e. Si les voix solistes parfois se replient entre une sorte dâexpressionnisme contenu et une ferveur tout Ă fait psalmodique -version bouddhiste-, les chanteurs-acteurs engagĂ©s dĂ©montrent une tĂ©nacitĂ© et un brio théùtral sur scĂšne qui ne laisse pas insensible. Les choeurs de lâopĂ©ra dirigĂ©s par Sandrine Abello sont de grand impact. La performance brille dâintensitĂ© et les nombreux morceaux sont interprĂ©tĂ©s avec personnalitĂ© et dramatisme, ceci est davantage surprenant puisqu’il sâagĂźt souvent dâune rĂ©citation plus ou moins stylisĂ©e des mantras et sutras bouddhiques. Le choeur dans cet opĂ©ra est presque grec, dans le sens oĂč il commente lâaction, mais en lâoccurrence il lâincite et lâinspire aussi. Une rĂ©ussite Ă la fois musicale et dramaturgique.
Ardente solitude
Les solistes privilĂ©giĂ©s sont les voix masculines. Le baryton Simon Bailey interprĂšte le rĂŽle du protagoniste, Mizoguchi. TrĂšs sollicitĂ© et accompagnĂ© dâun double dansant (lâexcellent Pavel Danko ), Bailey incarne tout ce que lâĆuvre lâexhorte Ă incarner avec une incandescence bouleversante de folie sincĂšre, que nulle condescendance culturelle ou incomprĂ©hension cultuelle ne saura cacher. La voix se projette aisĂ©ment ; il se montre aussi maĂźtre du style avec des effets vocaux remarquables, dont nous ignorons lâorigine. Prestation tout aussi intĂ©ressante, celle de son camarade moine Tsurukawa, interprĂ©tĂ© par Dominic Grosse . Il cache derriĂšre sa dĂ©licatesse et retenue, exprimĂ©es au travers dâun chant parfois affectĂ©, un amour qui nâose pas dire son nom (comme lâamour de Mishima aussi). Mais les notions de « honne » et « tatemae » (de façon approximative, la pensĂ©e intĂ©rieure et les conventions sociales respectivement), pĂšsent toujours plus lourd que les bons sentiments qui ne rĂ©ussissent pas Ă sâaffirmer. Si son rĂŽle est poĂ©tique Ă souhait par le manque, celui du tĂ©nor Paul Kauffmann en Kashiwagi, camarade de la fac, aisĂ© et handicapĂ©, lâest aussi par son brio comique rustique, non-chalant, dĂ©saffectĂ©.
Si les voix fĂ©minines sont beaucoup moins prĂ©sentes, remarquons particuliĂšrement lâexcellente performance de la soprano japonaise Makiko Yoshime en Jeune Fille, qui prouve avec son jeu et son chant quâil nây a pas vraiment de petits rĂŽles, mais des petits artistes. Nous la fĂ©licitons et lui souhaitons une grande carriĂšre !
Le travail profond au niveau de la direction musicale et chorale sâintĂšgre heureusement au travail complexe du cĂ©lĂšbre metteur en scĂšne japonais Amon Miyamoto . Le dispositif scĂ©nique unique avec recours aux projections vidĂ©os, dans les dĂ©cors polyvalents, pragmatiques et souvent austĂšres de Boris Kudlicka, est aussi une rĂ©ussite. Mais si visuellement le spectacle est beau malgrĂ© lâombre, le bijou est dans les profondeurs qui se rĂ©vĂšlent dans lâinterprĂ©tation globalement harmonieuse entre les Ă©quipes, dâun grand impact intellectuel et Ă©motionnel chez lâauditeur. Il sâagĂźt aprĂšs tout de mettre en scĂšne la folie dâun jeune moine handicapĂ©, obsĂ©dĂ© (dĂ©vorĂ©) par la beautĂ©. Le spectacle captive par sa cohĂ©rence et sa vĂ©racitĂ©, et les efforts concertĂ©s dâAmon Miyamoto et de Paul Daniel rendent lâopus accessible et lisible (1/5 de lâĆuvre a Ă©tĂ© coupĂ© pour la crĂ©ation française cette annĂ©e). Spectacle et festival Ă consommer sans modĂ©ration, encore Ă lâaffiche les 24, 27 et 29 mars 2018 Ă Strasbourg (ainsi que le 3 avril), et les 13 et 15 avril 2018 Ă Mulhouse. Le Festival sâachĂšve ce 15 avril 2018..
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Compte rendu, opĂ©ra. Strasbourg. OpĂ©ra National du Rhin, le 21 mars 2018. Mayuzumi : Le Pavillon dâor (crĂ©ation française). Simon Bailey, Dominic Grosse, Paul Kaufmann… Choeurs de lâopĂ©ra. Sandrine Abello, direction. Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Paul Daniel, direction. Amon Miyamoto, mise en scĂšne.
Compte-rendu, opĂ©ra. Paris, Palais Garnier, le 17 mars 2018. Bartok / Poulenc : Le ChĂąteau de Barbe-Bleue / La Voix Humaine. Metzmacher / Warlikowski . Le diptyque de Krzysztof Warlikowski mettant en scĂšne Le ChĂąteau de Barbe-Bleue de Bartok ainsi que le monodrame ou « concerto pour soprano et orchestre » quâest la Voix Humaine de Francis Poulenc, revient au Palais Garnier aprĂšs sa crĂ©ation en 2015. Le trio dâinterprĂštes rĂ©unit la basse John Relyea, la mezzo-soprano Ekaterina Gubanova et la soprano Barbara Hannigan. LâOrchestre de lâOpĂ©ra est dirigĂ© par le chef Ingo Metzmacher pendant presque 2 heures de reprĂ©sentation, sans interruption !
Diptyque limpide et indéchiffrable comme la Vie
Le seul opĂ©ra du compositeur hongrois BelĂĄ BartĂłk (1881 â 1945) est aussi le premier opĂ©ra en langue hongroise dans l’histoire de la musique. Le livret de BĂ©la BalĂĄzs est inspirĂ© du conte de Charles Perrault « La Barbe Bleue », paru dans Les Contes de Ma MĂšre l’Oye, mais aussi de l’Ariane et Barbe-Bleue de Maeterlinck et du théùtre symboliste en gĂ©nĂ©ral. Ici sont mis en musique Barbe-Bleue et Judith, sa nouvelle Ă©pouse, pour une durĂ©e approximative d’une heure et quart. Ils viennent d’arriver au ChĂąteau de Barbe-Bleue et Judith dĂ©sire ouvrir toutes les portes du bĂątiment « pour faire rentrer la lumiĂšre », dit-elle. Le duc cĂšde par amour mais contre son grĂ© ; la septiĂšme porte reste dĂ©fendue mais Judith manipule Barbe-Bleue pour qu’il l’ouvre et dĂ©couvre ainsi ses femmes disparues mais toujours en vie. Elle sera la derniĂšre Ă rentrer dans cette porte interdite, sans sortie. Riche en strates, l’opĂ©ra se prĂȘte Ă plusieurs lectures ; la musique, trĂšs dramatique, toujours accompagne, augmente, colore et sublime la prosodie trĂšs expressive du chant.
La Voix Humaine est une Ćuvre courte d’une rare intensitĂ© et d’un lyrisme puissant ; câest Ă©galement une continuation et un dĂ©veloppement de la musique de la peur et du dĂ©pouillement des Dialogues des CarmĂ©lites du mĂȘme compositeur. Il sâagĂźt dâune tragĂ©die lyrique en un acte, livret de Jean Cocteau, oĂč une jeune femme (« Elle ») abandonnĂ©e par son amant, lui parle trĂšs longuement au tĂ©lĂ©phone jusquâĂ la coupure finale.
Lâangoisse humaine sur scĂšne, variations sur la solitude
Le spectacle commence avec du Bartok. Mais nous ne saurons pas trop comprendre en premiĂšre vue le propos. Sur scĂšne sont une sorte de magicien avec son assistante gĂ©missante (accessoirement la soprano dans Poulenc). La mezzo est dans la salle assise au parterre. Le magicien est la basse. Lâassistante se retire quand la musique commence. Judith, le rĂŽle interprĂ©tĂ© par la mezzo Ekaterina Gubanova , monte alors sur scĂšne. Nous voici dans le ChĂąteau de Barbe-Bleue . La Gubanova a un timbre veloutĂ© et charnu qui sied bien au personnage. Elle pimente son chant expressif avec un excellent jeu dâactrice. Si elle saisit par le cĂŽtĂ© inquiet, suspect, agitĂ© de son incarnation, son binĂŽme John Relyea frappe par une intensitĂ© musicale et expressive qui veut se retenir, se contenir, mais qui se dĂ©verse immanquablement Ă la fin de lâopĂ©ra⊠dans le pseudo-duo final. Câest un Barbe-Bleue au physique allĂ©chant et Ă la voix large, mais nous sommes avant tout impressionnĂ©s par la caractĂ©risation, complexe et profonde comme le livret de Bela Balazs et la partition. Une rĂ©ussite lyrique dont les lumiĂšres froides des nĂ©ons sur le plateau illuminent lâaspect indĂ©chiffrable et mystĂ©rieux.
AprĂšs quelques surprises plus ou moins attendues pour assurer la « transition » vers La Voix Humaine de Poulenc , voilĂ sur scĂšne Ă nouveau la soprano canadienne Barbara Hannigan , vedette et championne de lâopĂ©ra contemporain (remarquons entre autres sa crĂ©ation de lâopĂ©ra de Benjamin George, Written on Skin). La mise en scĂšne de Warlikowski se clarifie dans cette deuxiĂšme partie, française . Il y a un dĂ©doublement de la scĂšne par le biais dâune rĂ©tro-vidĂ©o-projection sur scĂšne⊠de la scĂšne. Le public a donc droit Ă plusieurs angles et perspectives dâElle, protagoniste de la Voix. Hanningan rĂ©ussit un tour de force dramatique dans ce rĂŽle. Si la prosodie de Cocteau/Poulenc semble parfois peu Ă©vidente, le tout est dâune vĂ©racitĂ© dramaturgique saisissante. Nous ne savons pas si elle va mourir aprĂšs lâappel tĂ©lĂ©phonique fatidique, mais une chose est claire, il sâagĂźt dâune femme qui se bat seule contre elle mĂȘme, par le biais du fantĂŽme de lâamour sur lequel elle se reposait. Les cris, les larmes, le sang, sont autant dâobjets musicaux vĂ©cus comme des Ă©lĂ©ments expressifs crĂ©ant une cohĂ©rence tout Ă fait⊠dĂ©solante.
Si les chanteurs se donnent Ă fond sur le plateau, le diamant est dans la fosse. Ingo Metzmacher dirige un orchestre en bonne forme et surtout particuliĂšrement Ă©quilibrĂ© (pas Ă©vident avec les orchestrations des opĂ©ras reprĂ©sentĂ©s). La polytonalitĂ© et le chromatisme dans Bartok se traduit par la performance extraordinaire des bois, trĂšs nombreux. LâambiguĂŻtĂ© tonale dans Poulenc se traduit en une sensualitĂ© et un coloris orchestral maĂźtrisĂ©, surtout plein de sens. Le personnage principal est au final lâorchestre parisien,⊠car câest lui qui tient le fil sur lequel les chanteurs marchent au-dessus du vide, de lâardente solitude sous-jacente dans ces opĂ©ras du XXe siĂšcle. Catharsis probable aprĂšs consommation ! Spectacle recommandĂ© Ă nos lecteurs, encore Ă lâaffiche du Palais Garnier les 21, 25, et 29 mars ainsi que les 4, 7 et 11 avril 2018.
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Compte-rendu, opĂ©ra. Paris, Palais Garnier, le 17 mars 2018. Bartok / Poulenc : Le ChĂąteau de Barbe-Bleue / La Voix Humaine. John Relyea, Ekaterina Gubanova, Barbara Hannigan. Orchestre de lâOpĂ©ra. Ingo Metzmacher, direction. Krzysztof Warlikowski, conception et mise en scĂšne.
Compte-rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 15 octobre 2017. MOZART : La ClĂ©mence de Titus. Vargas, dâOustrac… Dan Ettinger / Willy Decker. Le dernier opĂ©ra (seria) de Wolfgang Amadeus Mozart est Ă lâaffiche cet automne et cet hiver 2017 Ă l’OpĂ©ra National de Paris. Le Palais Garnier accueille la production de la ClĂ©mence de Titus de Willy Decker . 20 ans aprĂšs sa crĂ©ation, elle caresse toujours les sens et inspire la rĂ©flexion. En effet, le metteur en scĂšne allemand, rĂ©ussit Ă rĂ©vĂ©ler les profondeurs et lâhumanitĂ© de lâoeuvre en apparence sĂ©rieuse et froide. La distribution est rayonnante de talent comme dâengagement. Lâorchestre de la maison dirigĂ© par Dan Ettinger reprĂ©sente lâautre facette glorieuse du joyau tripartite quâest cette production.
La clémence : le concert des sentiments
Le livret de MĂ©tastase, mis en musique par au moins 6 compositeurs d’envergure au XVIIIe siĂšcle, est en l’occurrence fortement remaniĂ© par le librettiste Caterino MazzolĂ , et ce, avec la collaboration du compositeur. C’est grĂące Ă cette bonne entente et au dĂ©sir partagĂ© des crĂ©ateurs (pour la rĂ©alisation dâun ouvrage dâintĂ©rĂȘt musical et philosophique) que lâĆuvre se distingue ; rompant avec le modĂšle dĂ©suet de l’opĂ©ra seria, notamment avec les nombreux duos, trios et ensembles, mais aussi avec les rĂ©citatifs abrĂ©gĂ©s, les airs raccourcis, le nombre d’actes, etc… Ici, Titus, Ă nouveau cĂ©libataire aprĂšs l’exil de sa bien aimĂ©e BĂ©rĂ©nice, est victime d’un complot menĂ© par Vitellia. Elle veut devenir impĂ©ratrice et se sert de l’amour de Sextus, meilleur ami de Titus, pour y arriver. Sextus est dĂ©chirĂ© entre passion et amitiĂ©, mais finit par trahir son ami. MalgrĂ© tout Titus survit et demeure clĂ©ment.
Le rideau se lĂšve sur un immense bloc de marbre qui se transforme progressivement en buste impĂ©rial, tandis que Titus Ă©volueâŠ, de l’incertitude prĂ©romantique vers la quiĂ©tude rĂ©signĂ©e non sans amertume. Les dĂ©cors et beaux costumes de John MacFarlane s’accordent Ă la dignitĂ© et la profondeur, mais aussi Ă l’Ă©conomie de l’opus et de sa mise en scĂšne. Nous trouvons quelques traits caractĂ©ristiques de Willy Decker : comme la structure semi-circulaire encerclant le buste et un penchant pour les contrastes chromatiques. La prĂ©sentation de BĂ©rĂ©nice pendant l’ouverture, portant une robe rouge qui rappellera un des habits impĂ©riaux de Titus, comme le jaune partagĂ© par le couple d’Annius/Servilia tĂ©moignent d’une vision profonde et intellectuelle, mais jamais prĂ©tentieuse, avec le but de rehausser l’intĂ©rĂȘt théùtral de lâĆuvre.
La distribution engagĂ©e est rayonnante de talent et dâinvestissement dramatique et musical. Notamment les femmes. La Vitellia dâAmanda Majeski faisant ses dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra de Paris, est tout simplement superlative. IncarnĂ©e, tourmentĂ©e, ma non troppo : son jeu dâacteur est saisissant ; elle rĂ©ussi Ă humaniser davantage le personnage quelque peu douteux. Bien sĂ»r, le bijou est dans le chant. Son rondo avec cor de basset concertant « Non piĂč di fiori » est un sommet dâexcellence interprĂ©tative et de musicalitĂ©.
QualitĂ©s quâon peut attribuer Ă©galement au Sextus de StĂ©phanie dâOustrac , habituĂ©e du rĂŽle. Cet automne 2017, la cantatrice rennaise,
rayonne dâhumanitĂ© et de vĂ©racitĂ© dramatique comme jamais ! Sa ligne vocale est sublime, la maĂźtrise de lâinstrument est impressionnante ; son chant, un heureux mĂ©lange de tendresse et de gravitĂ© : magistral, tout simplement. Son rondo Ă la fin du deuxiĂšme acte « Deh per questo istante solo » demeure un sommet d’expression, avec les plus beaux piani de la reprĂ©sentation.
Le couple Annius et Servilia interprĂ©tĂ© par Antoinette Dennefeld et Valentina Nafornita respectivement, est quant Ă lui, ⊠dĂ©licieux. Elles sont superbes dans leur duo du premier acte « Ah, perdona il primo affetto », et aussi individuellement ; la premiĂšre par son agilitĂ© et ses habiles interventions sur la partition ; la derniĂšre avec un chant dâune beautĂ© qui caresse les coeurs. Marko Mimica (faisant ses dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra) dans le court rĂŽle de Publius, ministre de Titus, est tout brio.
Son excellent jeu donne envie de le voir et de lâentendre davantage.
Que dire du Titus de Ramon Vargas ? Nous trouvons sa performance tout Ă fait bouleversante de fragilitĂ©. Il incarne parfaitement le rĂŽle de lâEmpereur ; en permanence trahi, avec parfois un je ne sais quoi de comique qui sied bien Ă lâopĂ©ra seria de fin de siĂšcle. FĂ©licitons les choeurs de lâOpĂ©ra dirigĂ©s par Alessandro di Stefano, qui nous offrent une interprĂ©tation maestosa dâun des plus beaux choeurs mozartiens « Che del ciel » Ă la fin de lâopus. Lâorchestre dirigĂ© par Dan Ettinger est Ă la hauteur de la production. Bien sĂ»r, les bois mozartiens sont dâune justesse et dâun candeur Ă fondre les coeurs ; comme les cordes solennelles sont Ă©difiantes et les cuivres martiaux, tout Ă fait exaltants !
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Spectacle fortement recommandĂ© Ă tous nos lecteurs, Ă lâaffiche au Palais Garnier de lâOpĂ©ra National de Paris (dans deux distributions alternatives), les 20, 23, 25, 28 et 30 novembre ainsi que les 3, 5, 8, 11, 14, 17, 21 et 25 dĂ©cembre 2017. De quoi fĂȘter NoĂ«l dâexcellente façon.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 15 octobre 2017. La ClĂ©mence de Titus. Mozart, compositeur. Ramon Vargas, Amanda Majeski, StĂ©phanie dâOustrac… Choeurs et orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. Dan Ettinger, direction. Willy Decker, mise en scĂšne.
Compte-rendu, critique, danse. Paris. OpĂ©ra Garnier, le 12 novembre 2017. SoirĂ©e Balanchine/Teshigawara/Bausch . Germain Louvet, LĂ©onore Baulac… Ballet de l’opĂ©ra. George Balanchine, Saburo Teshigawara, Pina Bausch, chorĂ©graphes. Orchestre de lâopĂ©ra, Benjamin Shwartz, direction. Programme dĂ©diĂ© aux 20e et 21e siĂšcles cet automne, au Ballet de lâOpĂ©ra National de Paris. Les reprises du chef dâĆuvre balanchinien Agon et du Sacre de Pina Bausch entourent une crĂ©ation, troisiĂšme commande de lâOpĂ©ra au chorĂ©graphe contemporain japonais Saburo Teshigawara, intitulĂ©e « Grand Miroir ». Les cĂ©lĂšbres musiques de Stravinsky ainsi que le Concerto pour Violon de Salonen (2009) sont interprĂ©tĂ©s par lâOrchestre maison, dirigĂ© par le chef Benjamin Shwartz.
LâĂ©clectisme dansant ou le programme inĂ©gal
La reprĂ©sentation commence avec Agon, chef-dâoeuvre abstrait du maĂźtre nĂ©oclassique et lâun des meilleurs exemples de collaboration artistique au 20e siĂšcle. Sur la musique quelque peu sĂ©rielle de Stravinsky, se dĂ©roulent des pas de trois autour dâun pas de deux. Si ce fameux ballet est toute abstraction, il est de mĂȘme toute virtuositĂ©, sans ĂȘtre froid, ni prĂ©tentieux, ni dĂ©pourvu dâhumour dâailleurs ; lâEtoile Germain Louvet se distingue par son en dehors, son ballon, sa formidable extension. Les trois danseurs du 2e pas de trois impressionnent par la beautĂ© et la propretĂ© de lâexĂ©cution⊠Des entrechats, six sâenchaĂźnent, sans apparente difficultĂ© pour Hannah OâNeill, Paul Marque et Pablo Legasa. Si nous apprĂ©cions toujours lâexcellence de la PremiĂšre Danseuse, les jeunes hommes se montrent aussi particuliĂšrement prometteurs dans leurs performances. Remarquons enfin le spectaculaire pas de deux des Etoiles Karl Paquette et Myriam Ould-Braham, partenaires de prestige : elle, troublante de beautĂ© avec ses pointes et torsions.
Un Grand Miroir, perlimpinpin et paillettes ?
AprĂšs un entracte est venue la crĂ©ation, un moment toujours trĂšs attendu que nous avons la chance de vivre souvent dans la Maison nationale avec toutes ses nouvelles productions⊠Si AurĂ©lie Dupont, lâEtoile, nous a impressionnĂ© lors de la crĂ©ation prĂ©cĂ©dente du japonais Teshigawara (Darkness is hiding black horses, octobre 2013), nous nous trouvons aujourdâhui bien loin de lâaspect mĂ©taphysique saisissant dâauparavant, malheureusement.
DansĂ© par 10 danseurs sur le Concerto pour violon de Salonen (2009) magistralement interprĂ©tĂ© par la violoniste Akiko Suwanai, « Grand Miroir » est une Ćuvre inspirĂ©e dâun poĂšme de Baudelaire. Comme dâhabitude, Teshigawara signe chorĂ©graphie, scĂ©nographie, costumes, lumiĂšres et⊠body-painting ? En effet, les danseurs sont peints intĂ©gralement dans des couleurs quelque peu fluos, ce qui rend difficile lâidentification des interprĂštes (et ce mĂȘme depuis le 2e rang au parterre).
CRISE EXISTENTIELLE⊠Mais quâelle est la place de ses aspects extra-chorĂ©graphiques dans la critique dâun ballet, et plus pertinemment, dans le ballet mĂȘme ? Il nous a fallu lire les explications, poĂšmes, textes descriptifs et autres pour comprendre enfin que cette crĂ©ation est en vĂ©ritĂ© le produit dâune sorte de crise existentielle et artistique. Sâil y a un ou deux moments presque hypnotiques (habitude du chorĂ©graphe), et que nous sommes particuliĂšrement frappĂ©s par lâabandon et lâĂ©nergie dâun Antonio Conforti et dâun Julien Guillemard, nous restons perplexes devant les 30 minutes de pirouettes et des bras tournants Ă droite et Ă gauche, comme toutes les extrĂ©mitĂ©s dâailleurs, ici et lĂ , comme ci et comme ça. On explique bien au programme dans un texte aux aspirations vaguement philosophiques que lâĆuvre de Teshigawara nâest surtout pas de lâimprovisation, mais quâil questionne lâidĂ©e mĂȘme de la chorĂ©graphie⊠Lâexplication post-moderniste au 21e siĂšcle ne fait plus lâalibi, Ă notre avis.
SacrĂ© Sacre…
Passons au saisissant Sacre du Printemps de Pina Bausch, dont le Ballet de lâOpĂ©ra est lâinterprĂšte privilĂ©giĂ© (aprĂšs, bien sĂ»r, la compagnie de lâAllemande). Lâarchi-cĂ©lĂšbre partition est interprĂ©tĂ©e par lâorchestre avec beaucoup de sagesse et retenue⊠Peut-ĂȘtre est-ce dĂ» Ă la personnalitĂ© du chef invitĂ©? Il ne voulait peut-ĂȘtre pas choquer lâaudience avec un son plus charnu et de meilleurs contrastes, mais nous ne sommes pas en 1913 et un peu plus de brio nâaurait pas fait venir la police dans la salle comme au moment de la crĂ©ation de lâĆuvre originale de Nijinsky et Stravinsky. Bref, sur le plan chorĂ©graphique, peut-ĂȘtre que la danse sâaccorde aussi Ă cet aspect trĂšs sage de lâinterprĂ©tation musicale. Du cĂŽtĂ© des femmes se trouve le bijou ; elles sont hĂ©tĂ©rogĂšnes, fortes, faibles, peureuses, solidaires ; elles incarnent presque entiĂšrement lâaspect troublant et dĂ©vastateur du livret oĂč lâon sacrifie une jeune fille au printemps. Remarquons la prise du rĂŽle de lâĂ©lue de lâEtoile LĂ©onore Baulac, une rĂ©ussite bouleversante. Du cĂŽtĂ© des garçons (mot choisi pertinemment, sachant quâil y a des danseurs sur scĂšne dans la 40e), nous apprĂ©cions les physiques, les torses exposĂ©s et les formes moulantes, ⊠une Ă©nergie tout Ă fait fraĂźche et pĂ©tillante… Leur prestation est souvent beaucoup plus attirante que terrifiante, ce qui nous fait admirer davantage la performances des femmes qui ont incarnĂ© une peur que les mĂąles sur scĂšne nâarrivaient pas Ă transmettre. Encore Ă lâaffiche au Palais Garnier les 14 et 16 novembre 2017. Un classique du rĂ©pertoire de lâOpĂ©ra de Paris, inusable, magistral.
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Compte-rendu, critique, danse. Paris. OpĂ©ra Garnier, le 12 novembre 2017. SoirĂ©e Balanchine/Teshigawara/Bausch. Germain Louvet, LĂ©onore Baulac… Ballet de l’opĂ©ra. George Balanchine, Saburo Teshigawara, Pina Bausch, chorĂ©graphes. Orchestre de lâopĂ©ra, Benjamin Shwartz, direction.
Compte rendu, critique, OPERA. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 26 octobre 2017. Falstaff. Verdi , compositeur. Bryn Terfel, Aleksandra Kurzak, Julie Fuchs,… Choeurs et orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. Fabio Luisi, direction. Dominique Pitoiset, mise en scĂšne. Le dernier opĂ©ra de Verdi revient Ă lâOpĂ©ra National de Paris. Le Falstaff du metteur en scĂšne Dominique Pitoiset datant de 1999 est donc lâoccasion de voir une excellente distribution, câest Ă dire des chanteurs vedettes, et un orchestre en pleine forme, dirigĂ© pertinemment par Fabio Luisi . Paillette brillante de pragmatisme comme dâefficacitĂ©, la production rĂ©ussit Ă faire rire de temps en temps, mais reste trĂšs peu inspirante ou⊠inspirĂ©e. Un air de train-train ou de routine sâinstalle-t-il Ă Bastille.
Falstaff efficace Ă Bastille
Distribution supĂ©rieure, production moyenneâŠ
La valeur est dans la partition
Dernier opĂ©ra de Verdi, composĂ© Ă l’Ăąge de 79 ans, c’est aussi sa deuxiĂšme comĂ©die lyrique. La vitalitĂ© et l’entrain de lâĆuvre sont comparables uniquement aux drammas giocosos de Mozart / Da Ponte. Le livret d’Arrigo Boito est inspirĂ© du personnage Shakespearien de Falstaff, chevalier obĂšse et dĂ©bauchĂ©. Dans cette production, lâintrigue est transposĂ©e au siĂšcle de Verdi, et puis câest tout. Nous ne pouvons pas nous empĂȘcher de penser que derriĂšre tant de « respect » vis-Ă -vis de lâĆuvre, derriĂšre le parti-pris conformiste Ă souhait, se cache un remarquable manque de crĂ©ativitĂ© et de finesse, voire de profondeur. La mise en scĂšne a participĂ© Ă un ennui certain et une certaine lenteur, rapidement oubliĂ©es par les performances stellaires des chanteurs.
Dâabord le Falstaff de Bryn Terfel et la Nanetta de Julie Fuchs ; lui chante le rĂŽle avec une grande musicalitĂ© et se montre trĂšs investi théùtralement / elle, fait preuve dâune grande gĂ©nĂ©rositĂ© sur scĂšne tous niveaux confondus. Aleksandra Kurzak en Alice Ford rayonne dâaisance scĂ©nique, et si la voix manque parfois dâampleur, sa ligne de chant est bellissime. La Meg de Julie Pasturaud au timbre veloutĂ© se dĂ©marque heureusement. Moins heureuse est la performance de Varduhi Abrahamyan en Quickly, quelque peu incompatible avec la tessiture du rĂŽle. Le Ford de Franco Vassallo , laisse dubitatif, mais dâune intention rĂ©ussie dans les ensembles ; sans affectation particuliĂšre Ă lâopposĂ© du Fenton de Francesco Demuro, drĂŽlement nasalisant et souvent⊠faux.
Fabio Luisi dirige lâOrchestre de Bastille avec lâattitude qui correspond au parti-pris focalisĂ© uniquement sur certains aspects comiques. Il se montre connaisseur du compositeur et alliĂ© des chanteurs grĂące Ă ses interventions remarquables dâadaptabilitĂ© et de rĂ©activitĂ© par rapport Ă lâĂ©quilibre musical dans la gigantesque salle de lâOpĂ©ra Bastille. Avec lui l’orchestre passe de la subtilitĂ© Ă la pompe avec facilitĂ©. Remarquons particuliĂšrement les performances des cuivres et des bois, irrĂ©prochables, et celle, fort sympathique, du choeur de lâOpĂ©ra dirigĂ© par JosĂ© Luis Basso. Un spectacle Ă voir pour la distribution des chanteurs et les performances musicales presque exclusivement. La mise en scĂšne et les dĂ©cors laissent un souvenir bien fragile. Falstaff de Verdi, dirigĂ© par Fabio Luisi, encore Ă lâaffiche les 1er, 4, 7, 10 et 16 novembre 2017.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra-Comique, le 19 octobre 2017. Kein Licht. Philippe Manoury : Kein Licht. Julien Leroy / Nicolas Stemann. PremiĂšre crĂ©ation du mandat dâOlivier Mantei, directeur de lâOpĂ©ra Comique depuis 2014, Kein Licht sur des textes dâElfriede Jelinek, Prix Nobel de la Paix, vient bouleverser les esprits des auditeurs rue Favart en cet automne 2017. PrĂ©sentĂ© comme un « thinkspiel » ou piĂšce Ă penser, aux sujets de la catastrophe nuclĂ©aire de Fukushima aprĂšs le tsunami de 2011, ainsi que lâinvestiture de Donald Trump au Etats-Unis cette annĂ©e, le spectacle voit 4 chanteurs sur scĂšne et un orchestre mĂ©langeant instruments classiques et traitements Ă©lectroniques orbiter autour des performances de grand impact des comĂ©diens : Caroline Peters et Niels Bormann.
« Kein licht » – Pas de lumiĂšre
La réalité qui dérange, ma non troppo
Nous sommes trĂšs rapidement saisis dâun sentiment de cohĂ©rence artistique profond devant la levĂ©e du rideau. La scĂ©nographie quelque peu apocalyptique, mais surtout fabuleusement atomique de Katrin Nottrodt, avec les costumes trĂšs fluo de Marysol del Castillo, tout comme la crĂ©ation 3D pendant la performance, le chien sur scĂšne du dĂ©but Ă la fin, ou encore la scĂšne qui sâinonde de dĂ©gĂąts nuclĂ©aires capturĂ©e en « selfie » par les comĂ©diens et retransmis en live sur des Ă©crans⊠Juste quelques exemples jaillissant Ă lâextĂ©rieur dâune conscience indĂ©niable qui palpite Ă lâintĂ©rieur. Avec cette commande et crĂ©ation, lâOpĂ©ra Comique rappelle et se rappelle son histoire comme grand lieu de crĂ©ation contemporaine, bastion de la modernitĂ©, pĂ©tillant et effrĂ©nĂ© Ă cĂŽtĂ© de ses « grands cousins jumeaux », plutĂŽt classiques Bastille et Garnier. A lâinstar des crĂ©ations notoires au théùtre national comme Carmen de Bizet ou PellĂ©as et MĂ©lisande de Debussy, Kein Licht de Manoury risque de devenir un spectacle dont la postĂ©ritĂ© se rappellera aprĂšs une incomprĂ©hension voire une perplexitĂ© initiale. Nous fĂ©licitons lâesprit novateur et osĂ© du directeur et lâencourageons Ă continuer dans sa dĂ©marche de grande valeur.
Sâil ne sâagĂźt pas dâun opĂ©ra dans le sens typique du terme, ⊠4 chanteurs sur scĂšne y interprĂštent des morceaux de texte de Jelinek selon leurs possibilitĂ©s. Il y a lĂ un parti-pris artistique qui cache derriĂšre lui, un questionnement philosophique important ; ce nâest pas la question de tuer lâartifice dans lâart (chose incohĂ©rente et contre-intuitive, voire impossible), mais de faire de lâart devant nâimporte quelle circonstance. Alors, comment seront les shows dans une Ăšre post-apocalyptique ?
Lâapproche cette nuit peut avoir quelque chose de clairvoyant. Ainsi, les chanteurs chantent comme ils peuvent, se dĂ©brouillant plus ou moins au milieu dâun endroit insolite oĂč des fils Ă©lectriques frĂŽlent des dĂ©gĂąts liquides qui coulent. Si la question bien classique de la vraisemblance titille certains esprits (ils se posent toujours la question de pourquoi Rosina, Figaro et Almaviva chantent un trio avant la fuite Ă la fin du Barbier de SĂ©ville), nous sommes ici au paroxysme. La rĂ©ponse Ă la question, bien sĂ»r, ne se trouve jamais en dehors de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle immĂ©diate, au contraire, elle est au centre. Ici, pendant un des moments forts (et ils sont nombreux) oĂč la scĂšne sâinonde, les comĂ©diens ne cherchent pas Ă fuir la scĂšne, ils font des « selfies » et enregistrent des « snaps » avec plein les yeux, sourires loufoques et nonchalance totale. Pourquoi se sauver ? Pourquoi faire X ou Y dâextraordinaire, de courageux quand on nâest que « le deuxiĂšme violon » et que « celui-lĂ ne peut rien faire. Il rĂ©agit seulement » ? (citations du livret).
La cohĂ©rence artistique de cette production unique en son genre se voit y compris dans les couches les plus subtiles de signification. Bien quâil ne sâagisse pas dâun opĂ©ra formel ni traditionnel, la piĂšce Ă©voque et reflĂšte non seulement lâactualitĂ© qui est la nĂŽtre avec son texte et les jeux (et les enjeux !), elle exprime aussi la forme musicale classique par excellence, la sonate, mais dans la mise en scĂšne plutĂŽt, oĂč le chant du chien ouvre et clĂŽture le show, ⊠brillante rĂ©capitulation. Les chanteurs Sarah Maria Sun, Olivia Vermeulen, Christina Daletska et Lionel Peintre (ainsi que le quatuor vocal du Choeur du National Theater in Zagreb) sont Ă la hauteur du pari, bien que les vedettes soient vraiment les comĂ©diens Caroline Peters et Niels Bormann.
Lâorchestre United instruments of Lucilin avec les rĂ©alisations Ă©lectroniques de lâIRCAM participe activement Ă lâatmosphĂšre dĂ©concertante mais jamais ennuyeuse du spectacle. Les performances sont toutes sans exception harmonieuses et concordantes en plein milieu du dĂ©sordre nuclĂ©aire et identitaire, voire carrĂ©ment anthropologique tel que reprĂ©sentĂ© sur scĂšne. Une piĂšce Ă penser dont nous parlerons et reparlerons encore et encore. FĂ©licitations Ă toutes les Ă©quipes et particuliĂšrement Ă Olivier Mantei pour lâidĂ©e devenue spectacle, dont la rĂ©alisation finale sâavĂšre bouleversante de cohĂ©rence et de profondeur.
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Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Comique, le 19 octobre 2017. Kein Licht. Philippe Manoury, compositeur. Nicolas Stemann, mise en scÚne. Caroline Peters, Niels Bormann, acteurs. United instruments of Lucilin, Orchestre. Julien Leroy, direction musicale. Illustrations : Kein LIcht de Philippe Manoury © V Pontet Opéra-Comique, PARIS, 2017
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Théùtre des Champs ĂlysĂ©es, le 27 juin 2017. MOZART : Les Noces de Figaro . Solistes, choeur du Garsington Opera. Orch de Chambre de Paris, Douglas Boyd / Deborah Cohen. Les Noces de Figaro de Mozart reviennent au Théùtre des Champs ĂlysĂ©es sous la baguette du chef Douglas Boyd dirigeant lâOrchestre de Chambre de Paris. Pour une version de concert extraordinaire, une plutĂŽt jeune et pĂ©tillante distribution issue du Festival lyrique Garsington Opera se prĂ©sente aisĂ©ment sur scĂšne. Une mise en espace dâaprĂšs la production scĂ©nique du festival est assurĂ©e par Deborah Cohen. Une soirĂ©e comique et sentimentale, oĂč rĂšgne la sincĂ©ritĂ© Ă©difiante des pages du MaĂźtre salzbourgeois.
Noces anglo-parisiennes
Le Nozze di Figaro est lâun des rares opĂ©ras dans l’histoire de la musique Ă n’avoir jamais dĂ» subir d’absence au rĂ©pertoire international. En effet, depuis sa crĂ©ation il y a plus de 230 ans, le monde entier n’a pas arrĂȘtĂ© de solliciter et d’adorer le sublime Ă©quilibre entre la musique gĂ©niale et immaculĂ©e de Mozart et l’Ă©lĂ©gant autant quâamusant livret de Lorenzo da Ponte, d’aprĂšs Beaumarchais. Le chef Douglas Boyd propose un concert pas comme les autres en invitant la distribution de la production rĂ©cente des Noces au Festival Garsington Opera, avec une conception scĂ©nique sur le plateau dâaprĂšs ladite production. Lâouverture de lâĆuvre est lĂ©gĂšre et Ă©trangement⊠anglaise ? SâenchaĂźnent 4 actes qui passent rapidement, en dĂ©pit dâune volontĂ© affirmĂ©e de mettre en valeur le clair-obscur inhĂ©rent Ă lâopus. Ainsi, au niveau instrumental, nous trouvons un Orchestre de Chambre de Paris en bonne forme en termes gĂ©nĂ©rales, mĂȘme si les prestations des cors dans la premiĂšre partie de la soirĂ©e ont Ă©tĂ© trĂšs peu rĂ©ussies. Les bois, au contraire, ont brillĂ© dâune candeur toute mozartienne, viennoise, avec une limpiditĂ© fantastique dans lâexĂ©cution tout Ă fait française, au cours des quatre actes. Les cordes de lâensemble paraissent caractĂ©rielles, dansant toujours autour de lâespiĂšglerie et de la nonchalance, sans omettre de la profondeur et de la tendresse.
Comme souvent, le sommet en fut lâarchicĂ©lĂšbre finale du 2e acte. 20 minutes ou presque de chant ininterrompu ; les interprĂštes Ă lâoccasion ont Ă©tĂ© Ă la hauteur de la tĂąche musicale et comique.
Les performances du couple aristocratique Almaviva par Duncan Rock et Kirsten MacKinnon ont Ă©tĂ© si rĂ©ussies quâon pourrait croire quâil sâagĂźt du couple vedette et pas des seconds rĂŽles. Lui, excellent acteur et dâun physique imposant et attirant, se distingue par le timbre de sa voix et par une certaine prestance⊠Son air « Hai gia vinta la causa… » au troisiĂšme acte est fortement rĂ©compensĂ© par le public. Il assure de mĂȘme une belle prĂ©sence musicale dans les nombreux ensembles.
La Contessa de la MacKinnon est une vision dâamour et dignitĂ© comme on les aime. Sa prĂ©sence sur le plateau est captivante en silence, troublante de beautĂ© quand elle chante. Une comtesse plus altiĂšre et sentimentale quâaffectĂ©e et hautaine. Si son « Porgi amor » et « Dove sono » sont beaux -surtout le dernier, suscitant les frissons!-, elle se dĂ©marque aussi par un chant maĂźtrisĂ©, brillamment stylisĂ© -ma non troppo-, une voix large, un souffle interminable, et surtout un timbre irrĂ©sistible, lors de nombreux ensembles. Retenons le duo de la lettre avec Suzanne au troisiĂšme acte, un bijoux dâharmonie, inoubliable.
TrĂšs nombreux ainsi, les moments remarquables pour la distribution, que ce soit « La Vendetta » je nâen peux plus bouffe dâun superbe Stephen Richardson en Bartolo ; la prestation touchante dâAlison Rose en Barberine, avec ce joyau quâest « Lâho perduta » ; ou encore lâincroyable Marta Fontanals-Simmons en Cherubino, rayonnant de candeur et de vitalitĂ©, tout Ă fait juvĂ©nile et amoureuse lors de ses airs « Non so piĂč » et « Voi che sapete »; ainsi que la Marceline un peu hystĂ©rique et complĂštement dĂ©licieuse de Janis Kelly.
Que dire de la Prima Donna et dâil Primo Uomo ? Le couple de Figaro et de Suzanne composĂ© par Joshua Bloom et Jennifer France, est un couple de choc . Elle est pĂ©tillante et piquante Ă souhait, mais aussi touchante dâhumanitĂ©. Son air au 4e acte « Deh vieni, non tardar », une conclusion exquise Ă sa performance globalement excellente. Lui, un tour de force. Sa performance est pleine de brio gaillard, sa voix se projette aisĂ©ment et son art de la dĂ©clamation est rĂ©ussi.
Lui campe un Figaro qui sĂ©duit par la force de son talent musical et son investissement scĂ©nique -mĂȘme sans mise en scĂšne !-. FĂ©licitons Ă©galement lâexcellent choeur du Festival de Garsington Opera, trĂšs sollicitĂ© et dâune qualitĂ© rare. Un mariage anglo-français Ă lâitalienne, Ă Vienne. Mais aussi une soirĂ©e lyrique fantastique au Théùtre des Champs ĂlysĂ©es. MĂ©morable.
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Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Théùtre des Champs ĂlysĂ©es, le 27 juin 2017. MOZART : Les Noces de Figaro. Jennifer France, Joshua Bloom, Duncan Rock, Kirsten MacKinnon⊠Solistes et choeur du Garsington Opera. Orchestre de Chambre de Paris, Douglas Boyd, direction. Deborah Cohen, mise en espace. Illustrations : © Mark Douet-min.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 11 juin 2017. ROSSINI : Cenerentola . Juan JosĂ© de LeĂłn, Teresa Iervolino, Roberto Tagliavino… Choeurs et orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. Ottavio Dantone, direction. Guillaume Gallienne, mise en scĂšne. Sombre Cenerentola au Palais Garnier ! Nouvelle production de lâopĂ©ra de Rossini Ă lâOpĂ©ra National de Paris, signĂ©e Guillaume Gallienne. Une distribution inĂ©gale et un orchestre en bonne forme sont dirigĂ©s par le chef Ottavio Dantone. Un Ă©vĂ©nement dont les coutures de surcroĂźt Ă©videntes empĂȘchent la vĂ©ritable jouissance musicale, en dĂ©pit des pages pĂ©tillantes de la partition. Une fin de saison lyrique finalement curieuse.
Cenerentola : des cendres sombres mais bien légÚres
ComposĂ© un an aprĂšs la premiĂšre du Barbier de SĂ©ville, en 1816, La Cenerentola de Rossini ne sâinspire pas directement de la Cendrillon de Perrault mais plutĂŽt de lâopĂ©ra comique Cendrillon du moins connu Nicolas Isouard (crĂ©e en 1810 Ă Paris). Ainsi, on fait fi des Ă©lĂ©ments fantastiques et fantaisistes et lâhistoire devienne une comĂ©die bourgeoise, oĂč lâon remplace entre autres, la chaussure de Cendrillon par un bracelet. On dirait que lâintention du comĂ©dien Guillaume Gallienne faisant ses dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra, comme metteur en scĂšne, sâinscrivait dans cette cohĂ©rence. Le plateau est dâune obscuritĂ© remarquable et les dĂ©cors dâEric Ruf , imposants ma non tanto, sont donc une extension habile et utilitaire, ma non troppo, âŠdu dĂ©sir assez simplet du metteur en scĂšne. Les quelques gags faciles issus directement du théùtre nâajoute finalement rien Ă une musique dĂ©jĂ en elle-mĂȘme extrĂȘmement théùtrale. Les chanteurs-acteurs, au bel investissement scĂ©nique, brillaient parfois dâun bon travail de comĂ©diens, mais les nombreuses postures du style « OpĂ©ra pour les nuls » et leur statisme notoire sur scĂšne, laissent penser que les interprĂštes nâont pas Ă©tĂ© particuliĂšrement accompagnĂ©s ou inspirĂ©s par leur directeur. FĂ©licitons nĂ©anmoins lâapparent courage de la direction de la maison, donnant lâopportunitĂ© aux jeunes de montrer leur valeur.
Heureusement, au niveau musical, les surprises ne furent pas nombreuses. Les protagonistes sont interprĂ©tĂ©s par le tĂ©nor Juan JosĂ© de LeĂłn et la mezzo Teresa Iervolino (cette derniĂšre faisant Ă©galement ses dĂ©buts Ă lâopĂ©ra). Si la chanteuse prend du temps Ă se chauffer et Ă rayonner, sa performance est progressive et elle fait preuve dâagilitĂ© et de charme tout Ă fait contraltino-vocalisant lors du duet « Un soave non so che », oĂč le tĂ©nor, lui aussi, dĂ©montre les arguments de son instrument ; un timbre solaire, mĂ©diterranĂ©en, un grand souffle, une projection puissante. Elle est particuliĂšrement touchante dâhumanitĂ©, et quand elle sâaffirme et sâimpose sur scĂšne, son art arrive Ă rayonner malgrĂ© lâobscuritĂ© ambiante, et rĂ©elle et figurĂ©e. Ainsi elle campe son air final « Nacqui allâaffanno » avec prestance et sincĂ©ritĂ©.
Remarquons les dons comiques et musicaux des rĂŽles de Dandini, Don Magnifico et surtout dâAlidoro. Les deux premiers sont dĂ©fendus avec candeur par Alessio Arduini et Maurizio Muraro , et le dernier, faisant preuve de la voix la plus large de la soirĂ©e, par lâexcellent Roberto Tagliavini . Chiara Skerath et Isabelle Druet sont drĂŽles et lĂ©gĂšres dans les rĂŽles des sĆurs loufoques. Ils sont tous particuliĂšrement harmonieux dans les ensembles, notamment le sextuor drĂŽlatique « Questo Ăš un nodo avviluppato ».
DĂ©buts aussi pour le chef Ottavio Dantone , qui sâattaque pour la premiĂšre fois Ă la partition. A part les problĂšmes dâĂ©quilibre au dĂ©but de la reprĂ©sentation, le reste de la soirĂ©e se dĂ©roule sans heurts et sans moments particuliĂšrement forts ou mĂ©morables. Quelques tempi ralentis, un orage particuliĂšrement pas trĂšs orageux, quelques interventions dont lâintention musicale nous dĂ©passe⊠Le tout bien conforme aux intentions grisĂątres de cette nouvelle production clĂŽturant la saison lyrique 2017-2018 (il y a pourtant les reprises de Carmen et Rigoletto encore Ă lâaffiche). Chose curieuse, et finalement peu convaincante sur le plan scĂ©nographique. A dĂ©couvrir au Palais Garnier Ă Paris, les 17, 20, 23, 25 et 30 juin ainsi que les 2, 6, 8, 11 et 13 juillet 2017.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Garnier, le 7 mai 2017. SoirĂ©e Balanchine/Robbins/Cherkaoui, Jalet. DorothĂ©e Gilbert, Mathieu Ganio, Hugo Marchand… Ballet de l’opĂ©ra. Maurice Ravel, musiques. Orchestre de l’opĂ©ra, Maxime Pascal, direction. AprĂšs le ballet Cunningham / Forsythia, le Ballet de l’OpĂ©ra National de Paris propose un programme nĂ©o-classique gravitant autour de la musique de Maurice Ravel. Retour de La Valse de Balanchine, du En Sol de Robbins et du BolĂ©ro de 2013 signĂ© Cherkaoui / Jalet. L’orchestre de l’OpĂ©ra dans la meilleure des formes est dirigĂ© par le jeune chef Maxime Pascal.
 Soirée Ravel, retours mitigés
La soirĂ©e commence avec le retour heureux de La Valse de Balanchine , ballet semi-narratif et je n’en peux plus chic du maĂźtre nĂ©oclassique sous la musique charmante des Valses Nobles et Sentimentales ainsi que La Valse de Maurice Ravel. Le couple principale d’Ă©toiles est tenu par DorothĂ©e Gilbert et Mathieu Ganio . ELLE, se montre excellente actrice et virtuose sur ses pointes et LUI, toujours captivant d’Ă©motion avec les plus belles lignes masculines de la soirĂ©e, mais nous sommes tout autant marquĂ©s par d’autres danseurs. Hugo Marchand avec Hannah O’Neill sont un bel exemple du cas Balanchine, elle est virtuose et rayonnante, vibrant d’une assurance allĂ©chante, produit sans doute de sa discipline. Lui, plus sage que d’habitude et toujours trĂšs beau Ă regarder, est pour la plupart utilitaire. Chose souvent typique, et souvent peu supportable, chez Balanchine, qui voyait le ballet comme une chose « fĂ©minine », voire comme une femme qu’il apparentait aux fleurs, et dont le mĂąle serait le jardinier… Bien que ces drĂŽles attachements sexistes du siĂšcle dernier ne soient pas Ă la hauteur de nos valeurs du 21e, ce ballet des annĂ©es 50 est une Ćuvre historique de la danse nĂ©oclassique, Ă l’Ă©lĂ©gance et Ă l’humour chic tout Ă fait sĂ©duisants.
Tout aussi sĂ©duisante est la deuxiĂšme piĂšce au programme, le En Sol de Jerome Robbins , sous la fantastique musique du Concerto en Sol pour Ravel magistralement interprĂ©tĂ©e par le pianiste Emmanuel Strosser. Oeuvre ludique et poĂ©tique comme d’habitude chez Robbins, la musicalitĂ© en est la protagoniste. Dans ce sens, quelques danseurs du corps de ballet se distinguent presque plus que le couple soliste Ă©toilĂ© formĂ© par LĂ©onore Baulac et Germain Louvet. Si elle est parfaite ou presque, lui se montre un peu plus vert. Or, l’effort est beau comme le sont ses mouvements. Remarquons surtout l’aisance bondissante et dĂ©contractĂ©e de Sylvia Saint-Martin, la charmante plasticitĂ© de JĂ©rĂ©my Loup-Quer ou encore le dynamisme de Paul Marque.
Le programme se termine avec le retour, moins heureux mais toujours riche en impact, du BolĂ©ro de Ravel dans la chorĂ©graphie de Cherkaoui et Jalet datant de 2013. PiĂšce dĂ©cidĂ©ment conceptuelle sans ĂȘtre pour autant prĂ©tentieuse ou Ă©litiste. Au contraire, il paraĂźt avoir dans ce ballet une volontĂ© timidement assumĂ©e d’uniformitĂ©, Ă l’opposĂ©e de celle de BĂ©jart qui prĂŽnait le chemin de la mise en valeur singuliĂšre. L’oeuvre est donc interprĂ©tĂ©e par des danseurs dont les particularitĂ©s se fondent dans le mirage des costumes phĂ©nomĂ©naux de Riccardo Tisci, en permanence baignĂ©s des ombres et des lumiĂšres habiles d’Urs Schönebaum. Il s’agirait donc au dĂ©part d’une sort de danse maccabre ; sous les capes noires initiales se cachent des corps finement habillĂ©s d’une tulle couleur chair agrĂ©mentĂ©e des dentelles dessinant le squelette ; adieux heureux, stimulant les sens et l’intellect, Ă l’illusion du genre, bienvenue triomphante Ă une universalitĂ© fortement voulue et qui se montre et dans les mouvements (rĂ©pĂ©titifs et plutĂŽt horizontaux, avec des touches Ă©tranges de capoeira) et dans les regroupements en duos de couples d’homme-femme, homme-homme, femme-femme. Une Ćuvre bizarrement fluide sous une musique curieusement millimĂ©trique. Le public est complĂštement emballĂ© Ă la fin du programme, certainement aussi grĂące Ă la performance exemplaire et plein d’entrain et de minutie de Maxime Pascal Ă la tĂȘte de l’orchestre de la maison. A voir au Palais Garnier encore les 10, 11, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25, 26 et 27 mai 2017.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 27 avril 2017. BERG : Wozzeck. Johannes Martin KrĂ€nzle, Gun-Brit Barkmin, Kurt Rydl, Eve-Maud Hubeaux… Choeurs et orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. Michael Schoenwandt, direction. Christoph Marthaler, mise en scĂšne. Berg est de retour Ă l’OpĂ©ra National de Paris avec la reprise du Wozzeck de 2008 signĂ© Marthaler, en guise d’hommage Ă Pierre Boulez ! La distribution mĂ©langeant des jeunes espoirs et des artistes Ă la longue carriĂšre est dirigĂ©e par le chef danois Michael Schoenwandt. Chef-dâoeuvre du 20e siĂšcle / Alban Berg (1885 â 1935) , avec Anton Webern et leur maĂźtre Arnold Schönberg, fait partie de l’autoproclamĂ©e Seconde Ăcole (musicale) de Vienne. Bien que la premiĂšre Ă©cole de Vienne de Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert fut thĂ©orisĂ©e a posteriori, et il n’y a toujours pas de constat unanime sur ceci, la seconde est un mouvement du dĂ©but du 20e siĂšcle tĂ©moignant d’un parcours au dĂ©part post-romantique qui finit dans le sĂ©rialisme sĂ©vĂšre de Webern, d’aprĂšs le dodĂ©caphonisme de Schönberg, qui a inspirĂ© lui-mĂȘme le sĂ©rialisme avant-garde de notre cher Pierre Boulez.
Wozzeck, premier opĂ©ra de Berg, est riche de la science, des idĂ©es et idĂ©aux musicaux de cette Ă©cole. Il reprĂ©sente un exemple extraordinaire de modernitĂ© et d’audace, avec une cohĂ©rence et cohĂ©sion heureuses mais surtout rares. Tout cela sans avoir recours Ă l’usage traditionnel de la tonalitĂ© occidentale et sa dichotomie majeur/mineur. Une musique atonale au grand impact Ă©motionnel est prĂ©cisĂ©ment ce dont la piĂšce fragmentĂ©e de BĂŒchner « Woyzeck » avait besoin pour en faire une Ćuvre lyrique universelle et intemporelle, d’une actualitĂ© manifeste indĂ©niable.
les vérités qui dérangent
Le drame signĂ© Ă©galement Berg, d’aprĂšs BĂŒchner, raconte l’histoire de Wozzeck pauvre soldat barbier, fol amoureux de Marie avec qui il a eu un enfant en dehors des conventions sociales. Il finit par assassiner sa maĂźtresse en pleine rue, rongĂ© par lâillusion de son infidĂ©litĂ©. En rĂ©alitĂ©, il s’agĂźt d’une tragĂ©die Ă la fois rĂ©aliste, naturaliste, expressionniste. Et d’une Ćuvre profondĂ©ment romantique. Wozzeck se sait condamnĂ© par sa position sociale, son incapacitĂ© de devenir maĂźtriser sa vie ; une impuissance qui est directement liĂ©e Ă sa disposition mentale, que d’autres personnages remarquent froidement mais que personne ne souhaite ni envisage transformer. En se rĂ©signant et s’abandonnant Ă une folie produite par des troubles socio-somatiques (et Ă©conomiques!) de son Ă©poque, Wozzeck, le dĂ©pourvu, l’amoral, le fou, vit l’illusion temporaire d’appartenance, avant la tragĂ©die ultime. Il a des choses, comme un enfant qu’il nĂ©glige, plusieurs travaux, une maĂźtresse, mais on dirait qu’il pense que la seule chose dont il doit se soucier, c’est un rĂ©cit identitaire dĂ©solant auquel il s’attache, comme si cette construction Ă©tait en vĂ©ritĂ© la seule chose qu’il possĂ©dait.
La production de 2008 de Marthaler est idĂ©ale dans ce sens. Elle situe l’action dans une sorte de foire ringarde d’une banlieue minable du dĂ©but des annĂ©es 90. Des enfants jouent Ă l’extĂ©rieur de la grande tente oĂč les adultes ne s’adonnent Ă rien de prĂ©cis, mais subsistent par la force terrible de l’inertie ; ils ont des Ă©changes et des gestes dĂ©solants, la dĂ©bauche n’Ă©tant mĂȘme pas un but mais une espĂšce d’habitude antalgique.
Le travail d’acteur est pointu comme il se doit pour une piĂšce d’une telle envergure, et le rĂŽle-titre incarnĂ© par le baryton Johannes Martin KrĂ€nzle n’est moins qu’extraordinaire, et dans le jeu d’acteur et dans le chant. Le baryton fait ses dĂ©buts Ă l’OpĂ©ra de Paris avec cette reprise et rayonne d’intensitĂ© dramatique, se sert brillamment du Sprechgesang, et compose un personnage dont le chant paraĂźt vĂ©ritablement ĂȘtre le plus beau des cris de dĂ©sespoir. Si Gun-Brit Barkmin dans le rĂŽle de Marie, la maĂźtresse, fait aussi des dĂ©buts heureux Ă l’OpĂ©ra de Paris Ă l’occasion, nous la trouvons pas toujours capable de dĂ©passer la fosse de l’orchestre. Au niveau scĂ©nique, elle reste cependant exquise. Comme l’est d’ailleurs Eve-Maud Hubeaux que nous sommes heureux de voir et dâentendre dans le rĂŽle secondaire de Margret. DĂ©licieusement piquante dans le jeu d’acteur, elle dĂ©ploie tous ses talents avec un chant tonique, veloutĂ© et maĂźtrisĂ© avec une facilitĂ© apparente, Ă©tonnante. Le Docteur de Kurt Rydl est imposant et tout aussi tonique, tandis que le Tambourmajor de Stefan Margita rĂ©ussit la tĂąche de chanter ses notes souvent insolites et insolentes. L’AndrĂšs de Nicky Spence est une belle rĂ©vĂ©lation comme la Hubeaux, au chant percutant et Ă la diction et au jeu d’acteur remarquables. Bon effort Ă©galement au niveau de l’interprĂ©tation scĂ©nico-musicale pour le jeune baryton Mikhail Timoshenko. Les choeurs dirigĂ©s par Alessandro di Stefano sont, eux, dĂ©cevants.
Et que dire de l’orchestre ? Ces postludes, interludes, intermĂšdes et autres inventions purement instrumentales aux allures souvent mahlĂ©riennes sont interprĂ©tĂ©s savamment et avec diligence par l’Orchestre de l’OpĂ©ra sous l’excellente direction, parfois un brin trop sage, de Michael Schoenwandt. Le tissu orchestral est la clĂ© de la cohĂ©rence musicale de l’oeuvre, en l’occurrence, la prestation est exemplaire. Presque deux heures de musique atonale d’une beautĂ© troublante, stimulant les sens et l’intellect, sans entracte⊠soit une expĂ©rience Ă vivre absolument, encore Ă lâaffiche Ă l’opĂ©ra Bastille les 5, 9, 12 et 15 mai 2017.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 22 avril 2017. SoirĂ©e Cunningham / Forsythe. Ludmila Pagliero, Fabien RĂ©villion, Hugo Marchand… Ballet de lâOpĂ©ra national de Paris. Merce Cunningham, William Forsythe, chorĂ©graphes . Musiques enregistrĂ©es. SoirĂ©e dansante au Palais Garnier autour de Merce Cunningham et William Forsythe ! RĂ©solument postmoderne dans l’esprit (tout en Ă©tant trĂšs nĂ©oclassique dans la facture), la soirĂ©e est l’occasion de ressusciter Cunningham Ă l’OpĂ©ra de Paris aprĂšs de nombreuses annĂ©es d’absence. En lâoccurrence, nous avons droit Ă trois entrĂ©es au rĂ©pertoire de la maison nationale, dont deux sont signĂ©es Forsythe.
De la danse pour tous !
⊠ou presque
Quelle surprise d’entendre une partie du public dĂ©crier le plateau des fabuleux danseurs Ă la fin du spectacle, et dâentendre des spectateurs en sortant du Palais de la culture et de l’excellence qu’est Garnier, en profĂ©rant des commentaires dont la naĂŻvetĂ© pourrait presque attendrir, tels que « Je prĂ©fĂšre Casse-Noisette ! » ; comme si Cunningham et Forsythe, signifiait aussitĂŽt danses de caractĂšre et paillettes ! Mais bonheur de notre temps, cette partie bruyante du public fut minoritaire. Merce Cunningham (1919 â 2009) comme prĂ©vu, est celui qui a un peu plus de mal Ă se faire accepter et apprĂ©cier. L’entrĂ©e au rĂ©pertoire de son ballet « Walkaround Time » avec des dĂ©cors de Marcel Duchamp (soigneusement reproduits ici aujourd’hui), laisse une partie de l’auditoire perplexe. Chose normale quand l’oeuvre d’un artiste est aussi intellectuelle et complexe. 9 danseurs intĂšgrent l’espace et « orbitent » autour des « ready-made », ce ballet Ă©tant surtout, d’aprĂšs le chorĂ©graphe, une sorte d’hommage Ă Duchamp. Et comme tout Cunningham, il y a une volontĂ© affirmĂ©e mais pas agressive ni nihiliste, de se dĂ©faire des conventions oppressant la danse. La libertĂ© idĂ©alisĂ©e du maĂźtre s’exprime curieusement toujours d’une façon, on ne peut plus staccato ; les mouvements sont trĂšs souvent saccadĂ©s, la notion des gĂ©omĂ©tries trĂšs marquante, les distorsions et les Ă©quilibres insolents omniprĂ©sents. 50 minutes ou presque d’une danse conceptuelle, qui inspire sans doute plus l’esprit et l’intellect.
La petite jupette jaune plissée de Herman Schermann, entrée au répertoire (DR)
Pour le plaisir et la stimulation des sens, c’est le tour de Forsythe , aprĂšs l’entracte. Notamment avec « Trio » oĂč l’Etoile Ludmila Pagliero et les Sujets Fabien RĂ©villion et Simon Valastro s’adonnent Ă une danse fluide, dynamique, au rythme parfois endiablĂ©e, souvent coquine. Si les trois danseurs brillent de nonchalance apparente et d’une attitude dĂ©contractĂ©e typiques du style Forsythe, avec un je ne sais quoi de vertigineux dans les prises, nous sommes tout particuliĂšrement heureux de la prestation de Fabien RĂ©villion : soit les plus belles lignes masculines sur le plateau, habitĂ© d’une rigueur sereine, d’une concentration Ă©difiante qui le pousse toujours Ă l’excellence pour le plus grand plaisir des spectateurs. La complicitĂ© avec Simon Valastro, en grande forme, et Ludmila Pagliero, superlative dans ce style et Ă l’engagement et lâexĂ©cution virtuose, ravissante, est le moment le plus impressionnant du programme.
Il se termine en beautĂ©, et en prestance plutĂŽt, avec le Duo de « Herman Schermann  » (entrĂ©e au repertoire) de Forsythe. La Quintette qui ouvre ce ballet sous la musique enregistrĂ© de Thom Willems est dĂ©licieusement interprĂ©tĂ©e par AurĂ©lia Bellet, Roxanne Stojanov et Caroline Osmont chez les filles, charmantes dans l’interprĂ©tation des mouvements virtuoses et insolents du maĂźtre nĂ©oclassique-contemporain, et de façon non moins dĂ©licieuse par les danseurs SĂ©bastien Bertaud , silhouette sexy, fluide Ă souhait et le jeune Pablo Legasa bondissant de bonheur et de joie dâaccomplir ainsi son mĂ©tier. Le Duo qui clĂŽt le ballet est interprĂ©tĂ© par la nouvelle Etoile Hugo Marchand et la PremiĂšre Danseuse Hannah O’Neill . Il commence de façon plutĂŽt sombre et beaucoup moins enjouĂ©e que la premiĂšre partie, mais devient vite l’occasion pour les danseurs de faire une dĂ©monstration de ce qu’est la danse nĂ©oclassique Ă deux ; le ton et la tempĂ©rature montent, le rythme augmente, et les tenues deviennent rĂ©vĂ©latrices, transparentes. Un duo pas amoureux mais laborieux, s’inscrivant parfaitement dans l’esprit du programme oĂč l’on se concentre, pour une fois, sur d’autres Ă©lĂ©ments, bien plus intĂ©ressants que les paillettes. Superbe programme, pour le plaisir des sens et de l’esprit, Ă l’affiche les 22, 26 et 30 avril puis les 4, 5, 7, 8, 9, 12 et 13 mai 2017 , avec deux distributions en alternance.
Compte rendu, opĂ©ra. Angers. Angers Nantes OpĂ©ra, le 5 avril 2017. Mozart : Les Noces de Figaro. AndrĂš Schuen, Nicole Cabell, Peter Kalman, HĂ©lĂšne Guilmette… Choeur d’Angers Nantes OpĂ©ra. Xavier Ribes, chef des choeurs. Orchestre National des Pays de la Loire, Mark Shanahan, direction. Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scĂšne. PremiĂšre angevine de la nouvelle production des Nozze di Figaro d’Angers Nantes OpĂ©ra ! Le chef dâĆuvre incontestable de Mozart et Da Ponte d’aprĂšs Beaumarchais est mis en scĂšne par le duo composĂ© de Patrice Caurier et Moshe Leiser ; la production compte avec une distribution de chanteurs-acteurs Ă©clatante, pas ou peu connus en France, sous la direction musicale du chef Mark Shanahan Ă la tĂȘte de l’Orchestre National des Pays de la Loire.
Les Noces ou les sentiments en concert
Le Nozze di Figaro de Mozart est lâun des rares opĂ©ras dans l’histoire de la musique qui est toujours Ă l’affiche depuis sa crĂ©ation il y a 230 ans. Le monde entier n’a pas arrĂȘtĂ© de solliciter ni d’adorer le sublime Ă©quilibre entre la musique formidable du gĂ©nie salzbourgeois et le livret Ă©lĂ©gant / amusant de Lorenzo da Ponte, d’aprĂšs Beaumarchais. D’une théùtralitĂ© exemplaire, l’oeuvre en elle-mĂȘme impose plus ou moins une structure scĂ©nique qui rend la tĂąche de mise en scĂšne Ă la fois facile et compliquĂ©. Le duo toujours musical de Caurier et Leiser insiste sur le travail d’acteur, d’un raffinement et d’une sincĂ©ritĂ© remarquables, et propose une production aux allures classiques (l’influence de Strehler est Ă©vidente), avec l’idĂ©e fort poĂ©tique de faire apparaĂźtre et pousser la nature dans le domaine bourgeois du dĂ©but de siĂšcle oĂč l’action paraĂźt se situer. Ainsi, dĂšs que des sentiments amoureux s’expriment, nous observons que feuillages et arbres envahissent la scĂšne, jusqu’Ă la forĂȘt nostalgique ma non tanto au dernier acte.
La distribution largement inconnue en France est une surprise indĂ©niable ! Les deux couples principaux sont tout Ă fait remarquables. Si le primo uomo et la prima donna des Noces sont Figaro et Susanna, et non les nobles, en lâoccurrence la Contessa et Il Conte Almaviva, ils le deviennent aussi par la force de leurs interprĂ©tations. Peter KĂ lmĂ n dans le rĂŽle de Figaro est un baryton basse, – je n’en peux plus bouffe, bouffe bouffe bouffe Ă souhait ! A part sa voix seine et son superbe investissement scĂ©nique, nous saluons particuliĂšrement le style, parfois aux allures presque Rossiniennes. La Susanna de la soprano HĂ©lĂšne Guilmette est un bijoux de tendresse et d’humanitĂ©. Elle aussi est charmante et agile Ă souhait, que ce soit en solo dans le cĂ©lĂšbre « Deh vieni, non tardar » au 4e acte, ou dans les nombreux ensembles au cours des actes. La Contessa et Il Conte Almaviva sont interprĂ©tĂ©s par Nicole Cabell et AndrĂš Schuen . Un duo rayonnant de prestance et de dignitĂ©, tout en Ă©tant profondĂ©ment humains dans leur jeu d’acteur. La soprano amĂ©ricaine est imposante, nous nous rĂ©jouissons de voir enfin une Contessa incarnĂ©e, dont la dignitĂ© ne se limite pas Ă une quelconque conformitĂ© aux prĂ©jugĂ©s d’une certaine Ă©poque, mais qui est profonde et sincĂšre, ancrĂ© dans son humanitĂ©. Ainsi, elle devient presque protagoniste dans cette production. Si lâinstrument vibre beaucoup lors de son entrĂ©e « Porgi Amor », le « Dove sono » est impressionnant, fabuleux. Et elle rayonne toujours d’une lumiĂšre particuliĂšre dans les duos, notamment celui du 3e acte avec Susanna, vĂ©ritable lettre d’amour en musique, « Canzonetta sull’aria ».
L’Almaviva du jeune baryton autrichien est tout aussi remarquable, par sa beautĂ© plastique qui s’accorde Ă la qualitĂ© de la production certes, mais surtout par l’engagement et musical et théùtral dont il fait preuve. Sa voix seine et large frappe les cĆurs, et il suscite inĂ©vitablement des soupirs comme Figaro suscite des rires ! Des chanteurs fortement prometteurs pour diffĂ©rentes raisons.
Dans les nombreux rĂŽles « secondaires », plusieurs chanteurs se distinguent. Le Cherubino de la jeune mezzo Rosanne van Sandwijk est incroyable au niveau scĂ©nique, et sa voix a une certaine candeur dans le timbre trĂšs beau. Cependant, nous la trouvons un peu trop interventionniste dans la partition. Elle rĂ©ussit Ă s’approprier le rĂŽle, mais les effets ne sont pas toujours agrĂ©ables (oublions les quelques problĂšmes d’articulation ou encore les syllabes ratĂ©es ou de trop). Un bon effort ! Sinon la Barberina touchante et pĂ©tillante de Dima Bawab sĂ©duit directement comme l’excellentissime Marcelline de Jeannette Fischer au chant et jeu sans dĂ©faut, le Bartolo presque trop beau de Fulvio Bettini Ă la diction italienne impeccable et d’un magnĂ©tisme inattendu, ou encore la basse Bernard DeletrĂ© dans le rĂŽle dâAntonio le jardinier, d’une grande force comique. Les choeurs sont beaux mais le dynamisme paraĂźt Ă©trange parfois. Comme l’Orchestre qui ouvre lâĆuvre avec une ouverture plein d’entrain et de brio comique, mais qui prend un petit moment pour trouver un Ă©quilibre entre la fosse et le plateau. La direction du chef est entraĂźnante et pleine de swing. Les quelques petits dĂ©calages ponctuels n’enlevant en rien Ă la qualitĂ© musicale gĂ©nĂ©rale de la production, dont la musique est le vĂ©ritable protagoniste, parĂ©e du meilleur théùtre qui soit. Nouvelle production hautement recommandĂ© Ă tous nos lecteurs ! Encore Ă lâaffiche, demain dimanche 9 avril 2017 Ă 14h30 au Grand Théùtre dâAngers. Incontournable.
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. TCE, le 28 fĂ©vrier 2017. Monteverdi : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Villazon, Kozena, HaĂŻm / ClĂ©ment . Production de choc au Théùtre des Champs ElysĂ©es ! Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Claudio Monteverdi, d’aprĂšs HomĂšre, vient finalement Ă l’avenue Montaigne. Une raretĂ© dĂ©jĂ en tant qu’oeuvre baroque, la pĂ©riode la moins reprĂ©sentĂ©e dans la programmation de lâillustre théùtre, (lâoeuvre date de 1640), mais aussi puisqu’il s’agĂźt d’une version mise en scĂšne, coproduite, et avec une distribution protéïforme orbitant officiellement autour des stars protagonistes Rolando Villazon et Magdalena Kozena . Le Concert d’AstrĂ©e est sous la direction d’Emmanuelle HaĂŻm et la mise scĂšne est signĂ©e Marianne ClĂ©ment.
Le retour d’Ulysse : une modernitĂ© qui dĂ©range
Claudio Monteverdi est connu comme le pĂšre de l’opĂ©ra grĂące Ă sa cĂ©lĂšbre « fable en musique », L’Orfeo, créée Ă Mantoue en 1607 (le pĂšre vĂ©ritable est Jacopo Peri avec son Euridice et son DafnĂ© de 1598 et 1600). De ses « opĂ©ras » ayant survĂ©cu au passage du temps, il nous reste deux opus tardifs, l’Ulysse en question (1640) et l’apothĂ©ose dâune oeuvre clĂ©, Poppea (1642). Si l’Orfeo sollicite un orchestre important, plus par le nombre et la diversitĂ© des groupes que par le nombre d’interprĂštes, Ă©videmment, et ce Ă cause des conditions spĂ©cifiques de sa crĂ©ation, l’Ulysse paraĂźtrait Ă ses cĂŽtĂ©s une piĂšce intimiste sur le plan instrumental. La diffĂ©rence frappante est en l’occurrence le dĂ©veloppement des formes musicales, frĂŽlĂ©es, voire absentes dans l’Orfeo du dĂ©but du XVIIe siĂšcle. L’action ne se dĂ©roule plus que sur des rĂ©citatifs ; le drame avance aussi grĂące aux nombreux ariosi, airs et duos. Une autre question propre Ă lâĆuvre par rapport aux deux autres opĂ©ras de Monteverdi est l’aspect tendre, humain, carrĂ©ment fluide de l’histoire, en dĂ©pit de la longueur et du fond mythologique. Pour cette premiĂšre, le Concert d’AstrĂ©e sous la direction d’Emmanuelle HaĂŻm est d’une Ă©tonnante rĂ©serve, presque sec. Si le continuo est comme d’habitude magistral, il nâest assurĂ© que dans les mains des seuls 9 musiciens ; mais les effets « spĂ©ciaux » et comiques sont bien lĂ alors que l’orchestre est particuliĂšrement en retrait par rapport aux chanteurs sur scĂšne.
Le livret du Retour d’Ulysse dans sa patrie est Ă©crit par Giacomo Badoaro d’aprĂšs les livres 13-23 de l’OdysĂ©e d’HomĂšre. Beaucoup d’ancre a coulĂ© sur l’authenticitĂ© de l’opĂ©ra, certains le voyant comme Ă©tant en-dessous de l’Orfeo et de Poppea. Il existe Ă©galement la question du manuscrit et de l’Ă©dition critique. Pour cette premiĂšre parisienne, une version en trois actes avec prologue est prĂ©sentĂ©e, nous ignorons par contre l’Ă©dition (il ne s’agĂźt sĂ»rement pas de celle de Harnoncourt de 1971). L’approche des Ă©quipes artistiques paraĂźt s’inscrire dans cette volontĂ© apparente de faire un Retour plus ou moins unique. A cĂŽtĂ© de la rĂ©serve instrumentale, le chant est, lui, au sommet de l’expressivitĂ©. Si la distribution peut paraĂźtre inĂ©gale par rapport au mĂ©lange des spĂ©cialistes du rĂ©pertoire baroque et des non-spĂ©cialistes, un tel mĂ©lange nous semble ĂȘtre cependant d’une grande pertinence en 2017.
Adieux aux cases Ă©troites du lyrique…
Il est vrai qu’on accepte gĂ©nĂ©ralement que qui dit baroque dit staccato, ignorant par confort que la pĂ©riode baroque est tout simplement la plus longue au niveau historique, et qu’elle comprend l’Ă©trange expressionnisme visionnaire d’un Gesualdo, le peps d’un Vivaldi, le lyrisme sublime d’un Haendel, la polyvalence savante d’un Zelenka, le cosmopolitisme d’un Telemann, l’architecture imposante d’un Rameau, le théùtre d’un Purcell, la douceur ambigĂŒe d’un Pergolesi, etc., etc. Peut-ĂȘtre nous aimons oublier que l’opĂ©ra est un art vivant, et que comme toute chose vivante, quand elle ne se transforme pas avec le temps, elle stagne et pĂ©rit Ă la fin. Surtout nous oublions rapidement que toutes ces catĂ©gories musicales ont Ă©tĂ© créées a posteriori, et que les conventions sont autant temporaires qu’arbitraires. A l’occasion, Monteverdi au Théùtre des Champs ElysĂ©es en 2017 est un exemple, heureux, de l’ouverture et du potentiel polyvalent souvent nĂ©gligĂ© de cette forme d’art, Ă notre avis lâĆuvre d’art totale !
DĂšs le dĂ©but, nous sommes impressionnĂ©s par l’amour / Minerve d’Anne-Catherine Gillet , pĂ©tillante Ă souhait, ainsi que par la MĂ©lantho dĂ©licieuse d’Isabelle Druet, comme lâEurymaque au timbre presque romantique d’Emiliano Gonzales Toro. Remarquons Ă©galement l’Antinous Ă lâinstrument sombre et sĂ©ducteur de Callum Thorpe, le TĂ©lĂ©maque rayonnant, presque Ă©lectrique de Mathias Vidal, l’EumĂ©e correcte de Kresimir Spicer, et surtout l’EuryclĂ©e rĂ©ussie de Mary-Ellen Nesi, sollicitĂ©e au pied levĂ© suite Ă la dĂ©safection d’Elodie MĂ©chain portĂ©e souffrante, sans omettre le fabuleusement drĂŽle Irus de Jörg Schneider, au style et chant irrĂ©prochables, tour de force comique de la production, indĂ©niablement.
La mezzo-soprano tchĂšque Magdalena Kozena quand Ă elle campe une PĂ©nĂ©lope de grande beautĂ© et dignitĂ©. Des spectateurs limitĂ©s par leur habitude de la voir chanter Carmen et des rĂŽles du rĂ©pertoire de la pĂ©riode classique, ont voulu croire qu’elle n’avait absolument rien Ă faire dans du baroque. Ils oublient peut-ĂȘtre le parcours de la cantatrice dont les dĂ©buts sont tout Ă fait… baroques ! Sont indiscutables son beau legato dans ses monologues, une grande concentration vis Ă vis des actions se dĂ©roulant sur scĂšne.
Le cas Rolando Villazon est un autre phĂ©nomĂšne qui renvoie Ă l’attachement tĂȘtu Ă certaines conventions. Avant de parler de sa performance, nous aimerions rappeler Ă nos lecteurs que la vocation du chant baroque n’a jamais Ă©tĂ© de se soumettre bĂȘtement Ă n’importe quel dogme stylistique, le purisme artistique Ă©tant, aussi, une crĂ©ation entiĂšrement moderne… Rolando Villazon n’est pas complĂštement Ă©tranger Ă ce rĂ©pertoire, il a dĂ©jĂ chantĂ© et enregistrĂ© Il combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi avec le mĂȘme chef et orchestre en 2006. Si son vibrato puissant renvoie immanquablement Ă ses rĂŽles romantiques qui l’ont fait connaĂźtre, nous sommes plutĂŽt frappĂ©s par sa voix seine et son travail d’acteur auquel nous reviendrons. L’Ulysse d’HomĂšre est un hĂ©ros sĂ©ducteur et tourmentĂ©, si la tradition nous a habituĂ© Ă des interprĂ©tations uniformes, nous voici devant un Ulysse incarnĂ©, qui souffre mĂȘme sous l’effet de sa propre force. En l’occurrence, s’il paraĂźt ĂȘtre la cible de quelques personnes pour qui il est insupportable de le voir chanter Monteverdi -souffrant ainsi de l’Ă©trange fardeau de sa propre cĂ©lĂ©britĂ©, l’exception française-, et que maints barytĂ©nors anonymes auraient souhaitĂ© interprĂ©ter le rĂŽle Ă sa place ; le public en termes gĂ©nĂ©raux semble tout Ă fait sensible Ă sa proposition musicale et sa performance, habitĂ©e, aux parfums de surcroĂźt masculins, avec un vibrato large remplissant le théùtre, et surtout avec le courage de s’approprier un personnage complexe, proposant ainsi des interventions audacieuses sur sa partition, qui vibre davantage grĂące Ă son interprĂ©tation unique.
L’aspect peut-ĂȘtre le plus remarquable de la production est la mise en scĂšne contemporaine et intemporelle de Mariame ClĂ©ment et son Ă©quipe. Toujours pragmatique, elle situe l’action dans le dĂ©cor unique d’un palais aux allures nĂ©oclassiques quelque peu dĂ©labrĂ©. D’inspiration ouvertement POP et avec quelques coupures heureuses dans la partition, la proposition de ClĂ©ment est intelligente, poĂ©tique, surtout riche d’humour. Les dieux sont placĂ©s presque exclusivement dans le Bar de l’Olympe en fond de scĂšne, oĂč ils trinquent, jouent de façon insouciante. L’incroyable scĂšne finale de l’acte II oĂč Ulysse tue les prĂ©tendants de PĂ©nĂ©lope Ă l’arc est un sommet d’humour comme nous en avons rarement vu au Théùtre des Champs ElysĂ©es, ni ailleurs dans Monteverdi. Il n’y a pas de vĂ©ritable excĂšs dans la proposition, malgrĂ© le rejet d’un nombre de critiques trĂšs bruyants, et il ne s’agĂźt surtout pas d’une transposition totale de l’action Ă la regietheatre, mĂȘme si le sang ⊠coule (rires). Au contraire, Marianne ClĂ©ment relĂšve le dĂ©fi de rendre actuel et accessible l’opus du Seicento, au public divers, cosmopolite gĂ©nĂ©reux et ouvert dâesprit, celui du XXIe. TrĂšs fortement recommandĂ© ! A l’affiche au Théùtre des Champs ElysĂ©es les 3, 6, 9 et 13 mars 2017, diffusĂ© par France Musique le 26 mars Ă 20h Ă©galement.
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Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Théùtre des Champs ElysĂ©es, le 28 fĂ©vrier 2017. Claudio Monteverdi : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Rolando Villazon, Magdalena Kozena, Anne-Catherine Gillet, Jörg Schneider… Le Concert d’AstrĂ©e, orchestre. Emmanuelle HaĂŻm, direction musicale. Mariame ClĂ©ment, mise en scĂšne.
Illustration : © V. Pontet / TCE 2017
Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 28 janvier 2017. Mozart : Cosi fan tutte. Philippe Jordan / Keersmaeker. Cosi fan tutte, ⊠un opĂ©ra dansé ? Le Palais Garnier commence l’annĂ©e 2017 avec une nouvelle production de l’opĂ©ra de Mozart Cosi fan tutte, signĂ©e Anne Teresa de Keersmaeker. La cĂ©lĂšbre chorĂ©graphe belge vivrait-elle enfin le privilĂšge d’ĂȘtre une artiste convoitĂ©e par la maison nationale? Aux cĂŽtĂ©s de nombreuses entrĂ©es au rĂ©pertoire du Ballet, des commandes et des crĂ©ations, la nouvelle production de Cosi reflĂšte l’apparente volontĂ© de la Direction parisienne, en renouveau et en diversitĂ©. La premiĂšre distribution que nous voyons ce soir est Ă moitiĂ© quĂ©bĂ©coise, 100% cosmopolite et finement dirigĂ©e par le chef Philippe Jordan, Ă la tĂȘte de l’Orchestre de l’opĂ©ra Ă©galement. Un spectacle Ă la fois protĂ©iforme et Ă©purĂ©, avec un je ne sais quoi d’expĂ©rimental et de minimaliste qui peut certainement toucher les amateurs de la danse contemporaine et de la musique classique. Pour les amateurs du théùtre, la tĂąche se rĂ©vĂšle en peu plus complexe, comme l’opus l’est, et comme l’est la production, fluctuant entre richesse et austĂ©ritĂ©.
Mozart le plus profond,
illumine ses dĂ©tracteurs…
Beaucoup d’encre a coulĂ© et coule encore au sujet de Cosi… Des personnages cĂ©lĂšbres du 19e siĂšcle tels qu’un Wagner, ont dĂ©criĂ© l’opĂ©ra. D’une frivolitĂ© textuelle insupportable pour Beethoven, un vĂ©ritable crime dĂ©shonorant le gĂ©nie « Allemand » de Mozart pour Wagner ; le temps paraĂźt ĂȘtre enfin venu pour dĂ©voiler la vĂ©ritĂ© (et surtout de lâaccepter) : Cosi fan tutte est un hymne Ă la vie et Ă la libertĂ©, Ă l’acceptation dynamique de la rĂ©alitĂ© humaine, sans pathos, le plus progressiste et sincĂšrement touchant des opĂ©ras de Mozart. Pour les romantiques encore trĂšs attachĂ©s Ă une frivolitĂ© qu’ils vivent comme profondeur, laissons la citation de De Keersmaeker, repĂ©rĂ©e dans le programme de la production, comme point d’orgue Ă ce sujet : « Nous sommes vraiment trĂšs loin des « hĂ©roĂŻnes » des opĂ©ras romantiques qui deviennent folles d’amour, mettent fin Ă leurs jours parce que trompĂ©es ou quittĂ©es, dans un accĂšs d’hystĂ©rie Ă la Lucia di Lammermoor et consorts. N’est-ce pas dans ses opĂ©ras romantiques que l’on trouve la misogynie, la vraie ? ». Vraie matiĂšre Ă rĂ©flexion.
La mise en scĂšne trĂšs Ă©purĂ©e de la chorĂ©graphe belge paraĂźt donc enlever les lourds fardeaux des prĂ©jugĂ©s historiques vis-Ă -vis de Cosi. Ni scĂ©nographie ni dĂ©cors vĂ©ritables, Ă part les marques gĂ©omĂ©triques collĂ©es par terre, des verres transparents cĂŽtĂ© cour et jardin, le plateau du Palais Garnier mis Ă nu dans son immensitĂ©, couvert seulement d’une peinture blanche omniprĂ©sente qui donne l’illusion d’uniformitĂ©. Les personnages de l’opĂ©ra sont doublĂ©s par des danseurs de la compagnie ROSAS. La danse est plutĂŽt minimaliste, du De Keersmaeker comme on le connaĂźt, et elle a la fonction de montrer par le biais des mouvements les messages subtiles cachĂ©s dans la musique. Dans ce sens toutes nos fĂ©licitations aux danseurs invitĂ©s, Ă l’investissement quelque peu frĂ©nĂ©tique nĂ©anmoins porteur de gravitĂ©. Remarquons particuliĂšrement les prestations des danseurs Bostjan Antoncic et Marie Goudot dans les rĂŽles de Don Alfonso et Despina respectivement.
Sola la musica…
Des parti-pris de cette production ne laissent pas indiffĂ©rents. Surtout pas au public parisien qui a sifflĂ© le spectacle Ă maintes reprises. L’absence notoire de théùtre ne nous touche pas personnellement, puisque malgrĂ© tout, les moments drĂŽles et touchants sont lĂ , et que le public rigole et soupire avec raison de temps en temps. En ce qui nous concerne, la devise de Prima la musica, e poi le parole (« La musique d’abord, ensuite les paroles ») Ă laquelle De Keersmaeker dit adhĂ©rer dans le programme et dans les intentions Ă©videntes, n’est pas complĂštement respectĂ©e. Attention, il ne s’agĂźt pas lĂ d’une adhĂ©sion littĂ©rale aux dogmes, mais Ă la question artistique la plus profonde qui soi. D’abord, nous regrettons les quelques coupures dans la partition, et le fait de trop faire « danser » les chanteurs, notamment Ă la fin du 1er acte oĂč malheureusement le tĂ©nor, Ă force de courir Ă droite et Ă gauche ne rĂ©ussit pas ses vocalises. Tout ceci passe presque inaperçu Ă cĂŽtĂ© d’un « geste » que nous avons beaucoup de mal Ă comprendre. Nous en ignorons la justification ; l’Ă©quipe artistique de cette nouvelle production a trouvĂ© qu’il Ă©tait bien nĂ©cessaire d’intervenir et changer lâĆuvre Ă un moment prĂ©cis, au dĂ©but du 2Ăšme acte, lors du duo des sĆurs « Prendero quel brunettino ». Dorabella chante ici son choix d’amant, elle prend le brun, tandis que Fiordiligi dit qu’elle va prendre le blond. Sauf qu’ici ils ont prĂ©fĂ©rĂ© de sacrifier Mozart, la beautĂ© parfaite et la musicalitĂ© de sa plume, pour qu’elle se plie aux volontĂ©s arbitraires de l’on ne saurait pas qui. RĂ©sultat offensif Ă l’ouĂŻe : Dorabella chante « prendero quel biondino » et Fiordiligi rĂ©plique « ed intanto io col brunettino » (brunettino et biondino inversĂ©s). Ni les chanteurs, ni Philippe Jordan semblent avoir eu un problĂšme avec ce choix incomprĂ©hensible, et Ă l’effet moche fort audible, qu’ils ont dĂ©cidĂ© de mettre en place, malgrĂ© la musique qui en principe devrait primer… Pour finir avec la prestation de M. Jordan Ă la tĂȘte de l’Orchestre de l’OpĂ©ra particuliĂšrement coquet ce soir, surtout aux cordes, nous fĂ©liciterons les bois pour leur candeur et nous essayerons d’oublier la performance de surcroĂźt dĂ©cevante (et carrĂ©ment fausse par moments) des cors.
Reste les chanteurs . La distribution rayonne de talents , heureusement. Belles voix capables et mĂȘme riches en belles intentions. La fabuleuse Despina de la mezzo-soprano amĂ©ricaine Ginger Costa-Jackson baigne dans les applaudissements Ă la fin de tous ses airs pĂ©tillants et lĂ©gers, comme il est d’usage, grĂące Ă ses dons. Le Don Alfonso du baryton brĂ©silien Paulo Szot a une voix seine et sa performance est percutante, dommage que le diamant de beautĂ© qu’est le trio du 1er acte avec les sĆurs « Soave sia il vento » ait Ă©tĂ© jouĂ© beaucoup trop rapidement par l’orchestre pour l’apprĂ©cier dans sa grandeur. Les protagonistes sont dĂ©licieux. Le Guglielmo du jeune baryton-basse Philippe Sly rayonne d’impertinence et de beau-goss’attitude, tandis que le Ferrando de FrĂ©dĂ©ric Antoun, plus sage, charme avec son bel instrument. Remarquons particuliĂšrement l’incroyable duo du 2Ăšme acte avec Fiordiligi: « Fra gli amplessi », lâun des moments les plus rĂ©ussis de la production (lâintĂ©gration de la danse Ă la musique y est presque parfaite et sans sĂ©quelles Ă©videntes). Un autre moment fort fut l’air du 2Ăšme acte chantĂ© par la soprano MichĂšle Losier en Dorabella, « E amore un ladroncello », peut-ĂȘtre LE moment le plus efficace et naturellement harmonieux de la mise en scĂšne, oĂč les Dorabella dansent et s’Ă©clatent ensemble. Que dire sinon de la soprano Jacquelyn Wagner dans le rĂŽle redoutable de Fiordiligi ? Bien sĂ»r toutes ses interventions sont rĂ©compensĂ©es par le public, y compris celle de son grand rondo en mi au 2Ăšme acte: « Per pietà », oĂč elle se rĂ©vĂšle Prima donna assoluta, de grande dignitĂ© et encore plus grande maĂźtrise et concentration, impassible et imperturbable malgrĂ© les cors concertants le plus affreusement ratĂ©s jamais Ă©coutĂ©s in loco (!). Illustre fait divers : Beethoven, avec son petit mĂ©pris du livret, s’inspire presque trop du rondo de Fiordiligi pour le grand air de sa seule hĂ©roĂŻne lyrique, LĂ©onore, dans Fidelio, avec non deux mais trois cors concertants !
Une nouvelle production de Cosi fan tutte avec le plus glorieux mĂ©rite d’effort d’innovation et d’audace subtile, avec une danse contemporaine souvent musicale et d’une valeur dramaturgique, trĂšs impactante par moments. Avec trĂšs peu d’artifice et beaucoup d’Ă©motion, la proposition est inĂ©gale mais intĂ©ressante, d’une certaine fraĂźcheur, le premier acte passe un peu lentement malgrĂ© les coupures, mais le 2Ăšme, lui, est fantastiquement palpitant. Deux distributions en alternance dans cette saison. RecommandĂ©e aux amateurs de danse et de chant ! A l’affiche du Palais Garnier les 4, 7, 10, 13, 16 et 19 fĂ©vrier 2017.
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Compte rendu, opĂ©ra. Paris. Palais Garnier, le 28 janvier 2017. Mozart : Cosi fan tutte. Jacequelyn Wagner, MichĂšle Losier, Philippe Sly… Danseurs de la compagnie ROSAS. Choeurs et Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. JosĂ© Luis Basso, chef des choeurs. Philippe Jordan, direction musicale. Anne Teresa de Keersmaeker, chorĂ©graphie et mise en scĂšne.
Compte rendu, concert. Philharmonie de Paris, le 15 dĂ©cembre 2016. « El Fuego Latino » Orchestre National d’Ile-de-France. Alondra de la Parra, direction musicale. Ensemble RECOVECO. Alexis Cardenas, direction. SoirĂ©e enflammĂ©e Ă la CitĂ© de la Musique / Philharmonie de Paris avec l’Orchestre National d’Ile-de-France et l’Ensemble folklorique sud-amĂ©ricain Recoveco, dans un programme mĂ©langeant musique française et musiques savantes d’AmĂ©rique Latine sous la direction de la chef mĂ©xicaine Alondra de la Parra. Une soirĂ©e pittoresque et virtuose, riche en paillettes et bonne humeur.
El Fuego Latino ou la chaleur qui fait plaisir
Le programme de la soirĂ©e commence avec la Sinfonia India du compositeur mexicain Carlos Chavez . Créée en 1935 et d’une durĂ©e de 12 minutes, elle a notamment trois cĂ©lĂšbres mĂ©lodies issues des civilisations prĂ©colombiennes du Mexique, fournissant effectivement un fond musical unique qui s’exprime sous forme dâune symphonie traditionnelle, en un mouvement. L’utilisation d’instruments de percussions autochtones ajoute Ă l’originalitĂ© de l’opus. Nous remarquons les qualitĂ©s rythmiques entraĂźnantes et imposantes de la partition riche en contrastes, interprĂ©tĂ©e avec finesse et maestria par l’Orchestre national. Sous la direction de la chef mexicaine, les cuivres et les bois, Ă part les nombreuses percussions, se distinguent par leur prĂ©cision et leur brio ! Un dĂ©but de concert tout Ă fait exaltant.
Se succĂšdent ensuite l’Introduction et Rondo capriccioso de Saint-SaĂ«ns et la Tzigane de Ravel. La partie de violon solo est tenu par Alexis Cardenas, virtuose vĂ©nĂ©zuĂ©lien. S’il brille dĂ©licieusement par sa musicalitĂ© et sa dextĂ©ritĂ© lors du Rondo de Saint-SaĂ«ns, nous faisant presque oublier l’excellente prestation des instruments de vent, pas trĂšs utilisĂ©s, mais Ă la performance impeccable, la Tzigane suscite un avis diffĂ©rent. Ici, la direction d’Alondra de la Parra est protagoniste ; les diffĂ©rents blocs instrumentaux sont d’une prĂ©cision millimĂ©trique tout en ayant l’air d’une grande libertĂ© et lĂ©gĂšretĂ©. Cardenas, quant Ă lui, a toujours un jeu sympathique et virtuose, mais le rendu n’est pas trĂšs propre. Il se rattrape et enchante l’auditoire avec un bis « improvisation dans le style vĂ©nĂ©zuĂ©lien », un avant-goĂ»t de la deuxiĂšme partie du programme, rĂ©solument sud-amĂ©ricaine. Le bis enflamme la salle comme attendu et se voit rĂ©compensĂ© par maints applaudissements.
Au retour de lâentracte, voici la 7 Ăšme Bachiana Brasileria d’Heitor Villa-Lobos , mĂ©connue. Purement instrumentale, elle consiste en 4 mouvements, aux formes inspirĂ©s du langage acadĂ©mique baroque (PrĂ©lude, Gigue, Toccata et Fugue), mais avec un contenu musical issu des traditions populaires brĂ©siliennes. Haute en couleurs et en puissance, la dĂ©licieuse musique brĂ©silienne baigne la salle. Nous remarquons surtout les vents dans la Gigue et tout l’ensemble Ă la rĂ©activitĂ© et complicitĂ© rayonnante dans la fabuleuse Toccata. Vint ensuite une Ćuvre du compositeur vĂ©nĂ©zuĂ©lien Aldemaro Romero (1928 â 2007), Fuga con Pajarillo , rendue cĂ©lĂšbre par les performances internationales d’un Gustavo Dudamel. Incroyable occasion de voir un orchestre europĂ©en s’attaquer Ă une musique savante sud-amĂ©ricaine d’inspiration traditionnelle. Il s’agĂźt ici du Pajarillo, danse traditionnelle vĂ©nĂ©zuĂ©lienne Ă trois temps, avec accent sur le deuxiĂšme, intĂ©grĂ©e Ă une fugue occidentale de forme classique. Le rĂ©sultat ne laisse jamais indiffĂ©rent, mĂȘme si les interprĂ©tations ont beaucoup Ă avoir avec la rĂ©ussite ou pas de la prestation.
Nous fĂ©licitions l’orchestre francilien pour son bel et grand effort, et l’encourageons Ă continuer d’Ă©largir ses horizons. La piĂšce est agrĂ©mentĂ©e d’une performance de l’Ensemble Recoveco , d’une grandissime libertĂ©, et oĂč le violoniste virtuose Cardenas se dĂ©lecte Ă faire des clins dâĆils Ă la musique populaire française Ă©galement. L’Ă©vĂ©nement est comme une Ă©toile filante Ă nos yeux, le souvenir est fort surtout par la raretĂ© de cette expĂ©rience en France. RaretĂ© heureuse et toujours trĂšs fortement rĂ©compensĂ©e par le public parisien avide d’exotisme et de chaleur. Ils offrent en bis leur version transfigurĂ©e d’une Danza du compositeur portoricain du 19e siĂšcle, Manuel Tavarez nommĂ©e « Margarita » (lâune des plus cĂ©lĂšbres, sinon la plus cĂ©lĂšbre composition du « Chopin d’AmĂ©rique »). Ici l’ensemble sud-amĂ©ricain est tout coquin tout espiĂšgle, dĂ©montrant un swing et une musicalitĂ©, auxquels personne ne reste jamais insensible. L’Orchestre Ă son tour offre un bis d’inspiration caribĂ©enne tout Ă fait Ă la hauteur de la soirĂ©e soit une conclusion cohĂ©rente pour ce programme habitĂ© par el fuego latino !
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Compte rendu, concert. Philharmonie de Paris, le 15 dĂ©cembre 2016. « El Fuego Latino » Orchestre National d’Ile-de-France. Alondra de la Parra, direction musicale. Ensemble RECOVECO. Alexis Cardenas, direction
Compte rendu, danse. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 13 dĂ©cembre 2016. Rudolf Noureev : Le Lac des Cygnes. Mathias Heymann, Karl Paquette, Myriam Ould-Braham… Ballet de l’OpĂ©ra de Paris. Piotr Tchaikovsky, compositeur. Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris. Vallo PĂ€hn, direction musicale. MYTHE DU BALLET ROMANTIQUE.. . Le Lac des Cygnes, ballet romantique par excellence, est lâĆuvre mythique incontournable de la danse classique.  Ses origines sont mystĂ©rieuses et son  histoire interprĂ©tative, plutĂŽt complexe. La crĂ©ation Ă Moscou en 1877 fut un dĂ©sastre. Ce n’est qu’en 1895 qu’il est ressuscitĂ© Ă Saint Petersbourg par Petipa et Ivanov, maĂźtres de ballets du Théùtre ImpĂ©rial Mariinsky, avec l’accord de Modest Tchaikovski, frĂšre cadet de Piotr Illich, dĂ©cĂ©dĂ© en 1893, lequel avait commencĂ© la collaboration et la rĂ©vision du ballet avec Petipa avant sa mort. Ce soir Ă l’OpĂ©ra Bastille,  voici la reprise de la version de Rudolf Noureev datant de 1984, privilĂ©giant l’aspect psychologique et psychanalytique de l’histoire ainsi que la danse masculine. Ici, l’ancien directeur du Ballet de l’OpĂ©ra National de Paris, met tout son talent et sa modernitĂ© dans la mise en scĂšne du grand ballet classique.
Cette nuit, les rĂŽles principaux sont tenus par les Etoiles Mathias Heymann, Myriam Ould-Braham et Karl Paquette , dans les rĂŽles du Prince Siegfried, Odette/Odile et Wolfgang/Rothbarth respectivement. L’Orchestre de la maison est dirigĂ© par le chef Vello PĂ€hn.
Le Lac des cygnes à Bastille : profondeur et virtuosité
La mise en scĂšne la moins somptueuse des grands ballets classiques de la part de Rudolf Noureev , l’Ă©conomie des tableaux en ce qui concerne les dĂ©cors, permet Ă l’auditoire de se concentrer sur les aspects plus profonds de lâĆuvre. L’Ă©clat plastique qu’on attend et qu’on aime de la part du Russe se trouve toujours dans les costumes riches et aux couleurs attĂ©nuĂ©es de Franca Squarciapino et surtout dans la danse elle-mĂȘme, enrichie des petites batteries, d’entrechats six, d’un travail du bas-de-jambe poussĂ© et des poses et enchaĂźnements particuliers.
LE LAC, VERSION RUDOLF NOUREEV… Le Prince Siegfried n’est pas qu’un partenaire dans la version Noureev, comme c’est souvent le cas, y compris dans les versions du XXe siĂšcle d’un Bourmeister oĂč d’une Makarova. Ici il s’agit du vĂ©ritable protagoniste. Il n’est pas tout simplement amoureux d’un cygne. C’est un Prince introspectif et rĂȘveur, qui couvre son homosexualitĂ© latente sous le mirage sublime d’un amour inatteignable, en l’occurrence celui de la Princesse rĂȘvĂ©e, transfigurĂ©e en cygne. Le cygne « Odette/Odile », devient en l’occurrence moins lyrique mais gagne en caractĂšre. Puisque toute sa tragĂ©die peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme le songe d’un Prince solitaire, le personnage avec sa duplicitĂ© innĂ©e devient plus intĂ©ressant. Le grand ajout de Noureev est la revalorisation du sorcier Rothbart, qui devient aussi Wolfgang, le tuteur du Prince. Une figure masculine mystĂ©rieuse et magnĂ©tique plus qu’explicitement malĂ©fique (Noureev a de fait interprĂ©tĂ© ce rĂŽle Ă plusieurs reprises vers la fin des annĂ©es 80).
UN PRINCE IDEAL⊠Le Prince de Mathias Heymann est comme attendu une vision de beautĂ©, de poĂ©sie et de virtuositĂ©. Sa variation lente au 1er acte est un moment oĂč il rĂ©gale l’auditoire avec ses lignes Ă©lĂ©gantes et allĂ©chantes, une vĂ©ritable mĂ©ditation sur scĂšne. Sa variation au troisiĂšme acte est toujours une dĂ©monstration d’excellence et d’Ă©lĂ©gance, avec un ballon, une lĂ©gĂšretĂ©, toujours impressionnants. Il rayonne et impressionne Ă©galement avec ses tours et sauts, fantastiques, des entrechats propres, et surtout l’investissement total de l’Etoile dans tous les aspects du rĂŽle enrichi par Noureev. Si sa danse est impeccable et virtuose (nous n’oublions pas non plus un saut de biche troublant Ă la toute fin du spectacle), son visage et ce je ne sais quoi de sincĂšre dans sa gestuelle, composent, eux, un poĂšme, faisant de lui le Prince idĂ©al dans cette production.
CYGNE BLANC / CYGNE NOIR⊠Il forme en plus un couple de rĂȘve avec Myriam Ould-Braham. Celle ci campe un cygne blanc excellent, d’une beautĂ© remarquable, presque bouleversante avec un haut-de-corps Ă l’expressivitĂ© Ă fleur de peau. Le deuxiĂšme acte est dominĂ© par sa danse et nous sommes Ă©blouis particuliĂšrement par ses pointes parfaites et ses bras dans le pas de deux. Son cygne noir est bien heureusement trĂšs coquet et piquant par rapport Ă lâinnocence immaculĂ©e du blanc. Le plus gros dĂ©fi interprĂ©tatif (plus que les redoutables « 32 » fouettĂ©s en tournant, nous en revenons), est de crĂ©er un vrai contraste narratif et Ă©motionnel entre les deux cygnes, tout en gardant la cohĂ©rence inhĂ©rente Ă l’animal, dans l’aspect physique comme psychologique et ce qu’il reprĂ©sente. Dans ce sens, Myriam Ould-Braham tout Ă fait triomphante en son cygne noir, se distingue de son cygne blanc, ma non troppo: elle y rayonne d’assurance et de sensualitĂ© affirmĂ©e, toute pĂ©tillante, toute sĂ©duisante. Son Odette et son Odile sont toutes les deux hypnotisantes. Dans la coda du pas de trois avec Siegfried et Rothbart (3e acte), elle campe une trentaine de fouettĂ©s en tournant (mais qui compte reellement ? Et pourquoi ?) et elle garde une excellente attitude et panache en dĂ©pit de l’insatisfaction Ă©vidente dans la finition, quelque peu sauvĂ©e ou masquĂ©e par le Rothbart attentif de Karl Paquette. Lui, habituĂ© du rĂŽle de longue date, personnage qui lui sied comme un gant, n’a peut-ĂȘtre plus envie de le danser. En dĂ©pit de ce petit soupçon, sa performance a Ă©tĂ© comme attendue, sans dĂ©fauts. Il a des moments de grande expressivitĂ© et intensitĂ©.  Il est toujours trĂšs solide dans les nombreux pas de trois avec le cygne et le Prince.
LE CORPS DE BALLET DE LâOPERA DE PARIS : entre discipline et beauté⊠Remarquons tout autant le Corps de Ballet et des rĂŽles secondaires au top. Si au dĂ©but du premier acte, l’harmonie n’Ă©tait pas encore Ă©vidente, distinguons cependant une Valse trĂšs belle mais inĂ©gale, oĂč les Sujets Cyril Mitilian, JĂ©rĂ©my-Loup Quer et Paul Marque se dĂ©marquent. Le pas de trois du premier acte est fabuleusement interprĂ©tĂ© par la PremiĂšre Danseuse rĂ©cemment nommĂ©e San Eun Park, le Premier Danseur Fabien RĂ©villion et la Sujet SĂ©verine Westermann. DĂšs le dĂ©part RĂ©villion prĂ©sente une danse brillante avec des lignes pas moins que⊠parfaites. Park est pĂ©tillante et sauterelle, rĂ©ussissant le pas.  La Westermann est tout aussi rĂ©ussie, mais peut-ĂȘtre moins dĂ©monstrative. Le souvenir le plus fort est sans doute RĂ©villion qui dans la coda fait preuve d’une virtuositĂ© rayonnante et laisse bĂ©at par le dynamisme de ses sauts, l’insolence et l’Ă©lĂ©gance de l’extension. Il agrĂ©mente sa performance virtuose et pleine de brio avec une allure agrĂ©able et un sourire permanent qui rĂ©vĂšle le plaisir du danseur Ă ĂȘtre sur scĂšne, son aisance technique et sa rigueur. Ce soir, les Quatre Grands Cygnes d’HĂ©loĂŻse Bourdon, Fanny Gorse, Sae Eun Park et Ida Viikinkoski impressionnent plus que les Quatre Petits Cygnes Ă la chorĂ©graphie mignonne et trĂšs cĂ©lĂšbre (toujours, bien sĂ»r, vivement rĂ©compensĂ©s par le public enflammĂ©). Pour les danses de caractĂšre du 3Ăšme acte, retenons Axel Ibot dĂ©licieux dans l’Espagnole, un Paul Marque qui se dĂ©marque toujours dans la Napolitaine, les danseurs superbes dans la Mazurka ou encore les danseuses « FiancĂ©es » d’une attendrissante beautĂ©. Le Corps de Ballet est au somment au quatriĂšme acte, sans doute le plus original et le plus  moderne. Les cygnes portent en eux le lourd fardeaux de la dĂ©ception et leur gestuelle et mouvements s’y trouvent affectĂ©s en consĂ©quence, le tout d’une façon trĂšs naturelle ; Ă©tonnante pour un grand ballet du rĂ©pertoire acadĂ©mique.
Nonobstant Ă©mettons quelques rĂ©serves vis-Ă -vis de  la performance de l’orchestre sous la baguette du chef Vello PĂ€hn, ancien collaborateur fĂ©tiche de Noureev. Les tempi au 1er acte paraissent mettre les danseurs en dangers. Si les couleurs sont lĂ , et la partition sublime de Tchaikovsky est toujours honorĂ©e, l’orchestre peine au dĂ©marrage : il prend, comme le Corps d’ailleurs, un peu de temps Ă se chauffer et s’harmoniser. Chose rĂ©glĂ©e Ă la fin du premier acte, l’opus interprĂ©tĂ© par les musiciens de la maison nationale a inspirĂ© maints frissons et palpitations.
BALLET POUR LES FĂTES… Voici donc un Lac de Cygne qu’on attendait avec impatience, programmĂ© par la nouvelle directrice de la danse, AurĂ©lie Dupont, tout Ă fait convaincant,  de surcroĂźt annoncĂ© dans de superbes distributions. Ne boudez pas votre plaisir,  le spectacle reste le cadeau idĂ©al pour les fĂȘtes de fin d’annĂ©e, Ă voir et revoir sans modĂ©ration Ă l’OpĂ©ra Bastille encore les 14, 16, 17, 19, 21, 22, 24, 25, 26, 28, 29, 30 et 31 dĂ©cembre 2016.
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APPROFONDIR : LIRE aussi notre compte rendu critique de la production du Lac des Cygnes prĂ©sentĂ©e en fĂ©vrier 2015 Ă l’OpĂ©ra Bastille avec Mathias Heymann (dĂ©jĂ et Ludmila Pagliero… cliquez ici
Compte-rendu, ballet. Paris. Palais Garnier, le 1er dĂ©cembre 2016. SoirĂ©e Jiri Kylian. Alice Renavand, Alessio Carbone, DorothĂ©e Gilbert, Marie-AgnĂšs Gillot, Pablo Legasa, Hugo Marchand… Ballet de l’OpĂ©ra de Paris. Tomoko Mukaiyama, improvisation live, piano solo. Nous sommes au Palais Garnier de l’OpĂ©ra National de Paris pour la deuxiĂšme reprĂ©sentation de la trĂšs attendue SoirĂ©e Kylian , programmĂ©e par la nouvelle directrice de la Danse, lâEtoile AurĂ©lie Dupont. Deux entrĂ©es au rĂ©pertoire et une fabuleuse reprise du chorĂ©graphe tchĂšque Jiri Kylian, ancien directeur artistique du Nederlands Dans Theater.
Kylian à Paris, la danse pour tous (les goûts)
La programme commence avec Bella Figura, ballet de 1995 sur une sĂ©lection attractive / accessible de musiques enregistrĂ©es baroques et classiques, avec quelques extraits d’une suite de Lukas Foss, compositeur contemporain amĂ©ricain d’origine allemande. Une Ćuvre emblĂ©matique du chorĂ©graphe TchĂšque oĂč sont mis en mouvement des questionnements profonds quant Ă la reprĂ©sentation et la rĂ©alitĂ© théùtrale, sans avoir recours Ă de longues explications intellectualistes ou Ă une absence insultante de danse (souvenir du passage rĂ©cent d’un Sehgal Ă lâopĂ©ra : lire notre article compte rendu critique du spectacle de septembre 2016 : FORSYTHE SEHGAL PECK PITE ).
Comme l’art des meilleurs artistes n’a pas la vocation d’expliquer mais de montrer, nous sommes en l’occurrence devant une troupe classique, la meilleure au monde Ă notre avis, qui montre qu’elle peut bel et bien danser une Ćuvre Ă la narration ambiguĂ«, mais pas abstraite, avec des dĂ©sarticulations et des centres d’Ă©quilibres Ă©trangers Ă la danse acadĂ©mique, tout en gardant bien haute et trĂšs enflammĂ©e, la torche de l’exigence technique et de la beautĂ©. L’Etoile Alice Renavand et le premier danseur Alessio Carbone se distinguent immĂ©diatement par leur dynamisme et leur tonicitĂ©. Alice est en plus expressive Ă souhait, sans jamais tomber dans l’affectation. Eleonora Abbagnato et DorothĂ©e Gilbert, sont aussi percutantes dans ce ballet inoubliable. Le partenariat de la derniĂšre avec Alessio Carbone a quelque chose… de frappant. Il existe une froideur brĂ»lante entre ces deux artistes exigeants ; et sur scĂšne, dans Kylian qu’ils maĂźtrisent Ă la perfection, c’est superbe Ă voir ! Danseur qui se dĂ©marque Ă©galement : SĂ©bastien Bertaud, Sujet, Ă la sensualitĂ© palpitante et avec une facilitĂ© apparente dans le langage dĂ©sarticulĂ© qui rĂ©vĂšle la belle influence de Forsythe.
Tar and Feathers date de 2006 . Pour cette deuxiĂšme performance Ă l’OpĂ©ra de Paris, les interprĂštes sont DorothĂ©e Gilbert, AurĂ©lia Bellet et Lydie Vareilhes chez les femmes ; Josua Hoffalt, Yvon Demol et Antonio Conforti chez les hommes. Ballet le plus « conceptuel » de la soirĂ©e, il est trĂšs intĂ©ressant au niveau intellectuel, sans pour autant ĂȘtre prĂ©tentieux. Comme souvent chez le chorĂ©graphe, aucun de ces aspects ne s’oppose jamais Ă sa profondeur artistique surtout pas dĂ©pourvue d’humour ni Ă son Ă©tonnante musicalitĂ©. Il y explore la pesanteur et la lĂ©gĂšretĂ©, avec une bonne dose de théùtralitĂ©, le tout sur la musique revisitĂ©e et transfigurĂ©e du 9 Ăšme concerto pour piano de Mozart, avec une fabuleuse Tomoko Mukaiyama aux improvisations live sur le plateau. L’oeuvre est moins sĂ©duisante que la prĂ©cĂ©dente, mais Ă notre avis plus intĂ©ressante et moderne. FĂ©licitons les efforts des Etoiles telles que Gilbert et Hoffalt, et retenons surtout les fabuleuses performances, rĂ©vĂ©latrices de Lydie Vareilhes et d’Antonio Conforti, Sujet et Quadrille (!) respectivement.
Le programme se termine, tout extase tout spiritualitĂ© avec Symphonie des Psaumes (1978) , sur l’imposante partition Ă©ponyme d’Igor Stravinsky. Josua Hoffalt programmĂ©, est annoncĂ© blessĂ© juste avant le dĂ©but, et se voit heureusement remplacĂ© par HervĂ© Moreau , Etoile. Le plus ouvertement nĂ©oclassique des ballets au programme, il s’agĂźt d’une entrĂ©e au rĂ©pertoire trĂšs chaleureusement accueillie et qui a beaucoup de sens, – pas seulement artistique-, pour la compagnie. Bien sĂ»r Marie-AgnĂšs Gillot est toujours une vision dâexcellence, et son partenariat avec le solide Hugo Marchand, en est un de grande valeur. L’aspect philosophique du triomphe de la vie sur les limites matĂ©riels du monde est Ă©voquĂ© par la force immaculĂ©e du mouvement perpĂ©tuel des danseurs. Les 8 couples rayonnent Ă leur façon, mais une vision fugace et brillante nous a Ă©bloui fortement. Il s’agĂźt du trĂšs jeune danseur espagnol Pablo Legasa , (photo ci dessus par J.Benhamou), l’un des jeunes espoirs de la maison. Sans la taille imposante ni les annĂ©es d’expĂ©rience d’autres danseurs, le CoryphĂ©e se montre complĂštement habitĂ© par la danse, il a en lâoccurrence, un je ne sais quoi d’endiablĂ© et d’impressionnant dans son travail des jambes, une petite batterie ravissante, l’esprit et l’exĂ©cution d’un virtuose. Jeune talent Ă ne surtout pas perdre de vue !
Une soirĂ©e vĂ©ritablement pour tous. Une compagnie dans la meilleure des formes malgrĂ© les mĂ©lodrames rĂ©cemment mĂ©diatisĂ©s. A voir et revoir sans modĂ©ration au Palais Garnier Ă Paris, pour les fĂȘtes, les 5, 6, 8, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 18, 20, 21, 23, 24, 27, 28, 29, 30 et 31 dĂ©cembre 2016 .
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