COMPTE-RENDU, opĂ©ra. ORANGE, ChorĂ©gies, le 6 aoĂ»t 2019. MOZART : Don Giovanni. D. LIVERMORE. E. SCHROTT. M. SICILIA. K. DEHAYES. S. DE BARBEYRAC. Orch. LYON. F. CHASLIN. Il ne va pas de soi de donner un opĂ©ra mozartien dans le vaste théùtre antique dâOrange. Aujourdâ hui un retour Ă lâorchestre sur instruments dâĂ©poque et la recherche dâun format vocal plus naturel, proche de ce que Mozart a connu, apporte des solutions intĂ©ressantes. Le risque Ă©tait grand dâune dĂ©mesure fatale Ă lâesprit et Ă la lettre de ce bijoux du duo Da Ponte – Mozart. De mĂȘme les attentes du public, ou dâune partie, visant Ă cantonner lâĆuvre dans son XVIIIĂšme poudrĂ©, nâĂ©tait pas compatible avec la vaste scĂšne. Tout de go je dirai que je nâai pas Ă©tĂ© déçu et que jâai passĂ© une excellente soirĂ©e en compagnie du Don Juan de Mozart et Da Ponte. Car lâesprit Ă©tait lĂ . Un Don Juan noir, cruel, adepte de lâamour vache, voir un tantinet serial killer. Erwin Schrott est le Don Juan de notre Ă©poque et toutes les meilleurs scĂšnes du monde se lâarrachent. Voix sombre et ronde, capable de toutes les nuances.
Erwin Schrott, Don Giovanni, serial killer, carnassierâŠ
Don Juan aux Chorégies : ⊠oui, pari réussi !

Chanteur parfait, diseur subtil. Acteur carnassier, volubile, trĂšs mobile. Certain de son charme, bien rĂ©el, il en use avec art. Il ira Ă la mort Ă vive allure sans trembler. Habits noirs intemporels, en chemise, câest le corps qui sâoffre ainsi sans aucun besoin de costume, et quel acteur ce Schrott !
Câest le contraire pour les autres personnages qui dĂ©butent lâopĂ©ra en costumes anciens. Dames en robes Ă panier, Ottavio en habit de la cour madrilĂšne, villageois endimanchĂ©s façon ethnique. Certes les Ă©poques se tĂ©lescopent et les voitures, le taxi de Leporello et le 4/4 noir du commandeur, surprennent le public. Et oui le visage de lâaristocratie mondiale a changĂ©, aujourdâhui 100% financiĂšre, autrefois de droit divin, mais rien nâa changĂ© : les puissants abusent de tout et de tous sans scrupules. Les personnages sont donc tous bien campĂ©s.
Par ordre dâentrĂ©e en scĂšne, Leporello est le chauffeur de taxi, en blouson, bonnet vissĂ© sur la tĂȘte, pleutre et veule Ă souhait. Le commandeur, le faiseur dâaffaire, ou banquier,  a la joie des solutions expĂ©ditives et la gĂąchette facile. Le couple Donna Anna et Don Ottavio est dâabord «grande maniĂšre de la cour dâEspagne » Ă la Velasquez pour Ă©voluer vers une modernitĂ© trĂšs intĂ©ressante. Don Ottavio a une Ă©volution trĂšs rarement accordĂ©e Ă ce personnage qui ce soir prend une vĂ©ritable dimension virile ; et le couple est un vrai couple. Elvire est une grande dame dominĂ©e par son cĆur et son corps, mais qui lutte pour sa dignitĂ© et le salut de son amour. Câest un trĂšs beau personnage qui Ă©volue aussi finement. Zerline et Masetto, de paysans ethniques, vont vers la simplicitĂ© des gens qui demandent peu Ă la vie et que la proximitĂ© des puissants a failli briser totalement.
Avec tout cela, certains oseront se plaindre de la mise en scĂšne ! Personnellement jâai vu les vrais personnages de Da Ponte et Mozart. Le dĂ©cor est habilement fait sur le mur par des projections, non seulement trĂšs belles, mais Ă forte charge symbolique. Le sang sur le mur, les vagues dâune plage dans la recherche de puretĂ©, les fenĂȘtres, balcons, tombeaux sont suggĂ©rĂ©s habilement. Lâun des effets les plus puissants est la dĂ©sagrĂ©gation des murs lorsque lâesprit vacille. LâĂ©pisode des masques en calĂšche avec un cheval qui reste tranquille de justesse est trĂšs beau (bravo aux dresseurs prĂ©sents sur scĂšne qui calment lâanimal). Les costumes rutilants pour le chĆur durant la fĂȘte habillent agrĂ©ablement la vaste scĂšne. Les voitures qui font crisser les pneus, outre le sacrĂ© entraĂźnement quâil a fallu, auraient certainement amusĂ© le Mozart farceur que lâon connait. Le travail de mise en scĂšne de Davide Livermore est trĂšs intĂ©ressant, habile et fidĂšle Ă lâesprit dâun Don Juan noir qui cherche Ă se distraire Ă tout prix. Les lumiĂšres complexes dâAntonio Castro sont intimement liĂ©es aux projections de D-Work. Les costumes  se voient de loin dans de belles couleurs.Pour rĂ©ussir un Don Juan, il faut un bon orchestre et surtout un chef avec une vison. Lâorchestre de lâOpĂ©ra national de Lyon a Ă©tĂ© magnifique. Parfaitement Ă©quilibrĂ© pour sonner, sans couvrir les voix jamais. PrĂ©cis, rĂ©actif, avec de beaux timbres, – les trĂšs belles couleurs des bois -, chaque instrumentiste a Ă©tĂ© parfait. Les timbales incarnant le drame mĂȘme. La direction de FrĂ©dĂ©ric Chaslin est admirable de tenue dramatique. Tout avance, Ă vive allure. Les airs dans des tempi retenus sont comme une diffraction Ă©motionnelle, certains en deviennent magiques.
FrĂ©dĂ©ric Chaslin dirige par coeur, il a des yeux partout. Il met en valeur chaque dĂ©tail tout en maintenant un drame continuellement renouvelĂ©. Chaque final a eu la prĂ©cision horlogĂšre attendue. Le drame est partout dans cette direction. Lâouverture et le final avec le Commandeur sont de grands moments. Pour animer les personnages, il faut des images vocales prĂ©cises. Les voix sont toutes de stature semblable et emplissent bien la vastitude du théùtre antique, ce nâest pas rien.
Erwin Schrott domine de son charisme tant scĂ©nique que vocal tout le team. Son Leporello, Adrian SĂąmpetrean, est son double, juste un cran en dessous. Ce dernier a eu un peu de mal avec le tempo Ă certains moments. La Donna Anna de Mariangela Sicilia a de la vaillance et conduit admirablement sa voix. De mĂȘme Zerlina, Annalisa Stroppa et Masetto, Igor Bakan ne dĂ©mĂ©ritent pas. Le Commandeur dâAlexeĂŻ Tikhomirov manque de puissance et est trop fort lorsque sa voix est amplifiĂ©e. Câest le personnage le plus falot, mais câest crĂ©dible scĂ©niquement dans cette mise en scĂšne.
Il reste Ă dĂ©crire les deux chanteurs qui se hissent sans peine Ă la hauteur de perfection du Don Juan de Erwin Schrott et ce nâest pas peu dire. Lâ Ottavio de Stanislas de Barbeyrac est inoubliable. Voix splendide, timbre viril, conduite du souffle parfaite, nuances incroyables pour des reprise pianissimo extatiques. Bel acteur, le jeux de scĂšne permet de rendre au personnage sa vraie noblesse, celui qui croit en la justice des hommes, la convoque et qui aime profondĂ©ment sa fiancĂ©e ; son « crudel» au dernier acte est lâair dâun amoureux vraiment blessĂ©. Il a peaufinĂ© son personnage Ă Paris, New-York et Munich ! Et il connaĂźt lâacoustique du théùtre antique. Il a donc osĂ© des pianisssimi tendres et Ă©mouvants Ă la fois et une reprise sur le souffle de grande Ă©cole. Le public lui a fait un succĂšs personnel retentissant, bien mĂ©ritĂ©. Il est probablement le Don Ottavio de sa gĂ©nĂ©ration.

Le pari de distribuer Karine Deshayes dans Elvire nâallait pas de soi. Il est dâusage de distribuer plutĂŽt une soprano quâune mezzo-soprano en Elvira. Câest une vĂ©ritable rĂ©vĂ©lation. Elle aussi pourrait ĂȘtre lâElvira de sa gĂ©nĂ©ration. Timbre somptueux, Ă©galitĂ© sur toute la tessiture, souffle long, passion contenue qui explose, personnage qui Ă©volue et qui devient une amoureuse magnifique dans sa douleur et sa peur pour lâaimĂ©. Elle aussi a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâapplaudissements nourris aprĂšs son « Mi tradiâŠÂ ». Ces deux chanteurs français rejoignent le Don Juan de lâĂ©poque, un Erwin Schrott diablement sĂ©duisant. Schrott inoubliable lâan dernier en MĂ©phistophĂ©lĂšs et ce soir en Don Juan.
Le chĆur nâa pas un grand rĂŽle mais apporte beaucoup de vie dans le  drame trĂšs sombre ce soir. Il a Ă©tĂ© parfait en proportion et en qualitĂ© vocale comme scĂ©nique. Les costumes clinquants et lumineux Ă©taient trĂšs bien venus. Il a donc Ă©tĂ© possible de donner un Don Juan excellent dans le vaste théùtre, chef, orchestre,  solistes, chĆurs, mise en scĂšne, aspects visuels, tout a fonctionnĂ© de concert pour tendre au public un miroir sur la question cruciale du moment comme jamais : chercher la libertĂ©, mais pour quoi faire ? Courir Ă lâabĂźme en connaissance de cause ?? / illustration : © P Gromelle 2019 / ChorĂ©gies d’Orange 2019
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COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. ChorĂ©gies dâOrange 2019. Théùtre Antique. Le 6 aoĂ»t 2019. Wolfgand Amadeus Mozart ( 1756-1791) : Don Juan, Drama Giocoso en 2 actes, livret de Lorenzo da Ponte, dâaprĂšs Giovanni Bertati ; CrĂ©ation : Prague, au GrĂ€flich Nostitzsches Nationaltheater, le 29 octobre 1787. Coproduction avec le Festival de Macerata ; Mise en scĂšne, Davide Livermore ; DĂ©cors : Davide Livermore ; Costumes, StĂ©phanie Putegnat ; Eclairages, Antonio Castro ; VidĂšos,  D-Wok ; Avec :  Don Giovanni, Erwin Schrott ; Leporello, Adrian SĂąmpetrean ; Donna Anna, Mariangela Sicilia ; Donna Elvira, Karine Deshayes ; Don Ottavio,  Stanislas de Barbeyrac ; Zerlina, Annalisa Stroppa ; Masetto, Igor Bakan ; Le Commandeur, AlexeĂŻ Tikhomirov ; ChĆurs des OpĂ©ras d’Avignon et de Monte-Carlo , coordination chorale : Stefano Visconti ; Continuo, Mathieu Pordoy ; Orchestre de l’OpĂ©ra de Lyon ; Direction musicale, FrĂ©dĂ©ric Chaslin. Illustrations : © P Gromelle 2019.