CRITIQUE, opéra. Lille, le 13 mai 2022. BRITTEN : Le Songe d’une nuit d’été. Guillaume Tourniaire / Laurent Pelly.

CRITIQUE, opéra. Lille, le 13 mai 2022. BRITTEN : Le Songe d’une nuit d’été. Guillaume Tourniaire / Laurent Pelly  -  Désignée capitale européenne de la culture en 2004, la ville de Lille a poursuivi depuis lors cet élan en organisant tous les trois ans le festival « Lille 3000 ». Avec son offre multiculturelle, l’édition 2022 « Utopia » valorise de nombreuses expositions de tout premier plan dans la métropole (notamment la présentation d’oeuvres inédites d’Annette Messager au Lam à Villeneuve d’Ascq) et pare les rues nordistes de nombreuses installations spectaculaires, dont les dix statues géantes en mousse entre la gare et l’Opéra, réalisées par le Finlandais Ken Simonsson. Ces elfes aux allures enfantines, emblématiques de la culture pop, illustrent le thème de cette édition dédiée à l’harmonie entre l’homme et la nature : c’est aussi une transition naturelle avec Le Songe d’une nuit d’été, l’un des chefs d’oeuvre lyrique les plus poétique et évocateur de Benjamin Britten, représenté dans le cadre du festival jusqu’au 22 mai prochain à Lille, mais également gratuitement le 20 mai sur de nombreux grands écrans des Hauts-de-France.

 

 

Laurent Pelly met en scène Britten pour Lille 3000

Finesse et féerie

 

 

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C’est lĂ  un Ă©vĂ©nement Ă  ne pas manquer, tant la féérie joue Ă  plein dans la mise en scène toute de finesse de Laurent Pelly. On retrouve le Français bien connu Ă  Lille après ses rĂ©ussites comiques dĂ©diĂ©es Ă  Cendrillon de Massenet en 2012 et Le Roi Carotte d’Offenbach en 2018 :  https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-lille-opera-le-11-fevrier-2018-offenbach-le-roi-carotte-schnitzler-pelly/ – Il se dĂ©marque de la mise en scène intemporelle de Robert Carsen, constamment reprise depuis 1991, en apportant plusieurs touches humoristiques mais jamais envahissantes, tout en diffĂ©renciant les trois mondes (merveilleux, amoureux, théâtreux) en un dĂ©cor unique bien revisitĂ© tout du long, qui laisse la place Ă  la poĂ©sie Ă©vocatrice et Ă  l’imagination. Avec ces nombreux effets de miroir (en panneaux mouvants, sur le sol ou en arrière-scène) admirablement mis en valeur par le travail sur les Ă©clairages, Laurent Pelly s’amuse Ă  renforcer le théâtre dans le théâtre, dĂ©jĂ  très prĂ©sent dans l’ouvrage : l’une des saynètes les plus saisissantes est certainement celle qui suit la danse bergamasque au III, lorsque les interprètes dĂ©couvrent le public sous leurs yeux Ă©bahis. Comme Ă  son habitude, Laurent Pelly impressionne par la justesse millimĂ©trĂ©e de sa direction d’acteur, toujours au service de l’action dramatique.

 

 

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La réussite de cette production vaut aussi pour l’excellent plateau vocal, en grand partie anglophone. A l’aise vocalement, Nils Wanderer (Oberon) et Marie-Eve Munger (Tytania) se saisissent ainsi de leurs rôles périlleux avec un sens théâtral jamais pris en défaut, à l’instar des tourtereaux impressionnants de brio et d’éloquence. Parmi eux, seul David Portillo (Lysander) peine à nuancer son chant trop en force, notamment dans les piani et le medium, ce qui est d’autant plus regrettable que la beauté de son timbre séduit. A ses côtés, Dominic Barberi compose un désopilant Bottom (et ce malgré un masque d’âne qui affaiblit sa projection), bien épaulé par ses acolytes ouvriers. Là encore, une réserve est à émettre concernant le Snug trop chantant de Thibault de Damas, mais il est vrai que le rôle est redoutable dans le dosage de comique à distiller. Rien de tel pour le Puck aux allures de Pierrot de la virevoltante et radieuse Charlotte Dumartheray, très engagée dans son rôle. Tout aussi bien préparé, le choeur d’enfants assure bien sa partie, même s’il se montre un rien trop tendre par endroit dans l’espièglerie attendue.

Dans la fosse, Guillaume Tourniaire se régale des couleurs exacerbées en distinguant chaque pupitre, le tout au service d’une direction brillante et incandescente, qui n’en oublie pas les passages plus apaisés par une attention soutenue à l’élan narratif global. De quoi ressortir avec des étoiles pleins les yeux, après l’ovation enthousiaste du public venu en nombre pour fêter les délices enchanteurs de Britten.

 

  

 
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CRITIQUE, opéra. Lille, le 13 mai 2022. Benjamin BRITTEN : Le Songe d’une nuit d’été, Nils Wanderer (Oberon), Marie-Eve Munger (Tytania), David Portillo (Lysander), Antoinette Dennefeld (Hermia), Charles Rice (Demetrius), Louise Kemény (Helena), Dominic Barberi (Bottom), Charlotte Dumartheray (Puck), Gwilym Bowen (Flute), David Ireland (Quince), Thibault de Damas (Snug), Dean Power (Snout), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Starveling), Tomislav Lavoie (Theseus), Clare Presland (Hippolyta), Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Lille, direction musicale, Guillaume Tourniaire / mise en scène, Laurent Pelly. A l’affiche de l’Opéra de Lille jusqu’au 22 mai 2022  -  Photos : © Simon Gosselon / Opéra de Lille 2022.

 

 

 

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DIFFUSION EN PLEIN AIR ET EN LIVE : Opéra Live / Vendredi 20 mai 2022, retransmission gratuite, en direct et sur grand écran de la représentation du Songe d’une d’été de Britten, sur la place du Théâtre à Lille et dans une vingtaine de lieux des Hauts-de-France. Liste complète des lieux de la retransmission à venir sur opera-lille.fr

 
 
 

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VIDÉO
Laurent Pelly présente Le Songe d’une nuit d’été :

 

 

 

 

 

AUTRES PRODUCTIONS du Songe d’une Nuit d’Ă©tĂ© de BRITTEN :

OpĂ©ra de TOURS, avril 2018 – PrĂ©sentation / enjeux, synopsis du Songe d’une Nuite d’Ă©tĂ© de Britten / Pionnier / Vincey :  : https://www.classiquenews.com/opera-de-tours-le-songe-dune-nuit-dete-de-britten/

 

 

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, le 10 mai 2022. Richard Strauss : Elektra. Christine Goerke,Semyon Bychkov / Robert Carsen.

Richard Strauss, un "gĂ©nie contestĂ©"CRITIQUE, opĂ©ra. Paris, le 10 mai 2022. Richard Strauss : Elektra. Semyon Bychkov / Robert Carsen – Après avoir interprĂ©tĂ© le rĂ´le de ChrysothĂ©mis pendant quelques annĂ©es (notamment Ă  Washington en 2008), Christine Goerke s’illustre dĂ©sormais dans le rĂ´le-titre d’Elektra (1909 – voir notre prĂ©sentation du 4ème opĂ©ra de Richard Strauss : https://www.classiquenews.com/richard-strauss-elektra-1909/), qu’elle a chantĂ© sur toutes les scènes amĂ©ricaines avec un grand succès. En Europe, oĂą elle se fait plus rare, seuls quelques chanceux ont eu la possibilitĂ© de l’entendre sur scène, notamment Ă  Bayreuth ou lors d’une rĂ©cente tournĂ©e avec Andris Nelsons. Disons-le tout net, la rĂ©putation de la chanteuse amĂ©ricaine n’est en rien usurpĂ©e, tant elle embrasse avec aisance le vaste vaisseau de Bastille, de sa voix ample, donnant Ă  ses graves charnus, une rĂ©sonance aussi gourmande que pĂ©nĂ©trante. Le splendide timbre cuivrĂ© rĂ©sonne de mille couleurs, avec une tenue de note parfaitement maitrisĂ©e : mais c’est peut-ĂŞtre aussi la limite de cette chanteuse, qui peine Ă  se dĂ©passer au niveau interprĂ©tatif au-delĂ  de cet hĂ©donisme sonore, adoptant une rĂ©serve aristocratique souveraine, bien Ă©loignĂ©e de la fureur entendue ailleurs (voir notamment Ă  Toulouse l’an passĂ©).

Telle conception dramatique ne l’empêche pas de recueillir un triomphe en fin de représentation, même si elle se situe à mille lieux de celle d’une Angela Denoke (remplaçante de Waltraud Meier, initialement prévue) : on avait oublié à quel point la chanteuse allemande sait peser chaque mot pour lui donner un sens, d’un naturel éloquent, porté par une ligne souple et aérienne, proche de l’idéal. Il lui manque certes la puissance attendue en certaines parties, mais sa prestation est assurément l’un des grands moments de la soirée. On retrouve à ses côtés une autre remplaçante de luxe en la personne de Camilla Nylund, appelée en dernière minute pour palier la défection d’Elza van den Heever (dont la présence pour les représentations suivantes est encore annoncée). Malgré un volume limité, la Finlandaise impressionne toujours autant par sa justesse d’intention, dans des phrasés millimétrés de raffinement, donnant à son rôle de Chrysothémis le mélange de fragilité et de couardise requis. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, au premier rang desquels le superlatif Egisthe de Gerhard Siegel, très en voix, de même que l’émouvant Oreste de Tómas Tomasson.

Parmi les autres sensations de la soirée, le public fait une ovation au retour dans la fosse parisienne du grand chef américain (d’origine russe) Semyon Bychkov, qui épouse la conception hédoniste de Christine Goerke pour donner à ses phrasés amples un lyrisme évocateur, porté par les premiers violons : la clarté et la transparence obtenue mettent en valeur des sonorités splendides, qui peuvent surprendre les tenants d’une vision plus sombre du drame.

 

 

 

L’Elektra de Carsen …
une sorcière proche de Médée

 

 

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Sur le plateau, on retrouve la mise en scène de Robert Carsen, créé ici-même voilà neuf ans. A l’instar de son Iphigénie en Tauride de Gluck, le Canadien plonge le spectateur dans une scénographie aussi sobre que sombre, qui ausculte les méandres labyrinthiques de la psyché féminine. Toutes les femmes sont ainsi grimées de la même manière, se mouvant de concert avec Elektra pour influencer les événements, en une sorte de transe maléfique, admirablement chorégraphiée tout du long (et ce malgré quelques longueurs dans la répétition de ce parti-pris). Seules Chrysothémis et surtout Clytemnestre échappent à cette uniformisation, même si on peut voir en toutes ces femmes les multiples voix contradictoires d’une seule : la crainte d’une sexualité débridée chez Clytemnestre, la culpabilité dans le divertissement pour Chrysothémis, et surtout l’incapacité à agir d’Elektra, qui ne cesse d’enjoindre ses proches à tuer sa mère à sa place.
On aime aussi l’idée de Carsen de relier les deux héroïnes meurtrières de Strauss, lorsque Elektra vient chercher du réconfort sur le cadavre de son père, faisant écho à la folie de Salomé. Mais l’idée force est plus encore de transformer Elektra en une sorcière proche de Médée, en lien avec les mots de sa mère (« quels sont les rites ? »), rôdant autour de la tombe de son père, transformée ensuite en réceptacle de toutes les péripéties – comme si l’héroïne y engloutissait toutes les réalités qu’elle se refuse à voir. Une mise en scène décisive dans les moments-clés de l’ouvrage, mais un rien redondante par ailleurs.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Paris, le 10 mai 2022. Richard Strauss : Elektra. Angela Denoke (Clytemnestre), Christine Goerke (Electre), Elza van den Heever, Camilla Nylund (Chrysothémis), Gerhard Siegel (Egisthe), Tómas Tomasson (Oreste), Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, direction musicale, Semyon Bychkovou Case Scaglione / mise en scène, Robert Carsen.
A l’affiche de l’Opéra de Paris jusqu’au 1er juin 2022 :
https://www.operadeparis.fr

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VOIR le TEASER VIDEO :

 

 

  

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra national de Paris, le 29 mars 2022. MASSENET : Cendrillon. Carlo Rizzi / Mariame Clément. 

CRITIQUE, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra national de Paris, le 29 mars 2022. SLIDE_Massenet_580_320 - copieMASSENET : Cendrillon. Carlo Rizzi / Mariame ClĂ©ment – Depuis plusieurs annĂ©es, la Cendrillon (1899) de Jules Massenet s’est imposĂ©e comme l’un des ouvrages les plus reprĂ©sentĂ©s de son auteur, aux cĂ´tĂ©s de Manon (1884) et Werther (1892). Il a Ă©tĂ© ainsi possible d’entendre ce chef d’oeuvre tardif à Marseille en 2009 http://www.classiquenews.com/marseille-opra-le-31-dcembre-2009-jules-massenet-cendrillon-cendrillon-julie-boulianne-cyril-diederich-direction-renauddoucet-mise-en-scne/ , Ă  l’OpĂ©ra-Comique en 2011
https://www.classiquenews.com/paris-opra-comique-les-5-et-7-mars-2011-massenet-cendrillon-judith-gauthier-blandine-staskiewicz-michle-losier-marc-minkowski-direction-benjamin-lazar-mise-en-scne/, à Nantes en 2018 https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-nantes-le-4-dec-2018-massenet-cendrillon-shaham-le-roux-toffolutti-schnitzler/ et surtout à New York en début d’année (pour une reprise du spectacle de Laurent Pelly déjà monté à Santa Fe en 2006).

L’entrée au répertoire de l’ouvrage à l’Opéra de Paris permet de se délecter des harmonies raffinées de Massenet, qui étonne par une orchestration subtile et souvent allégée en maints endroits, avec des combinaisons de sonorités souvent audacieuses (flûte, harpe et alto, par exemple), toujours au service de la caractérisation des événements. L’ancien élève d’Ambroise Thomas fait aussi valoir ses habituelles qualités d’écriture pour la voix, toujours insérée naturellement dans l’action dramatique, même si les parties nocturnes et rêveuses apparaissent plus réussies. La principale faiblesse revient au livret, qui minore les aspects comiques, plus présents chez Rossini, pour privilégier un romantisme parfois naïf, et ce malgré l’adresse finale au public en forme de pirouette.

La nouvelle production imaginĂ©e par Mariame ClĂ©ment (dĂ©jĂ  accueillie Ă  l’OpĂ©ra de Paris en 2014, avec Hansel et Gretel d’Humperdinck https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-paris-opera-de-paris-le-20-novembre-2014-engelbert-humperdinck-hansel-et-gretel-andrea-hill-bernarda-bobro-imgard-vilsmaier-doris-lamprecht-jochen-schmeckenbecher/) surprend d’emblĂ©e par son Ă©vocation visuelle très rĂ©ussie de la Belle Epoque (immense dĂ©cor industriel pour camper l’intimitĂ© de Cendrillon, puis Palais de verre lorsqu’elle affronte le monde), tout en donnant une place Ă  la féérie du conte – notamment les encarts en papier dĂ©coupĂ©, rĂ©gulièrement projetĂ©s sur le rideau de scène, avant les principaux tableaux. La direction d’acteur, autant que les dĂ©cors, rappellent souvent l’esprit bon enfant de Michel Ocelot (Dilili Ă  Paris) ou Martin Scorsese (Hugo Cabret).
Mariame Clément réussit aussi le pari de donner davantage de consistance à cette histoire bien connue par l’ajout d’idées savoureuses : ainsi de la machine aux pouvoirs magiques (prétexte à quelques gags en début d’ouvrage), sans parler de l’étonnante scène de bal où Cendrillon fait connaissance avec le Prince en catimini et sous son vrai visage. On aime aussi l’idée de vêtir les prétendantes à l’identique, comme autant de clones impersonnels, ou de nous faire croire au rêve de Cendrillon en fin d’ouvrage, lorsque la mère semble perdre la raison et que les sœurs soutiennent l’héroïne. L’image la plus saisissante est toutefois celle de la forêt de containers au III, qui semble cacher des déchets radioactifs : loin du message écologique attendu, c’est un cœur bouillonnant qui apparaît, comme prisonnier des méandres de la terre. Plus tard, on comprend cette référence lorsque le Prince s’écrie « On ne m’a pas rendu mon cœur », avant que sa promise ne lui intime de reprendre « son cœur sanglant ».

Le plateau vocal se montre très satisfaisant au niveau dramatique, hormis la trop discrète Daniela Barcellona (Madame de la Haltière), qui peine à caractériser le ridicule de son personnage, soignant trop la partie vocale au détriment des intonations comiques. Il aurait peut-être fallu privilégier une distribution plus francophone, même si Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le prince) s’en sortent bien au niveau de la nécessaire prononciation, souvent déclamatoire. Tara Erraught emporte ainsi l’enthousiasme par son chant généreux et lumineux, parfaitement projeté. On aime plus encore sa partenaire, qui n’est pas en reste dans la rondeur d’émission et l’éclat. Mention particulière pour le Pandolfe tout de noblesse de Lionel Lhote, tandis que les deux soeurs assurent leur partie avec une virtuosité admirablement maîtrisée. On mentionnera enfin la direction magnifique de subtilité de Carlo Rizzi, qui fait ressortir chaque détail tout en faisant valoir les couleurs d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris en grande forme. Il reste encore des places : courrez découvrir ce très beau spectacle, à savourer jusqu’au 28 avril prochain !

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CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra national de Paris, le 29 mars 2022. Massenet : Cendrillon. Tara Erraught (Cendrillon), Daniela Barcellona (Madame de la Haltière), Anna Stephany (Le prince charmant), Kathleen Kim (La fée), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée), Lionel Lhote (Pandolfe), Philippe Rouillon (Le roi), Cyrille Lovighi (Le Doyen de la faculté), Olivier Ayault (Le Surintendant des plaisirs), Vadim Artamonov (Le Premier Ministre), Chœur de l’Opéra national de Paris, Ching-Lien Wu (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Carlo Rizzi, direction. Mariame Clément, mise en scène. A l’affiche de l’Opéra national de Paris jusqu’au 28 avril 2022.

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 9 mars 2022. Bernstein : A Quiet Place. Kent Nagano / Krzysztof Warlikowski 

bernstein oepra de paris a quiet place annonce critique classiquenewsCRITIQUE, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Garnier, le 9 mars 2022. Bernstein : A Quiet Place. Kent Nagano / Krzysztof Warlikowski  – Si l’annĂ©e du centenaire de la naissance de Leonard Bernstein (1918-1990) a permis un Ă©clairage bienvenu sur la pluralitĂ© des ouvrages composĂ©s bien au-delĂ  du sempiternel chef d’œuvre West Side Story (voir notamment le cycle donnĂ© par l’Orchestre national de Lille Ă  cette occasion https://www.classiquenews.com/lille-lonl-fete-lenny-cycle-leonard-bernstein/), force est de constater que Lenny reste aujourd’hui cantonnĂ© Ă  ses succès « faciles » du dĂ©but de carrière, dont On the Town (1944). On oublie bien vite que cet artiste touche Ă  tout, immense chef d’orchestre et pĂ©dagogue, chercha une voie mĂ©diane entre la radicalitĂ© europĂ©enne d’après-guerre (incarnĂ©e par Boulez en France) et les douceurs sucrĂ©es de Broadway. Preuve en est l’ambition de ses symphonies, qui Ă©voquent l’Ancien testament en rĂ©fĂ©rence aux racines juives ukrainiennes de ses parents, Ă©migrĂ©s aux Etats-Unis en 1910. Le langage musical, aux nombreuses dissonances, n’évite pas quelques Ă©lĂ©ments plus spectaculaires aux cuivres notamment, dans la veine de Mahler et Copland.

Avec son ultime ouvrage pour la scène, A Quiet Place (1984), Leonard Bernstein rencontre l’un des échecs les plus retentissants de sa carrière, au style polytonal inspiré de Stravinsky, volontairement éclectique dans l’incorporation d’éléments disparates souvent déroutants. Conçu comme une suite à son premier opéra Trouble in Tahiti (1952), à l’ivresse mélodique et rythmique irrésistible, le nouvel ouvrage s’en distingue par l’abandon des effluves jazzy entêtantes, tout en surprenant par son sujet provocateur, qui moque les faux-semblants liés aux cérémonies de funérailles, et place au centre de l’intrigue la bisexualité de ses personnages, en référence à la vie privée de Bernstein (voir notre présentation : https://www.classiquenews.com/paris-palais-garnier-a-quiet-place-de-bernstein/).

On doit aux efforts conjugués de Garth Edwin Sunderland, vice-président chargé des projets créatifs du Leonard Bernstein Office (association officielle qui gère le legs du compositeur), et du chef d’orchestre Kent Nagano, la résurgence de A Quiet Place, sans Trouble in Tahiti (donné au préalable ou incorporé à l’ouvrage). Remonté en 2013 dans une version pour orchestre de chambre, l’ouvrage bénéficie d’un livret remanié par Sunderland, qui recentre l’attention sur les personnages centraux (voir le disque évènement gravé par Nagano quatre ans plus tard http://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-bernstein-a-quiet-place-nagano-osm-2-cd-decca-2017/).

 

 

 

A QUIET PLACE Ă  Paris
une version inédite du dernier opéra de Lenny

 

 

 

Du fait de la jauge importante du Palais Garnier (près de 2000 places), la présente production propose également une voie médiane entre les 72 musiciens prévus en 1984 et les 18 imaginés pour la version de chambre, tout en remplaçant certains instruments trop « exotiques » (la guitare électrique ou certains bruitages électroniques) par d’autres (clavecin et orgue). On a donc là une version inédite qui permet d’assister à une « création mondiale » de la nouvelle orchestration pour grand orchestre, composée par Garth Edwin Sunderland.

La soirée remporte un succès public chaleureux au moment des saluts, du fait du plateau vocal réuni, idéalement homogène. S’en détache le chant noble et altier de Russell Braun (Sam), qui donne une hauteur de vue bienvenue à son rôle, tandis que Frédéric Antoun (François) apporte beaucoup de soin à l’articulation et au texte. On aime aussi les couleurs et les accents entre tragique et comique de Gordon Bintner (Junior), toujours digne dans la folie de son personnage. Remplaçante de dernière minute suite au retrait de Patricia Petibon, Claudia Boyle (Dede) séduit par son aisance d’émission (hormis dans le suraigu), mais déçoit par sa faible projection et son interprétation un rien trop sage. A ses côtés, tous les seconds rôles se montrent à un niveau superlatif, aux premiers rangs desquels l’excellent quatuor de voix qui commentent les funérailles au I, composé des élèves de l’Académie lyrique.

La mise en scène de Krzysztof Warlikowski joue la carte de la sobriété au début, avant de finement confronter en miroir les déchirements familiaux, au moyen de deux modules superposés. Comme à son habitude, le soin apporté à la scénographie classieuse, tout autant qu’aux éclairages variés avec virtuosité, donne un écrin de toute beauté, qui rappelle le travail réalisé pour le diptyque Bartók / Poulenc, présenté ici-même en 2018 https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-paris-palais-garnier-le-17-mars-2018-bartok-poulenc-le-chateau-de-barbe-bleue-la-voix-humaine-metzmacher-warlikowski/.
La vidéo ne prend jamais trop de place, tandis que l’ajout des errances fantomatiques de la mère décédée n’apporte pas grand-chose au propos, si ce n’est rappeler que le livret ne tranche jamais entre les différentes ambiguïtés de ce drame familial.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 9 mars 2022. Bernstein : A Quiet Place. Claudia Boyle (Dede), Frédéric Antoun (François), Gordon Bintner (Junior), Russell Braun (Sam), Colin Judson (le Directeur des pompes funèbres), Régis Mengus (Bill), Hélène Schneiderman (Susie), Jean-Luc Ballestra (Doc), Emanuela Pascu (Mrs. Doc), Loïc Félix (le Psychanalyste), Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef de chœur), Kent Nagano (direction musicale) / Krzysztof Warlikowski (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra national de Paris jusqu’au 30 mars 2022. 

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LIRE aussi notre présentation d’A QUIET PLACE de BERNSTEIN à l’Opéra de Paris, Palais Garnier jusqu’au 30 mars 2022 :
http://www.classiquenews.com/paris-palais-garnier-a-quiet-place-de-bernstein/

LIRE aussi notre critique d’A QUIET PLACE de BERNSTEIN, cd DECCA, enregistré en 2017 par Kent Nagano avec Gordon Bintner… « sprachgesang à l’américaine / vertus de l’allègement chmabriste / CLIC de CLASSIQUENEWS : http://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-bernstein-a-quiet-place-nagano-osm-2-cd-decca-2017/

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CRITIQUE, opéra. MUNICH, Opéra de Bavière, le 4 fév 2022. Strauss : La Femme silencieuse. Stefan Stoltesz / Barrie Kosky

CRITIQUE, opĂ©ra. MUNICH, OpĂ©ra de Bavière, le 4 fĂ©v 2022. Strauss : La Femme silencieuse. Stefan Stoltesz / Barrie Kosky – Avec l’imposition de mesures sanitaires de bon sens (jauge rĂ©duite, port obligatoire d’un masque ffp2 et contrĂ´le d’identitĂ© avec le pass sanitaire), les autoritĂ©s bavaroises ont rĂ©ussi non seulement Ă  maintenir les productions prĂ©vues depuis le dĂ©but de l’annĂ©e, mais Ă©galement la formidable vitalitĂ© du lieu : on est agrĂ©ablement surpris, en tant qu’habituĂ© des salles hexagonales, du nombre considĂ©rable de personnes prĂ©sentes avant le spectacle pour boire un verre dans les diffĂ©rents lieux prĂ©vus Ă  cet effet. De mĂŞme, pendant l’entracte, on se surprend Ă  dĂ©couvrir un parterre d’orchestre entièrement vide, tandis que les spectateurs se sustentent un peu partout. Dans ce contexte, l’OpĂ©ra de Paris a judicieusement emboitĂ© le pas de ses homologues germaniques, en permettant la rĂ©servation au prĂ©alable de diners pendant l’entracte – une initiative Ă  saluer vivement pour faire vivre les reprĂ©sentations bien au-delĂ  du spectacle proprement dit.

 
 
 

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La Femme silencieuse par Barrie Kosky, déjà présentée à Munich en 2017 (DR)

 
 
 

richard-strauss.jpgA Munich, l’OpĂ©ra de Bavière n’en oublie pas de fĂŞter les enfants qui ont fait sa gloire Ă  travers le monde, tel Richard Strauss. MĂŞme s’il a souvent prĂ©fĂ©rĂ© l’OpĂ©ra de Dresde pour crĂ©er ses ouvrages lyriques, le Bavarois honore logiquement le hall d’entrĂ©e de son buste, en face de celui de Richard Wagner, tout en voyant rĂ©gulièrement ses ouvrages montĂ©s jusqu’aux plus rares, telle cette « Femme silencieuse » (1934) – voir notre prĂ©sentation http://www.classiquenews.com/tag/femme-silencieuse/. Moins couru que les chefs d’oeuvre d’avant 1920, cet ouvrage peine Ă  renouveler son inspiration musicale, empruntant sans vergogne aux dĂ©lices tonaux du Chevalier Ă  la rose, tandis que le livret de Zweig lorgne du cĂ´tĂ© des comĂ©dies de Goldoni, sans jamais rĂ©ellement surprendre. Pour autant, le mĂ©tier de Strauss rĂ©serve quelques moments dĂ©licieux, notamment dans la palette enivrante des couleurs orchestrales et dans la virtuositĂ© piquante des ensembles. Ce petit bijou d’orfèvre nĂ©cessite toutefois un plateau vocal homogène et rompu aux difficultĂ©s techniques de la partition pour exprimer pleinement l’humour distillĂ© ici et lĂ .

Le dĂ©fi n’est malheureusement qu’imparfaitement rĂ©ussi, du fait d’un niveau inĂ©gal cĂ´tĂ© fĂ©minin, avec la gouvernante bien pâle de Christa Payer et le suraigu peu harmonieux des deux sopranos, Lavinia Dames (Isotta) et Tara Erraught (Carlotta). La première joue trop de son vibrato pour convaincre tout du long, ce qui est dommageable compte tenu de l’importance du rĂ´le. A l’inverse, Tara Erraught (Carlotta) s’impose avec des graves parfaits, aussi suaves que parfaitement projetĂ©s, tandis que la plus belle satisfaction vocale revient Ă  l’irrĂ©sistible barbier de Björn BĂĽrger. Le baryton allemand fait valoir la beautĂ© de son timbre par une Ă©mission naturelle, trouvant le juste Ă©quilibre entre jubilation dans la tromperie et manifestation d’autoritĂ© (en lien avec la mise en scène qui lui confie un rĂ´le de maĂ®tre de cĂ©rĂ©monie). On aime aussi le solide neveu incarnĂ© par Daniel Behle ou le choeur local, parfaitement en place. Dommage que Franz Hawlata manque d’Ă©clat dans son rĂ´le prĂ©pondĂ©rant de barbon trompĂ© : la voix usĂ©e n’aide pas Ă  donner du mordant Ă  ses reparties, et ce malgrĂ© un art du parlĂ©-chantĂ© parfaitement maĂ®trisĂ©.

Dans la fosse, l’expĂ©rimentĂ© Stefan Stoltesz, ancien directeur musical de l’OpĂ©ra d’Essen de 1997 Ă  2013, montre qu’il connait les moindres recoins de la partition, imprimant des phrasĂ©s d’un naturel toujours alerte, au service de l’efficacitĂ© théâtrale. MalgrĂ© quelques infimes rĂ©serves, notamment des cuivres un rien trop forts par endroit, l’Orchestre de l’OpĂ©ra de Bavière donne lui aussi beaucoup de satisfaction, tout particulièrement dans la prĂ©cision des attaques.

 
  

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CRITIQUE, opéra. Munich, Opéra de Bavière, le 4 février 2022.Strauss : La Femme silencieuse. Brenda Rae (Aminta), Christa Payer (La gouvernante), Lavinia Dames (Isotta), Tara Erraught (Carlotta), Franz Hawlata (Sir Morosus), Björn Bürger (Le barbier), Daniel Behle (Henry Morosus), Christian Rieger (Morbio), Tijl Faveyts (Vanuzzi), Tareq Nazmi (Farfallo) ;
Chor der Bayerischen Staatsoper, Stellario Fagone (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Stefan Stoltesz (direction musicale) / Barrie Kosky (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra de Bavière, jusqu’au 10 février, puis le 22 juillet 2022. Photo : ©Wilfried Hösl

 
  

CRITIQUE, opéra. MUNICH, Opéra de Bavière, le 3 fév 2022. Janáček : La Petite renarde rusée. Mirga Grazinytė-Tyla / Barrie Kosky

CRITIQUE, opĂ©ra. MUNICH, OpĂ©ra de Bavière, le 3 fĂ©v 2022. Janáček : La Petite renarde rusĂ©e. Mirga GrazinytÄ—-Tyla / Barrie Kosky  -  Lieu de rĂ©sidence de l’OpĂ©ra et du Ballet de Bavière, le Théâtre national de Munich a Ă©tĂ© reconstruit en 1963 dans un Ă©tat pratiquement identique Ă  celui d’avant-guerre, contrairement aux choix opĂ©rĂ©s dans de nombreuses villes allemandes (notamment Ă  Francfort la mĂŞme annĂ©e). C’est lĂ  un choix heureux, tant la dĂ©coration de la salle surprend d’emblĂ©e par la finesse de sa dĂ©coration dans le style de 1825, avec ses frises aux motifs nĂ©o-classiques, ses couleurs pastel et ses monumentales caryatides pour la loge royale. On aime aussi les Ă©lĂ©gants fauteuils d’orchestre en bois blanc et or, recouverts de velours rose sur le dossier, Ă  l’instar des rampes des circulations. Outre le somptueux foyer, lui aussi reproduit Ă  l’identique, on chemine parmi les tableaux et bustes des cĂ©lĂ©britĂ©s locales, de Richard Wagner Ă  Richard Strauss en passant par les plus controversĂ©s Carl Orff et Werner Egk. Les chanteurs et chefs d’orchestre de renom ne sont pas oubliĂ©s, tel Bruno Walter, ancien directeur gĂ©nĂ©ral de la musique entre 1913 et 1922.

 

 

La première saison lyrique
de Serge DORNY
à l’Opéra de Munich

 

 

Reconnue parmi les plus prestigieuses bien au-delĂ  des frontières allemandes, la Maison bavaroise a eu la bonne idĂ©e de recruter Serge Dorny Ă  sa direction. Bien connu en France, oĂą il a dirigĂ© l’OpĂ©ra de Lyon entre 2003 et 2021, le Belge s’est distinguĂ© par sa curiositĂ© pour l’exploration du rĂ©pertoire, notamment celui du dĂ©but du Xxème siècle, tout en accueillant des metteurs en scène audacieux, tel Barrie Kosky l’an passĂ© (voir notamment Le Coq d’or :  http://www.classiquenews.com/critique-opera-lyon-le-2-juin-2021-rimski-korsakov-le-coq-dor-rustioni-kosky/ et Falstaff :  https://www.classiquenews.com/critique-opera-lyon-le-9-oct-2021-verdi-falstaff-opera-de-lyon-rustioni-kosky/). Pour sa première saison Ă  Munich, Serge Dorny choisit de poursuivre sa collaboration avec l’inventif Australien, dĂ©jĂ  bien connu ici pour le dĂ©poussiĂ©rage audacieux opĂ©rĂ© en 2010, avec La Femme silencieuse de Richard Strauss (un spectacle repris en ce moment : http://www.classiquenews.com/tag/femme-silencieuse/). Dans ce contexte, la nouvelle production de La Petite renarde rusĂ©e (1924) de Leoš Janáček (1854-1928) est l’un des spectacles les plus attendus de la saison, Ă  voir ou revoir pendant le festival cet Ă©tĂ©.

 

 

 

 

Nouveau Janacek Ă  Munich
Epure du noir, reflets des matières,…
Barrie Kosky met en scène La petite renarde rusée

 

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D’emblĂ©e, avant mĂŞme que rĂ©sonnent les premières notes du prĂ©lude, Barrie Kosky impose la concentration en dĂ©voilant un plateau entièrement dĂ©nudĂ©, seulement occupĂ© par quelques personnes affairĂ©es Ă  enterrer un proche. C’est lĂ  l’idĂ©e force de cette production que de refuser de montrer la nature ou les animaux, en opposant deux conceptions de la vie, celle des amoureux de la libertĂ© et de l’insouciance (les animaux du livret, habillĂ©s avec des couleurs chatoyantes et toujours en mouvement) Ă  celle des plus inquiets, qui acceptent les contraintes souvent castratrices de l’organisation sociale. On reconnait dans ces derniers les hommes du livret, tout de noir vĂŞtus, toujours immobiles et piĂ©gĂ©s dans une trappe, Ă  l’instar de certains personnages de Beckett. PlutĂ´t que de forĂŞt, Kosky donne Ă  voir un fascinant mĂ©lange de fils tissĂ©s qui s’entremĂŞlent et se revisitent en permanence, comme un symbole de rĂ©gĂ©nĂ©ration mais aussi des diffĂ©rents possibles que la vie nous offre. La finesse des Ă©clairages n’est pas pour rien dans la rĂ©ussite de cette scĂ©nographie Ă©vocatrice et originale, qui explore le noir dans toute son Ă©pure, tout en jouant sur les reflets des matières (du strass aux paillettes, en passant par d’inattendus boas !). Seules quelques rares scènes Ă©chappent Ă  ce traitement, tel le burlesque et colorĂ© festin de la renarde, qui se rĂ©gale des poules transformĂ©es en cocotte de cabaret, aussi ravissantes qu’Ă©cervelĂ©es. Outre le statisme de certaines scènes, on pourra toutefois reprocher Ă  cette production de ne pas aider Ă  s’y retrouver parmi les nombreux personnages du livret, si ce n’est par l’identification visuelle en deux camps distincts.

 

Quoi qu’il en soit, le public rĂ©serve un accueil chaleureux Ă  ce travail cohĂ©rent et visuellement enchanteur, de mĂŞme qu’au plateau vocal homogène rĂ©uni pour l’occasion. On aime tout particulièrement la fraicheur d’Elena Tsallagova (la Renarde) et Angela Brower (le Renard), au chant aussi soyeux qu’engagĂ©. A leur cĂ´tĂ©, Wolfgang Koch (Le garde-chasse) compense un timbre fatiguĂ© par une belle noblesse de ligne, tandis que Martin Snell (Le pasteur, Le blaireau) se distingue par son intensitĂ©, toujours de belle tenue. La direction de Mirga GrazinytÄ—-Tyla souffle quant Ă  elle le chaud et le froid en jouant sur les variations de tempi, très vifs dans les passages enlevĂ©s, plus apaisĂ©s en contraste ensuite. Impressionnante de mise en place, la direction se perd parfois dans les dĂ©tails et l’exacerbation des couleurs, au dĂ©triment de la vision d’ensemble et de la spontanĂ©itĂ©. On se rĂ©gale toutefois de la qualitĂ© de l’Orchestre de l’OpĂ©ra de Bavière, notamment la cohĂ©sion d’ensemble, le tout magnifiĂ© par une acoustique flatteuse.

 

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CRITIQUE, opĂ©ra. MUNICH, OpĂ©ra de Bavière, le 3 fĂ©vrier 2022. Janáček : La Petite renarde rusĂ©e. Elena Tsallagova (La renarde), Wolfgang Koch (Le garde-chasse), Angela Brower (Le renard), Lindsay Hamman (L’épouse du garde-chasse, Le hibou), Jonas Hacker (Le maĂ®tre d’école, Le moustique), Martin Snell (Le pasteur, Le blaireau), Milan Sijanov (Harashta), Caspar Singh (Pasek), Mirjam Messak (Mme Pasek, Le geai), Yajie Zhang (Le chien, Le pivert), Andres Agudelo (Le coq), Eilza Boom (La poule), Chor der Bayerischen Staatsoper, Stellario Fagone (chef de chĹ“ur), Bayerisches Staatsorchester, Mirga GrazinytÄ—-Tyla (direction musicale) / Barrie Kosky (mise en scène). A l’affiche de l’OpĂ©ra de Bavière, jusqu’au 15 fĂ©vrier, puis les 11 et 16 juillet 2022. Photo : ©Wilfried Hösl

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 26 janv 2022. MOUSSORGSKI : La Khovantchina. Hartmut Haenchen / Andrei Serban

khovantchina-moussorgski-servan-haenchen-bastille-opera-janv-fev-2022-critique-opera-review-classiquenewsCRITIQUE, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 26 janv 2022. MOUSSORGSKI : La Khovantchina. Hartmut Haenchen / Andrei Serban – En ces temps toujours difficiles liĂ©s Ă  la pandĂ©mie, il est permis de redouter une salle Ă  moitiĂ© vide Ă  Bastille, tant le diamant noir de Moussorgski reste un ouvrage difficile pour le grand public : il n’en est rien, heureusement, mĂŞme si l’on note plusieurs dĂ©parts après le deuxième entracte. Quelle erreur ! C’est sans doute en sa dernière partie que La Khovantchina gagne en intensitĂ© dramatique, autour d’une musique toujours aussi envoutante, faisant la part belle Ă  une palette orchestrale volontairement sombre, seulement troublĂ©e par quelques accords de timbres parfois cinglants entre cuivres et percussions. Les magnifiques choeurs qui parsèment toute la partition, tout autant que le statisme de l’action, donnent des allures d’oratorio Ă  cette grande fresque historique, oĂą Moussorgski assemble plusieurs Ă©vĂ©nements intervenus en Russie dans les annĂ©es 1680. Menace de guerre civile pour la succession au trĂ´ne de tsar, mais Ă©galement scission au sein de l’Eglise orthodoxe avec la rĂ©volte des «Vieux-Croyants», donnent Ă  l’ouvrage une force peu commune pour l’auditeur. La lecture des excellents textes de prĂ©sentation du livret Ă©ditĂ© par l’OpĂ©ra de Paris est ainsi vivement conseillĂ©e pour bien saisir le contexte historique nĂ©cessaire Ă  la parfaite comprĂ©hension de l’action.

Le moins connus des opéras de Moussorgski
serait-il le plus saisissant ?

 

 

Si on peut regretter que le nom de Moussorgki reste encore peu connu du grand public, malgrĂ© ses deux «tubes», Une Nuit pour le mont chauve et Les Tableaux d’une exposition, son chef d’oeuvre lyrique Boris Godounov est heureusement rĂ©gulièrement montĂ© sur les planches (voir notamment la dernière production parisienne donnĂ©e Ă  Bastille en 2018 https://www.classiquenews.com/boris-godounov-par-vladimir-jurowski/). Plus rare, La Khovantchina a Ă©tĂ© montĂ©e dans la prĂ©sente production en 2001, puis reprise en 2013 (voir la critique du spectacle http://www.classiquenews.com/paris-opra-bastille-le-22-janvier-2013-moussorgski-la-khovantchinaversion-chostakovitch-michail-jurowski-direction-andrei-serbanmise-en-scne/ ). On comprend d’emblĂ©e pourquoi ce spectacle est prĂ©cĂ©dĂ© d’une telle aura de rĂ©ussite, tant son metteur en scène AndrĂ©i Serban (nĂ© en 1943) manie avec virtuositĂ© vision d’ensemble et force dĂ©tails issus de saynètes fugitives, toujours en lien avec le dĂ©roulĂ© du livret : dès le prĂ©lude orchestral, le peuple et les milices armĂ©es s’agitent autour d’un vaste mur qui enserre Moscou, annonçant les Ă©vĂ©nements narrĂ©s par les personnages. Tous les autres tableaux sont animĂ©s de cette mĂŞme Ă©nergie au service de la comprĂ©hension de l’action, en un ballet parfaitement rĂ©glĂ©, oĂą les costumes d’époque diffĂ©renciĂ©s font admirablement ressortir chaque camp. La scĂ©nographie, sobre et Ă©loquente, donne quant Ă  elle une modernitĂ© bienvenue Ă  chaque tableau, autour d’une idĂ©e forte et symbolique.

Outre la richesse de la capitale évoquée par les bulbes dorés visibles au loin, Andrei Serban insiste sur l’opulence des appartements princiers au II, avec un seul immense rideau rouge, tandis que le peuple, guerrier (les Streltsy) ou religieux (les Vieux-Croyants), en est réduit à la terre dans toute sa nudité au III. Cette opposition résolue est résumée par Dosifei dans sa querelle avec les Princes, où Moussorgski fustige, à travers lui, la noblesse qui parle tandis que le peuple agit. A la fin de l’ouvrage, après le dernier tableau saisissant dans les pénombres de la forêt, Andrei Serban a l’idée géniale de faire se dévêtir les choeurs de leur cape noire, faisant ainsi apparaître au sol les cadavres des Vieux-Croyants sacrifiés au bûcher, une fois la scène vidée. L’ultime apparition du futur tsar Pierre Le Grand, encore enfant, donne une dernière image tout aussi impressionnante, en lien avec la fin «ouverte» voulue par Chostakovitch (Moussorgski n’ayant pu achever la dernière scène, qu’il pensait dédier à un quintette vocal).

La distribution réunie par l’Opéra de Paris donne plusieurs motifs de satisfaction, sans pour autant donner le sentiment d’une soirée d’exception. Il revient à Anita Rachvelishvili (Marfa) la plus belle ovation, comme attendu, du fait de ses moyens toujours aussi percutant dans les graves, autour d’un timbre cuivré du plus bel effet. Même si on sent que la mezzo ronge quelque peu son freint dans la première partie «sérieuse» de la soirée, la fureur des dernières scènes lui permet de faire éclater son tempérament dramatique dans toute sa mesure. A ses côtés, Dimitry Ivashchenko (Ivan Khovanski) reçoit également un accueil chaleureux, du fait de sa noblesse de ligne, d’une parfaite maitrise technique. On peut seulement lui reprocher un ton un rien monolithique, mais qui convient bien au parti-pris de la mise en scène, qui insiste sur sa faiblesse de caractère et sa déprime latente, peu avant son assassinat au IV. On aime aussi le Dosifei tout de majesté sereine de Dmitry Belosseslkiy, même si quelques engorgements dans l’émission ou décalages (dans la forêt au V) nous rappelle la lourdeur du rôle sur la durée. On note aussi les prestations superlatives de Gerhard Siegel (Le Scribe) et Vasily Efimov (Kouzka), aussi en voix que truculents, tandis que John Daszak (Golitsine) déçoit par un chant débrayé, certes très puissant, mais bien peu aristocratique. Autre déception avec les faussetés dans le suraigu arraché de Carole Wilson (Suzanna), Anush Hovhannisyan (Emma) ou des sopranos du Choeur de l’Opéra national de Paris. En dehors de cette réserve, ce dernier se montre à la hauteur de l’événement, surtout côté masculin.

Assez rare en France (voir sa dernière prestation lilloise l’an passé http://www.classiquenews.com/tag/hartmut-haenchen/), le chef allemand Hartmut Haenchen (né en 1943) donne une leçon de maitrise, imprimant des lignes tout de souplesse, au service d’un legato aérien. Son attention aux nuances est un régal tout du long, ce qui permet de ne jamais couvrir le plateau (assez inégal, comme on l’a vu plus haut).

 

 

 

 

 

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khovantchina moussorgski classiquenews opera de paris serban critique operaCRITIQUE, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 26 janv 2022. MOUSSORGSKI : La Khovantchina (version Chostakovitch). Dimitry Ivashchenko (Prince Ivan Khovanski), Sergei Skorokhodov (Prince Andrei Khovanski), John Daszak (Prince Vassili Golitsine), Evgeny Nikitin (Chakloviti), Dmitry Belosseslkiy (Dosifei), Anita Rachvelishvili (Marfa), Carole Wilson (Suzanna), Gerhard Siegel (Le Scribe), Olga Busuioc, Anush Hovhannisyan (Emma), Wojtek Smilek (Varsonofiev), Vasily Efimov (Kouzka), Tomasz Kumiega (Strechniev), Volodymyr Tyshkov (Premier Strelets), Alexander Milev (Deuxième Strelets), Fernando Velasquez (Un confident de Golitsine), ChĹ“ur de l’OpĂ©ra national de Paris, Ching-Lien Wu (chef de chĹ“ur), Orchestre de l’OpĂ©ra national de Paris, Hartmut Haenchen (direction musicale) / Andrei Serban (mise en scène). A l’affiche de l’OpĂ©ra Bastille, jusqu’au 18 fĂ©vrier 2022. Photo : © Ian Patrick Onp

 

 

 

CRITIQUE, opéra. Strasbourg, Opéra national du Rhin, le 22 janv 2022. Braunfels : Les Oiseaux. Aziz Shokhakimov, Sora Elisabeth Lee / Ted Huffman

CRITIQUE, opéra. Strasbourg, Opéra national du Rhin, le 22 janv 2022. Braunfels : Les Oiseaux. Aziz Shokhakimov, Sora Elisabeth Lee / Ted Huffman. L’Opéra national du Rhin poursuit son exploration courageuse d’un répertoire en grande partie méconnu en France, celui des musiciens qualifiés par le régime nazi de « dégénérés» : après La Ville morte de Korngold en 2001, puis Le Son lointain de Schreker en 2012, une nouvelle création scénique française a lieu en ce début d’année avec Les Oiseaux (1920) de Walter Braunfels (1882-1954). C’est là un événement à saluer tant le chef d’oeuvre de Braunfels, révélé par la collection discographique «Entartete musik» en 1996, semble avoir retrouvé le chemin des planches, avec plusieurs productions phares à Genève ou Munich, mais également à Los Angeles en 2009 par James Conlon, grand spécialiste du répertoire de l’entre-deux-guerre (voir la critique du dvd paru chez Arthaus http://www.classiquenews.com/braunfels-die-vgel-conlon-20091-dvd-arthaus-musik-2/ ).

 

 

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Proche du style du Chevalier à la Rose et d’Ariane à Naxos de Richard Strauss, la musique frémissante de Braunfels utilise toute la palette des couleurs de l’orchestre au service d’un lyrisme lumineux, toujours évocateur. Tout amoureux de l’orchestre devra nécessairement connaître cet ouvrage, dont l’inspiration mélodique aux brèves cellules rythmiques est un délice de raffinement, notamment dans la première partie en arioso. Si les interludes oniriques plus développés évoque l’art d’Humperdinck, le magnifique duo entre Bonespoir et le Rossignol au II nous rappelle combien la dette envers le Wagner des Maitres chanteurs et de Parsifal, reste très présente ici.

A l’instar du maĂ®tre de Bayreuth, Braunfels Ă©crit lui-mĂŞme ses livrets, ce qui explique sans doute la longue gestation de l’ouvrage, initiĂ© en 1913 et interrompu par la guerre. BlessĂ© lors du conflit, le compositeur se convertit Ă  la religion catholique, ce qui influence profondĂ©ment l’adaptation qu’il rĂ©alise de la pièce antique « Les Oiseaux » d’Aristophane. Si le dĂ©roulĂ© du rĂ©cit est sensiblement identique en première partie, avec l’ascension de Fidèlami en manipulateur des masses, Braunfels s’en Ă©carte ensuite en laissant de cĂ´tĂ© la satire de la fascination humaine pour les mirages de l’utopie, tout autant que les rĂ©parties comiques nombreuses qui infusent la pièce sur un ton volontiers «rabelaisien». Le livret prĂ©fère se concentrer sur la double trajectoire initiatique de Fidèlami et Bonespoir ; tout particulièrement la transformation de ce dernier, Ă  la recherche de lui-mĂŞme et d’une transcendance Ă©loignĂ©e des petitesses terrestres.

Ted Huffman transpose l’action dans le huis-clos étouffant d’un «open space» d’entreprise, comme il en existe partout aujourd’hui. C’est bien vu, tant cet univers impersonnel évoque à merveille l’absence de perspective des deux protagonistes, empêtrés dans des tâches répétitives peu épanouissantes. Pour autant, le metteur en scène américain peine à revisiter son plateau en première partie, au-delà de la seule direction d’acteur, sans parvenir à distinguer les parcours opposés empruntés par Fidèlami et Bonespoir. La volonté de ne pas grimer le choeur en volatiles donne une certaine modernité visuelle à l’ensemble, mais n’aide pas à saisir les enjeux philosophiques du livret, parfois un rien trop bavard dans son déroulé. Après l’entracte, l’évocation de la forêt par l’amoncellement de papiers de bureaux donne un ton écologique bienvenu, tandis qu’Huffman s’appuie sur les danseurs pour animer le plateau. On retient ainsi tout particulièrement la saisissante scène de l’affrontement avec les Dieux, aux mouvements parfaitement réglés avec l’ensemble du choeur.

Après le retrait du chef Aziz Shokhakimov, malade, la production doit subir plusieurs dĂ©fections Ă  l’orchestre et parmi les danseurs : dès lors, tous les chanteurs choisissent la prudence en portant le masque, Ă  l’exception de Tuomas Katajala (Bonespoir) dans son duo avec le Rossignol au II. Le tĂ©nor finlandais est la grande rĂ©vĂ©lation de la soirĂ©e, tant son chant aussi aisĂ© que radieux illumine chaque intervention. La beautĂ© du timbre, tout autant que la clartĂ© d’émission, sont un rĂ©gal constant. A ses cĂ´tĂ©s, Cody Quattlebaum est un solide Fidèlami, Ă  la ligne de chant souple, mais qui manque de morgue et de noirceur dans son rĂ´le trouble. On aime l’agilitĂ© et la rondeur d’émission de Marie-Eve Munger (le Rossignol), aux aigus du plus bel effet dans les vocalises. La soprano canadienne parvient Ă  faire oublier une tessiture parfois limite dans les graves par un bel investissement scĂ©nique. A ses cĂ´tĂ©s, Christoph Pohl (la Huppe) compense un timbre un peu terne par une noblesse d’émission parfaitement adaptĂ©e, tandis que les seconds rĂ´les se montrent d’une très belle tenue, Ă  l’instar de l’excellent chĹ“ur de l’OpĂ©ra national du Rhin, toujours très investi.

Dans la fosse, la jeune chef corĂ©enne Sora Elisabeth Lee, membre de l’OpĂ©ra Studio, imprime des tempi très vifs aux musiciens, qui saisissent admirablement ce souffle moderne apportĂ© Ă  la partition, particulièrement les interventions piquantes aux vents. Il reste maintenant Ă  aller plus avant encore dans la dĂ©couverte des chefs d’oeuvres oubliĂ©s de Walter Braunfels : on pourrait ainsi s’intĂ©resser Ă  L’Annonciation (1935) ou aux Scènes de la vie de Jeanne d’Arc (1943), un ouvrage au lyrisme mĂ©lodique entĂŞtant, rĂ©cemment donnĂ© Ă  l’OpĂ©ra de Cologne. En attendant, on ne manquera pas de dĂ©couvrir la passionnante exposition consacrĂ©e aux animaux de la collection du musĂ©e WĂĽrth (situĂ© Ă  15 minutes en train au sud de Strasbourg), et tout particulièrement la sĂ©rie des oiseaux imaginĂ©e par le peintre allemand Emil Wachter (1921-2012).

 

 

 

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CRITIQUE, opĂ©ra. Strasbourg, OpĂ©ra national du Rhin, le 22 janvier 2022. BRAUNFELS : Les Oiseaux. Christoph Pohl (la Huppe), Marie-Eve Munger (le Rossignol), Julie Goussot (le Roitelet), Tuomas Katajala (Bonespoir), Cody Quattlebaum (Fidèlami), Josef Wagner (PromĂ©thĂ©e), Antoin Herrera-LĂłpez Kessel (l’Aigle), Young-Min Suk (Zeus), Daniel Dropulja (le Corbeau), Namdeuk Lee (le Flamant rose), Simonetta Cavalli, Nathalie Gaudefroy (les grives), Dilan Ayata, Aline Gozlan, Tatiana Zolotikova (les hirondelles), ChĹ“ur de l’OpĂ©ra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (chef de chĹ“ur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov, Sora Elisabeth Lee (direction musicale) / Ted Huffman (mise en scène). A l’affiche de l’OpĂ©ra national du Rhin, Ă  Strasbourg jusqu’au 20 janvier, puis Ă  Mulhouse les 20 et 22 fĂ©vrier 2022. Photo : Klara Beck.

 

 

REPLAY sur ARTE, DIFFUSION sur FRANCE MUSIQUE
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L’opéra : Les Oiseaux de Braunfels sera diffusé à partir du 10 février 2022 à 19h sur ARTEconcert et le 19 février suivant à 20h sur France Musique. Disponible en replay pendant 1 an (19 fev 2023). La cheffe d’orchestre Sora Elisabeth Lee, cheffe assistante de l’Opéra Studio de l’OnR, dirige l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.

 

 

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, TCE, le 22 déc 2021. OFFENBACH : La Vie parisienne (version originale en 5 actes, 1866). Christian Lacroix / Romain Dumas.

FÊTES DE FIN D'ANNÉE 2021 : le Roi Jacques OFFENBACH sur ARTECRITIQUE, opéra. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 22 décembre 2021. Jacques Offenbach : La Vie parisienne (version originale en 5 actes, 1866). Christian Lacroix / Romain Dumas. Il y avait bien longtemps que le Théâtre des Champs-Elysées n’avait autant misé sur une production, en proposant pas moins de 15 représentations de La Vie parisienne (1866) de Jacques Offenbach, et ce jusqu’au 9 janvier prochain. On retrouve là le spectacle de Christian Lacroix, déjà présenté à Rouen, puis Tours en début de mois (voir la critique https://www.classiquenews.com/critique-opera-tours-grand-theatre-le-3-dec-2021-jacques-offenbach-la-vie-parisienne-version-originale-en-5-actes-1866-christian-lacroix-romain-dumas/), avec un plateau vocal légèrement différent. On notera par ailleurs la double distribution proposée à Paris, selon les différentes dates.

Le célèbre couturier français, déjà aguerri sur les planches en tant que costumier pour Eric Ruf et Denis Podalydès notamment, signe un spectacle très fidèle à l’esprit de la partition, en forme de vaste revue colorée et richement décorée, où s’agite en un joyeux flonflon, le «Tout Paris» populaire de la fin du XIXème siècle. Ce sont bien entendu les costumes de Lacroix qui étonnent par leur imagination débridée, qui s’appuie sur les originaux de l’époque pour mieux les réinventer à l’envi, tandis que les décors sont revisités à vue, prenant alternativement la forme d’une gare à peine terminée (la gare Saint-Lazare, construite pour l’exposition universelle de 1867), d’un hôtel particulier ou d’un bal forain en fin d’ouvrage. Lacroix privilégie les péripéties du vaudeville, en un tourbillon de bonne humeur, même si ce foisonnement ne provoque que trop rarement les rires du public, et ce malgré les chorégraphies désopilantes et gentiment «queer» de Glysleïn Lefever.

 

 

 

La Vie Parisienne de 1866
tourbillonnant flon flon en 5 actes originaux

 

 

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Il faut dire que cette nouvelle production a pour autre principale originalité de choisir une version inédite, reconstruite par les bons soins du Palazetto Bru Zane (voir notre présentation http://www.classiquenews.com/tag/vie-parisienne/) d’après la version préparée par Offenbach pour les répétitions de 1866. L’idée est de rester le plus fidèle possible au livret de Meilhac et Halevy, en conservant les dialogues originaux, ainsi que toutes les coupures imposées par la censure (notamment un trio au III caricaturant autant les politiques que les militaires). Les changements opérés aux deux derniers actes, jugés trop longs, sont ainsi conservés, ce qui donne un spectacle de près de 3h30. Ce retour inédit à une version jamais entendue par le grand public permet à chaque action de trouver sa résolution, même si l’ouvrage ne gagne pas en profondeur, conservant son intrigue minimaliste et son hommage au Paris tourbillonnant des dernières années du Second Empire.

Le plateau vocal réuni pour la deuxième représentation au Théâtre des Champs-Elysées se montre globalement moyen, du fait d’un manque de puissance certain pour la plupart des chanteurs. Les qualités théâtrales sont plus convaincantes, malgré quelques outrances (inégale Ingrid Perruche, souvent au bord de l’hystérie) ou méformes (décevante prestation vocale de Damien Bigourdan, malgré les réparties théâtrales avec accent brésilien, plus réussies). On note aussi les trop nombreux décalages de Flannan Obé avec la fosse, manifestement gêné par le trac dans ses premières interventions chantées. On aime en revanche la ligne de chant, toute de grâce et d’esprit, d’Eléonore Pancrazi (Métella), malheureusement plus effacée dans les duos et ensembles, tandis que Marc Mauillon (Bobinet) affiche une belle énergie, de même que le superlatif Franck Leguérinel en inénarrable Baron, qui compense un timbre un peu terne par une présence scénique et un à-propos toujours juste. Enfin, Sandrine Buendia donne un air de majesté bienvenu à sa Baronne, très touchante, tandis que Laurent Kubla (Urbain, Alfred) s’impose par son autorité naturelle et sa belle projection.

Si le Choeur de chambre de Namur déçoit dans ses premières interventions, trop discret dans la nécessaire prononciation (indispensable aux effets comiques), il se rattrape ensuite par sa bonne cohésion d’ensemble. Peut-être faudrait-il augmenter le nombre d’interprètes du choeur afin de modifier cette impression initiale ? Quoi qu’il en soit, le plaisir vient aussi de la fosse où la baguette de Romain Dumas, un peu raide dans les parties enlevées, se montre très attentive aux détails savoureux de la partition, tout autant qu’aux fins de phrasés, d’une harmonieuse respiration. Un spectacle haut en couleurs très recommandable pour les fêtes de fin d’année ou ses lendemains en janvier, à découvrir pour sa version inédite de l’un des plus pétillants chefs d’oeuvre d’Offenbach.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 22 décembre 2021. Jacques Offenbach : La Vie parisienne. Jodie Devos, Florie Valiquette (Gabrielle), Rodolphe Briand, Flannan Obé (Gardefeu), Laurent Deleuil, Marc Mauillon (Bobinet), Marc Labonnette, Franck Leguérinel (Le Baron), Sandrine Buendia, Marion Grange (La Baronne), Aude Extrémo, Eléonore Pancrazi (Métella), Damien Bigourdan, Eric Huchet (Le Brésilien, Gontran, Frick), Philippe Estèphe, Laurent Kubla (Urbain, Alfred), Elena Galitskaya (Pauline), Louise Pingeot (Clara), Marie Kalinine (Bertha), Ingrid Perruche (Madame de Quimper-Karadec), Carl Ghazarossian (Joseph, Alphonse, Prosper), Caroline Meng (Madame de Folle-Verdure), Choeur de chambre de Namur, Les Musiciens du Louvre – Académie des Musiciens du Louvre, Romain Dumas (direction musicale) / Christian Lacroix (mise en scène). A l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 9 janvier 2022. Photos : Marie Pétry et Vincent Pontet.

 

 

 

 

 

 

Approfondir

 

 

FÊTES DE FIN D'ANNÉE 2021 : le Roi Jacques OFFENBACH sur ARTEA VOIR sur ARTEconcert le Dim 2 janvier 2022, 16h40 : “Ressuscitée” dans ses partitions et livret d’origine (version originelle en 5 actes de 1866), l’opérette La vie parisienne tient l’affiche au Théâtre des Champs-Élysées en décembre 2021. Action délirante et cocasse, pleine de verve et d’humour, la partition est aussi une galerie de portraits savoureuse, un hommage à la folle gaieté du Paris du Second Empire, temps fantasmé dévoilé dans la première mise en scène du couturier Christian Lacroix.

Opera-de-tours-critique-vie-parisienne-offenbach-classiquenews-critique-operaA LIRE aussi notre critique de LA VIE PARISIENNE, présentée à TOURS, le 2 déc 2021- Après Rouen en novembre (et avant le Théâtre des Champs-Elysées pour les fêtes de fin d’années), c’est le public de l’Opéra de Tours qui avait la chance de découvrir cette nouvelle version de La Vie parisienne de Jacques Offenbach (en 5 actes) mise en images par rien moins que le couturier star Christian Lacroix (qui signe là sa première mise en scène lyrique). C’est à l’indispensable Palazetto Bru Zane que l’on doit cette nouvelle mouture qui se veut au plus près de la version originale de 1866, et qui ne comporte pas moins de 16 numéros inédits, dont il faudra citer l’inénarrable scène dans laquelle une armada de bottiers germaniques opposée aux gantières marseillaises réclamant de la bouillabaisse (!), le trio militaire du III, ou encore cette apparition du Commandeur de Don Giovanni au dernier acte…

OFFENBACH en fĂŞte sur Arte
antonia contes hoffmann offenbach opera critique review classiquenewsARTE cĂ©lèbre le gĂ©nie de Jacques Offenbach Ă  travers 2 pièces lyriques de premier choix, son ultime : Les Contes d’Hoffmann et son opĂ©ra bouffe parisien, La Vie Parisienne, dans une nouvelle production qui ressuscite (enfin) la version originale de 1866 (en 5 actes, plutĂ´t que les 3 actes selon la version tronquĂ©e dĂ©naturĂ©e pour la troupe du Palais Royal) : ainsi sont recréés 16 morceaux inĂ©dits,… Ne manquez non plus le documentaire sur la vie du Mozart des Champs-ElysĂ©es, amuseur critique et mordant de la sociĂ©tĂ© dĂ©cadente spectaculaire du Second Empire. Docu portrait “L’odyssĂ©e Offenbach”, ARTE le mer 29 dĂ©c 2021, 23h30 puis en replay jusqu’au 27 janv 2022

 

 

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 7 déc 2021. PUCCINI : Turandot. Gustavo Dudamel / Robert Wilson

CRITIQUE, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 7 dĂ©c 2021. Giacomo PUCCINI : Turandot. Gustavo Dudamel / Robert Wilson – A l’instar des reprĂ©sentations d’Alcina (donnĂ©e en ce moment au Palais Garnier http://www.classiquenews.com/critique-opera-paris-opera-garnier-le-30-nov-2021-haendel-alcina-thomas-henglebrock-robert-carsen/ ), le public est venu en nombre Ă  Bastille pour applaudir le dernier ouvrage lyrique de Puccini, laissĂ© inachevĂ© Ă  sa mort en 1924. On retrouve le finale Ă©crit par Franco Alfano (1875-1954) Ă  partir des esquisses du maĂ®tre : cette solution avait Ă©galement Ă©tĂ© privilĂ©giĂ©e lors de la dernière production in loco signĂ©e Francesca Zambello (2002). Place cette fois au travail de Robert Wilson, dont on s’amuse de constater que l’âge vĂ©nĂ©rable (80 ans) explique sans doute pourquoi il n’est plus d’usage de l’appeler par son surnom, pourtant affectueux, de « Bob ». Le metteur en scène amĂ©ricain garde toujours bon pied bon Ĺ“il et signe lĂ  une production très rĂ©ussie, dĂ©jĂ  créé Ă  Madrid en 2018 (voir la critique du dvd http://www.classiquenews.com/tag/turandot/), mĂŞme s’il ne cherche pas Ă  renouveler son univers visuel bien connu, entre minimalisme froid et hiĂ©ratisme.

 

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Wilson impressionne toujours par ses qualités de plasticien, imposant des tableaux visuellement splendides, où la finesse des variations d’éclairage revisite un plateau nu, dont les personnages représentent l’unique décor. D’emblée, il donne à voir l’enfermement mental des protagonistes, figés dans le chemin balisé d’un destin tout tracé : seuls les ministres Ping, Pang et Pong, qui commentent l’action à la manière de pantins tout droit sortis de la Comedia dell’arte, échappent à ce traitement à force de fantaisie et de mimiques nerveuses. L’influence du cinéma burlesque n’est pas loin, ce qui permet à Wilson de glisser quelques traits d’humour bienvenus pour animer ses tableaux esthétisants. Le chœur, quant à lui, est réduit à la seule pénombre, tel un miroir de son rôle passif, alternant complaisance pour les jeux cruels de la Princesse et lâcheté au moment de soutenir Liù. En dernière partie, Wilson insiste sur l’esprit torturé de Calaf, perdu dans l’enchevêtrement d’une nuée de neurones : c’est bien vu, tant l’autiste Calaf semble se moquer éperdument des conséquences de son entêtement, fatal pour ses proches.

Face à cette réussite grandement applaudie par un public ravi, le plateau vocal réuni ne se montre malheureusement pas à la hauteur de l’évènement. Ainsi du pâle Calaf de Gwyn Hughes Jones, qui peine à remplir la vaste salle de Bastille avec son émission trop légère, inaudible dans ses confrontations avec l’orchestre, mais également trop discret de caractère au niveau dramatique. C’est d’autant plus regrettable que le ténor gallois fait valoir une technique souple et agile sur toute la tessiture, ainsi qu’un beau timbre. Il faudra l’entendre dans une salle plus petite pour profiter au mieux de ses qualités. A ses côtés, Elena Pankratova peine à incarner le mélange de dureté et de fragilité propre au personnage de Turandot, luttant contre son instrument défaillant dans l’aigu. L’émission instable occasionne ainsi plusieurs faussetés, dont ne lui tient pas rigueur le public en fin de représentation. On est beaucoup plus convaincu par la touchante Liù de Guanqun Yu, qui malgré un très léger vibrato, s’impose avec beaucoup de naturel et de grâce, de même que le formidable trio de ministres, très en voix. Le chœur de l’Opéra national de Paris assure l’essentiel, même s’il doit encore gagner en mordant pour nous emporter davantage, surtout dans ce répertoire.

Très attendu pour ses débuts en tant que nouveau directeur musical de l’Orchestre national de l’Opéra de Paris, et ce jusqu’en 2027, Gustavo Dudamel donne beaucoup de plaisir avec son geste chaleureux et sensible, gorgé de couleurs. La scène du sacrifice de Liù est certainement l’une des plus réussies, tant la battue se ralentit pour faire ressortir des phrasés d’une infinie douceur. A l’inverse, on aimerait davantage de noirceur dans les parties martiales aux cuivres ou d’engagement pour donner de l’éclat au thème péremptoire de la Princesse, un rien trop extérieur. Gageons que les prochaines représentations vont continuer à construire la nécessaire alchimie entre le chef vénézuélien et ses troupes, qui semble déjà bien entamée.

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Opéra Bastille, le 7 décembre 2021. Puccini : Turandot. Elena Pankratova (Turandot), Guanqun Yu (Liù), Gwyn Hughes Jones (Calaf), Vitalij Kowaljow (Timur), Carlo Bosi (Altoum), Alessio Arduini (Ping), Jinxu Xiahou (Pang), Matthew Newlin (Pong), Bogdan Talos (Le Mandarin), Choeur de l’Opéra national de Paris, Ching-Lien Wu (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Gustavo Dudamel (direction musicale) / Robert Wilson (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra national de Paris jusqu’au 30 décembre 2021. Photo : © C Duprat / Opéra de Paris

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 30 nov 2021. Haendel : Alcina. Thomas Henglebrock / Robert Carsen

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 30 nov 2021. Haendel : Alcina. Thomas Henglebrock / Robert Carsen. Vous avez envie de découvrir une Alcina à nulle autre pareil ? Précipitez-vous pour (re)voir cette production de Robert Carsen, créée à l’Opéra Garnier en 1999 et plusieurs fois reprise ensuite (notamment en 2007 : https://www.classiquenews.com/georg-friedrich-haendel-alcina-1735-spinosiparis-aix-du-22-novembre-au-26-decembre-2007/). On comprend pourquoi ce spectacle s’est imposé sur la durée, tant le metteur en scène canadien donne une cohérence au livret avec un impact dramatique des plus stimulants. Pour cela, il supprime le rôle d’Oberto (l’enfant à la recherche de son père) et évacue la place donnée au merveilleux : Alcina l’enchanteresse devient avant tout une femme aimante, prisonnière de son incapacité à affronter la décrépitude physique du temps et l’incertitude du jeu amoureux. Tandis que l’illusion de pouvoir acheter le désir avec des esclaves sexuels s’évanouit peu à peu, sa garçonnière classieuse aux portes démesurées se révèle comme le tombeau de son humanité perdue.
En forme de huis-clos étouffant, le décor unique pendant toute la représentation joue admirablement sur l’exploration des volumes, la finesse des éclairages, très variés : la scène où Alcina accepte de perdre Ruggiero est des plus réussies, tant le rôle-titre gagne en émotion à force de raser les murs, à la recherche de la pénombre et de l’oubli de ses peines. L’autre grande force du spectacle est d’animer la succession d’airs d’une vitalité presque chorégraphique dans les interactions entre les personnages, dont la caractérisation est ainsi plus poussée. On aime aussi l’idée de transformer Oronte et Morgana en personnel de maison, ce qui permet de les identifier d’emblée dans le camp d’Alcina, rendant plus aisée la compréhension des enjeux.

 
 
 
 

L’ALCINA POÉTIQUE ET GRAVE DE CARSEN Ă  l’OpĂ©ra Garnier

 
 

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La distribution réunie, parmi les meilleures possibles du moment, remporte un grand succès auprès du public. Pour autant, l’Alcina de Jeanine de Bique (originaire de Trinidad-et-Tobago) suscite des réserves : certes dotée d’un timbre splendide dans les graves et d’une déclamation techniquement solide, la soprano donne l’impression d’un manque de noirceur pour ce rôle, tout autant qu’une voix trop légère et étouffée dans le médium. Peut-être que ses débuts à l’Opéra de Paris, un soir de première, auront contribué à nouer l’émission, trop étroite en première partie de soirée. On est aussi quelque peu déçu par le Melisso de Nicolas Courjal, au vibrato envahissant dans les récitatifs, plus convaincant ensuite dans son air de bravoure, bien projeté. Tout le reste du plateau vocal apporte heureusement un niveau de satisfaction superlatif. Ainsi de Gaëlle Arquez, grande triomphatrice de la soirée dans le lourd rôle de Ruggiero, qu’elle affronte crânement à force d’aisance sur toute la tessiture, mais également d’un impact dramatique saisissant d’engagement. A ses côtés, Roxana Constantinescu (Bradamante) donne une leçon de noblesse autour de phrasés aériens, à l’émission d’une belle rondeur, tandis que Sabine Devieilhe (Morgana) reçoit une ovation méritée, pour son agilité dans les vocalises, son brio dans l’aigu, son expressivité raffinée, tout du long. Rupert Charlesworth impose un puissant Oronte, avec un naturel d’intention et une clarté d’émission, bienvenus.

Le plaisir vient aussi de la fosse : Thomas Henglebrock fait office de maître des sortilèges, à force de sensibilité et de nuances ; il faut l’entendre faire rugir le Balthasar Neumann Ensemble (fondé en 1995 pour interpréter le répertoire baroque sur instruments d’époque) comme un seul homme dans les tuttis, tout en faisant ressortir des détails savoureux, aux vents notamment. Les attaques sèches des différents pupitres donnent un relief percutant aux phrasés, toujours au service de la conduite théâtrale. Assurément un travail qui renforce la réussite de la soirée, grandement applaudie à Garnier : un des grands spectacles de cet automne, à ne pas rater !

 
 
 
 

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CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Garnier, le 30 novembre 2021. Haendel : Alcina. Jeanine de Bique (Alcina), Gaëlle Arquez (Ruggiero), Sabine Devieilhe, Elsa Benoit (Morgana), Roxana Constantinescu (Bradamante), Rupert Charlesworth (Oronte), Nicolas Courjal (Melisso), Choeur de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef de chœur), Balthasar Neumann Ensemble, Thomas Henglebrock, Iñaki Encina Oyón (direction musicale) / Robert Carsen (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra national de Paris jusqu’au 30 décembre 2021. Photo : © S Mathé / Opéra de Paris.

 
 
 
 

CRITIQUE, opéra. Baden-Baden, le 12 novembre 2021. Tchaikovski : Mazeppa. Kirill Petrenko (version de concert)

CRITIQUE, opĂ©ra. Baden-Baden, le 12 novembre 2021. Tchaikovski : Mazeppa. Kirill Petrenko (version de concert) – On aurait tort de ne pas succomber aux charmes de Baden-Baden, une des rares villes allemandes ayant Ă©chappĂ© aux bombardements de la fin de la 2è guerre mondiale, puis aux mĂ©faits de l’urbanisation Ă  outrance : entourĂ©e du massif de la forĂŞt noire, la ville a fondĂ© sa rĂ©putation sur les bienfaits de ses sources naturelles, devenant la capitale d’Ă©tĂ© de toute l’aristocratie europĂ©enne au XIXè siècle. De nos jours, le flot de touristes reprĂ©sente encore l’une des principales mannes financières, ce qui explique pourquoi la ville, avec seulement un peu plus de 55.000 habitants, a rĂ©ussi Ă  se doter de la plus grande salle de concert d’Allemagne (2.500 places). Le Palais des festivals – c’est son nom – a Ă©tĂ© bâti en 1998, attenant Ă  l’ancienne gare du centre-ville, parfaitement rĂ©habilitĂ©e et dĂ©sormais dĂ©diĂ©e Ă  la billetterie, aux vestiaires et au restaurant de la salle de concert. Les habitants des environs, dont de nombreux frontaliers Français, ne s’y sont pas trompĂ©s et viennent rĂ©gulièrement en nombre pour applaudir les manifestations : organisĂ©e autour de 4 festivals saisonniers, la saison a en effet pour habitude d’attirer les formations les plus prestigieuses, dont l’Orchestre Philharmonique de Berlin en rĂ©sidence depuis 2013.

 

 

Un Mazeppa mitigé

 

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On retrouve prĂ©cisĂ©ment son chef principal Kirill Petrenko pour dĂ©fendre l’un de ses compositeurs de prĂ©dilection, Piotr Ilitch Tchaikovski, et plus particulièrement son rare Mazeppa (1884). Ces derniers mois, le 7è opĂ©ra de Tchaikovski a jouĂ© de malchance avec la pandĂ©mie, voyant la prĂ©sente production repoussĂ©e plusieurs fois (et rĂ©duite Ă  une version de concert, en lieu et place de la mise en scène de Dmitri Tcherniakov), Ă  l’instar de celle qui devait ĂŞtre prĂ©sentĂ©e Ă  Toulouse et Paris avec les forces du Théâtre du BolchoĂŻ, dirigĂ© par Tugan Sokhiev. En attendant, place au bouillonnant Kirill Petrenko, dĂ©jĂ  crĂ©ateur de l’ouvrage en France dans sa version scĂ©nique, Ă  l’OpĂ©ra de Lyon (2006).

DĂ©sormais plus connu, le chef russe aborde ce concert sans temps morts, engageant ses troupes par des attaques franches et cinglantes dans les parties enlevĂ©es, sans aucune respiration ou vibrato, avant de s’apaiser ensuite dans les parties lyriques. Ce geste sans concession se montre toutefois trop rĂ©pĂ©titif dans ses partis-pris, en dĂ©laissant les aspects narratifs et l’Ă©motion, avec des phrasĂ©s pour le moins prĂ©cipitĂ©s. Si l’on peut se dĂ©lecter de cette impressionnante cravache et des couleurs de l’un des plus beaux orchestres du monde, ce sont surtout les amateurs de musique pure et de prĂ©cision technique qui se retrouveront dans cette interprĂ©tation, Ă  mille lieux de l’exploration raffinĂ©e des dĂ©tails de l’orchestration, privilĂ©giĂ©e par l’ancien chef principal …Simon Rattle.

Dmitry-Ulyanov-basse-mazeppa-iolanta-tchaikvosky-critique-opera-classiquenewsL’autre dĂ©ception de la soirĂ©e, plus relative, vient de la prestation sous-dimensionnĂ©e d’Olga Peretyatko (Maria), dans l’un des principaux rĂ´les. Faute d’un instrument plus consĂ©quent en volume, la soprano joue davantage sur la sĂ©duction et le veloutĂ© de son Ă©mission, mais ne peut faire oublier le peu de caractère de son interprĂ©tation. C’est particulièrement audible dans la scène finale de la folie, beaucoup trop lisse pour nous emporter pleinement. Fort heureusement, tout le reste du plateau vocal se montre Ă  un niveau superlatif, au premier rang desquels l’impressionnante basse de Dmitry Ulyanov (KotchoubeĂŻ, – notre photo ci-contre DR)) : l’aisance technique sur toute la tessiture n’a d’Ă©gal que son impact vocal, du fait d’une prĂ©sence vĂ©ritablement sonore (digne des plus grandes basses russes) et d’un tempĂ©rament dramatique percutant. A ses cĂ´tĂ©s, Vladislav Sulimsky n’est pas en reste dans le rĂ´le-titre, Ă  force de noblesse de ligne et de projection puissante et harmonieuse. On aime aussi grandement son concurrent malheureux, interprĂ©tĂ© avec beaucoup de prestance par Dmitry Golovnin. ClartĂ© de la ligne, beautĂ© du timbre ne sont pas pour rien dans la chaleureuse ovation qu’il reçoit en fin de spectacle, avec ses comparses. On notera encore les graves cuivrĂ©s et charnus d’Oksana Volkova (Lioubov), ainsi que le tempĂ©rament comique d’Alexander Kravets (Le cosaque ivre). Tous les seconds rĂ´les se montrent Ă  la hauteur, de mĂŞme que l’impeccable Choeur de la Radio de Berlin, dont on entend prĂ©cisĂ©ment chaque individualitĂ© – un rĂ©gal de grande classe.

Virtuosité grisante pour les uns, sécheresse émotionnelle creuse pour les autres : ce concert aura laissé des avis mitigés, même si le public en grande partie debout en fin de concert pour applaudir les artistes, semble avoir choisi son camp, celui de Petrenko.

CRITIQUE, opéra. Baden-Baden, Festspielhaus, le 12 novembre 2021. Tchaikovski : Mazeppa. Vladislav Sulimsky (Mazeppa), Olga Peretyatko (Maria), Dmitry Ulyanov (Kotchoubeï), Oksana Volkova (Lioubov), Dmitry Golovnin (Andreï), Dimitry Ivashchenko (Orlik), Anton Rositskiy (Iskra), Alexander Kravets (Le cosaque ivre), Rundfunkchor Berlin, Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction musicale). A l’affiche du Festspielhaus Baden Baden, les 10 et 12 novembre 2021. Photo : © Monika Rittershaus.

CRITIQUE, opĂ©ra. BORDEAUX, le 25 sept 2021. Meyerbeer : Robert le Diable. Osborn Morley, Courjal…, M. Minkowski / Luc Birraux

ROBERT-LE-DIABLE-BORDEAUX-opera-classiquenewsCRITIQUE, opéra. BORDEAUX, le 25 sept 2021. Meyerbeer : Robert le Diable. M. Minkowski / Luc Birraux. Heureux public bordelais ! Il est finalement bien rare de ressortir d’un concert avec des étoiles plein les yeux, de celles qui laissent un sentiment d’euphorie bien après l’événement passé : c’est pourtant ce qu’a réussi l’Opéra national de Bordeaux pour son ouverture de saison, en proposant un plateau vocal de classe internationale au service de la réhabilitation de Robert Le Diable. Créé à Paris avec un immense succès en 1831, le 10è opéra de Meyerbeer est rarement donné de nos jours, du fait d’une action statique et d’un livret trop littéraire, sans parler de sa durée (4h30 avec deux entractes) rébarbative pour de nombreux mélomanes. C’est pourtant là une grave erreur, tant la partition entraînante et colorée, regorge d’inventivité (cf les détails d’orchestration), ménageant des scènes de caractère variées et spectaculaires (voir notre présentation : https://www.classiquenews.com/bordeaux-opera-meyerbeer-robert-le-diable-20-25-sept-2021/).

 

 

 

Macabre ballet des nonnes de l’acte III

 

Souvent qualifiĂ© de grand opĂ©ra, l’ouvrage lorgne davantage vers le drame romantique moyenâgeux (proche du style de Weber), tout en gardant des traces de son Ă©criture initiale en tant qu’opĂ©ra comique, avec notamment une scène bouffe irrĂ©sistible de drĂ´lerie au III entre Bertram et Raimbaut. Ce mĂŞme acte, le plus rĂ©ussi des cinq, contient la scène la plus marquante de tout l’opĂ©ra : le macabre ballet des nonnes aux fulgurances piquantes, parfaitement intĂ©grĂ© Ă  l’action. Plusieurs airs montrent aussi tout le talent du compositeur Ă  ciseler des bijoux d’expressivitĂ© et de prĂ©cision rythmique – le tout parfaitement mis en valeur par l’énergie communicative de Marc Minkowski, maĂ®tre en la matière. L’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, qui n’a dĂ©cidĂ©ment rien Ă  envier Ă  son Ă©quivalent toulousain plus connu, participe Ă  la rĂ©ussite de la soirĂ©e, Ă  force d’engagement et d’électricitĂ© bienvenus.

 

 

Robert Ă  Bordeaux
Chanteurs, orchestre, mise en espace… réjouissants

 

 

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On aimerait vivement pouvoir bĂ©nĂ©ficier d’une mise en scène du chef d’oeuvre de Meyerbeer, Ă  mĂŞme de faire vivre ces diffĂ©rents tableaux : la dernière production parisienne remonte ainsi Ă  …1985 dans la production de Petrika Ionesco, avec lĂ  aussi un plateau vocal de rĂŞve : June Anderson, Samuel Ramey… En attendant, la mise en espace proposĂ©e Ă  Bordeaux par Luc Birraux (nĂ© en 1989) dĂ©joue toutes les attentes en apportant beaucoup de fantaisie et de plaisir. D’abord discret, le travail du dramaturge se dĂ©ploie au niveau de la variation des Ă©clairages, tout en jouant sur les volumes avec les Ă©lĂ©ments techniques mouvants. Mais c’est surtout l’idĂ©e de commenter l’action en arrière-scène, en s’appuyant sur les nombreuses et prĂ©cises didascalies de Meyerbeer (toujours très intĂ©ressĂ© par la mise en scène de ses ouvrages) qui apporte une malice inattendue Ă  la soirĂ©e. Peu Ă  peu, le rĂ©cit gagne en libertĂ© et en humour, gardant toujours beaucoup d’esprit et de finesse. On se surprend Ă  imaginer avec le metteur en scène le dĂ©tail de chaque scène et la forme qu’elle aurait pu prendre, au grĂ© d’une imagination qui vagabonde joyeusement.

La perfection sonore Ă  l’oeuvre sur scène nous ramène vite Ă  l’essentiel : voilĂ  un plateau vocal proche de l’idĂ©al, du moins de nos jours. A tout seigneur tout honneur, John Osborn fait valoir toute sa classe vocale dans le rĂ´le-titre, irradiant de souplesse et de naturel dans l’émission, le tout au service d’une diction française quasi-parfaite. On peut seulement lui reprocher de ne pas avoir suffisamment appris le rĂ´le (ce qui occasionne le recours constant Ă  une tablette tactile pour se rappeler son rĂ´le) : dès lors, l’émission patine quelque peu dans les accĂ©lĂ©rations, au dĂ©triment du texte. Gageons que l’enregistrement rĂ©alisĂ© par les Ă©quipes du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française (Ă  paraĂ®tre chez Glossa, comme Ă  l’habitude) saura gommer ces quelques imperfections. A ses cĂ´tĂ©s, Erin Morley (Isabelle) reçoit la plus belle ovation de la soirĂ©e, amplement mĂ©ritĂ©e : mĂ©connue en Europe, l’AmĂ©ricaine a les mĂŞmes qualitĂ©s de diction que son compatriote, tout en proposant des nuances d’une infinitĂ© subtilitĂ© au niveau dramatique. Le timbre de velours bĂ©nĂ©ficie d’une technique sans faille, qui impressionne dans la longueur parfaitement maĂ®trisĂ©e des tenues de note. Erin Morley fait partie de ces chanteuses qui donnent le frisson et que l’on espère entendre au plus vite.

L’autre grande performance de la soirĂ©e est Ă  mettre au crĂ©dit de Nicolas Courjal, dont le rĂ´le diabolique de Bertram lui va comme un gant. On a rarement entendu une telle aisance dans la nĂ©cessaire articulation entre théâtre et chant, tant le Rennais fait un sort Ă  chaque note avec une imagination rĂ©jouissante. Sa morgue et ses intonations sont un rĂ©gal constant, vivement applaudi par le public Ă  l’issue de la reprĂ©sentation. Amina Edris (Alice) obtient elle aussi une ovation nourrie, parfaitement justifiĂ©e, tant son engagement force l’admiration. La soprano Ă©gyptienne fait montre de nombreuses qualitĂ©s vocales, de l’aigu aisĂ© aux graves charnus, sans parler des subtilitĂ©s dans les piani. On peut juste lui reprocher un timbre un rien plus mĂ©tallique et dur dans la puissance de l’aigu, mais ça n’est lĂ  qu’un dĂ©tail Ă  ce niveau. Visiblement Ă©mue par l’accueil chaleureux obtenu, Amina Edris nous a sans doute offert le moment d’émotion partagĂ©e le plus sincère de la soirĂ©e. Tous les seconds rĂ´les montrent un niveau superlatif, tandis que le choeur rĂ©parti spatialement en deux parties bien distinctes fait entendre un dĂ©sĂ©quilibre entre hommes et femmes – ces dernières se montrant supĂ©rieures dans la prĂ©cision des attaques et la diction.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Auditorium, le 25 septembre 2021. Meyerbeer : Robert le Diable. John Osborn (Robert), Nicolas Courjal (Bertram), Nico Darmanin (Raimbaut, un troubadour), Joel Allison (Alberti, Prêtre), Erin Morley (Isabelle), Amina Edris (Alice), Paco Garcia (Héraut d’armes, Prévôt du Palais). Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de chœur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Marc Minkowski, direction. Luc Birraux, mise en espace. A l’affiche de l’Opéra national de Bordeaux du 20 au 25 septembre 2021.

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra national de Paris, le 23 septembre 2021. ENESCO: Oedipe. Ingo Metzmacher / Wajdi Mouawad.

CRITIQUE, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra national de Paris, le 23 septembre 2021. ENESCO: Oedipe. Ingo Metzmacher / Wajdi Mouawad. Le plus cĂ©lèbre compositeur roumain, Georges Enesco (1891-1955) reste encore un mystère pour la plupart des mĂ©lomanes qui connaissent son aura unanimement reconnue, sans avoir souvent l’occasion de dĂ©couvrir son vaste catalogue, dont seule la musique de chambre reste encore rĂ©gulièrement jouĂ©e. Enfant prodige reconnu comme un gĂ©nie par ses pairs, Enesco fut autant un virtuose du violon et du piano qu’un compositeur Ă  la mĂ©moire prodigieuse, sans parler de ses talents de chef d’orchestre ou de pĂ©dagogue, irriguant sa Moldavie natale de sa passion, tout au long de sa carrière. FormĂ© Ă  Vienne, puis Ă  Paris, il cultive de multiples influences, allant de Brahms (qu’il connut personnellement) Ă  Bruckner (via son Ă©lève Robert Fuchs), avant d’ĂŞtre marquĂ© durablement par l’Ă©cole française rĂ©unie autour de Gabriel FaurĂ©, tout autant que la modernitĂ© d’Honegger et les subtilitĂ©s nĂ©o-classiques des annĂ©es 1920, dans la mouvance de Stravinsky.

C’est prĂ©cisĂ©ment ce foisonnement de styles qui peut dĂ©router Ă  la première Ă©coute d’Oedipe (1936), son unique opĂ©ra dont la composition l’occupe pendant plus de vingt ans, Ă  la fois dĂ©bordĂ© par ses activitĂ©s de virtuose du violon et ralenti par les pĂ©ripĂ©ties de la guerre (les premières esquisses, envoyĂ©es Ă  Moscou pour ĂŞtre protĂ©gĂ©es d’une possible invasion allemande de la Moldavie, ne furent rĂ©cupĂ©rĂ©es qu’en 1924). La dĂ©couverte du chef d’oeuvre de Sophocle, donnĂ© Ă  la ComĂ©die-Française en 1910, est en effet un choc durable pour ce dĂ©racinĂ© marquĂ© par un destin familial tragique – tous ses frères et soeurs Ă©tant morts en bas âge. Enesco a la bonne idĂ©e de s’attacher les bons soins d’Edmond Fleg, considĂ©rĂ© comme le Claudel juif et dĂ©jĂ  librettiste du MacBeth d’Ernest Bloch (1909). Tout du long, la poĂ©sie de l’auteur suisse irrigue l’ouvrage de sa simplicitĂ© lumineuse : “Si pure que tu es, tu es encore ma faute. (…) Je te laisse au jour de la vie fuyante” promet ainsi Oedipe Ă  sa fille, arrivĂ© au terme de son parcours initiatique. L’une des originalitĂ©s du livret consiste Ă  raconter la vie d’Oedipe dans l’ordre chronologique, rĂ©unissant les deux tragĂ©dies de Sophocle (Oedipe Roi et Oedipe Ă  Colone), Ă  l’inverse de Stravinsky dans Oedipus Rex, dont le seul rĂ©cit occupe l’acte III chez Enesco.

 

 

ENESCO : OEDIPE
Attention chef-d’œuvre

 

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Pour autant, la dernière partie peut paraĂ®tre un peu longue dans sa description trop statique de la lente agonie rĂ©demptrice du hĂ©ros, avec une musique qui retombe dans les effluves faurĂ©ennes Ă©vasives, et ce d’autant plus qu’elle succède au sommet de l’ouvrage, le saisissant et dramatique acte III, marquant pour sa musique opulente et lyrique proche de Richard Strauss. Enesco se dĂ©marque toutefois de son ainĂ© par ses mĂ©lodies fuyantes et insaisissables, et ses ambiances morbides proche de Zemlinsky (scène de l’affrontement avec la Sphinge, l’une des plus rĂ©ussies de la partition).

Si l’ouvrage rencontre un beau succès Ă  la crĂ©ation parisienne, il n’est que rarement donnĂ© de nos jours, hormis en Roumanie, fort heureusement. Soulignons donc l’heureuse audace de l’OpĂ©ra de Paris, surtout en ces temps de reprise post-pandĂ©mie, de nous rendre ce chef d’oeuvre passionnant, autant par son Ă©criture musicale Ă©clectique que par la hauteur de vue de son livret. On note par ailleurs la concomitance de deux tragĂ©dies lyriques Ă  l’affiche de cette rentrĂ©e, avec la reprise d’IphigĂ©nie en Tauride de Gluck (voir notre prĂ©sentation : https://www.classiquenews.com/liphigenie-en-tauride-de-gluck-par-warlokowski/), donnant ainsi un Ă©clairage bienvenu Ă  ce rĂ©pertoire emblĂ©matique du style dĂ©clamatoire français, alors mĂŞme que les deux ouvrages ont Ă©tĂ© composĂ©s Ă  plus de 150 ans d’intervalle.

C’est prĂ©cisĂ©ment la rĂ©sonance de la tragĂ©die antique sur l’actualitĂ© contemporaine qui passionne le metteur en scène Wajdi Mouawad, actuel directeur du Théâtre de la Colline : depuis le dĂ©but de sa carrière, le Libano-QuĂ©bĂ©cois ne cesse de revisiter les grands textes grecs pour en extirper les leçons universelles, et notamment rappeler que les conflits d’ampleur naissent des traumatismes qui se perpĂ©tuent de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, sans qu’on en saisisse toujours l’origine lointaine – autrement dit, le fait gĂ©nĂ©rateur. C’est bien cette faute originelle qui rattrape Oedipe, bien avant la dĂ©couverte de ses origines : le viol commis par son père rejaillit sur tous ses descendants comme une souillure Ă  laver, avant de pouvoir rejoindre la communautĂ©. Dès lors, Wajdi Mouawad choisit d’ajouter un prologue théâtral de cinq minutes environ, aussi pertinent que pĂ©dagogique, afin de nous remĂ©morer tous les Ă©vĂ©nements prĂ©alables Ă  la naissance d’Oedipe. Au niveau visuel, la sobriĂ©tĂ© du plateau dĂ©nudĂ© force Ă  la concentration sur le texte : peu de dĂ©cors viennent troubler une scène dont les solistes et les choeurs sont les acteurs principaux, grimĂ©s d’Ă©tranges couvres-chefs floraux, admirablement colorĂ©s, le tout nimbĂ© dans un clair-obscur de toute beautĂ©. Ce climat d’Ă©trangetĂ© irrĂ©el rappelle ce qu’avait obtenu Barrie Kosky dans son Saul prĂ©sentĂ© au Théâtre du Châtelet l’an passĂ© (voir notre prĂ©sentation : http://www.classiquenews.com/saul-par-barrie-kosky), mĂŞme si la direction d’acteur de Mouawad est autrement plus sobre.

 
 

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Le plateau vocal est dominĂ© par l’Ă©crasant rĂ´le-titre d’Oedipe, confiĂ© au puissant baryton britannique Christopher Maltman, impĂ©rial au niveau de la nĂ©cessaire diction. On peut juste lui reprocher une interprĂ©tation trop monolithique, particulièrement prĂ©judiciable aux subtilitĂ©s du dernier acte. Autour de lui, la distribution rĂ©unie n’appelle que des Ă©loges, tout particulièrement le grand prĂŞtre de Laurent Naouri, incarnĂ© avec une noblesse de ligne Ă©loquente. On aime aussi la morgue rageuse du Tiresias de Clive Bayley, tandis que ClĂ©mentine Margaine donne Ă  sa Sphinge toute la noirceur de son timbre cuivrĂ©, particulièrement adaptĂ© ici. Seule dĂ©ception de la soirĂ©e, les choeurs de l’OpĂ©ra national de Paris qui multiplient les imprĂ©cisions et dĂ©calages avec la fosse, très dommageables dans ce rĂ©pertoire. Il serait grand temps que cette formation se hisse au niveau de son Ă©quivalent symphonique, dont la renommĂ©e n’est plus Ă  faire. Gageons que la rĂ©cente nomination de Ching-Lien Wu, ancienne cheffe des choeurs de l’OpĂ©ra national du Rhin, notamment, saura redonner le lustre attendu Ă  juste titre par l’ensemble du public. Fort heureusement, la fosse apporte son lot d’ivresse sonore, il est vrai portĂ© par l’un des chefs les plus douĂ©s de sa gĂ©nĂ©ration en la personne d’Ingo Metzmacher, attentif aux moindres inflexions de la partition pour faire vivre un festival de couleurs des plus rĂ©jouissants. Du grand art au service d’un chef d’Ĺ“uvre Ă  dĂ©couvrir d’urgence ! A l’affiche de l’OpĂ©ra national de Paris jusqu’au 14 octobre 2021

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CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra national de Paris, le 23 septembre 2021. Enesco : Oedipe. Christopher Maltman (Oedipe), Clive Bayley (Tiresias), Brian Mulligan (Créon), Anna-Sophie Neher (Antigone),  Ekaterina Gubanova (Jocaste), Vincent Ordonneau (Le Berger), Laurent Naouri (Le Grand Prêtre), Nicolas Cavallier (Phorbas, le Veilleur), Adrian Timpau (Thésée), Yann Beuron (Laïos), Clémentine Margaine (la Sphinge), Anne-Sophie von Otter (Mérope), Daniela Entcheva (une Thébaine), Chœur de l’Opéra national de Paris, Ching-Lien Wu (chef de chœur), Maîtrise des Hauts-de-Seine, Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Orchestre de l’Opéra national de Paris, Ingo Metzmacher, direction. Wajdi Mouawad, mise en scène.

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EXTRAIT vidéo

 

 

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CRITIQUE, opéra. GAND, Opéra flamand, le 18 sept 2021. Weill : Der Silbersee. Karel Deseure / Ersan Mondtag 

CRITIQUE, opĂ©ra. GAND, OpĂ©ra flamand, le 18 sept 2021. Weill : Der Silbersee. Karel Deseure / Ersan Mondtag   –   Après plus de dix-huit mois de fermeture pour cause de pandĂ©mie, le directeur artistique de l’OpĂ©ra Flamand Jan Vandenhouwe (nommĂ© pour la saison 2019-2020 en remplacement d’Aviel Cahn, parti pour Genève) avait du mal Ă  cacher sa joie, Ă©videmment lĂ©gitime, de retrouver une audience venue en nombre pour la reprise des « activitĂ©s normales ». Le contact n’a Ă©videmment pas Ă©tĂ© rompu pendant le temps contraint, la grande maison ayant eu Ă  coeur de conduire plusieurs projets organisĂ©s en jauge restreinte ou diffusĂ©s sur internet (voir notamment Ariane Ă  Naxos en dĂ©but d’annĂ©e http://www.classiquenews.com/streaming-opera-r-strauss-ariadne-auf-naxos-en-direct-danvers/). CoĂŻncidence de la programmation pour cette rentrĂ©e, c’est Ă  nouveau le jeune et turbulent Ersan Mondtag (nĂ© en 1987), venu du théâtre, qui nous rĂ©gale de son imagination visuelle dĂ©bridĂ©e : dernier spectacle avant la pandĂ©mie, Le Forgeron de Gand (1932) http://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-anvers-le-7-fev-2020-schreker-der-schmied-von-gent-a-perez-e-mondtag/ de Franz Schreker avait aussi lancĂ© les premiers pas lyriques tonitruants de cet artiste Ă  suivre de très près.

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Place cette fois à une autre rareté avec la nouvelle production du Lac d’argent (1933) de Kurt Weill (1900-1950), dernier ouvrage lyrique créé en Allemagne pour l’ancien élève de Busoni, quelques semaines après l’accession au pouvoir de Hitler (voir notre présentation détaillée : http://www.classiquenews.com/tag/le-lac-dargent/). Rapidement interdit par les nazis, le spectacle n’a pourtant pas la charge politique qu’on a bien voulu lui prêter : c’est davantage le juif Kurt Weill et son clan progressiste que le pouvoir tente d’abattre en le réduisant au silence. Plus célèbre dramaturge de son temps, Georg Kaiser avait permis à Weill d’obtenir son premier succès en 1926 avec Le Protagoniste, autour d’un livret expressionniste aux idées moins radicales que Brecht. Ici, le parcours initiatique d’Olim conduit le spectateur à s’interroger sur les mirages de l’argent et de l’égoïsme pour mieux s’accomplir en tant qu’Homme et dépasser le seul horizon des possibles, symbolisé par le mystérieux lac d’argent. Que faire dans ce contexte tourmenté ? Comment trouver un sens à sa vie ; comment échapper à la fatalité ? Face à ces questions existentielles, seules quelques allusions viennent viser le nouveau régime nazi, tel l’air de Fenimore sur les turpitudes aveuglantes de Jules César.

Dans le même temps, Weill sert au plus près le texte pour valoriser le message social, en simplifiant volontairement sa musique (qui représente un peu plus de 1h10 sur les 4 heures que compte le spectacle à la création) en un mode plus tonal, proche du cabaret et des «songs». On pense souvent au style de son ballet contemporain, plus connu, Les Sept péchés capitaux (voir notre présentation https://www.classiquenews.com/opera-de-tours-les-7-peches-capitaux-de-kurt-weill/). Souvent mésestimé pour son ambition moindre, Le Lac d’argent est pourtant l’une des partitions les plus réjouissantes de Weill, qui s’en donne à coeur joie pour varier les rythmes de danse en une orchestration vive et colorée, audible dès les premières mesures. On est aussi séduit tout du long par les interventions diaphanes du choeur, qui commente le récit et s’interroge sur le sens à donner à cette histoire.

On ne pourra que vivement conseiller la découverte de cet ouvrage, que ce soit au disque (notamment la version très fidèle de Markus Steinz et du London Sinfonietta, paru chez RCA en 1999) ou sur scène, bien entendu. Pour autant, les admirateurs de Weill pourront être étonnés par les nombreuses libertés prises par la production d’Ersan Mondtag, qui modifie en profondeur le livret en ajoutant de nombreux passages parlés en anglais, tout en supprimant une partie du texte original en allemand. Si la musique de Weill reste heureusement intacte, on regrette que le spectacle lorgne par trop vers la seule pochade queer au détriment du message humaniste. L’idée forte du metteur en scène allemand consiste en effet à nous plonger en 2033 dans les affres de la répétition du Lac d’argent, alors que la production est menacée par un contexte politique similaire à l’avènement des nazis. Au-delà de cette mise en abyme qui ajoute quelques interludes drôles et savoureux (« c’est de la propagande bolchévique à l’Opéra des Flandres ! » clame malicieusement l’un des personnages), Mondtag centre la pièce sur le personnage d’Olim, transformé en folle hystérique et pathétique. Entre décors délirants et grandioses, sans parler des costumes déjantés, la production alterne visions grotesques façon George Grosz et références geek savoureuses : les miséreux difformes semblent ainsi tout droit sortis d’un film de science-fiction post-apocalyptique, tandis que les infirmières-robots rappellent les Stormtrooper de Star Wars.

Le choix de confier le rôle d’Olim au Flamand Benny Claessens, très connu dans son pays et en Allemagne, peut paraître logique, tant l’acteur fétiche de Mondtag se prête aux moindres intentions du metteur en scène, sans aucune restriction. Il faut toutefois apprécier ce genre de comédiens aux moyens vocaux limités et dont le jeu frise le cabotinage (à l’instar d’un Michel Fau des mauvais jours), pour totalement évaluer le spectacle. A ses côtés, Daniel Arnaldos affiche une aisance superlative pour incarner un Severin criant de vérité, assumant crânement la partie vocale, même si on aimerait davantage de projection. Ersan Mondtag a aussi l’idée de dédoubler le rôle de Fennimore entre la comédienne Marjan De Schutter (aussi drôle que touchante dans la dernière partie de la pièce) et la chanteuse Hanne Roos (plus belle satisfaction vocale de la soirée à force d’aisance technique rayonnante). On notera enfin la parfaite Elsie De Brauw (Frau von Luber), idéale de sournoiserie et de morgue dans l’évolution de son personnage, tandis que le chœur de l’Opéra flamand porte une attention au texte particulièrement louable. Dans la fosse, le Flamand Karel Deseure (né en 1983) apporte quant à lui, une grande force expressive au récit, malheureusement un rien trop appuyé dans les parties verticales.

 

 

CRITIQUE, opéra. Gand, Opéra flamand, le 18 septembre 2021. Weill : Der Silbersee. Daniel Arnaldos (Severin), Marjan De Schutter, Hanne Roos (Fennimore), Benny Claessens (Olim), James Kryshak (Baron Laur), Elsie De Brauw (Frau von Luber). Koor & Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Karel Deseure (direction musicale) / Ersan Mondtag (mise en scène et décors). A l’affiche de l’Opéra flamand, à Gand du 18 au 25 septembre, puis à Anvers du 3 au 16 octobre 2021. Photo : © Annemie Augustijns

CRITIQUE, opéra. NANCY, Opéra national de Lorraine, le 25 juin 2021. Verdi : Rigoletto. Alexander Joel / Richard Brunel.

rigoletto-verdi-richard-brunel-critique-opera-classiquenewsCRITIQUE, opĂ©ra. NANCY, OpĂ©ra national de Lorraine, le 25 juin 2021. Verdi : Rigoletto. Alexander Joel / Richard Brunel. Quel choc ! On aura rarement entendu un Rigoletto chantĂ© avec une telle distribution, idĂ©ale jusque dans les moindres seconds rĂ´les. Le public ne s’y est pas trompĂ© en rĂ©servant une ovation chaleureuse Ă  toute l’Ă©quipe artistique, avec de nombreux rappels en fin de reprĂ©sentation. Ce triomphe vocal tient en premier lieu au rĂ´le-titre, aussi noble que bouleversant, incarnĂ© par le baryton espagnol Juan JesĂşs RodrĂ­guez, bien trop rare sous nos contrĂ©es (Ă  l’exception notable d’Avignon en 2017 https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-avignon-opera-le-2-avril-2017-verdi-macbeth/). La voix puissante, Ă  l’Ă©mission souple et naturelle, donne beaucoup de place Ă  la diction, permettant une interprĂ©tation d’une rare finesse au service du texte. A ses cĂ´tĂ©s, sa jeune compatriote RocĂ­o PĂ©rez (Gilda) n’est pas en reste en dĂ©ployant des aigus d’une Ă©tonnante facilitĂ© lorsqu’elle est en pleine voix, mĂŞme si on note une tendance Ă  user d’un lĂ©ger vibrato dans le mĂ©dium. Mais ça n’est lĂ  qu’un dĂ©tail tant l’ancienne chanteuse de l’OpĂ©ra Studio Ă  Strasbourg n’en finit pas de sĂ©duire par sa prĂ©sence dramatique. C’est prĂ©cisĂ©ment en ce domaine qu’Alexey Tatarintsev (Le duc de Mantoue) met un peu de temps Ă  s’investir dans son personnage au I, en une caractĂ©risation trop extĂ©rieure qui occasionne des dĂ©calages avec la fosse, avant de se reprendre pleinement ensuite. Le tĂ©nor russe, Ă  l’Ă©mission parfois trop Ă©troite, affiche nĂ©anmoins une facilitĂ© dĂ©concertante dans l’Ă©mission et la tenue de la ligne, parfaitement maitrisĂ©e sur toute la tessiture. Lui aussi est trop rare en France, mĂŞme si on a pu l’entendre dans le rĂ©pertoire russe, voilĂ  dĂ©jĂ  six ans https://www.classiquenews.com/opera-compte-rendu-critique-paris-philharmonie-2-salle-des-concerts-le-12-mai-2015-nikolai-rimski-korsakov-la-fiancee-du-tsar-hasmik-torosian-elchin-azizov-agounda-koulaeva-alexei-tikhomir/ Comment ne pas tomber aussi sous le charme d’Ĺnay Köse, qui donne Ă  son Sparafucile autant de prĂ©sence crapuleuse que de couleurs parfaitement projetĂ©es ? On mentionnera encore le timbre magnifiquement corsĂ© de Francesca Ascioti (Maddalena), autre bel atout de la soirĂ©e.

Il fallait certainement de tels interprètes pour tenir tĂŞte Ă  la direction Ă©tourdissante d’Alexander Joel qui surprend d’emblĂ©e par sa direction engagĂ©e, aux couleurs sombres splendides avec ses graves affirmĂ©s, particulièrement dans les passages cuivrĂ©s. Ce geste qui privilĂ©gie les contrastes donne au drame un relief saisissant, sans jamais couvrir les chanteurs. On regrette toutefois que la mise en scène de Richard Brunel ne rende l’orchestre muet en dĂ©but de reprĂ©sentation, en imposant une bande-son enregistrĂ©e pour lancer le spectacle. Le parti-pris de la transposition contemporaine de Brunel consiste en effet Ă  nous montrer les coulisses d’un théâtre, oĂą l’on entend au loin la musique. Cette mise en abyme donne beaucoup de vie Ă  l’ensemble, tout en permettant de se dĂ©lecter d’une scĂ©nographie splendide, bien variĂ©e par les Ă©clairages et les changements de dĂ©cor Ă  vue. Mais l’idĂ©e la plus marquante est de donner une primautĂ© Ă  la danse, en faisant du Duc de Mantoue un maĂ®tre de ballet et en ajoutant le rĂ´le de la mère de Gilda (citĂ©e en fin d’ouvrage). confiĂ© Ă  la danseuse Ă©toile Agnès Letestu. Tout au long du spectacle, sa dĂ©ambulation gracieuse lui donne des allures fantomatiques, annonçant le drame Ă  venir. Richard Brunel poursuit sur cette thĂ©matique lors de l’entracte, en confiant Ă  de jeunes danseurs le soin d’investir le foyer en un ballet virevoltant de fraicheur. AssurĂ©ment une grande rĂ©ussite pour ce spectacle que l’on retrouvera Ă  Luxembourg, Rouen et Toulon lors des prochaines saisons.

CRITIQUE, opĂ©ra.NANCY, OpĂ©ra national de Lorraine, le 25 juin 2021. Verdi : Rigoletto. Alexey Tatarintsev (Le duc de Mantoue), Juan JesĂşs RodrĂ­guez (Rigoletto), RocĂ­o PĂ©rez (Gilda), Ĺnay Köse (Sparafucile), Francesca Ascioti (Maddalena), Aline Martin (Giovanna), Pablo Lopez (Monterone), Francesco Salvadori (Marullo), Bo Zhao (Matteo Borsa), Samuel Namotte (Le comte de Ceprano), Inna Jeskova (Un page), Jue Zhang (La comtesse de Ceprano)

ChĹ“ur et orchestre de l’OpĂ©ra national de Lorraine, Alexander Joel, direction musicale / mise en scène : Richard Brunel. A l’affiche de l’OpĂ©ra national de Lorraine jusqu’au 1er juillet 2021.

CRITIQUE, opéra. STRASBOURG, Opéra national du Rhin, le 24 juin 2021. Puccini : Madame Butterfly. Giuliano Carella / Mariano Pensotti.

Butterfly-puccini-opera-national-du-rhin-juin2021-critique-classiquenewsCRITIQUE, opĂ©ra. STRASBOURG, OpĂ©ra national du Rhin, le 24 juin 2021. Puccini : Madame Butterfly. Giuliano Carella / Mariano Pensotti. DĂ©couvert Ă  Strasbourg voilĂ  deux ans dans la crĂ©ation française de Beatrix Cenci de Ginastera (LIRE ici notre critique : http://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-strasbourg-opera-le-17-mars-2019-ginastera-beatrix-cenci-m-letonja-m-pensotti/ ), le metteur en scène Mariano Pensotti (nĂ© en 1973) frappe encore très fort en cette fin de saison avec sa vision très personnelle de Madame Butterfly. Venu du théâtre, l’Argentin dĂ©cide en effet d’enrichir le livret d’une histoire parallèle fictive, racontĂ©e au moyen des surtitres pendant tout le spectacle, le plus souvent lors des interludes orchestraux. Pensotti imagine le parcours de Maiko Nakamura, metteur en scène d’origine japonaise ayant quittĂ© depuis longtemps son pays pour l’Europe, en pleine crise existentielle depuis le dĂ©cès de sa mère. Son travail sur Butterfly fait remonter son rapport oubliĂ© aux origines, en soulevant des questions bouleversantes comme les raisons de sa fuite ou sa capacitĂ© Ă  Ă©chapper au complexe du survivant (ses grands-parents sont morts dans les bombardements de Nagasaki). Si on peut regretter la place dĂ©mesurĂ©e prise par cette idĂ©e au dĂ©triment du livret de Puccini, force est de constater qu’elle apporte un indĂ©niable suspens, tout en s’entrecroisant avec le destin de Butterfly dans son dĂ©sir de mort.

On est bien lĂ  dans la volontĂ© affichĂ©e d’Alain Perroux, nouveau directeur de l’OpĂ©ra national du Rhin, de raconter des histoires, comme le proclame fièrement la brochure de saison 2021-2022 : “Il Ă©tait une fois...”. Sur scène, Ă  rebours du mĂ©lodrame, la mise en scène de Pensotti joue la carte de la sobriĂ©tĂ© en noir et blanc, refusant toute concession au Japon fantasmĂ©, en un travail abstrait et Ă©purĂ© de toute beautĂ©. MalgrĂ© une direction d’acteur trop statique, on se laisse peu Ă  peu sĂ©duire par la poĂ©tique des symboles dĂ©voilĂ©s peu Ă  peu avec l’histoire parallèle de Maiko Nakamura : de l’arbre dĂ©racinĂ© Ă  la maison oubliĂ©e des grands-parents, les deux derniers actes fascinent par leur capacitĂ© Ă  renouveler finement l’expression visuelle des souvenirs oppressants – ce “passĂ© qui ne passe pas” (Pierre Bourdieu).

CĂ´tĂ© voix, la soprano roumaine Brigitta Kele se saisit du difficile rĂ´le-titre avec aplomb, faisant oublier quelques approximations dans le placement de voix suraigu pour mieux nous rĂ©galer de son timbre charnu, de ses superbes graves. A ses cĂ´tĂ©s, la Suzuki de Marie Karall fait Ă©talage d’une technique sĂ»re, qui gagnerait toutefois Ă  davantage de prises de risque dans l’expressivitĂ©, tandis que Tassis Christoyannis (Sharpless) impressionne par sa classe vocale et son chant gĂ©nĂ©reux. On est heureux de retrouver ce bel artiste dans un rĂ´le Ă  sa mesure, de mĂŞme que l’impeccable Goro de LoĂŻc FĂ©lix, admirable de souplesse et de musicalitĂ© sur toute la tessiture. Tous les seconds rĂ´les se montrent Ă  la hauteur, bien servis par la direction subtile de Giuliano Carella, qui ne couvre jamais le plateau (il est vrai aidĂ© par la version “de chambre” proposĂ©e ici pour rĂ©pondre aux impĂ©ratifs de distanciation de la crise sanitaire). Le chef italien fait valoir un geste Ă©quilibrĂ©, aĂ©rien, admirable dans sa capacitĂ© Ă  faire ressortir les dĂ©tails et Ă  diffĂ©rencier les pupitres, bien Ă©tagĂ©s dans la construction des crescendos.

CRITIQUE, opĂ©ra. STRASBOURG, OpĂ©ra national du Rhin, le 24 juin 2021. Puccini : Madame Butterfly. Brigitta Kele (Cio-Cio-San), Leonardo Capalbo (Pinkerton), Marie Karall (Suzuki), Tassis Christoyannis (Sharpless), Nika Guliashvili (Il bonzo), EugĂ©nie Joneau (Kate Pinkerton), HervĂ© Huyghues Despointes (Yakuside), LoĂŻc FĂ©lix (Goro), Damien Gastl (Yamadori, Il commissario imperiale). ChĹ“ur de l’OpĂ©ra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Giuliano Carella direction musicale / mise en scène Mariano Pensotti. A l’affiche de l’OpĂ©ra national du Rhin, Ă  Strasbourg jusqu’au 28 juin et Ă  Mulhouse les 4 et 6 juillet 2021.

CRITIQUE, opéra. Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, le 28 mai 2021. Britten : Le Viol de Lucrèce. Léo Warynski / Jeanne Candel.

BrittenCRITIQUE, opĂ©ra. Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, le 28 mai 2021. Britten : Le Viol de Lucrèce. LĂ©o Warynski / Jeanne Candel. Si l’on excepte l’opĂ©rette Paul Bunyan, Ă©crite pendant son exil amĂ©ricain en 1941, Benjamin Britten composa ses trois premiers opĂ©ras coup sur coup : entre la dĂ©nonciation des notabilitĂ©s provinciales du chef d’oeuvre Peter Grimes (1945) et de son jumeau comique Albert Herring (1947), se dresse le sĂ©vère drame antique Le Viol de Lucrèce (1946), qui Ă©voque la chute de la monarchie romaine au profit de la RĂ©publique, sur fond de drame personnel. Ce bijou sombre est malheureusement desservi par un livret beaucoup trop statique, de surcroĂ®t mâtinĂ© d’exotiques rĂ©fĂ©rences chrĂ©tiennes – un choix voulu par Britten, notamment dans l’épilogue final.

C’est d’autant plus regrettable que le compositeur anglais se montre à son meilleur au niveau musical, manifestement inspiré par ce huis-clos incandescent, tout autant que le défi d’écrire pour seulement treize instrumentistes et huit chanteurs. Il bénéficia aussi d’une interprète d’exception en la personne de Kathleen Ferrier, créatrice du rôle du choeur féminin, dont la disparition tragique en 1953 ne lui permit pas de figurer sur l’enregistrement discographique réalisé par le compositeur en 1971 (Decca).

Créé pour la réouverture du festival de Glyndebourne en 1946, avant de faire le tour de l’Angleterre lors d’une tournée dans la foulée, l’opéra se prête particulièrement à l’atmosphère intimiste des Bouffes du Nord et son acoustique toujours aussi chaleureuse : c’est là un lieu idéal pour un tel ouvrage, à l’instar du Théâtre de l’Athénée qui a déjà accueilli une production du Viol de Lucrèce par les jeunes solistes de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris (ancien nom de l’Académie), en 2007 ( https://www.classiquenews.com/britten-le-viol-de-lucrece-1946paris-theatre-de-lathenee-du-26-au-30-juin-2007/ ), puis 2014.

La mise en scène a cette fois été confiée à Jeanne Candel, codirectrice du Théâtre de l’Aquarium depuis 2019, qui opte pour la sobriété d’une scénographie construite à vue par les interprètes, avec trois fois rien. La principale surprise vient du rideau de scène à moitié transparent, qui se révèle un immense filet de pêche, une fois déployé au sol. Avec cette évocation des origines géographiques de Britten en bord de mer, Jeanne Candel lie ainsi l’ouvrage avec le précédent (Peter Grimes), tout en montrant les femmes occupées à tisser, à la manière d’une Pénélope attendant le retour d’Ulysse. Candel choisit d’évacuer la contextualisation historique ou les références chrétiennes pour mieux se concentrer sur le drame de son héroïne, tandis que la présence quasi-omniprésente des deux chœurs apporte une distanciation avec le récit.

Cette proposition bénéficie de l’investissement scénique de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Lucretia), très convaincante dans sa dignité outragée, autant que dans sa performance vocale à l’émission charnue et bien articulée. A ses côtés, le Tarquinius d’Alexander York se distingue par sa présence physique animale, autour de phrasés vivants et colorés qui donnent une séduction trouble à son personnage. On aime aussi la classe vocale de Tobias Westman (Choeur masculin), à la ligne poétique du plus bel effet, tandis qu’Andrea Cueva Molnar (Choeur féminin) montre une voix plus puissante, avec une prononciation anglaise moins naturelle et quelques placements de voix limites par endroit. De même, Aaron Pendleton (Collatinus) impressionne par le volume sonore et la résonance de l’émission, mais déçoit au niveau stylistique, trop brut de décoffrage. Des seconds rôles parfaits, se détache la Bianca de Cornelia Oncioiu, aux phrasés superbes d’aisance et de souplesse, le tout soutenu par un timbre chaleureux.

Dommage que la direction froide et sérieuse de Léo Warynski vienne un peu gâcher la fête : la précision des attaques, autant que la qualité des instrumentistes, sont pourtant des atouts indéniables. Il faudra davantage lâcher la bride à l’avenir afin d’éviter l’impression d’uniformité, trop lassante sur la durée.

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CRITIQUE, opĂ©ra. PARIS, Théâtre des Bouffes du Nord, le 28 mai 2021. Britten : Le Viol de Lucrèce. Tobias Westman*/Kiup Lee (Male Chorus), Andrea Cueva Molnar*/Alexandra Flood (Female Chorus), Aaron Pendleton*/Niall Anderson (Collatinus), Alexander Ivanov/Danylo Matviienko* (Junius), Alexander York*/TimothĂ©e Varon (Tarquinius), Marie-AndrĂ©e Bouchard-Lesieur*/Ramya Roy (Lucretia), Cornelia Oncioiu (Bianca), Kseniia Proshina (Lucia) – Musiciens de l’AcadĂ©mie de l’OpĂ©ra national de Paris, de l’Ensemble MultilatĂ©rale et de l’Orchestre-Atelier OstinatO – LĂ©o Warynski , direction musicale / mise en scène Jeanne Candele. A l’affiche du Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 29 mai 2021.

COMPTE-RENDU, opéra. Rennes, Opéra, le 8 mai 2021. Johann Strauss fils : Die Fledermaus (La Chauve-Souris). Claude Schnitzler / Jean Lacornerie.

strauss-johann-II-petit-portrait-298-294-640px-Johann_Strauss_II_by_August_Eisenmenger_1888COMPTE-RENDU, opĂ©ra. Rennes, OpĂ©ra, le 8 mai 2021. Johann Strauss fils : Die Fledermaus (La Chauve-Souris). Claude Schnitzler / Jean Lacornerie. Après la rĂ©ussite de son dernier spectacle La Dame Blanche (prĂ©sentĂ© en streaming en partenariat avec de nombreux théâtres en rĂ©gion, dont celui de Compiègne https://www.classiquenews.com/opera-en-ligne-la-dame-blanche-depuis-lopera-de-rennes-streaming/), l’OpĂ©ra de Rennes s’illustre avec bonheur dans une nouvelle coproduction, cette fois consacrĂ©e au chef d’oeuvre de Johann Strauss fils, La Chauve-Souris (1874). Si les contraintes de la pandĂ©mie ne permettent malheureusement pas Ă  Rennes, Angers et Nantes de proposer ce spectacle sur scène cette saison, on peut se consoler avec la diffusion sur grand Ă©cran maintenue dans de nombreuses villes en simultanĂ©, le 9 juin prochain, en Bretagne et Pays de la Loire : http://www.classiquenews.com/rennes-opera-nouvelle-chauve-souris-en-plein-air-9-juin-2021/  -  Photo ci dessus : portrait de Johann STRAUSS II, DR).

C’est lĂ  un Ă©vènement Ă  ne pas manquer, tant le spectacle se montre abouti dans le moindre de ses dĂ©tails : afin de combler les lacunes dramatiques du livret, le directeur de l’OpĂ©ra de Rennes, Matthieu Rietzler, a eu la bonne idĂ©e de faire appel aux bons soins de Jean Lacornerie. Bien lui en a pris, tant l’ancien directeur du Théâtre de la Croix-Rousse Ă  Lyon sait donner ses lettres de noblesse Ă  ce rĂ©pertoire souvent mĂ©sestimĂ©. On se souvient ainsi de l’un des plus beaux spectacles créés par Lacornerie en 2008 avec Lady in the dark de Kurt Weill, nommĂ© aux Molières dans la foulĂ©e, que les directeurs d’opĂ©ra seraient bien inspirĂ©s de reprendre d’urgence. En attendant, loin du foisonnement psychanalytique de la comĂ©die musicale de Weill, l’opĂ©rette de Strauss Ă©tonne par son action minimaliste, qui multiplie les ellipses Ă  l’envi. Dès lors, l’ajout d’un narrateur permet de dĂ©mĂ©ler les fils narratifs en un mĂ©lange d’esprit, de pĂ©dagogie et d’humour, en lien avec la pièce française dont est tirĂ© l’ouvrage. Dans ce rĂ´le de Monsieur Loyal, on retrouve la gouaille Ă©tourdissante de la comĂ©dienne Anne Girouard, Reine Guenièvre bien connue des amateurs de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Kaamelott, tout comme des grands metteurs en scène actuels (Richard Brunel, Brigitte Jaques-Wajeman, Anne-Laure LiĂ©geois…) avec lesquels elle travaille rĂ©gulièrement. Au-delĂ  des commentaires sur l’action, Anne Girouard prĂŞte sa voix Ă  chacun des chanteurs dans les dialogues : un tour de force brillant qui permet de s’entourer d’une distribution vocale majoritairement germanophone. A l’exception de la narration regrettable lors de certains interludes orchestraux, ses interventions font mouche tout au long de la soirĂ©e, faisant souvent penser aux outrances dĂ©licieusement impertinente et dĂ©calĂ©e d’un Michel Fau. Dans le mĂŞme temps, Lacornerie s’amuse Ă  multiplier les interactions entre la voix et ses mimes (sans oublier le chef d’orchestre Claude Schnitzler, pris Ă  parti par le dĂ©sopilant Frosch – un rĂ´le Ă©galement interprĂ©tĂ© par Anne Girouard), tout en faisant souffler un vent de malice toujours Ă©lĂ©gant avec de petites saynètes finement stylisĂ©es, donnant Ă  voir le cĂ´tĂ© caricatural des personnages Ă  la manière des automates d’une horloge mĂ©canique.

Sans doute stimulĂ© par les trĂ©sors d’imagination mĂ©lodique de l’ouvrage, le plateau vocal brille de mille feux : compte tenu du nombre important de chanteurs en prĂ©sence, il faut saluer la performance que de rĂ©unir une troupe homogène, aussi Ă  l’aise au niveau vocal que dramatique. Ainsi d’Eleonore Marguerre qui impose une Rosalinde de caractère, bien affirmĂ©e vocalement, et ce malgrĂ© quelques aigus limites, tandis que Stephan Genz fait oublier son timbre terne par un abattage scĂ©nique très Ă  propos. On lui prĂ©fère toutefois la voix ample, ronde et parfaitement projetĂ©e de Thomas Tatzl, et dans une moindre mesure le chant serein de Milos Bulajic, malgrĂ© une Ă©mission Ă©troite. Parmi les autres satisfactions, Claire de SĂ©vignĂ© se distingue dans l’agilitĂ© des vocalises, de mĂŞme que Stephanie Houtzeel et sa belle puissance d’incarnation. Si le choeur de chambre MĂ©lisme(s) assure l’essentiel, il en fait parfois un peu trop dans l’Ă©clat, prenant le dessus sur la direction admirablement nuancĂ©e de Claude Schnitzler. A la tĂŞte d’un Orchestre de Bretagne en formation chambriste, le chef alsacien fait encore une fois l’Ă©talage de sa sensibilitĂ© dans la fluiditĂ© de la narration et la nervositĂ© des relances. Un spectacle Ă  ne manquer sous aucun prĂ©texte, que l’on pourra aussi voir sur les scènes d’Avignon et Toulon, Ă  partir de la fin du mois de juin.

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COMPTE-RENDU, opéra. Paris, Opéra de Rennes, le 8 mai 2021. Johann Strauss fils : Die Fledermaus (La Chauve-Souris). Stephan Genz (Gabriel von Eisenstein), Eleonore Marguerre (Rosalinde), Claire de Sévigné (Adèle), Veronika Seghers (Ida), Milos Bulajic (Alfred), Thomas Tatzl (Dr Falk), François Piolino (Dr Blind), Horst Lamnek (Franck), Stephanie Houtzeel (Prince Orlofsky), Anne Girouard (Narratrice et Frosch). Choeur de chambre Mélisme(s), Gildas Pungier (chef de choeur), Orchestre national de Bretagne, Claude Schnitzler, direction musicale / mise en scène, Jean Lacornerie.

A l’affiche de l’OpĂ©ra de Rennes le 8 mai, Ă  l’OpĂ©ra Grand Avignon (Confluence) les 19 et 20 juin, puis Ă  l’OpĂ©ra de Toulon en juillet 2021.

Diffusion Ă  venir :
France Musique  -  
Les antennes de 9 tĂ©lĂ©visions locales : TVR (Rennes), TĂ©bĂ©o, TĂ©bĂ©sud pour la Bretagne, TLC (Cholet), ViĂ  LMtv Sarthe, TV VendĂ©e, ViĂ  Angers TV, TĂ©lĂ©nantes dans les Pays-de-la-Loire, TV Tours-Val de Loire  -  
Sur les sites web de France 3 Pays-de-la-Loire et France 3 Bretagne
  -  Dans de nombreuses villes des rĂ©gions Bretagne et Pays-de-la-Loire…

COMPTE-RENDU, opéra. Paris, Opéra, le 22 mars 2021. Gounod : Faust. Lorenzo Viotti / Tobias Kratzer.

COMPTE-RENDU, opéra. Paris, Opéra, le 22 mars 2021. Gounod : Faust. Lorenzo Viotti / Tobias Kratzer.

MAGIE DU SPECTACLE VIVANT… Qu’elle fait du bien, cette explosion de joie de l’ensemble des artistes rĂ©unis pour la deuxième et dernière reprĂ©sentation de Faust, une fois le rideau tombĂ© ! Quelques minutes plus tĂ´t, la chaleur des applaudissements offerte par le choeur Ă  son chef JosĂ© Luis Basso avait donnĂ© le ton, celui du plaisir retrouvĂ© de partager une mĂŞme passion commune. On pense Ă©videmment aux autres artistes, partout en France, qui n’ont pas la chance de pouvoir bĂ©nĂ©ficier de spectacles maintenus du fait d’une captation : dans ce contexte, le travail conjoint de France Musique et France 5 (qui permettra de faire dĂ©couvrir plus largement cette production dans les tous prochains jours) est plus que jamais nĂ©cessaire pour ne pas maintenir les artistes dans l’anonymat dĂ©sespĂ©rant des rĂ©pĂ©titions ou des reprĂ©sentations donnĂ©es devant une salle vide.

Depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie, l’OpĂ©ra national de Paris n’a en effet jamais arrĂŞtĂ© de rĂ©pĂ©ter ses spectacles, se tenant prĂŞt au cas oĂą soient levĂ©es les restrictions imposĂ©es aux acteurs du monde culturel. Il faudra encore attendre un peu pour de meilleures nouvelles, mais ne boudons pas notre plaisir de voir le spectacle vivant enregistrĂ© dans de telles conditions : pour la reprĂ©sentation filmĂ©e, pas moins de trois camĂ©ras placĂ©es dans l’orchestre permettent de varier les angles de vue, tandis qu’une immense grue amovible s’approche des chanteurs dans les scènes plus intimistes – Ă  l’instar des petits diablotins de MĂ©phisto, camĂ©ra Ă  l’Ă©paule, Ă  plusieurs moments. On n’oubliera pas Ă©galement la petite camĂ©ra robotisĂ©e qui court le long de la rampe derrière le chef d’orchestre, donnant Ă  voir le visage des instrumentistes en plans rapprochĂ©s, lĂ  aussi.

DEBUTS DE TOBBIAS KRATZER A PARIS… Pour ses dĂ©buts Ă  l’OpĂ©ra national de Paris, le metteur en scène allemand Tobias Kratzer (nĂ© en 1980) se joue prĂ©cisĂ©ment de tous ces moyens techniques afin d’offrir un spectacle total : les effets vidĂ©o omniprĂ©sents, tout autant que la superposition spatiale des points de vue (dans le HLM de Marguerite, aux Ă©tages dĂ©voilĂ©s peu Ă  peu), apportent de nombreuses surprises visuelles tout au long de la soirĂ©e. Toutefois, certaines scènes prĂŞtent Ă  sourire par leur rĂ©alisation maladroite, que ce soient le survol de Paris dans les airs ou la course Ă  chevaux des deux protagonistes masculins principaux, tandis que la direction d’acteur se montre un peu lâche : gageons que ces imperfections seront gommĂ©es par la rĂ©alisation vidĂ©o, grâce aux gros plans sur les visages, notamment.

ACTUALISATION ET CONTRASTES SOCIAUX… Chantre du Regietheater acclamĂ© Outre-Rhin, Tobias Kratzer a fait ses dĂ©buts Ă  Bayreuth voilĂ  trois ans (voir son Tannhäuser dirigĂ© par Valery Gergiev https://www.classiquenews.com/48094/), peu après ses premiers pas en France, Ă  Lyon, avec Guillaume Tell (https://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-lyon-opera-le-5-oct-2019-rossini-guillaume-tell-tobias-kratzer-daniele-rustioni/). On retrouve le goĂ»t du metteur en scène pour une transposition radicale contemporaine, faisant fi des aspects comiques ou guerriers, prĂ©sents dans cet ouvrage composite, pour se concentrer sur le double destin tragique de Faust et Marguerite. De mĂŞme, les aspects religieux sont minorĂ©s au profit d’une interprĂ©tation plus actuelle, en lien avec les tourments psychologiques des deux hĂ©ros, dont MĂ©phisto ne reprĂ©senterait que la mauvaise conscience. La scĂ©nographie en forme de miroir, nous plonge habilement dans l’horizon Ă©triquĂ© de Marguerite, avec Dame Marthe pour voisine de promiscuitĂ©. Kratzer concentre ainsi notre attention sur le fossĂ© social qui sĂ©pare le docteur Faust et son appartement classieux Ă  Marguerite et son environnement HLM peu ragoutant.

DĂ©jĂ , en 2015 Ă  Karlsruhe, Kratzer avait fait Ă©cho aux banlieues françaises rĂ©cemment embrasĂ©es, Ă  l’occasion d’une production du Prophète de Meyerbeer : son attention se porte cette fois sur les lĂ©gendes urbaines et la violence sociale qui prĂ©cipitent le destin de Marguerite, fille-mère infanticide. La scène oĂą MĂ©phisto la terrorise dans une rame de mĂ©tro est certainement la plus intense de la soirĂ©e, tant l’effet d’oppression rappelle les plus grandes scènes du genre (notamment celles imaginĂ©es par Brian de Palma dans ses films Pulsions ou Blow out). Dans cette optique rĂ©aliste, le pardon divin final ne peut servir de pirouette heureuse, Marguerite s’effondrant en larmes devant le dĂ©sastre d’une vie ratĂ©e. On notera enfin plusieurs bonnes idĂ©es, comme l’enrichissement du rĂ´le du dĂ©vouĂ© SiĂ©bel ou l’apparition alternative du Faust âgĂ© Ă  plusieurs moments clĂ©s du rĂ©cit.

BAGUETTE SCULPTURALE DE LORENZO VIOTTI… Face Ă  cette mise en scène cohĂ©rente dans ses partis-pris, la direction musicale de Lorenzo Viotti (nĂ© en 1990) Ă©tire les tempi dans les passages lents, en sculptant les phrasĂ©s avec une attention inouĂŻe aux dĂ©tails – le contraste n’en est que plus grand dans les parties enlevĂ©es au rythme endiablĂ©, mais jamais appuyĂ©, le tout sans vibrato. Le jeune chef suisse en oublie parfois le plateau, n’Ă©vitant pas quelques dĂ©calages (avec les choeurs notamment) : un enthousiasme doublĂ© d’une vision qui font assurĂ©ment de ce chef l’un des plus prometteurs de sa gĂ©nĂ©ration. L’OpĂ©ra d’Amsterdam ne s’y est d’ailleurs pas trompĂ© en le nommant chef principal Ă  partir de la saison 2021/2022, tandis que l’OpĂ©ra national de Paris l’avait dĂ©jĂ  accueilli en 2019 dans Carmen.

faust-opera-bastille-paris-jaho-bernheim-sempay-lorenzo-viotti-kratzer-tobbias-critique-annonce-opera-classiquenewsSur le plateau, Benjamin Bernheim Ă©pouse admirablement cette lecture par sa ligne de chant souple et naturelle, d’une suretĂ© de diction Ă©loquente dans l’art des transitions, mĂŞme si on l’aimerait plus dramatique par endroit. Moins Ă©clatant dans la projection vocale, Christian Van Horn fait valoir des accents cuivrĂ©s en lien avec la morgue de son personnage. S’il sait se faire sĂ©duisant, ce MĂ©phisto manque toutefois de noirceur, faute de graves moins opulents qu’attendus. On pourra faire le mĂŞme reproche au Valentin de Florian Sempey qui emporte toutefois l’adhĂ©sion par son style et sa technique parfaites, tandis qu’Ermonela Jaho déçoit dans les passages de demi-caractère, oĂą son mĂ©dium peine Ă  franchir l’orchestre. La soprano albanaise se rattrape dans les parties plus enlevĂ©es, mais il n’en reste pas moins que le rĂ´le ne lui convient guère. DĂ©ception, aussi, pour le Siebel, maladroitement incarnĂ© par une Michèle Losier en difficultĂ© dans les accĂ©lĂ©rations, avec une Ă©locution incomprĂ©hensible. Quel plaisir, en revanche de retrouver la toujours exemplaire Sylvie Brunet-Grupposo, capable de convaincre y compris dans le rĂ´le aussi court de Dame Marthe. Photo : DR OpĂ©ra de Paris.

A l’affiche de l’Opéra national de Paris les 19 et 22 mars 2021.

 

 

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COMPTE-RENDU, opéra. Paris, Opéra national de Paris, le 22 mars 2021. Gounod : Faust. Benjamin Bernheim (Faust), Ermonela Jaho (Marguerite), Christian Van Horn (Méphistophélès), Michèle Losier (Siébel), Florian Sampey (Valentin), Sylvie Brunet-Grupposo (Dame Marthe), Christian Helmer (Wagner). Choeurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Lorenzo Viotti, direction musicale / mise en scène, Tobias Kratzer. A l’affiche de l’Opéra national de Paris les 19 et 22 mars 2021.

RETRANSMISSION
Sur France 5 le 26 mars,
Sur France Musique le 3 avril 2021

COMPTE-RENDU, opéra. Strasbourg, ONR, le 16 oct 2020. Saint-Saëns : Samson et Dalila. Marie-Eve Signeyrole / Ariane Matiakh.

saint-saens-camille-portrait-carre-classiquenewsCOMPTE-RENDU, opĂ©ra. Strasbourg, ONR, le 16 oct 2020. Saint-SaĂ«ns : Samson et Dalila. Marie-Eve Signeyrole / Ariane Matiakh.Il aura donc fallu attendre 8 mois pour que Strasbourg puisse prĂ©senter une nouvelle production Ă  l’OpĂ©ra national du Rhin : peu avant le spectacle, son directeur Alain Perroux, nommĂ© l’an passĂ© suite au dĂ©cès inattendu d’Eva Kleinitz, remercie au micro l’ensemble des intervenants, dans leurs domaines technique et artistique respectifs, avec une Ă©motion visible. Venu en nombre, le public a Ă©tĂ© rĂ©parti dans la salle dans le respect des mesures de distanciation, avant que la discipline de sortie en fin de soirĂ©e montre combien chacun respecte les nĂ©cessaires consignes d’organisation. Musicalement, ce contexte permet d’entendre le choeur rĂ©parti dans les deux derniers balcons en hauteur, …une satisfaction paradoxale Ă  laquelle on ne s’attendait guère : on se rĂ©gale de cette spatialisation oĂą chaque pupitre s’oppose avec force dĂ©tail, faisant de cette particularitĂ© l’un des grands moments de la soirĂ©e. On se fĂ©licite aussi d’avoir fait appel Ă  Ariane Mathiakh (nĂ©e en 1980) pour diriger la fosse, tant la Française insuffle une Ă©nergie sans pareil : Ă  force de dĂ©tails, sa direction sans vibrato, piquante et allĂ©gĂ©e (COVID oblige, les cordes ont Ă©tĂ© rĂ©duites), est un modèle d’Ă©lĂ©gance aĂ©rienne. Pour autant, l’ancienne laurĂ©ate de la première Ă©dition « Talents chefs d’orchestre Adami », en 2008, n’en oublie jamais le drame, donnant dès l’ouverture des couleurs sombres par des scansions appuyĂ©es aux contrebasses. Elle sait aussi ralentir le tempo dans des moments plus Ă©tonnants (premières mesures vĂ©nĂ©neuses de “Mon coeur s’ouvre Ă  ta voix” au 2e acte ou dans la Bacchanale au 3e acte, d’une grande tenue rythmique). On espère retrouver très vite cette baguette très imaginative, sur scène comme au disque.

 
 

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Face Ă  cette direction enthousiasmante, le plateau vocal se montre plus inĂ©gal. Convaincants : Jean-SĂ©bastien Bou (son Dagon est d’une grande force théâtrale, bien Ă©paulĂ© par sa parfaite diction, idĂ©alement projetĂ©e) ; de mĂŞme, les seconds rĂ´les superlatifs ne sont pas en reste : Wojtek Smilek et Patrick Bolleire – ce dernier familier du rĂ´le (voir notamment Ă  Metz https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-metz-le-5-mai-2018-samson-et-dalila-saint-saens-jacques-mercier-paul-emile-fourny/ et Massy en 2018). Les deux rĂ´les-titres sont plus problĂ©matiques : la Dalila de Katarina Bradic, dont le manque de puissance est audible dans les ensembles. C’est certainement ce qui explique pourquoi la mezzo serbe s’Ă©panouit principalement dans le rĂ©pertoire baroque, lĂ  oĂą ses superbes couleurs cuivrĂ©es dans les graves font merveille – pianissimos très maitrisĂ©s. Ici, l’aigu est plus tendu dans les changements de registre au I, avec un manque d’Ă©clat constant dans les forte. MĂŞme dĂ©ception pour le très inĂ©gal Massimo Giordano (Samson), Ă  l’Ă©mission instable et serrĂ©e dans l’aigu, sans parler de son vibrato prononcĂ©. Seule la voix en pleine puissance sĂ©duit en de rares occasions, dans un rĂ´le il est vrai redoutable.

La mise en scène de Marie-Eve Signeyrole joue la carte d’une transposition contemporaine rĂ©ussie, imaginant deux camps irrĂ©conciliables, entre conservateurs au pouvoir et mouvement anarchique des clowns – ces derniers rappelant inĂ©vitablement leurs lointains cousins les gilets jaunes. Comme Ă  son habitude (voir notamment son Nabucco https://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-lille-le-19-mai-2018-verdi-nabucco-rizzi-brignoli-signeyrole/), Signeyrole s’appuie sur les dispositifs vidĂ©o souvent filmĂ©s en direct et projetĂ©s sur plusieurs Ă©crans, tout en expliquant son uchronie en un gĂ©nĂ©rique Ă  la double fonction, didactique et satirique : la vision du monde politique, ainsi montrĂ©e, ressemble Ă  une Ă©mission de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ©, dont les spectateurs suivraient chaque Ă©pisode rocambolesque. Certains personnages n’hĂ©sitent pas Ă  s’adresser directement Ă  la camĂ©ra, tandis que l’utilisation d’un plateau tournant permet des allers-retours saisissants entre vies privĂ©e et publique : le ballet visuel incessant entre les diffĂ©rents tableaux est une grande rĂ©ussite tout au long de la soirĂ©e, rĂ©vĂ©lant un grand art dans les transitions. Juste aussi l’idĂ©e force de Signeyrole, de montrer Samson en handicapĂ© physique, comme s’il revivait sans cesse le cauchemar de sa chute : le dĂ®ner de con organisĂ© en son honneur au III donne Ă  voir toute l’horreur de sa situation, tandis que la mise en scène se saisit astucieusement de l’accĂ©lĂ©ration du rĂ©cit Ă  la fin : ici, le châtiment divin disparait au profit d’une sorte d’entartage politique Ă  base de goudron et de plumes, en un final clownesque cohĂ©rent. Un travail global d’une belle richesse visuelle, toujours au service de l’oeuvre.

 
 
 
 

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COMPTE-RENDU, opĂ©ra. Strasbourg, ONR, le 16 oct 2020. Saint-SaĂ«ns : Samson et Dalila. Katarina Bradic (Dalila), Massimo Giordano (Samson), Jean-SĂ©bastien Bou (Le grand prĂŞtre de Dagon), Patrick Bolleire (AbimĂ©lech), Wojtek Smilek (Un vieillard hĂ©breu), Damian Arnold (Un messager philistin), Nestor Galvan (Premier Philistin), Damien Gastl (Deuxième Philistin), ChĹ“urs de l’OpĂ©ra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse. Ariane Matiakh / Marie-Eve Signeyrole. A l’affiche jusqu’au 28 oct 2020 Ă  Strasbourg puis les 6 et 8 novembre 2020 Ă  Mulhouse. Photo : HDN Presse

COMPTE-RENDU, critique opéra. PARIS, TCE, le 17 fev 2020. R. Strauss : La Femme sans ombre. M. Volle, Y Nézet-Séguin / v. de concert

nezet-seguin-yannick-opera-concert-classiquenews-portrait-critique-cdCOMPTE-RENDU, critique opéra. PARIS, TCE, le 17 fev 2020. R. Strauss : La Femme sans ombre. Yannick Nézet-Séguin / v. de concert. Le tout-Paris lyrique semble s’être donné rendez-vous au Théâtre des Champs-Elysées pour l’un des concerts les plus attendus de la saison, la saisissante Femme sans ombre (1919) de Richard Strauss. Dès les premières mesures de cet ouvrage hors normes (voir notre présentation : http://www.classiquenews.com/yannick-nezet-seguin-dirige-la-femme-sans-ombre-de-r-strauss/ ) et rarissime en France, l’ensemble pléthorique des forces réunies gronde et impose la concentration : l’assistance venue en nombre semble écouter comme un seul homme le récit symbolique et initiatique de cette femme en quête d’humanité, sur fond d’éclat orchestral digne du Strauss de la Symphonie alpestre contemporaine (1915). Si le livret n’évite pas un certain statisme, expliquant le recours à une version de concert (comme à Verbier l’an passé https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-verbier-le-22-juil-2019-strauss-die-frau-ohne-schatten-la-femme-sans-ombre-siegel-gergiev/ ), le souffle straussien emporte tout sur son passage, en mêlant avec virtuosité toutes les ressources orchestrales à sa disposition.

Avec une prĂ©sence aussi prĂ©pondĂ©rante de l’orchestre, on comprend pourquoi les plus grands chefs du passĂ© ont pu s’intĂ©resser Ă  ce chef d’oeuvre (Karajan, Böhm, Solti ou Sinopoli : voir notre prĂ©sentation de la discographie incontournable https://www.classiquenews.com/richard-strauss-la-femme-sans-ombre-1919-herbert-von-karajan-1964-3-cd-deutsche-grammophon/ ), avant Yannick NĂ©zet-SĂ©guin aujourd’hui. Le grand chef quĂ©bĂ©cois livre ici une lecture très personnelle, qui en dĂ©route manifestement plus d’un Ă  l’entracte, au vue des commentaires entendus : l’architecture globale et la robustesse allemande sont ici lissĂ©es au profit d’un geste plus souple et aĂ©rien, un rien sĂ©quentiel – le tout en des tempi très vifs dans les verticalitĂ©s. Les passages plus lents montrent davantage d’attention Ă  la respiration, notamment la construction admirablement Ă©tagĂ©e des crescendos, mĂŞme si l’on pourra ĂŞtre déçu par le peu de relief des alliages de timbres morbides, proches de la manière du Schreker du Son lointain (1910). Comme souvent avec NĂ©zet-SĂ©guin, on a lĂ  une lecture d’une grande classe, au service du moindre dĂ©tail – le tout bien servi par un Orchestre philharmonique de Rotterdam entièrement acquis Ă  sa cause, lui qui en a Ă©tĂ© le directeur musical de 2008 Ă  2018. On note toutefois quelques faiblesses pour cette formation, au niveau des bois (d’un bon niveau, sans approcher l’excellence du Concertgebouw d’Amsterdam) ou des premiers violons (Ă©tonnant ratage dans les frĂ©missements pianissimi Ă  la limite de la tonalitĂ© au III). Le chef quĂ©bĂ©cois parvient toutefois Ă  tirer le meilleur de cette phalange d’une parfaite cohĂ©sion en dehors des quelques rĂ©serves exprimĂ©es, par ailleurs bien servie par un chĹ“ur de premier ordre, très prĂ©cis dans la diction.

Sous la baguette de Nézet-Séguin
l’immense Barak de Michael Volle…

Si l’ouvrage est aussi rare dans nos contrĂ©es, c’est qu’il nĂ©cessite une distribution Ă  mĂŞme de se confronter aux forces orchestrales de plus en plus dĂ©chainĂ©es au fil de la soirĂ©e : le Théâtre des Champs-ElysĂ©es relève le dĂ©fi haut la main, malgrĂ© la prestation très inĂ©gale de Michaela Schuster. La mezzo bavaroise compense ses faiblesses techniques, notamment un medium peu nourri, par des couleurs mordantes et surtout des qualitĂ©s théâtrales en phase avec son rĂ´le de Nourrice intrigante. Si l’on peut regretter que certains aigus soient arrachĂ©s au forceps, la sincĂ©ritĂ© et l’investissement de cette chanteuse lui permettent de compenser ses dĂ©faillances vocales. Rien de tel pour la convaincante Elza van den Heever, vivement applaudie pour sa soliditĂ© de la ligne sur toute la tessiture et sa projection puissante – mĂŞme si les piani font entendre un timbre plus mĂ©tallique, du fait d’une Ă©mission serrĂ©e. On peut faire le mĂŞme reproche Ă  l’Empereur de Stephen Gould, qui manque de chair, mais d’une dignitĂ© sans faille dans ses phrasĂ©s. Le grand seigneur de la soirĂ©e reste toutefois l’immense Barak de Michael Volle, Ă  qui NĂ©zet-SĂ©guin rĂ©serve une accolade des plus chaleureuses en fin de reprĂ©sentation : l’art des phrasĂ©s, oĂą chaque mot est poli au service du verbe, n’a d’égal que la justesse des moyens, toujours parfaitement en place, y compris dans les passages les plus ardus au III. C’est prĂ©cisĂ©ment dans ce dernier acte que Lise Lindstrom montre quelques signes de fatigue, notamment quelques stridences dans l’aigu. C’est d’autant plus excusable que sa prestation avait jusque-lĂ  tutoyĂ©e les sommets d’une insolente aisance, mĂŞlant subtilement rondeur d’émission et intensitĂ© dans l’incarnation. Une grande soirĂ©e, accueillie par les applaudissements enthousiastes du public parisien, toujours aussi expressif dans la manifestation de son contentement, y compris lors du rappel Ă  l’ordre de l’un des spectateurs Ă  l’encontre de celui qui avait osĂ© manifester son plaisir un peu tĂ´t, Ă  peine les dernières mesures achevĂ©es au I !

 

 

 

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COMPTE-RENDU, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 17 février 2020. Richard Strauss : La Femme sans ombre. Stephen Gould (L’Empereur), Elza van den Heever (L’Impératrice), Michaela Schuster (La Nourrice), Michael Volle (Barak), Lise Lindstrom (La teinturière), Michael Wilmering (Le borgne), Nathan Berg (Le manchot), Andreas Conrad (Le bossu), Thomas Oliemans (Le messager des esprits), Bror Magnus Tødenes (La vision d’un jeune homme), Katrien Baerts (La voix du faucon), Rotterdam Symphony Chorus, Maîtrise de Radio France, Sofi Jeannin (chef de chœur), Rotterdams Philharmonisch Orkest, Yannick Nézet-Séguin (direction musicale) / version de concert. A l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées le 17 février 2020, puis à Dortmund et Rotterdam les 20 et 23 février 2020. Photo : Yannick Nézet-Séguin © hans-van-der-woerd

COMPTE-RENDU, critique opéra. TOURCOING, Atelier lyrique, le 9 fév 2020. CHABRIER : L’Etoile. Alexis Kossenko / Jean-Philippe Desrousseaux

Éblouissante ETOILE de Chabrier Ă  TOURCOINGCOMPTE-RENDU, critique opĂ©ra. TOURCOING, Atelier lyrique, le 9 fĂ©v 2020. CHABRIER : L’Etoile.  Avec Carl Ghazarossian, Alain Buet, Ambroisine BrĂ©, Nicolas Rivenq… Alexis Kossenko / Jean-Philippe Desrousseaux… A l’occasion d’une visite dans les Hauts-de-France, on ne saurait trop conseiller de faire halte Ă  Tourcoing, troisième ville de la rĂ©gion après Lille et Amiens ; qui peut s’enorgueillir d’avoir vu naĂ®tre des compositeurs aussi illustres que Gustave Charpentier ou Albert Roussel. Indissociable de la personnalitĂ© charismatique de son fondateur Jean-Claude Malgoire (1940-2018),  l’Atelier lyrique de Tourcoing donne depuis 1981 une rĂ©sonance internationale Ă  cette ancienne capitale du textile, reconnue pour cette ambition artistique de haut niveau. DĂ©sormais, il revient Ă  François-Xavier Roth (nĂ© en 1971) de prendre la relève du regrettĂ© Malgoire Ă  la direction artistique de l’Atelier lyrique, tandis qu’Alexis Kossenko (nĂ© en 1977) fait de mĂŞme Ă  la tĂŞte de l’orchestre sur instruments d’époque, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy.

 

 

 

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Lazuli / Laoula : Ambroisine Bré et Anara Khassenova  © Simon Gosselin

 

 

 

C’est prĂ©cisĂ©ment le jeune flĂ»tiste et chef d’orchestre français que l’on retrouve Ă  Tourcoing pour l’une des productions les plus attendue de la saison, l’ébouriffante Etoile (1877) d’Emmanuel Chabrier (voir notre prĂ©sentation : https://www.classiquenews.com/letoile-de-chabrier-a-tourcoing/). On avoue ne pas comprendre pourquoi un tel chef d’œuvre de malice et d’intelligence ne figure pas plus souvent au rĂ©pertoire hexagonal – au moins pendant les fĂŞtes de fin d’annĂ©e, aux cĂ´tĂ©s des grands succès d’Offenbach. On se rĂ©jouit par consĂ©quent de cette heureuse initiative, et ce d’autant plus que le plateau vocal rĂ©uni se montre d’un niveau proche de l’idĂ©al.
Ainsi de la rayonnante Ambroisine Bré qui donne à son Lazuli un brio vocal d’une rare conviction dans l’équilibre entre vérité théâtrale et raffinement vocal, tandis que Carl Ghazarossian (Ouf 1er) ne lui cède en rien dans sa composition désopilante, entre morgue cruelle et lassitude feinte. Si Anara Khassenova (la Princesse Laoula) affiche également un haut niveau, Juliette Raffin-Gay (Aloès) est plus en retrait du fait d’une émission parfois étroite, hormis dans son air bien travaillé au II. La production doit beaucoup à l’aisance comique des impayables Alain Buet (très solide Siroco), Nicolas Rivenq (superbe d’autodérision) ou Denis Mignien (à la folie douce-amère). Les chœurs un rien timides au début, avec quelques décalages notables, se montrent de plus en plus affirmés tout au long de la soirée, avant de pleinement convaincre.

tourcoing-atelier-lyrique-Kossenko-etoile-chabrier-annonce-critique-classiquenewsMais c’est peut-être plus encore l’énergie insufflé dans la fosse qui impressionne par son à-propos : si vous n’avez jamais su ce que voulait dire « faire chanter un orchestre », écoutez Alexis Kossenko (photo ci contre) ! Autant les attaques sèches que la précision et la virtuosité des affrontements entre pupitres donnent des accents inouïs de vitalité, le tout au service d’une expression dramatique qui n’en oublie jamais de faire ressortir les détails humoristiques de l’orchestration. Ce tourbillon de bon humeur répond à la non moins réussie mise en scène de Jean-Philippe Desrousseaux – dont le travail pour Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg avait déjà été récompensé en 2017 par le prix du Meilleur créateur d’éléments scéniques, décerné par l’Association professionnelle de la critique, théâtre, danse et musique. Desrousseaux revisite son décor unique pendant toute la représentation avec maestria, autant par un travail sur les éclairages qu’une mise en valeur des éléments scéniques. Son imaginative direction d’acteur donne beaucoup de plaisir par son double regard qui s’adresse autant aux plus petits qu’à leurs ainés : on retient notamment les nombreux gags visuels intemporels façon Iznogoud ou les délicieux animaux exotiques animés à l’ancienne par deux comédiens. Les rires des tout petits ne trompent pas quant à la réussite du projet, vivement applaudi par le chaleureux public de Tourcoing.

   

 
 
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Ambroisine Bré (Lazuli), Anara Khassenova (la Princesse Laoula), Carl Ghazarossian (Le Roi Ouf 1er) © Simon Gosselin

 

    
 

 

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Compte-rendu, opéra. Tourcoing, Atelier lyrique, le 9 février 2020. Chabrier : L’Etoile. Ambroisine Bré (Lazuli), Anara Khassenova (la Princesse Laoula), Juliette Raffin-Gay(Aloès), Carl Ghazarossian (Le Roi Ouf 1er), Alain Buet (Siroco), Nicolas Rivenq (Hérisson de Porc-Epic), Denis Mignien (Tapioca), Denis Duval  (le chef de la police). Ensemble vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, La Grande écurie et la Chambre du Roy, Alexis Kossenko (direction musicale) / Jean-Philippe Desrousseaux (mise en scène). A l’affiche de l’Atelier lyrique de Tourcoing, du 7 au 11 février 2020. Photo : © Simon Gosselin / Atelier Lyrique de Tourcoing, service de presse.

 

 

 

VOIR aussi notre TEASER et notre REPORTAGE VIDEO de l’Étoile de Chabrier par l’Atelier Lyrique de TOURCOING Kossenko / Desrousseaux, fév 2020

 

 

COMPTE-RENDU, critique, opéra. ANVERS, le 7 fév 2020. SCHREKER : Der Schmied von Gent. A Pérez / E Mondtag

schreker die schmied von gent opera vlaamse flanderen critique review opera classiquenewsCOMPTE-RENDU, critique, opéra. ANVERS, Opéra flamand, le 7 février 2020. Schreker : Der Schmied von Gent. Alejo Pérez / Ersan Mondtag. D’année en année, l’héritage lyrique de Franz Schreker (1878-1934) ne cesse d’être exploré dans toute sa diversité, au disque mais également sur scène. Avant Irrelohe (1922) présenté à l’Opéra de Lyon dès le 24 mars prochain, place au Forgeron de Gand / Der Schmied von Gent (1932), dernier opéra du grand rival de Richard Strauss en son temps. On doit à l’intérêt conjoint de l’Opéra flamand, en coproduction avec le Nationaltheater Mannheim, le nouvel éclairage donné à cet ouvrage monté pour la dernière fois voilà dix ans à Chemnitz (heureusement gravé par CPO) : ça n’est là que justice, tant Schreker fait montre d’une inspiration foisonnante dans l’éclectisme musical, en un style proche de Kurt Weill pour le parlé-chanté et l’ambiance de cabaret, tandis que les ruptures verticales expressionnistes font davantage penser au Hindemith de Cardillac ( https://www.classiquenews.com/tag/cardillac/ ). L’Autrichien quitte ainsi les expérimentations fraichement accueillies de Christophorus (1929), dédié à Arnold Schönberg, pour embrasser un style virtuose où s’entremêlent chansons populaires flamandes et pastiches de musiques anciennes, avant un acte III rayonnant où la tonalité retrouve davantage ses droits (rappelant le Korngold du Miracle d’Héliane http://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-gand-le-15-septembre-2017-korngold-das-wunder-der-heliane-a-stundytea-joel-d-bosch/).

Comme à son habitude, le compositeur écrit lui-même son livret, en s’inspirant cette fois des Légendes flamandes de Charles de Coster – l’auteur de Till l’Espiègle, à qui Richard Strauss a dédié son célébrissime poème symphonique. Schreker quitte les rives sulfureuses des troubles freudiens pour la satire du conte folklorique rabelaisien – dans l’esprit du triomphe rencontré quelques années plus tôt par la Schwanda de Jaromir Weinberger (1896-1967). On notera que l’Opéra-Comique de Berlin présente actuellement cette rareté dans sa version allemande, montée par l’excellent Barrie Kosky. A Anvers, Ersan Mondtag s’essaie à sa première mise en scène lyrique avec bonheur, en enrichissant le récit d’une énergie toute aussi riche que la musique : les aventures du forgeron Smee prennent la forme d’un cauchemar psychédélique délirant et absurde, où le héros fuit son quotidien pour un pacte faustien avec le diable, sur fond de satire revancharde contre l’occupant espagnol à Gand. Les décors spectaculaires et les costumes aux couleurs volontairement grotesques convient à des tableaux dignes des outrances d’Otto Dix et George Grosz, même si l’on pourra regretter que le spectacle n’explore davantage, en première partie, la crise de couple et le désir pour Astarté.

Quoiqu’il en soit, le spectacle surprend plus encore après l’entracte en prenant un tour plus politique, sans jamais se départir de son humour : Ersan Mondtag nous rappelle combien la Belgique, jadis oppressée par les Espagnols, puis les Autrichiens, a rapidement endossé les atours de l’oppresseur une fois sa puissance établie. Possession personnelle du Roi Léopold II, avant la cession à la Belgique, le Congo belge subira ainsi de nombreuses atrocités lors de la colonisation, à l’instar des méfaits célèbres du duc d’Albe en Flandre. Le discours saisissant prononcé par le premier ministre congolais Patrice Lumumba, au moment de l’accession à l’indépendance de son pays en 1960, sert de prélude à un dernier acte burlesque et irrésistible de moquerie, où Smee parait grimé en Léopold II. Tandis que le héros se voit refuser à la fois sa place au paradis et dans les enfers, cette saisissante mise en miroir permet de remettre en question l’héritage politique, jugé habituellement favorable, du second monarque belge.

Bien qu’annoncé souffrant, Leigh Melrose (Smee) emporte l’adhésion par sa composition théâtrale d’une grande présence, autour de phrasés très précis. A ses côtés, la superlative Kai Rüütel s’impose avec son émission charnue et bien projetée, de même que l’impeccable Astarté de Vuvu Mpofu. Si Michael J. Scott (Slimbroek) est un cran en-dessous avec son chant puissant mais peu stylé, les autres seconds rôles remplissent parfaitement leur office, au premier rang desquels le truculent Saint-Pierre de Justin Hopkins. La seule déception de la soirée est la direction peu imaginative du nouveau directeur musical Alejo Pérez, qui joue la carte de la musique pure en des tempi enlevés, mais trop peu attentifs à l’expression théâtrale, aux transitions comme aux nuances. Seule la dernière partie, à l’élan post-romantique, le montre davantage à son aise.

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Compte-rendu, opéra. Anvers, Opéra flamand ( OPERA BALLET VLAANDEREN ), le 7 février 2020. Schreker : Der Schmied von Gent. Leigh Melrose (Smee), Kai Rüütel (sa femme), Vuvu Mpofu (Astarte), Michael J. Scott (Slimbroek), Daniel Arnaldos (Flipke), Nabil Suliman (le bourreau), Leon Košavić (le Duc d’Alba), Ivan Thirion (Saint-Joseph), Chia Fen Wu (Marie), Justin Hopkins (Saint-Pierre), Stephan Adriaens (tenor solo). Kinderkoor, Koor & Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Alejo Pérez (direction musicale) / Ersan Mondtag (mise en scène et décors). A l’affiche de l’Opéra flamand, à Anvers du 2 au 11 février, puis à Gand du 21 février au 1er mars 2020. Photos : © Annemie Augustijns

COMPTE-RENDU, critique, opéra. LIEGE, ORW, le 8 fév 2020. VERDI : Don Carlos, 1866. Kunde, Arrivabeni / di Pralafera

COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. LIEGE, ORW, le 8 fĂ©v 2020. VERDI : Don Carlos, 1866. Kunde, Arrivabeni / di Pralafera. La version française de Don Carlos semble faire un retour en force sur les scènes franco-belges, comme en tĂ©moignent les spectacles rĂ©cemment produits Ă  Paris (http://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-verdi-don-carlos-le-19-octobre-2017-arte-yoncheva-garance-kaufmann-jordan-warlikowski/), Lyon https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-lyon-festival-verdi-les-17-18-et-21-mars-2018-don-carlos-attila-macbeth-daniele-rustoni-christophe-honore-ivo-van-hove/ et Anvers – Ă  chaque fois dans des mises en scènes diffĂ©rentes. Place cette fois Ă  une nouvelle production très attendue de l’OpĂ©ra royal de Wallonie, qui relève le dĂ©fi d’une version sans coupures, Ă  l’exception du ballet, telle que prĂ©sentĂ©e par Verdi lors des rĂ©pĂ©titions parisiennes de 1866. On le sait, avant mĂŞme la première, l’ouvrage subira un charcutage on ne peut plus discutable afin de rĂ©duire sa durĂ©e totale (de plus de 3h30 de musique), avant plusieurs remodelages les annĂ©es suivantes. La dĂ©couverte de cette version “originelle” a pour avantage de rendre son Ă©quilibre Ă  la rĂ©partition entre scènes politiques chorales et tourments amoureux individuels, tout en assurant une continuitĂ© louable dans l’inspiration musicale. A l’instar de Macbeth, Verdi n’hĂ©sita pas, en effet, Ă  réécrire des pans entiers de l’ouvrage lors des modifications ultĂ©rieures, au risque d’un style moins homogène.

 

 

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L’autre grand atout de cette production est incontestablement l’excellent plateau vocal rĂ©uni : le public venu en nombre ne s’y est pas trompĂ©, entrainant une “ambiance des grands soirs », Ă  l’excitation palpable. Très Ă©mu par l’accueil enthousiaste de l’assistance, Gregory Kunde n’aura pas déçu les attentes, et ce malgrĂ© d’infimes difficultĂ©s pour tenir une Ă©paisseur de ligne dans les dĂ©clamations pianissimo au I. Pour autant, en dehors de ce timbre nĂ©cessairement abimĂ© avec les annĂ©es, le tĂ©nor amĂ©ricain nous empoigne tout du long par la maĂ®trise de ses phrasĂ©s, oĂą chaque syllabe semble vibrer d’une vitalitĂ© intĂ©rieure au service du drame. Son expression se fait plus encore dĂ©chirante lorsqu’elle est dĂ©ployĂ©e en pleine voix, lĂ  oĂą Kunde impressionne par une aisance technique digne de cet artiste parmi les plus grands. La longue ovation reçue en fin de reprĂ©sentation est Ă  la hauteur de l’engagement soutenu tout du long, sans marque de fatigue. En comparaison, on aimerait qu‘Ildebrando d’Arcangelo fende l’armure en plusieurs endroits afin de dĂ©passer son tempĂ©rament parfois trop placide – mĂŞme si l’on pourra noter que cette rĂ©serve reste en phase avec les ambiguĂŻtĂ©s de son rĂ´le. Quoi qu’il en soit, autant la majestĂ© dans les phrasĂ©s, que la rĂ©sonance dans les graves superbement projetĂ©s, sont un rĂ©gal de tous les instants.

A ses cĂ´tĂ©s, le wallon Lionel Lhote triomphe dans son rĂ´le de Rodrigo, Ă  force de soliditĂ© dans la ligne et de conviction dans l’incarnation. A peine lui reprochera-t-on une Ă©mission trop appuyĂ©e dans le mĂ©dium, au dĂ©triment de la puretĂ© de la prononciation. Belle prestation Ă©galement du Grand inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, qui compense un lĂ©ger manque de profondeur dans les graves par une prĂ©sence magnifique de noirceur.

Les femmes assurent bien leur partie, au premier rang desquelles la touchante Yolanda Auyanet, toujours très juste dans chacune de ses interventions, d’une belle rondeur hormis dans quelques aigus tendus. L’Eboli de Kate Aldrich a moins d’impact vocal mais assure l’essentiel sur toute la tessiture, tandis que les seconds rĂ´les superlatifs (magnifiques Caroline de Mahieu et Maxime Melnik) donnent beaucoup de satisfaction.

Si les choeurs montrent quelques hĂ©sitations dans la cohĂ©sion au I, ils se rattrapent bien par la suite, de mĂŞme que le tonitruant Paolo Arrivabeni, un peu raide au dĂ©but avant de sĂ©duire par l’exaltation des verticalitĂ©s et son sens affirmĂ© de la conduite narrative. La mise en scène illustrative de Stefano Mazzonis di Pralafera n’évite pas un certain statisme par endroits, mais sĂ©duit par son sens mĂ©ticuleux du dĂ©tail historique, parfaitement rendu par l’éclat de la scĂ©nographie et des costumes. Un grand spectacle logiquement applaudi par le chaleureux public liĂ©geois, sous le regard goguenard de Wagner (reprĂ©sentĂ© sur le plafond de l’OpĂ©ra en 1903, avec d’autres illustres compositeurs).

 

 

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COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. LIEGE, OpĂ©ra royal de Wallonie, le 8 fĂ©vrier 2020. Verdi : Don Carlos. Ildebrando D’Arcangelo (Philippe II), Gregory Kunde (Don Carlos), Yolanda Auyanet (Elisabeth de Valois), Kate Aldrich (La Princesse Eboli), Lionel Lhote (Rodrigue), Roberto Scandiuzzi (Le Grand Inquisiteur). Orchestre & ChĹ“urs de l’OpĂ©ra Royal de Wallonie-Liège, Paolo Arrivabeni (direction musicale) / Stefano Mazzonis di Pralafera (mise en scène). A l’affiche de l’OpĂ©ra royal de Wallonie, Ă  Liège, du 30 janvier au 14 fĂ©vrier 2020. Photo : OpĂ©ra Royal de Wallonie – Liège.

 

   

   

 

Compte-rendu, concert. Paris, Philharmonie, le 17 janvier 2020. Wagner : Le Vaisseau fantĂ´me (ouverture), Hindemith : Symphonie “Mathis le Peintre”, Dvořák : Symphonie n° 9 “Du Nouveau Monde”

MUTI riccardo Muti_120128_041_crop_Todd_Rosenberg-e1365787405319COMPTE-RENDU, concert. PARIS, Philharmonie, le 17 janvier 2020. Wagner : Le Vaisseau fantĂ´me (ouverture), Hindemith : Symphonie “Mathis le Peintre”, Dvořák : Symphonie n° 9 “Du Nouveau Monde”. Alors qu’il nous a dĂ©jĂ  gratifiĂ© du privilège de la lecture de ses mĂ©moires https://www.classiquenews.com/livres-riccardo-muti-prima-la-musica-larchipel/, le grand chef napolitain Riccardo Muti (78 ans) n’en finit pas d’assurer une prĂ©sence rĂ©gulière Ă  Paris d’annĂ©e en annĂ©e, le plus souvent avec l’Orchestre national de France en tant que chef invitĂ©, ou plus logiquement avec “son” Orchestre symphonique de Chicago, dont il est le directeur musical depuis 2010. C’est prĂ©cisĂ©ment avec la prestigieuse formation amĂ©ricaine qu’on le retrouve Ă  la Philharmonie pour l’un des concerts les plus attendus de la saison – pour preuve la salle remplie Ă  craquer ce vendredi soir.

Riccardo Muti entonne les premières mesures de l’ouverture du Vaisseau fantĂ´me (1843) de manière tonitruante, imprimant une tension palpable, entre attaques sèches aux cuivres et architecture globale bien dessinĂ©e. Les parties plus apaisĂ©es laissent entrevoir un ralentissement de tempo – une constante pendant toute la soirĂ©e – au service d’une lecture plus analytique qui fouille la partition sans jamais sacrifier au rythme. On se rĂ©gale des infimes nuances que le maestro rĂ©vèle avec dĂ©lice, en un art des crescendos et des transitions qui laisse sans voix, Ă©vitant le triomphalisme parfois audible dans cette partition qui donne la part belle aux fanfares de cuivres. Les cuivres, au son clair impressionnant d’aisance, font honneur Ă  la rĂ©putation de l’orchestre, qui n’est plus Ă  faire en ce domaine.

Changement d’atmosphère audible dès le dĂ©but de la superbe Symphonie “Mathis le Peintre” (1934), avec des trombones quasi en sourdine et un premier crescendo très lent qui refuse tout spectaculaire, au service d’une parfaite mise en place et d’un contrĂ´le Ă©minemment corsetĂ© de l’orchestre. Le refus de l’Ă©lan narratif sera une constante pendant les trois mouvements, Muti cherchant davantage Ă  faire ressortir quelques dĂ©tails inattendus dans les contre-champs, en allĂ©geant grandement la texture d’ensemble. Ce geste sans concession fuit Ă©motion et lyrisme pour privilĂ©gier la musique pure, sans aucun rubato. La discipline impressionnante de la formation, tout comme la somme qualitative des individualitĂ©s ici rĂ©unies, donnent Ă  ce parti-pris intellectuel une tenue particulièrement Ă©loquente. Le dernier mouvement “La Tentation de Saint-Antoine”, plus vertical, fonctionne mieux dans cette optique, tant Muti fait valoir sa science des enchainements entre les diffĂ©rents matĂ©riaux assemblĂ©s par Hindemith, en un ton pĂ©remptoire bien vu. Muti fait lĂ  encore entendre quelques dĂ©tails surprenants, de la mise en valeur de couleurs morbides jusqu’aux silences brucknĂ©riens, sans parler des crissements aux cordes aiguĂ«s qui annoncent Britten. Ceux qui voudront rĂ©entendre cette oeuvre au disque devront dĂ©couvrir la version de Wolfang Sawallisch avec l’Orchestre de Philadelphie (Emi, 1995) – d’une perfection classique intemporelle, aux tempi tout aussi Ă©tirĂ©s que Muti, mais plus gĂ©nĂ©reuse dans l’Ă©panchement mĂ©lodique.

Après l’entracte, Riccardo Muti retrouve un ton plus direct avec la plus cĂ©lèbre symphonie de Dvořák, tout en cherchant Ă  faire ressortir quelques dĂ©tails lĂ  encore, notamment d’infimes nuances dans les phrasĂ©s des cordes. Le Largo surprend davantage par son dĂ©pouillement et son cĂ´tĂ© extĂ©rieur, assez froid, qui bĂ©nĂ©ficie pourtant du superbe solo de cor anglais de Scott Hostetler, vivement applaudi en fin de soirĂ©e. Le tutti imprimĂ© par les vents est particulièrement prononcĂ© en contraste, tandis que l’on retrouve Ă  nouveau des sonoritĂ©s morbides aux cordes. Muti impressionne en fin de mouvement en marquant les silences, comme une nouvelle dĂ©monstration de l’absolu maitrise sur sa formation. Quelques bruissements de voix suivent avant que ne dĂ©bute le Scherzo – le public semblant ainsi indiquer sa surprise face Ă  cette interprĂ©tation volontairement peu orthodoxe. C’est prĂ©cisĂ©ment le Scherzo qui montre Muti Ă  son meilleur, accĂ©lĂ©rant le tempo et faisant briller les vents, tandis que le finale voit la bride enfin se desserrer, mais toujours au service d’une leçon de direction d’orchestre dans la lisibilitĂ©, rappelant parfois l’art du regrettĂ© Lorin Maazel (1930-2014). Après avoir recueilli les applaudissements enthousiastes d’un chaleureux public parisien, le chef se tourne vers la salle pour annoncer, en un italien bien dĂ©liĂ© et comprĂ©hensible, un bis dĂ©diĂ© Ă  l’Intermezzo de Fedora de Giordano, qu’il justifie en ces termes : “puisque Paris aime l’opĂ©ra”. Un dernier moment de grâce oĂą Muti laisse entrevoir tout son amour pour le rĂ©pertoire italien, qu’il a constamment dĂ©fendu pendant toute sa carrière, y compris par la rĂ©surrection de raretĂ©s dues Ă  Jommelli, Salieri et tant d’autres.

Compte-rendu, concert. Paris, Philharmonie, le 17 janvier 2020. Wagner : Le Vaisseau fantĂ´me (ouverture), Hindemith : Symphonie “Mathis le Peintre”, Dvořák : Symphonie n° 9 “Du Nouveau Monde”. Orchestre symphonique de Chicago, Riccardo Muti (direction). Illustration : R Muti (DR)

COMPTE-RENDU, opĂ©ra. Gand, Opera Ballet Vlaanderen, le 11 janvier 2019. Dvorak : Rusalka. GiedrÄ— Ĺ lekytÄ— / Alan Lucien Ăyen.

dvorak_antonin3COMPTE-RENDU, opĂ©ra. GAND, OpĂ©ra flamand, le 11 janvier 2019. Dvorak : Rusalka. GiedrÄ— Ĺ lekytÄ— / Alan Lucien Ăyen. Nouveau directeur artistique de l’OpĂ©ra flamand / Opera Ballet Vlaanderen, depuis le dĂ©but de la saison 2019-2020, Jan Vandenhouwe s’est fait connaĂ®tre en France comme dramaturge, notamment Ă  l’occasion de son travail avec Anne Teresa de Keersmaeker pour le Cosi fan tutte prĂ©sentĂ© Ă  l’OpĂ©ra de Paris (voir notre compte-rendu dĂ©taillĂ© en 2017- https://www.classiquenews.com/cosi-fan-tutte-sur-mezzo/). Avec cette nouvelle production de Rusalka (1901), c’est Ă  nouveau Ă  un chorĂ©graphe qu’est confiĂ©e la mission de renouveler notre approche de l’un des plus parfaits chefs d’œuvre du rĂ©pertoire lyrique : en faisant appel au norvĂ©gien Alan Lucien Ăyen, artiste en rĂ©sidence au Ballet national Ă  Oslo, Vandenhouwe ne rĂ©ussit malheureusement pas son pari, tant l’imaginaire visuel minimaliste ici Ă  l’oeuvre, rĂ©duit considĂ©rablement les possibilitĂ©s dramatiques offertes par le livret.

Ăyen choisit en effet de circonscrire l’action dans un dĂ©cor unique pendant toute la reprĂ©sentation, qui Ă©voque une sorte de monumental double paravent en bois, proche d’une Ă©lĂ©gante sculpture contemporaine. Les interstices laissent entrevoir des jeux d’éclairage intĂ©ressants, dont les couleurs dĂ©voilent alternativement les univers humains et marins, sans toutefois apporter de rĂ©elle valeur ajoutĂ©e Ă  la comprĂ©hension des enjeux. On constate très vite qu’Ăyen manque d’idĂ©es et se contente d’une illustration dĂ©corative, mettant au premier plan les danseurs qui doublent les chanteurs (trop statiques), Ă  la manière du travail rĂ©alisĂ© par Pina Bausch dans OrphĂ©e et Eurydice Ă  l’OpĂ©ra de Paris (https://www.classiquenews.com/tag/pina-bausch/). LĂ  oĂą Bausch nous avait Ă©merveillĂ© en restant au plus près des intentions musicales et dramaturgiques de l’ouvrage, Ăyen s’enlise dans des mouvements trop rĂ©pĂ©titifs, aux ondulations nerveuses et dĂ©sarticulĂ©es, au centre de gravitĂ© très bas. Si l’animalitĂ© qui en dĂ©coule peut convenir Ă  l’évocation du merveilleux (ondine et sorcière rĂ©unis), on est beaucoup moins convaincu en revanche sur le travail peu diffĂ©renciĂ© rĂ©alisĂ© avec le Prince et ses courtisans.

 

 

 

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Le plateau vocal réuni permet de retrouver la Rusalka de Pumeza Matshikiza, entendue récemment à Strasbourg (https://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-strasbourg-onr-le-20-oct-2019-dvorak-rusalka-antony-hermus-nicola-raab/). On avoue ne pas comprendre l’enthousiasme du public pour cette chanteuse très inégale, au timbre rocailleux, à l’émission souvent trop étroite, hormis lorsque la voix est bien posée en pleine puissance. Peu à son aise dans les accélérations, la Sud-Africaine ne convainc pas non plus au niveau interprétatif, à l’instar du pâle Prince de Kyungho Kim qui semble réciter son texte. Si le ténor coréen séduit par ses phrasés souples, naturels, bien placés dans l’aigu, il manque de graves pour convaincre totalement au niveau vocal. On perçoit le même défaut de tessiture chez Goderdzi Janelidze qui donne toutefois à son Ondin des intentions plus franches, à la voix généreuse dans l’éclat. Maria Riccarda Wesseling incarne quant à elle une Jezibaba à la technique propre et sans faille, un rien timide dans les possibilités dramatiques de son rôle, tandis que Karen Vermeiren donne à sa Princesse étrangère la solidité vocale requise. La satisfaction vient davantage des seconds rôles, à l’instar du truculent Daniel Arnaldos (Le garde forestier), à l’expression haute en couleur admirable de justesse, ou des parfaites et homogènes trois nymphes.

Mais c’est peut-être plus encore la direction constamment passionnante de la Lituanienne Giedrė Šlekytė (née en 1989) qui surprend tout du long par son à-propos dans la conduite du discours narratif : on aura rarement entendu une telle attention aux nuances, une construction des crescendos aussi criante de naturel, le tout en des tempi vifs, à l’exception notable des pianissimi langoureux. L’étagement des pupitres, comme l’allègement des textures, est un régal de subtilité, même si on aurait aimé davantage de noirceur dans les parties dévolues à l’Ondin ou à la sorcière. Cette baguette talentueuse devrait très vite s’imposer comme l’une des interprètes les plus recherchées de sa génération. A suivre.

 

 

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COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. Gand, OpĂ©ra flamand, le 11 janvier 2019. Dvorak : Rusalka. Pumeza Matshikiza ou Tineke Van Ingelgem (Rusalka), Goderdzi Janelidze (L’Ondin), Maria Riccarda Wesseling (Jezibaba), Kyungho Kim ou Mykhailo Malafii (Le Prince), Karen Vermeiren (La Princesse Ă©trangère), Daniel Arnaldos (Le garde forestier), Justin Hopkins (le chasseur), RaphaĂ«le Green (Le garçon de cuisine), Annelies Van Gramberen (Première nymphe), Zofia Hanna (Deuxième nymphe), RaphaĂ«le Green (Troisième nymphe), ChĹ“ur de l’OpĂ©ra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chĹ“ur), Opera Ballet Vlaanderen, Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, GiedrÄ— Ĺ lekytÄ— (direction musicale) / Alan Lucien Ăyen (mise en scène et chorĂ©graphie). A l’affiche de l’OpĂ©ra flamand, Ă  Gand, jusqu’au 23 janvier 2020.

Illustrations :
La cheffe d’orchestre Giedrė Šlekytė  © Filip Van Roe
Production Opéra des Flandres © Opera Ballet Vlaanderen 2020

 

 

 

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra, le 28 novembre 2019. Borodine : Le Prince Igor. Philippe Jordan / Barrie Kosky.

BorodineCompte-rendu, opéra. Paris, Opéra, le 28 novembre 2019. Borodine : Le Prince Igor. Philippe Jordan / Barrie Kosky. Opéra inachevé de Borodine, (portrait ci contre), Le Prince Igor semble devoir enfin trouver une reconnaissance en dehors de la Russie, comme le prouvent les récentes productions de David Poutney (à Zurich et Hambourg) ou de Dmitri Tcherniakov à New York (voir le compte-rendu du dvd édité à cette occasion http://www.classiquenews.com/tag/borodine), et surtout l’entrée au répertoire de cet ouvrage à l’Opéra national de Paris, avec un plateau vocal parmi les plus éblouissants du moment. Si l’ouvrage reste rare, le grand public en connait toutefois l’un de ses « tubes », les endiablées Danses polovtsiennes, popularisées par le ballet éponyme de Serge Diaghilev monté en 1909.

Comme à New York, on retrouve l’un des grands interprètes du rôle-titre en la personne d’Ildar Abdrazakov, toujours aussi impressionnant d’aisance technique et de conviction dans son jeu scénique, et ce malgré un timbre un peu moins souverain avec les années. A ses côtés, également présente dans la production de Tcherniakov, Anita Rachvelishvili n’en finit plus de séduire le public parisien par ses graves irrésistibles de velours et d’aisance dans la projection. Après son interprétation musclée ici-même voilà un mois (voir le compte-rendu de Don Carlo : http://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-paris-bastille-le-25-oct-2019-verdi-don-carlo-fabio-luisi-krzysztof-warlikowski/), la mezzo géorgienne se distingue admirablement dans un rôle plus nuancé, entre imploration et désespoir.

 

 
 

Le Prince Igor / Barrie Kosky / Philippe Jordan / Alexandre Borodine /

 

 

L’autre grande ovation de la soirée est réservée à Elena Stikhina, dont on peut dire qu’elle est déjà l’une des grandes chanteuses d’aujourd’hui, tant son aisance vocale, entre velouté de l’émission, impact vocal et articulation, sonne juste – hormis quelques infimes réserves dans l’aigu, parfois moins naturel. Cette grande actrice, aussi, se place toujours au service de l’intention et du sens. Pavel Černoch (Vladimir) est peut-être un peu plus en retrait en comparaison, mais reste toutefois à un niveau des plus satisfaisants, compensant son émission étroite dans l’aigu et son manque de puissance, par des phrasés toujours aussi raffinés. On pourra aussi reprocher au Kontchak de Dimitry Ivashchenko des qualités dramatiques limitées, heureusement compensées par un chant aussi noble qu’admirablement posé. A l’inverse, Dmitry Ulyanov compose un Prince Galitsky à la faconde irrésistible d’arrogance, en phase avec le rôle, tout en montrant de belles qualités de projection et des couleurs mordantes. Enfin, Adam Palka et Andrei Popov donnent une énergie comique savoureuse à chacune de leurs interventions, sans jamais se départir des nécessités vocales, surtout la superlative basse profonde d’Adam Palka.
Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, le chevronné Barrie Kosky ne s’attendait certainement pas à pareille bronca, en grande partie imméritée, tant les nombreuses idées distillées par sa transposition contemporaine ont au moins le mérite de donner à l’ouvrage un intérêt dramatique constant, que le faible livret original ne peut raisonnablement lui accorder. Si on peut reprocher à ces partis-pris une certaine uniformité, ceux-ci permettent toutefois de placer immédiatement les enjeux principaux au centre de l’intérêt. Ainsi de la première scène qui montre Igor comme une figure messianique éloignée des contingences matérielles, tout à son but guerrier au détriment de son épouse délaissée. A l’inverse, Kosky décrit Galitsky comme un héritier bling bling et violent, seulement intéressé par les loisirs et autres attraits féminins. La scène de la piscine et du barbecue, tout comme le lynchage de la jeune fille, donne à voir une direction d’acteur soutenue et vibrante – véritable marque de fabrique de l’actuel directeur de l’Opéra-Comique de Berlin.
Ce sera lĂ  une constante de la soirĂ©e, mĂŞme si la deuxième partie surprend par le choix d’une scĂ©nographie glauque et sombre : Kosky y prend quelques libertĂ©s avec le livret, en donnant Ă  voir un Igor ligotĂ© et torturĂ© psychologiquement par ses diffĂ©rents visiteurs. Dès lors, le ballet des danses polovtsiennes ressemble Ă  une nuit de dĂ©lire, oĂą Igor perd pied face au tourbillon des danseurs masquĂ©s autour de lui. L’extravagance pourtant audacieuse des costumes, d’une beautĂ© morbide au charme Ă©trange, provoque quelques rĂ©actions nĂ©gatives dans le public, dĂ©concertĂ© par les contre-pieds avec le livret – de mĂŞme que lors de la scène finale de l’opĂ©ra, oĂą les deux chanteurs annoncent le retour d’Igor. Kosky refuse la naĂŻvetĂ© de l’improbable retournement final : comment croire qu’un peuple hagard va suivre deux soulards factieux pour chanter les louanges d’un sauveur absent ? Au lieu de cela, le groupe se joue des deux malheureux en un ballet satirique tout Ă  fait justifiĂ© au niveau dramatique.

Le chœur de l’Opéra de Paris donne une prestation des grands soirs, portant le souffle épique des grandes pages chorales, assez nombreuses en première partie, de tout son engagement. Dans la fosse, Philippe Jordan montre qu’il est à son meilleur dans ce répertoire, allégeant les aspects grandiloquents pour donner une lecture d’une grâce infinie, marquée par de superbes couleurs dans les détails de l’orchestration. Un grand spectacle à savourer d’urgence pour découvrir l’art de Borodine dans toute son étendue.

 

 
 

 
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Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra, le 28 novembre 2019. Borodine : Le Prince Igor. Philippe Jordan / Barrie Kosky. Ildar Abdrazakov (Prince Igor), Elena Stikhina (Yaroslavna), Pavel Černoch (Vladimir), Dmitry Ulyanov (Prince Galitsky), Dimitry Ivashchenko (Kontchak), Anita Rachvelishvili (Kontchakovna), Vasily Efimov (Ovlur), Adam Palka (Skoula), Andrei Popov (Yeroschka), Marina Haller (La Nourrice), Irina Kopylova (Une jeune Polovtsienne). Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan, direction musicale / mise en scène Barrie Kosky. A l’affiche de l’Opéra de Paris jusqu’au 26 décembre 2019. Photo : Opéra national de Paris 2019 © A Poupeney

 
 

COMPTE-RENDU, critique, opéra. PARIS, Bastille, le 25 oct 2019. VERDI : Don Carlo. Fabio Luisi / Krzysztof Warlikowski.

COMPTE-RENDU, opĂ©ra. PARIS, Bastille, le 25 octobre 2019. Verdi : Don Carlo. Anita Rachvelishvili, RenĂ© Pape… Fabio Luisi / Krzysztof Warlikowski. Parmi les spectacles phares de la saison 2017-2018 de l’OpĂ©ra de Paris figurait la nouvelle production de Don Carlos dans sa version originale de 1866 (en français), rĂ©unissant une double distribution de haut vol – toutefois diversement apprĂ©ciĂ©e par notre rĂ©dacteur Lucas Irom, notamment au niveau du cas problĂ©matique de Jonas Kaufmann dans le rĂ´le-titre:http://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-verdi-don-carlos-le-19-octobre-2017-arte-yoncheva-garance-kaufmann-jordan-warlikowski/ . Place cette fois Ă  la version italienne de 1886, dite «de Modène», oĂą Verdi choisit de rĂ©tablir le premier acte souvent supprimĂ©, tout en conservant les autres modifications ultĂ©rieures : c’est lĂ  l’illustration de vingt ans de tentatives pour amĂ©liorer un ouvrage trop long et touffu, dont la noirceur gĂ©nĂ©rale pourra dĂ©router les habituĂ©s du Verdi plus extraverti et lumineux de La Traviata (1853). Pour autant, en s’attaquant au grand opĂ©ra Ă  la française, le maĂ®tre italien cisèle un diamant noir Ă  la hauteur de son gĂ©nie, oĂą oppression et mal-ĂŞtre suintent par tous les pores des personnages.

 

 

 

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C’est précisément la figure tourmentée du roi Philippe II qui intéresse Krzysztof Warlikowski, caractérisant d’emblée la difficulté à succéder à un monarque aussi illustre que Charles Quint : le sinistre buste en cire du père trône ainsi sur le bureau comme une figure oppressante, avant qu’un acteur ne vienne l’incarner dans les scènes où Philippe croit entendre sa voix. Cette présence continuelle du passé est renforcée par la transposition de l’action au XXème siècle, où les choeurs grimés en visiteurs attendent de découvrir les pièces du château, transformé en musée figé, tandis que les projections vidéos en arrière-scène insistent sur la souffrance intérieure des principaux personnages avec leur visage en gros plan. Si l’idée d’introduire une salle d’entraînement d’escrime peut séduire par sa référence au contexte guerrier sous-jacent, on aime aussi l’allusion aux influences andalouses représentées par la cage rouge aux allures de moucharabieh. On regrette toutefois que Warlikowski n’anime pas davantage sa direction d’acteur et se contente d’un beau jeu sur les volumes avec ses éléments de décor déplacés en bloc, agrandissant ou rétrécissant la vaste scène au besoin. On a là davantage un travail de scénographe, toujours très stylisé, mais malheureusement à côté de la plaque dans la scène de l’autodafé, peu impressionnante avec son amphithéâtre simpliste et ses costumes aussi fastueux que colorés, à mille lieux de l’évocation du rigorisme religieux dénoncé par Verdi.
En revanche, l’idée de faire du Grand Inquisiteur une sorte de chef des services secrets est plutôt bien vue, de même que de placer son duo glaçant avec Philippe dans un oppressant fumoir Art déco au III.

A cette mise en scène inégale répond un plateau vocal de tout premier plan, fort justement applaudi par un public enthousiaste en fin de représentation, et ce malgré le retrait inattendu de Roberto Alagna après le premier entracte pour cause d’état grippal. Le ténor français avait montré quelques signes de faiblesse inhabituels, autour d’une ligne flottante et parfois en léger décalage avec la fosse. Le manque d’éclat face à Aleksandra Kurzak était également notable. Son remplacement par Sergio Escobar ne convainc qu’à moitié, tant la petite voix de l’Espagnol s’étrangle dans les aigus difficiles, compensant ses difficultés techniques par des phrasés harmonieux dans le medium et un timbre chaleureux. Il est vrai qu’il souffre de la comparaison face à ses partenaires, au premier rang desquels René Pape (Philippe II) et sa classe vocale toujours aussi insolente d’aisance sur toute la tessiture, le tout au service d’une composition théâtrale d’une grande vérité dramatique. C’est précisément en ce dernier domaine qu’Anita Rachvelishvili conquiert le public par la force de son incarnation, à l’engagement démonstratif : ses graves mordants, tout autant que ses couleurs splendides, font de ses interventions un régal de chaque instant. A ses côtés, Aleksandra Kurzak s’impose dans un style plus policé, mais d’une exceptionnelle tenue dans la déclamation et la rondeur vocale, notamment des pianissimi de rêve. Il ne lui manque qu’un soupçon de caractère pour incarner toutes les facettes de son rôle, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Autre grande satisfaction de la soirée avec le superlatif Rodrigo d’Étienne Dupuis, aux phrasés inouïs de précision et de raffinement, à la résonance suffisamment affirmée pour faire jeu égal avec ses partenaires en ce domaine. On notera enfin la bonne prestation de Vitalij Kowaljow, qui trouve le ton juste pour donner une grandeur sournoise au Grand Inquisiteur, tandis que le choeur de l’Opéra de Paris se montre bien préparé.

Seule la direction trop élégante de Fabio Luisi déçoit quelque peu dans ce concert de louanges, alors qu’on avait pourtant grandement admiré le geste lyrique du chef italien lors de sa venue à Paris l’an passé pour Simon Boccanegra (https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-paris-le-15-novembre-2018-verdi-simon-boccanegra-luisi-bieito/). Il manque ici la noirceur attendue en de nombreux passages, notamment verticaux, même si les couleurs pastels des parties apaisées séduisent davantage en comparaison.

 

 
 

 

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Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra national de Paris, le 25 octobre 2019. Verdi : Don Carlos. René Pape (Philippe II), Roberto Alagna, Michael Fabiano (Don Carlo), Aleksandra Kurzak, Nicole Car (Elisabeth de Valois), Anita Rachvelishvili (La Princesse Eboli), Étienne Dupuis (Rodrigo), Vitalij Kowaljow (Le Grand Inquisiteur), Eve-Maud Hubeaux (Tebaldo), Tamara Banjesevic (Une voix d’en-haut), Julien Dran (Le comte de Lerme), Chœur de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Fabio Luisi, direction. Krzysztof Warlikowski, mise en scène. A l’affiche de l’Opéra national de Paris jusqu’au 23 novembre 2019. Photo : Agathe POUPENEY/OnP

 

 
 

 

COMPTE-RENDU, critique, opéra. STRASBOURG, ONR, le 20 oct 2019. Dvořák : Rusalka. Antony Hermus / Nicola Raab.

Compte-rendu, opéra. Strasbourg, Opéra national du Rhin, le 20 octobre 2019. Dvořák : Rusalka. Antony Hermus / Nicola Raab.

 

 

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Nicola Raab frappe fort en ce dĂ©but de saison en livrant une passionnante relecture de Rusalka, que l’on pensait pourtant connaĂ®tre dans ses moindres recoins. Très exigeante, sa proposition scĂ©nique nĂ©cessite de bien avoir en tĂŞte le livret au prĂ©alable, tant Raab brouille les pistes Ă  l’envi en superposant plusieurs points de vue ; de l’attendu rĂ©cit initiatique de l’ondine, Ă  l’exploration de la confusion mentale du Prince, sans oublier l’ajout des dĂ©chirements violents d’un couple contemporain en projection vidĂ©o. L’utilisation des images projetĂ©es constitue l’un des temps forts de la soirĂ©e, donnant aussi Ă  voir l’Ă©lĂ©ment marin dans toute sa froideur ou son expression tumultueuse, en miroir des tiraillements des deux hĂ©ros face Ă  leurs destins croisĂ©s : l’Ă©veil Ă  la nature pour le Prince et l’acceptation de la sexualitĂ© pour Rusalka. Au II, face Ă  une Rusalka muette aux allures d’Ă©ternelle adolescente, la Princesse Ă©trangère reprĂ©sente son double positif et sĂ»re d’elle, volontiers rugueux.

 

 

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La scĂ©nographie minimaliste en noir et blanc, puissamment Ă©vocatrice, entre sol labyrinthique et portes Ă  la perspective dĂ©mesurĂ©e, force tout du long le spectateur Ă  la concentration, tandis qu’un simple rideau en arrière-scène permet de dĂ©voiler plusieurs saynètes en mĂŞme temps, notamment quelques flash back avec Rusalka interprĂ©tĂ©e par une enfant. Cette idĂ©e rend plus fragile encore l’hĂ©roĂŻne, dont la sorcière Jezibaba serait l’infirmière au temps de l’adolescence (une idĂ©e dĂ©jĂ  dĂ©veloppĂ©e par David Pountney pour l’English National Opera en 1986 – un spectacle disponible en dvd). Une autre piste suggĂ©rĂ©e consiste Ă  imaginer Rusalka comme un fantĂ´me qui revit les Ă©vĂ©nements en boucle, ce que suggère la blessure de chasse reçue en fin de première partie. Quoiqu’il en soit, ces multiples interprĂ©tations font de ce spectacle l’un des plus riches imaginĂ© depuis longtemps, Ă  voir et Ă  revoir pour en saisir les moindres allusions.
Après la rĂ©ussite de la production de Francesca da Rimini, donnĂ©e ici-mĂŞme voilĂ  deux ans http://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-strasbourg-le-8-decembre-2017-zandonai-francesca-da-rimini-giuliano-carella-nicola-raab/, voilĂ  un nouveau succès Ă  mettre au crĂ©dit de l’OpĂ©ra du Rhin (par ailleurs rĂ©cemment honorĂ© par le magazine allemand Opernwelt en tant qu’”OpĂ©ra de l’annĂ©e 2019″ ).

Le plateau vocal rĂ©uni pour l’occasion donne beaucoup de satisfaction pendant toute la reprĂ©sentation, malgrĂ© quelques rĂ©serves de dĂ©tail. Ainsi de la Rusalka de Pumeza Matshikiza, dont la rondeur d’Ă©mission trouve quelques limites dans l’aigu, un peu plus Ă©troit dans le haut de la tessiture. La soprano sud-africaine semble aussi fatiguer peu Ă  peu, engorgeant ses phrasĂ©s outre mesure. Des limites techniques heureusement compensĂ©es par une interprĂ©tation fine et fragile, en phase avec son rĂ´le. A ses cĂ´tĂ©s, Bryan Register manque de puissance dans la fureur, mais trouve des phrasĂ©s inouĂŻs de prĂ©cision et de sensibilitĂ©, Ă  mĂŞme de procurer une vive Ă©motion lors de la scène de la dĂ©couverte de Rusalka, puis en toute fin d’ouvrage.
Attila Jun est plus décevant en comparaison, composant un pâle Ondin au niveau interprétatif, aux graves certes bien projetés, mais plus en difficulté dans les accélérations aiguës au II. Rien de tel pour Patricia Bardon (Jezibaba) qui donne la prestation vocale la plus étourdissante de la soirée, entre graves gorgés de couleurs et interprétation de caractère. On espère vivement revoir plus souvent cette mezzo de tout premier plan, bien trop rare en France. Outre les parfaits seconds rôles, on mentionnera la prestation inégale de Rebecca Von Lipinski (La Princesse étrangère), qui se montre impressionnante dans la puissance pour mieux décevoir ensuite dans le medium, avec des phrasés instables.

 

 


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Enfin, les chĹ“urs de l’OpĂ©ra national du Rhin se montrent Ă  la hauteur de l’Ă©vĂ©nement, tandis qu’Antony Hermus confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui, en Ă©pousant d’emblĂ©e le propos torturĂ© imaginĂ© par Raab. Toujours attentif aux moindres inflexions du rĂ©cit, le chef nĂ©erlandais alanguit les passages lents en des couleurs parfois morbides, pour mieux opposer en contraste la vigueur des verticalitĂ©s. Les rares passages guillerets, tels que l’intervention moqueuse des nymphes ou les maladresses du garçon de cuisine, sont volontairement tirĂ©s vers un cĂ´tĂ© sĂ©rieux, en phase avec la mise en scène. Un très beau travail qui tire le meilleur de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.

 

 

 
 

 
 

 

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Compte-rendu, opĂ©ra. Strasbourg, OpĂ©ra national du Rhin, le 20 octobre 2019. Dvořák : Rusalka. Pumeza Matshikiza (Rusalka), Attila Jun (L’Ondin), Patricia Bardon (Jezibaba), Bryan Register (Le Prince), Rebecca Von Lipinski (La Princesse Ă©trangère), Jacob Scharfman (Le chasseur, Le garde forestier), Claire PĂ©ron (Le garçon de cuisine), Agnieszka Slawinska (Première nymphe), Julie Goussot (Deuxième nymphe), EugĂ©nie Joneau (Troisième nymphe), ChĹ“urs de l’OpĂ©ra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg. Antony Hermus / Nicola Raab. A l’affiche de l’OpĂ©ra national du Rhin, du 18 au 26 octobre 2019 Ă  Strasbourg et les 8 et 10 novembre 2019 Ă  Mulhouse. Photo : Klara Beck.

 

 

 

 

 

COMPTE-RENDU, critique, opéra. NANCY, le 17 oct 2019. REYER : Sigurd. Frédéric Chaslin (version de concert).

SIGURD-REYER-opera-de-nancy-production-nouvelle-annonce-critique-opera-classiquenewsCompte-rendu, opĂ©ra. Nancy, OpĂ©ra national de Lorraine, le 17 octobre 2019. Reyer : Sigurd. FrĂ©dĂ©ric Chaslin (version de concert). Pour fĂŞter le centenaire de la construction de son théâtre actuel, idĂ©alement situĂ© sur la place Stanislas Ă  Nancy, l’OpĂ©ra de Lorraine a eu la bonne idĂ©e de plonger dans ses archives pour remettre au goĂ»t du jour le rare Sigurd (1884) d’Ernest Reyer (1823-1909) – voir notre prĂ©sentation dĂ©taillĂ©e de l’ouvrage http://www.classiquenews.com/sigurd-de-reyer-a-nancy/ Qui se souvenait en effet que le chef d’oeuvre du compositeur d’origine marseillaise avait Ă©tĂ© donnĂ© en 1919 pour l’ouverture du nouveau théâtre nancĂ©ien ? Cette initiative est Ă  saluer, tant le retour de ce grand opĂ©ra sur les scènes contemporaines reste timide, de Montpellier en 1994 Ă  Genève en 2013, Ă  chaque fois en version de concert. On notera que FrĂ©dĂ©ric Chaslin et Marie-Ange Todorovitch sont les seuls rescapĂ©s des soirĂ©es donnĂ©es Ă  Genève voilĂ  six ans.

D’emblĂ©e, la fascination de Reyer pour Wagner se fait sentir dans le choix du livret, adaptĂ© de la saga des Nibelungen : pour autant, sa musique spectaculaire n’emprunte guère au maĂ®tre de Bayreuth, se tournant davantage vers les modèles Weber, Berlioz ou Meyerbeer. La prĂ©sence monumentale des choeurs et des interventions en bloc homogène traduit ainsi les influences germaniques, tandis que l’instrumentation manque de finesse, se basant principalement sur l’opposition rigoureuse des pupitres de cordes, avec une belle assise dans les graves et des bois piquants en ornementation. La première partie guerrière tombe ainsi dans le pompiĂ©risme avec les mĂ©lodies faciles des nombreux passages aux cuivres, il est vrai aggravĂ© par la direction trop vive de FrĂ©dĂ©ric Chaslin, … aux attaques franches et peu diffĂ©renciĂ©es. Le chef français se rattrape par la suite, dans les trois derniers actes, lorsque l’inspiration gagne en richesse de climats, tout en restant prĂŞte Ă  s’animer de la verticalitĂ© des inĂ©vitables conflits. MalgrĂ© quelques parties de remplissage dans les quelques 3h30 de musique ici proposĂ©es, Reyer donne Ă  son ouvrage un souffle Ă©pique peu commun, qui nĂ©cessite toutefois des interprètes Ă  la hauteur de l’évĂ©nement.

SIGURD Ă  Nancy
un souffle épique peu commun
un superbe plateau…

 

 

C’est prĂ©cisĂ©ment le cas avec le superbe plateau entièrement francophone (Ă  l’exception du rĂ´le-titre) rĂ©uni pour l’occasion : le tĂ©nor britannique Peter Wedd (Sigurd) fait valoir une diction très satisfaisante, Ă  l’instar d’un Michael Spyres (entendu dans un rĂ´le Ă©quivalent cet Ă©tĂ© pour Fervaal https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-montpellier-le-24-juil-2019-dindy-fervaal-spyres-schonwandt). Les quelques passages en force, bien excusables tant le rĂ´le multiplie les difficultĂ©s, sont d’autant plus comprĂ©hensibles que  Peter Wedd multiplie les prises de risque, en un engagement dramatique constant. On lui prĂ©fère toutefois le Gunter de Jean-SĂ©bastien Bou, toujours impeccable dans l’Ă©loquence et l’intelligence des phrasĂ©s. Des qualitĂ©s Ă©galement audibles chez JĂ©rĂ´me Boutillier (Hagen), avec quelques couleurs supplĂ©mentaires, mais aussi un manque de tessiture grave en certains endroits dans ce rĂ´le.

Vivement applaudie, Catherine Hunold (Brunehild) fait encore valoir toute sa sensibilitĂ© et ses nuances au service d’une interprĂ©tation toujours incroyable de vĂ©ritĂ© dramatique, bien au-delĂ  des nĂ©cessitĂ©s requises par une version de concert. On ne dira jamais combien cette chanteuse aurait pu faire une carrière plus Ă©clatante encore si elle avait Ă©tĂ© dotĂ©e d’une projection plus affirmĂ©e, notamment dans les accĂ©lĂ©rations. L’une des grandes rĂ©vĂ©lations de la soirĂ©e nous vient de la Hilda de Camille Schnoor, dont le veloutĂ© de l’Ă©mission et la puissance ravissent tout du long, en des phrasĂ©s toujours nobles. A l’inverse, Marie-Ange Todorovitch (Uta) fait valoir son tempĂ©rament en une interprĂ©tation plus physique, en phase avec son rĂ´le de mère blessĂ©e, faisant oublier un lĂ©ger vibrato et une ligne parfois hachĂ©e par un sens des couleurs et des graves toujours aussi mordants. On soulignera enfin les interventions superlatives de Nicolas Cavallier et Eric Martin-Bonnet dans leurs courts rĂ´les, tandis que les choeurs des OpĂ©ras de Lorraine et d’Angers Nantes se montrent très prĂ©cis tout du long, surtout cotĂ© masculin.

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COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. Nancy, OpĂ©ra national de Lorraine, le 17 octobre 2019. Reyer : Sigurd. Peter Wedd (Sigurd), Jean-SĂ©bastien Bou (Gunter), JĂ©rĂ´me Boutillier (Hagen), Catherine Hunold (Brunehild), Camille Schnoor (Hilda), Marie-Ange Todorovitch (Uta), Nicolas Cavallier (Un prĂŞtre d’Odin), Eric Martin-Bonnet (Un barde), Olivier Brunel (Rudiger), ChĹ“ur de l’OpĂ©ra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chĹ“ur), ChĹ“ur d’Angers Nantes OpĂ©ra, Xavier Ribes (chef de chĹ“ur), Orchestre de l’OpĂ©ra national de Lorraine, FrĂ©dĂ©ric Chaslin (version de concert). A l’affiche de l’OpĂ©ra national de Lorraine les 14 et 17 octobre 2019. Photo : OpĂ©ra national de Lorraine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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APPROFONDIR (NDLR)*
L’actuelle exposition Ă  Paris : DEGAS Ă  l’opĂ©ra a mis en lumière le goĂ»t musical du peintre indĂ©pendant qui a exposĂ© avec les impressionnistes. Degas a applaudi Ă©perdument la soprano ROSA CARON crĂ©atrice du rĂ´lede Brunnhilde dans SIGURD  de REYER. L’enthousiasme du peintre, inventeur de l’art moderne en peinture Ă  l’extrĂŞme fin du XIXè fut tel que Degas Ă©crivit mĂŞme un poème pour exprimer l’émotion qui lui procurait Sigurd (applaudi plus de 36 fois Ă  l’OpĂ©ra de Paris)… Degas Ă©tait partisan du grand opĂ©ra Ă  la française quand beaucoup d’intellectuels parisiens prĂ©fĂ©raient alors l’opĂ©ra “du futur”, celui de Wagner…  LIRE notre prĂ©sentation de l’exposition « DEGAS Ă  l’opĂ©ra » jusqu’au janvier 2020 :

http://www.classiquenews.com/degas-a-lopera-presentation-de-lexposition-a-orsay/

* note / ajout de la Rédaction

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra, le 27 septembre 2019. Rameau : Les Indes galantes. Leonardo García Alarcón / Clément Cogitore.

Compte-rendu, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra, le 27 septembre 2019. Rameau : Les Indes galantes. Leonardo GarcĂ­a AlarcĂłn / ClĂ©ment Cogitore. Il est finalement peu de soirĂ©es Ă  l’issue desquelles on a l’impression d’avoir assistĂ© Ă  un spectacle qui fera date pour une gĂ©nĂ©ration, et ce malgrĂ© quelques imperfections bien comprĂ©hensibles pour une toute première mise en scène d’opĂ©ra. Ainsi de ces Indes galantes confiĂ©es au plasticien d’origine alsacienne ClĂ©ment Cogitore (36 ans), jeune surdouĂ© touche Ă  tout qui s’est illustrĂ© aussi bien dans les expositions d’art contemporain qu’au cinĂ©ma (CĂ©sar du meilleur premier film pour « Ni le ciel ni la terre », en 2016). Son travail surprend ici par l’aura de mystère et d’imprĂ©visible constamment Ă  l’oeuvre, le tout baignĂ© dans une pĂ©nombre Ă©nigmatique et envoĂ»tante, toujours animĂ©e des chorĂ©graphies endiablĂ©es de Bintou DembĂ©lĂ©. Si l’on est guère surpris de trouver la danse aussi prĂ©sente dans cet ouvrage qui marie si bien les genres, c’est bien davantage l’apport de danses issues des «quartiers» (banlieues ou citĂ©s – peu importe le nom politiquement correct Ă  donner), qui enthousiasme par sa richesse expressive. En faisant appel Ă  la compagnie RualitĂ©, le hip hop fait ainsi son entrĂ©e au rĂ©pertoire de la grande maison, sans jamais sacrifier au style.

 

 

COGITORE chez Rameau :
l’ombre du mystère, de l’imprévisible…

 

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Cogitore a la bonne idée de lier les différentes entrées du livret en parsemant l’ouvrage de fils rouges, tout particulièrement la problématique de l’apparence et du costume que l’on endosse pour rendre crédible le rôle que la société tend à nous faire jouer : le prologue donne ainsi à voir l’habillage à vue des danseurs comme un miroir du nécessaire apprentissage des conventions sociales, avant que les trois entrées successives n’opposent les puissants et leurs obligés par l’omniprésence d’un Etat policier incarné par des CRS aux faux airs de samouraïs. Faut-il reconnaître des migrants syriens dans les réfugiés visibles à l’issue de la tempête de l’entrée du Turc généreux ? On le croit, tant le message de Cogitore consiste à nous rappeler combien la communauté humaine se doit d’être unie, bien au-delà de l’illusion des rôles et des égoïsmes nationaux.

Le spectacle perd toutefois en force en deuxième partie, lorsque la danse se fait moins prĂ©sente. Si la première partie comique de l’entrĂ©e des Fleurs s’avère sĂ©duisante par son dĂ©cor de quartier rouge, le spectacle n’évite pas ensuite quelques naĂŻvetĂ©s avec son manège, sa «chanteuse papillon» dans les airs ou ses pom-pom girls maladroites, avant de se reprendre par quelques bonnes idĂ©es, tel le joueur de flĂ»te qui conduit les enfants et surtout la brillante conclusion en arche : la reprise inattendue du dĂ©filĂ© de mode du prologue permet une revue de tous les artistes du spectacle, chanteurs et danseurs, noyant la chaconne conclusive sous les applaudissements dĂ©chaĂ®nĂ©s du public. De mĂ©moire de spectateur, on n’a jamais entendu une audience aussi impatiente dans la manifestation de son plaisir, en une ambiance digne d’un concert pop, rompant en cela tous les codes de l’opĂ©ra : cette spontanĂ©itĂ© dĂ©montre combien le spectacle a fait mouche, le tout sous le regard du «tout-Paris» venu en nombre pour l’occasion, sans doute attirĂ© par les promesses de cette production. On aura ainsi rarement vu autant de directeurs de maisons d’opĂ©ra – Amsterdam, Anvers, Versailles ou Dijon – Ă  une première.

La grande réussite du spectacle revient tout autant au grand chef baroque Leonardo García Alarcón, dont on essaie désormais de ne rater aucune de ses grandes productions lyriques. Après la réussite d’Eliogabalo de Cavalli voilà trois ans http://www.classiquenews.com/tag/eliogabalo/, le chef argentin fait à nouveau valoir l’intensité expressive dans l’opposition détaillée des plans sonores, le tout en une attention de tous les instants à ses chanteurs. Tout le plateau vocal réuni n’appelle que des éloges par sa jeunesse irradiante et son français parfaitement prononcé.

Ainsi de Stanislas de Barbeyrac, à l’éloquence triomphante et puissante, et plus encore d’Alexandre Duhamel, impressionnant de présence dans son hymne au soleil, notamment. Florian Sempey n’est pas en reste dans la diction, même si on note une tessiture un peu juste dans les graves dans le prologue. Edwin Crossley-Mercer assure bien sa partie malgré un timbre un rien trop engorgé, tandis que Mathias Vidal soulève encore l’enthousiasme par son chant généreux et engagé, et ce malgré un aigu un rien difficile dans certains passages. Mais ce sont plus encore les femmes qui donnent à se réjouir du spectacle, tout particulièrement la grâce diaphane, les nuances et les phrasés aériens de Sabine Devieilhe, véritable joyau tout du long. Jodie Devos et Julie Fuchs sont des partenaires de luxe, vivement applaudies elles aussi, de même que l’excellent Choeur de chambre de Namur, toujours aussi impressionnant de justesse et d’investissement.

 

 
 

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Compte-rendu, opĂ©ra. Paris, OpĂ©ra Bastille, le 27 septembre 2019. Rameau : Les Indes galantes. Sabine Devieilhe (HĂ©bĂ©, Phani, Zima), Jodie Devos (Amour, ZaĂŻre), Julie Fuchs (Emilie, Fatime), Mathias Vidal (Valère, Tacmas), Stanislas de Barbeyrac (Carlos, Damon), Florian Sempey (Bellone, Adario), Alexandre Duhamel (Huascar, Alvar), Edwin Crossley-Mercer (Osman, Ali), danseurs de la compagnie RualitĂ©. Choeur de chambre de Namur, MaĂ®trise des Hauts-de-Seine, Choeur d’enfants de l’OpĂ©ra national de Paris, Orchestre Cappella Mediterranea, Leonardo GarcĂ­a AlarcĂłn, direction musicale / mise en scène ClĂ©ment Cogitore. A l’affiche de l’OpĂ©ra de Paris jusqu’au 15 octobre 2019. Photo : © Little Shao / ONP OpĂ©ra national de Paris 2019…

 

 

Compte-rendu, concert. Montpellier, le 25 juillet 2019. Nielsen, Lindberg, Sibelius : Symph n°1 / Rouvali.

COMPTE-RENDU, concert. MONTPELLIER, Le Corum, OpĂ©ra Berlioz, le 25 juillet 2019. Nielsen : Maskarade, Lindberg : Concerto pour clarinette, Sibelius : Symphonie n° 1 – Le phĂ©nomène Santtu-Matias Rouvali fait son retour au festival de Radio France Occitanie Montpellier avec pas moins de deux concerts, donnĂ©s cette fois avec “son” Orchestre de Tampere (troisième ville de Finlande). Outre l’intĂ©rĂŞt de dĂ©couvrir cette formation dans nos contrĂ©es, c’est aussi l’occasion de parfaire notre connaissance de ce chef encensĂ© par une critique quasi unanime, notamment ici-mĂŞme l’an passĂ© (http://www.classiquenews.com/compte-rendu-concert-montpellier-le-22-juillet-2018-adams-ravel-stravinsky-chamayou-philh-de-radio-france-rouvali/) ou plus rĂ©cemment au disque (https://www.classiquenews.com/cd-critique-sibelius-symphonie-n1-en-saga-gothenburg-symphony-santtu-matias-rouvali-1-cd-alpha-2018/). Dès son entrĂ©e en scène pour le premier concert, l’aspect juvĂ©nile du chef de 34 ans surprend, entre allure d’Ă©ternel adolescent et tignasse flamboyante qui lui donne des faux-airs de … Simon Rattle. La battue est un autre motif d’attention, tant le corps tout entier se fond dans une sorte de ballet gracieux, aussi prĂ©cis qu’Ă©nergique. Si la main droite marque le tempo d’une rĂ©gularitĂ© de mĂ©tronome avec la baguette, c’est davantage l’autre main qui passionne par la variĂ©tĂ© de ses intentions, des attaques aux indications de nuances.

SIBELIUS ROUVALI symphoni 1 en saga critique cd review cd classiquenews CLIC de classiquenews actus cd musique classique opera concerts festivals annonce 5c41f9e9847d2C’est peu dire que l’Orchestre de Tampere rĂ©pond comme un seul homme Ă  Rouvali, qui semble imprimer la moindre de ses volontĂ©s tout du long. L’ancien Ă©lève de Jorma Panula se saisit de l’ouverture de l’opĂ©ra Maskarade (1906), en faisant ressortir l’individualitĂ© des pupitres, sans jamais perdre de vue l’Ă©lan narratif global. Il parvient ainsi Ă  donner une cohĂ©rence Ă  cette brève page souvent oubliĂ©e de nos programmes de concert – mĂŞme si la prĂ©sence Ă  Montpellier du Danois Michael Schonwandt, grand spĂ©cialiste de Nielsen, n’est sans doute pas Ă©trangère Ă  cette audace. EspĂ©rons que d’autres compositeurs nordiques, tels que Madetoja ou Tubin, sauront trouver le chemin des concerts montpelliĂ©rains, Ă  l’instar du rare Concerto pour clarinette (2002) de Magnus Lindberg. C’est lĂ  un grand plaisir que de retrouver cette oeuvre d’inspiration post-romantique, qui semble rencontrer un bel accueil du public et s’imposer logiquement au rĂ©pertoire.

 

 

Finesse, élasticité du jeune ROUVALI…

 

 

L’approche de Rouvali Ă©tonne avec un tempo très lent au dĂ©but (une constante que l’on retrouvera dans la suite de la soirĂ©e lors des soli aux bois volontairement Ă©tirĂ©s), avant de faire Ă©clater une myriade de couleurs en un geste aĂ©rien et lumineux. Le Finlandais n’hĂ©site pas Ă  jouer avec les tempi pour surprendre l’auditoire, tout en faisant ressortir quelques dĂ©tails de l’orchestration. Sa direction Ă©vite ainsi toute lourdeur et place la clarinette somptueuse de Jean-Luc Votano au premier plan, en nous dĂ©lectant de son aisance technique et de ses phrasĂ©s radieux. Votano n’a pas son pareil pour se jouer des multiples sonoritĂ©s demandĂ©es par Lindberg (prĂ©sent dans la salle et applaudi sur scène Ă  l’issue du concert), des bizarreries rugueuses aux emprunts jazzy façon Gershwin ; sans parler de ce passage oĂą la clarinette volontairement inaudible ne laisse entendre qu’un lĂ©ger tapoti sur les diffĂ©rents corps de l’instrument. L’emphase reprend vite ses droits avec les nombreux et brefs crescendos, dĂ©veloppĂ©s en une intensitĂ© nerveuse et Ă©motionnelle qui rappelle souvent Lutoslawski. En bis, Jean-Luc Votano nous rĂ©gale d’un bel hommage Ă  Manuel Falla, autour d’une assistance visiblement rĂ©jouie.

ROUVALI concert maestro montpellier critique concert classiquenewsApres l’entracte, le public retrouve un rĂ©pertoire mieux connu avec la Première symphonie (1899) de Sibelius, qui raisonne en une lecture Ă©loignĂ©e des influences romantiques, afin de faire ressortir la lĂ©gèretĂ© diaphane de l’orchestration. LĂ  encore, le sens de l’Ă©lasticitĂ© cher Ă  Rouvali soigne la mise en place tout en proposant en contraste quelques fulgurances inattendues. Le premier mouvement se termine dans une noirceur quasi immobile, avant le dĂ©but faussement doucereux de l’Andante, qui trouve une rĂ©ponse Ă©nergique dans la violence des cordes exacerbĂ©es. Le Scherzo Ă©clate ensuite d’une ivresse rythmique Ă  la raideur glaçante, en un tempo vif et sans vibrato. Un peu plus sĂ©quentiel, c’est lĂ  peut-ĂŞtre le mouvement le moins rĂ©ussi de cette superbe soirĂ©e. C’est dans le finale que Rouvali montre une maitrise superlative, tout particulièrement dans les dernières mesures ralenties, qui ne laissent aucune place Ă  l’apothĂ©ose attendue – dans la lignĂ©e d’un Kurt Sanderling. On a hâte de l’entendre dans le mouvement conclusif de la Cinquième de Chostakovitch, oĂą son style pĂ©remptoire devrait faire lĂ  aussi merveille. Gageons que son prochain engagement Ă  la tĂŞte du Philharmonia de Londres, oĂą il succède Ă  Salonen (un autre Ă©lève de Jorma Panula), saura le diriger vers ce type d’ouvrages spectaculaires. En bis, Rouvali abandonne sa baguette pour laisser l’orchestre s’emparer de la Valse triste de Sibelius,  en une vivacitĂ© de tempo et une expression des nuances toujours aussi exaltantes, Ă  mĂŞme de conclure brillamment ce très beau concert.

 

 

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Compte-rendu, concert. Montpellier, Le Corum, Opéra Berlioz, le 25 juillet 2019. Nielsen : Maskarade, Lindberg : Concerto pour clarinette, Sibelius : Symphonie n° 1. Jean-Luc Votano (clarinette), Orchestre philharmonique de Tampere, Santtu-Matias Rouvali (direction). Crédit photo / illustration : © Luc Jennepin

 

 

Compte-rendu, opĂ©ra. Montpellier, le 24 juil 2019. D’Indy : Fervaal. Spyres, Schonwandt

montpellier festival radio france 2019 soleil de nuit concerts annonce critique opera classiquenewsCompte-rendu, opĂ©ra en version de concert. Montpellier, Le Corum, OpĂ©ra Berlioz, le 24 juillet 2019. D’Indy : Fervaal. Spyres, Arquel, Bou… Schonwandt (version de concert). Neuf ans après la rĂ©crĂ©ation en version de concert de L’Etranger (1903) de Vincent d’Indy (voir notre prĂ©sentation du disque Ă©ditĂ© en 2013 par Accord : https://www.classiquenews.com/dindy-letranger-foster-20101-cd-accord/), le festival de Radio France remet au gout du jour la musique du compositeur avec l’un de ses ouvrages les plus emblĂ©matiques, Fervaal (1897) – voir notre prĂ©sentation : https://www.classiquenews.com/vincent-dindy-fervaal-1897france-musique-dimanche-29-mars-2009-14h30/

Souvent qualifiĂ© de “Parsifal français”, l’ouvrage laisse transparaĂ®tre l’immense admiration pour Wagner, en choisissant tout d’abord d’ĂŞtre son propre librettiste, puis en puisant son inspiration dans la mythologique nordique, ici transposĂ©e au service de la glorification du peuple celte. Au travers du parcours initiatique de Fervaal, d’Indy met en avant ses obsessions militantes, entre patriotisme royaliste et ferveur catholique, incarnĂ©es par le mythe du sauveur, ici adoubĂ© par le double pouvoir religieux et politique contre les menaces des envahisseurs sarrasins. L’avènement d’un monde nouveau en fin d’ouvrage signe la fin des temps obscurs et du paganisme, tandis que les destins individuels sont sacrifiĂ©s au service de cette cause. La misogynie et le profond pessimisme de d’Indy suintent tout du long, rĂ©pĂ©tant Ă  l’envi combien l’amour n’enfante que douleur : la femme, dans ce contexte, ne peut reprĂ©senter que l’enchanteresse qui dĂ©tourne du devoir, rappelant en cela les sortilèges sĂ©ducteurs de la Dalila de Saint-SaĂ«ns.

dindy_etranger_foster_tezier_cd_accord_vincent_DindySi le livret tient la route jusqu’au spectaculaire conseil des chefs, et ce malgrĂ© une action volontairement statique en première partie, il se perd ensuite dans un redondant deuxième duo d’amour et un interminable finale pompeux. InitiĂ© en 1878, l’ouvrage trahit sa longue et difficile gestation par la diversitĂ© de ses influences musicales, de l’emphase savante empruntĂ©e Ă  Meyerbeer et Berlioz au II et III, au langage plus personnel avant l’entracte. D’un minimalisme aride, difficile d’accès, le prologue et le I entremĂŞlent ainsi de courts motifs aux effluves lĂ©gèrement dissonantes, rĂ©vĂ©lateurs d’ambiances fascinantes et envoĂ»tantes, au dĂ©triment de l’expression de mĂ©lodies plus franches. L’orchestration laisse les cordes au deuxième plan pour privilĂ©gier les vents, tandis que les solistes s’affrontent en des tirades dĂ©clamatoires Ă©tirĂ©es, semblant se parler davantage Ă  eux-mĂŞmes qu’Ă  leurs interlocuteurs.

On pourra Ă©videmment regretter le peu d’interaction entre les solistes rĂ©unis Ă  Montpellier, alors que d’autres versions de concert se prĂŞtent parfois au jeu d’une animation minimale du plateau, Ă  l’instar de celles proposĂ©es par RenĂ© Jacobs. Quoi qu’il en soit, on note d’emblĂ©e le trait d’humour bienvenu de Michael Spyres (Fervaal) qui arbore un kilt sombre, sans doute pour rappeler ses origines celtes, avant de s’emparer de ce rĂ´le impossible avec la vaillance et l’Ă©clat des grands jours : très Ă  l’aise tout au long de la soirĂ©e, il reçoit logiquement une ovation debout en fin de reprĂ©sentation. Ses deux principaux partenaires se montrent Ă©galement Ă  la hauteur de l’Ă©vĂ©nement, tout particulièrement GaĂ«lle Arquez (Guilhen) dont la puretĂ© du timbre et la rondeur d’Ă©mission ronde ne sacrifient jamais la comprĂ©hension du texte. On note toutefois quelques lĂ©gers problèmes de placement de voix dans les interventions brusques – qui ne gâchent pas la très bonne impression d’ensemble.
Mais c’est peut-ĂŞtre plus encore Jean-SĂ©bastien Bou (Arfagard) qui sĂ©duit par son talent dramatique et l’intensitĂ© de ses phrasĂ©s, portĂ©s par une diction minutieuse. On lui pardonnera volontiers une tessiture limite dans les graves, tout autant qu’un manque de couleurs vocales ; d’autant plus que le baryton français semble souffrir d’une toux qui lui voile lĂ©gèrement l’Ă©mission, ici et lĂ . A ses cotĂ©s, hormis un inaudible RĂ©my Mathieu, les seconds rĂ´les affichent une fort belle tenue, surtout Ă  l’oeuvre dans la scène du conseil prĂ©citĂ©e. On mentionnera encore une fois la prestation parfaite de JĂ©rome Boutillier, entre aisance vocale et interprĂ©tation de caractère, qui le distingue de ses acolytes.

On n’est guère surpris de voir Michael Schonwandt tirer le meilleur de l’Orchestre de l’OpĂ©ra national Montpellier Occitanie, en un geste classique très Ă©quilibrĂ© qui convainc tout du long, Ă  l’instar des deux choeurs très bien prĂ©parĂ©s. Outre la diffusion sur France Musique, un disque devrait parachever cette renaissance de l’un des monuments de la musique française de la fin du XIXème siècle, dans la lignĂ©e de ses contemporains Chausson et Magnard.

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Compte-rendu, opĂ©ra en version de concert. Montpellier, Le Corum, OpĂ©ra Berlioz, le 24 juillet 2019. D’Indy : Fervaal. Michael Spyres (Fervaal), GaĂ«lle Arquez (Guilhen), Jean-SĂ©bastien Bou (Arfagard), Elisabeth Jansson (Kaito), Nicolas Legoux (Grympuig), Eric Huchet (Leensmor), KaĂ«lig BochĂ© (Edwig), Camille Tresmontant (paysan, Chennos),  François Piolino (Ilbert), RĂ©my Mathieu (Ferkemnat, Moussah), Matthieu LĂ©ccroart (Geywihr, paysan), Eric Martin-Bonnet (Penwald, Buduann), Pierre Doyen (messager, paysan), JĂ©rĂ´me Boutillier (paysan, Gwelkingubar), Anas SĂ©guin (Berddret), Guilhem Worms (Helwrig), François Rougier (paysan, berger, barde). Choeur de la radio lettone, Choeur et Orchestre de l’OpĂ©ra national Montpellier Occitanie, Michael Schonwandt (direction).

COMPTE-RENDU, critique, opéra. ORANGE, Théâtre antique, le 10 juil2019. ROSSINI : Guillaume Tell. Gianluca Capuano / Jean-Louis Grinda

COMPTE-RENDU, opéra. ORANGE, Théâtre antique, le 10 juillet 2019. Rossini : Guillaume Tell. Gianluca Capuano / Jean-Louis Grinda. Pour fêter ses cinquante ans d’existence, les Chorégies d’Orange 2019 s’offre de présenter pour la première fois le tout dernier ouvrage lyrique de Rossini, Guillaume Tell (1829), seulement un an après l’inévitable Barbier de Séville (https://www.classiquenews.com/ompte-rendu-opera-choregies-dorange-2018-le-4-aout-2018-rossini-le-barbier-de-seville-sinivia-bisanti). Plus rares en France, les opéras dit « sérieux » de Rossini pourront surprendre le novice, tant le compositeur italien s’éloigne des séductions mélodiques et de l’entrain rythmique de ses ouvrages bouffes, afin d’embrasser un style plus varié, très travaillé au niveau des détails de l’orchestration, sans parler de l’adjonction des musiques de ballet et du refus de la virtuosité vocale pure (dans la tradition du chant français).

 
 

GUILLAUME TELL Ă  ORANGE

  

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Annick Massis (Mathilde)

 

 

Composé pour l’Opéra de Paris en langue française, Guillaume Tell a immédiatement rencontré un vif succès, sans doute en raison de son livret patriotique qui fit alors raisonner les échos nostalgiques des victoires napoléoniennes passées, et ce en période de troubles politiques, peu avant la Révolution de Juillet 1830.
Aujourd’hui, le style ampoulé des nombreux récitatifs, surtout au début, dessert la popularité de l’ouvrage. Pour autant, du point de vue strictement musical, on ne peut qu’admirer la science de l’orchestre ici atteinte par Rossini, qui évoque à plusieurs reprises la musique allemande, de Beethoven à Weber.

Il faut dire que la plus grande satisfaction de la soirée vient précisément de la fosse, avec un Gianluca Capuano très attentif à la continuité du discours musical, tout en révélant des détails savoureux ici et là. Seule l’ouverture laisse quelque peu sur sa faim avec un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo qui met un peu de temps à se chauffer, sans être aidé par l’acoustique des lieux, peu détaillée dans les pianissimi. Quel plaisir, pourtant, de se retrouver dans le cadre du Théâtre antique et son impressionnant mur de 37 mètres de haut ! Les dernières lueurs du soleil permettent aux oiseaux de continuer leurs tournoiements étourdissants dans les hauteurs, avant de disparaitre peu à peu pour laisser à l’auditeur sa parfaite concentration sur le drame à venir. Il est vrai qu’ici le spectacle est autant sur scène que dans la salle, tant la première demi-heure surprend par le ballet incessant des pompiers dans la salle, affairés à évacuer les spectateurs … exténués par la chaleur étouffante.

Sur le plateau proprement dit, la mise en scène de Jean-Louis Grinda, à la fois directeur des Chorégies d’Orange et de l’Opéra de Monte-Carlo, fait valoir un classicisme certes peu enthousiasmant, mais fidèle à l’ouvrage avec ses costumes d’époque et ses quelques accessoires. L’utilisation de la vidéo reste dans cette visée illustrative en figurant les différents lieux de l’action, tout en insistant pendant toute la soirée sur l’importance des éléments. On retiendra la bonne idée de traiter de l’opposition entre le temps guerrier et l’immanence de la nature, le tout en une construction en arche bien vue : en faisant travailler Guillaume Tell sur le bandeau de terre en avant-scène dès le début de l’ouvrage, puis en faisant à nouveau planter quelques graines par une jeune fille pendant les dernières mesures, Grinda permet de dépasser le seul regard patriotique habituellement concentré sur l’ouvrage.
Le plateau vocal rĂ©uni s’avère d’une bonne tenue gĂ©nĂ©rale, mĂŞme si les rĂ´les principaux laissent entrevoir quelques limites techniques. Ainsi du Guillaume Tell de Nicola Alaimo qui fait valoir des phrasĂ©s superbes, en une projection malheureusement trop faible pour convaincre sur la durĂ©e, tandis que la Mathilde d’Annick Massis reste irrĂ©prochable au niveau du style, sans faire toutefois oublier un positionnement de voix plus instable dans l’aigu et un recours frĂ©quent au vibrato. La petite voix de Celso Albelo (Arnold) parvient quant Ă  elle, Ă  trouver un Ă©clat inattendu pour dĂ©passer la rampe en quelques occasions, avec une belle musicalitĂ©, mais souffre d’une Ă©mission globale trop nasale. Au rang des satisfactions, Jodie Devos compose un irrĂ©sistible Jemmy, autant dans l’aisance vocale que théâtrale, de mĂŞme que le superlatif Cyrille Dubois (Ruodi) dans son unique air au I. Si Nora Gubisch (Hedwige) assure bien sa partie, on fĂ©licitera Ă©galement le solide Nicolas Courjal (Gesler), Ă  qui ne manque qu’un soupçon de subtilitĂ© au niveau des attaques parfois trop virulentes de caractère. Enfin, les chĹ“urs de  l’OpĂ©ra de Monte-Carlo et du Théâtre du Capitole de Toulouse se montrent bien prĂ©parĂ©s, Ă  la hauteur de l’évĂ©nement. On retrouvera Guillaume Tell programmĂ© en France dès octobre prochain, dans la nouvelle production imaginĂ©e par Tobias Kratzer pour l’OpĂ©ra de Lyon.

 

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Compte-rendu, opĂ©ra. Orange, Théâtre antique, le 10 juillet 2019. Rossini : Guillaume Tell. Nicola Alaimo (Guillaume Tell), Nora Gubisch (Hedwige), Jodie Devos (Jemmy), Annick Massis (Mathilde), Celso Albelo (Arnold), Nicolas Cavallier (Walter Furst), Philippe Kahn (Melcthal), Nicolas Courjal (Gesler), Philippe Do (Rodolphe), Cyrille Dubois (Ruodi), Julien Veronese (Leuthold). ChĹ“urs de  l’OpĂ©ra de Monte-Carlo et du Théâtre du Capitole de Toulouse, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction musicale, Gianluca Capuano / mise en scène, Jean-Louis Grinda

A l’affiche du festival Les Chorégies d’Orange, le 10 juillet 2019. Crédit Photos / illustrations : © Gromelle

   

 

Compte-rendu, concert. Bachfest, Thomaskirche, Leipzig, le 23 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Messe en si mineur, BWV 232, Opera Fuoco, David STERN

Compte-rendu, concert. Bachfest, Thomaskirche, Leipzig, le 23 juin 2019. Jean-SĂ©bastien Bach : Messe en si mineur, BWV 232 / Opera Fuoco / David STERN.. En cette fin d’après-midi, l’excitation monte dans l’attente du concert de clĂ´ture de la Bachfest, dĂ©diĂ© Ă  la Messe en si mineur (1749) de Bach : tous les pas semblent converger vers l’Eglise Saint-Thomas, la plus prestigieuse de la ville de Leipzig, remplie Ă  craquer pour l’occasion. C’est lĂ  qu’officia le maitre de 1724 jusqu’Ă  sa mort, lui donnant ses lettres de noblesses, avant d’y ĂŞtre enterrĂ© au niveau du choeur. MĂŞme si l’acoustique est quelque peu Ă©touffĂ©e Ă  cet endroit, donnant une impression d’Ă©loignement par rapport aux interprètes rĂ©unis sur la tribune de l’orgue Ă  l’opposĂ©, entendre la Messe en si mineur aux cotĂ©s du maitre ne peut manquer d’impressionner.

 

 

 

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Les premières notes de l’ouvrage raisonnent avec un sens Ă©vident de l’Ă©conomie et de la modestie, en un legato enveloppant : l’impression de douceur ainsi obtenue invite au recueillement, comme une caresse bienveillante. On est bien Ă©loignĂ© des lectures nerveuses et virtuoses qui donnent un visage plus spectaculaire Ă  cette messe. Ce geste serein a pour avantage de mettre en valeur la jeunesse triomphante du splendide choeur d’enfants Tölzer, venu tout droit de Munich. Alors que l’ouvrage ne fait pas parti de leur rĂ©pertoire, les jeunes interprètes font preuve d’une vaillance et d’une prĂ©cision sans faille, de surcroit jamais pris en dĂ©faut dans la nĂ©cessaire justesse. C’est la sans doute le bĂ©nĂ©fice d’une tournĂ©e mondiale qui les a menĂ© en Chine et en France, au service de la promotion de cet ouvrage, avec David Stern.

Si la direction du chef amĂ©ricain a les avantages dĂ©taillĂ©s plus haut, on pourra toutefois regretter que le niveau technique global de son ensemble affiche plusieurs imperfections tout du long du concert, notamment au niveau des vents et trompettes, juste corrects. La qualitĂ© des solistes rĂ©unis se montrent aussi inĂ©gale, avec de jeunes chanteurs très prometteurs, Theodora Raftis et AndrĂ©s Agudelo, tous deux parfaits d’aisance technique. Andreas Scholl a pour lui des phrasĂ©s toujours aussi distinguĂ©s, mais dĂ©sormais entachĂ©s d’un timbre très dur dans l’aigu, tandis que Laurent Naouri a du mal Ă  faire valoir ses habituelles qualitĂ©s interprĂ©tatives dans ce rĂ©pertoire, dĂ©cevant les attentes par une Ă©mission engorgĂ©e et terne.

 

 

 

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Compte-rendu, concert. Bachfest, Thomaskirche, Leipzig, le 23 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Messe en si mineur, BWV 232. Theodora Raftis (soprano), Adèle Charvet (mezzo soprano), Andreas Scholl (alto), Andrés Agudelo (ténor), Laurent Naouri (basse), Tölzer Knabenchor, Opera Fuoco, David Stern (direction). Crédit photo : © Bachfest Leipzig : Gert Mothes.

 

 

 
 

 

 

Compte-rendu, concert. Bachfest, Michaeliskirche, Leipzig, le 23 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Cantates de Weimar (IV). VOX LUMINIS

Compte-rendu, concert. Bachfest, Michaeliskirche, Leipzig, le 23 juin 2019. Jean-SĂ©bastien Bach : Cantates de Weimar (IV), VOX LUMINIS. On ne remerciera pas assez la Bachfest de nous inciter Ă  quitter le centre-ville de Leipzig pour dĂ©couvrir l’Eglise Saint-Michel, situĂ©e Ă  proximitĂ© du zoo, au nord. Miraculeusement Ă©pargnĂ© par les bombardements de la Deuxième guerre mondiale, l’Ă©difice trĂ´ne au devant d’un square qui le met admirablement en valeur. Mais c’est surtout son intĂ©rieur qui surprend par sa variĂ©tĂ© de style virtuosement entremĂŞlĂ©s, relevant essentiellement du nĂ©ogothique et de l’Art nouveau, tous deux encore en vogue en 1904. L’observation des Ă©lĂ©gants et nombreux dĂ©tails, tout particulièrement les boiseries vĂ©gĂ©tales enchevĂŞtrĂ©es autour de l’orgue, constitue un motif de curiositĂ© pendant tout le concert – Ă  mĂŞme de faire oublier la chaleur Ă©touffante en ce milieu d’après-midi estival.

Le concert ne passionne malheureusement pas outre mesure, et ce en dĂ©pit de l’excellente acoustique et des incontestables qualitĂ©s individuelles des huit chanteurs de Vox Luminis. Dès lors que l’ensemble est dans son coeur de rĂ©pertoire, la musique chorale, on atteint les sommets : la prĂ©cision et la ferveur lumineuses obtenues sont Ă  la hauteur de sa rĂ©putation. Pour autant, la sollicitation des mĂŞmes interprètes en rĂ´le soliste laisse entrevoir tout ce qui les sĂ©pare de ce graal, tandis que l’accompagnement chambriste atteint un niveau moyen – quelques verdeurs notamment. On ne fera pas ici le dĂ©tail des imperfections de chacun, mais il n’en reste pas moins que la qualitĂ© globale de ce dernier concert de l’intĂ©grale des cantates de Weimar s’en ressent. Dommage.

 

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Compte-rendu, concert. Bachfest, Michaeliskirche, Leipzig, le 23 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Cantates de Weimar (IV). Johann Sebastian Bach : Cantates «Himmelskönig, sei willkommen», BWV 182, «Gleichwie der Regen und Schnee vom Himmel fällt», BWV 18, «Komm, du süße Todesstunde», BWV 161, «Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen», BWV 12. Pasteur Ralf Günther (récitant), Vox Luminis, Lionel Meunier (direction). Crédit photo : © Bachfest Leipzig : Gert Mothes.

 

 

Compte-rendu, concert. Bachfest, Alte Börse, Leipzig, le 23 juin 2019. Joseph Haydn : Quatuor à cordes n° 5, opus 76 / J-S Bach / Dimitri Chostakovitch : Quatuor à cordes n°8, opus 110. Quatuor ELIOT

bach jean sebastian sebastien portrait vignette par classiquenews bach_js-jean-sebastianCompte-rendu, concert. Bachfest, Alte Börse, Leipzig, le 23 juin 2019. Joseph Haydn : Quatuor Ă  cordes n° 5, opus 76 / Jean-SĂ©bastien Bach : extraits d’oeuvres / Dimitri Chostakovitch : Quatuor Ă  cordes n°8, opus 110. Preuve s’il en est besoin de la variĂ©tĂ© des Ă©vĂ©nements proposĂ©s lors de la Bachfest, le prĂ©sent concert permet de dĂ©couvrir l’un des jeunes quatuors allemands parmi les plus prometteurs du moment. FormĂ© en 2014 Ă  Francfort, oĂą il est toujours en rĂ©sidence, le quatuor rassemble des solistes venus d’horizons divers : deux Russes, un Canadien et un Allemand. Entre eux, l’entente et l’Ă©coute mutuelle semblent Ă©vidents dès les premières mesures du Quatuor Ă  cordes n° 5, opus 76 (1797) de Haydn, entonnĂ©es dans l’acoustique sonore de l’ancienne bourse aux Ă©changes (reconstruite Ă  l’identique après-guerre). L’Ă©nergie du premier violon irradie en un geste dĂ©monstratif dans les passages verticaux, rapidement suivi par ses collègues qui ne lui cèdent en rien dans le tranchant. On est loin de la sĂ©rĂ©nitĂ© fantasmĂ©e de “Papa Haydn”, ici revigorĂ© par une fougue toujours excitante. Les parties apaisĂ©es exclut tout dramatisme et vibrato, au service d’une lecture qui privilĂ©gie la perfection technique et la musique pure.

Les diffĂ©rents extraits d’oeuvres de Bach permettent ensuite Ă  chacun de se distinguer individuellement, notamment dans l’Andante de la sonate BWV 1003 (habituel bis des plus grands violonistes) ou dans le cĂ©lĂ©brissime prĂ©lude de la Suite pour violoncelle BWV 1007. Le concert atteint cependant son point d’orgue avec l’une des plus belles interprĂ©tations du Quatuor Ă  cordes n° 8 (1960) de Chostakovitch qu’il nous ait Ă©tĂ© donnĂ© d’entendre. Les jeunes solistes surprennent dès l’introduction par une lecture dĂ©taillĂ©e et analytique qui allège son cĂ´tĂ© sombre : la pudeur ainsi Ă  l’oeuvre laisse sourdre une Ă©motion Ă  fleur de peau, ce que confirme le violent contraste du premier tutti, Ă  la hargne rageuse. Le thème dansant qui suit est murmurĂ© dans les piani, avant une nouvelle rupture façon “feu sous la glace”. Seule la toute fin du morceau perd quelque peu en intensitĂ©, mais n’enlève rien Ă  la très favorable impression d’ensemble. Cette lecture sans concession donne en effet un Ă©crin passionnant Ă  cet ouvrage d’essence symphonique. En bis, les interprètes nous rĂ©galent du Da Pacem Domine d’Arvo Part, pour le plus grand bonheur de l’assistance, visiblement ravie.

Compte-rendu, concert. Bachfest, Alte Börse, Leipzig, le 23 juin 2019. Joseph Haydn : Quatuor Ă  cordes n° 5, opus 76 / Jean-SĂ©bastien Bach : extraits d’oeuvres diverses / Dimitri Chostakovitch : Quatuor Ă  cordes n°8, opus 110. Eliot Quartett : Maryana Osipova (violon), Alexander Sachs (violon), Dmitry Hahalin (alto), Michael PreuĂź (violoncelle). CrĂ©dit photo : © Bachfest Leipzig : Gert Mothes.

 

Compte-rendu, concert. Bachfest, Nikolaikirche, Leipzig, le 22 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Cantates de Weimar (III) Akademie für Alte Musik Berlin/ R Alessandrini.

bach jean sebastian sebastien portrait vignette par classiquenews bach_js-jean-sebastianCompte-rendu, concert. Bachfest, Nikolaikirche, Leipzig, le 22 juin 2019. Jean-SĂ©bastien Bach : Cantates de Weimar (III). A l’instar de sa voisine Dresde, Leipzig ne cesse de retrouver sa splendeur d’antan, d’annĂ©e en annĂ©e, effaçant les erreurs architecturales de l’après-guerre par d’opportuns rehabillages ou reconstructions dans un style ancien. Pratiquement dĂ©diĂ© aux piĂ©tons, le centre-ville est d’ores et dĂ©jĂ  envahi par les touristes en cette saison estivale, tous sĂ©duits par les nombreuses terrasses Ă  chaque coin de rue. Outre l’attrait Ă©vident que reprĂ©sentent les gloires musicales locales (Bach et Mendelssohn bien sĂ»r, mais aussi… Wagner, natif de la CitĂ©), il faudra se perdre dans les nombreux et splendides passages couverts dont l’Ă©tat de conservation ne manquera pas d’impressionner les amateurs.

Pendant dix jours, la Bachfest donne Ă  entendre des accents venus des quatre coins du monde – les Français reprĂ©sentant les deuxièmes visiteurs europĂ©ens en nombre (hors Allemagne) après les NĂ©erlandais. On ne s’en Ă©tonnera pas, tant la manifestation fait figure d’Ă©vĂ©nement avec pas moins de 150 manifestations organisĂ©es pendant cette courte pĂ©riode, permettant de faire vivre un rĂ©pertoire centrĂ© sur la famille Bach et ses contemporains, sans oublier Mendelssohn, et ce Ă  travers toute la ville et les environs. On pourra aussi opportunĂ©ment coupler sa visite avec le festival Haendel, qui se tient dans la ville voisine de Halle la semaine prĂ©cĂ©dent la Bachfest.

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Parmi les joyaux de la citĂ©, l’Eglise Saint-Nicolas et ses surprenantes colonnes vĂ©gĂ©tales aux tons pastels “girly”, alternant vert et vieux rose, tient une place prĂ©pondĂ©rante (elle a notamment accueilli la crĂ©ation de la Passion selon Saint-Jean de Bach), et ce d’autant plus que son excellente acoustique en fait un lieu prisĂ© pour les concerts. C’est ici que se dĂ©roule l’un des plus attendus de cette Ă©dition 2019, sous la direction de Rinaldo Alessandrini. Son geste Ă©nergique met d’emblĂ©e en valeur les qualitĂ©s individuelles superlatives de l’Akademie fĂĽr Alte Musik Berlin, très engagĂ©e pour rendre leur Ă©clat Ă  ces cantates d’apparat, toutes composĂ©es pour Weimar. On soulignera notamment le trompette solo impressionnant de suretĂ© et de justesse ou le violoncelle solo gorgĂ© de couleurs, tandis que les chanteurs atteignent aussi un très haut niveau.

Si Katharina Konradi impressionne par son aisance technique au service d’un timbre superbe, on est plus encore sĂ©duit par la noblesse des phrasĂ©s d’Ingeborg Danz, tout simplement bouleversante d’Ă©vidence dans son premier air. Les quelques limites rencontrĂ©es dans les accĂ©lĂ©rations restent cependant parfaitement maitrisĂ©es par cette chanteuse qui sait la limite de ses moyens. A ses cotĂ©s, Patrick Grahl donne tout l’Ă©clat de sa jeunesse Ă  son incarnation, portĂ©e par une diction impeccable et une voix claire. Enfin, Roderick Williams passionne tout du long par l’intensitĂ© de ses phrasĂ©s et l’attention accordĂ©e au texte, mĂŞme s’il se laisse parfois couvrir par l’orchestre. Que dire, aussi, du parfait choeur de chambre de la RIAS, aux interventions aussi millimĂ©trĂ©es qu’irradiantes de ferveur ? Sans doute pas le moindre des atouts de ce concert en tout point splendide.

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Compte-rendu, concert. Bachfest, Nikolaikirche, Leipzig, le 22 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Cantates de Weimar (III). Cantates «Herz und Mund und Tat und Leben», BWV 147a, «Nun komm, der Heiden Heiland», BWV 61, «Wachet! betet! betet! wachet!», BWV 70a, «Christen, ätzet diesen Tag», BWV 63. Martin Henker (récitant), Katharina Konradi (soprano), Ingeborg Danz (alto), Patrick Grahl (ténor), Roderick Williams (basse), RIAS Kammerchor, Akademie für Alte Musik Berlin, Rinaldo Alessandrini (direction). Crédit photo : © Bachfest Leipzig : Gert Mothes.

 

 

COMPTE RENDU, concert. WEIĂźENFELS, Bachfest, Schlosskapelle in Neu Augustusburg, le 22 juin 2019. J-S Bach : Cantates de Weimar (II). Pierlot.

BACH-JS-jean-sebastian-582-390-BACH-JS-4johann-sebastian-bachCompte-rendu, concert. Bachfest, Schlosskapelle in Neu Augustusburg, WEIĂźENFELS, le 22 juin 2019. Jean-SĂ©bastien Bach : Cantates de Weimar (II) / Philippe PIERLOT.C’est un concert de la chaussure ?” commente malicieusement un touriste anglais en visitant le musĂ©e de la chaussure de WeiĂźenfels, quelques minutes avant d’assister au concert donnĂ© dans la chapelle du Château. Un trait d’humour Ă  mĂŞme d’animer la visite d’un musĂ©e aux murs dĂ©crĂ©pis, dont la richesse et la diversitĂ© des collections, tournĂ©es vers le monde, doivent toutefois inciter Ă  dĂ©passer ce premier regard dĂ©favorable. Cette collection passionnante rappelle les grandes heures industrielles de la ville de WeiĂźenfels, situĂ©e Ă  mi chemin entre Weimar et Leipzig (Ă  environ trente minutes en car de cette dernière).

La visite de la citĂ© nichĂ©e en contrebas du Château nous rappelle combien l’ex-Allemagne de l’Est, au-delĂ  des grandes villes d’ores et dĂ©jĂ  en grande partie rĂ©novĂ©es, n’a pas encore effacĂ© tous les stigmates de la dĂ©sindustrialisation : la fuite de nombreux habitants explique pourquoi autant de maisons dĂ©labrĂ©es et de commerces fermĂ©s donnent une triste mine au centre-ville. En grande partie Ă©pargnĂ©e par les bombardements de la Deuxième guerre mondiale, WeiĂźenfels possède pourtant un potentiel touristique qui devrait l’aider Ă  accĂ©lĂ©rer sa rĂ©novation : le prĂ©sent concert contribue Ă  cette revitalisation, ce dont on ne peut que se fĂ©liciter.

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Le concert se situe dans le cadre du cycle des seize “cantates de Weimar”, donnĂ© en quatre concerts par la Bachfest avec des formations variĂ©es, qui permet de s’intĂ©resser Ă  Jean-SĂ©bastien Bach (1685-1750) en tant que compositeur de cour. Bach fut notamment organiste et premier violon pour le duc de Saxe-Weimar de 1708 Ă  1717, tout en gardant ensuite de bonnes relations avec lui. L’Allemagne, alors Ă©miettĂ©e en une multitude de royaumes, duchĂ©s ou principautĂ©s, voit en effet ces diffĂ©rentes cours se disputer les faveurs des plus grands compositeurs : le rayonnement artistique de cette riche pĂ©riode n’a de cesse de fasciner encore aujourd’hui.
Les cantates prĂ©sentĂ©es par Philippe Pierlot Ă  WeiĂźenfels (qui faisait partie du fief de Weimar et non de Leipzig) ont toutes Ă©tĂ© composĂ©es entre 1714 et 1716, mais offrent toutefois une variĂ©tĂ© digne de l’inspiration du maitre allemand. Elles trouvent Ă  s’Ă©panouir dans la chapelle du château, bĂ©nĂ©ficiant d’une acoustique Ă©tonnamment prĂ©cise, obtenue en faisant jouer les interprètes au niveau de la tribune de l’orgue : on gagne en confort sonore ce que l’on perd en proximitĂ© avec les artistes.

Les interprètes mettent un peu de temps Ă  se chauffer, d’autant que le tempo un peu trop vif de Philippe Pierlot ne les aide guère au dĂ©but. Peu Ă  peu, la direction gagne cependant en respiration, en une lecture chambriste sĂ©rieuse et de bonne tenue, mais qui ne soulève pas l’enthousiasme pour autant – du fait notamment d’un violoncelle solo assez prosaĂŻque. Les solistes montrent un bon niveau gĂ©nĂ©ral, dominĂ© par le superbe Leandro Marziotte, un contre-tĂ©nor aux phrasĂ©s naturels et aĂ©riens, sans parler de son timbre dĂ©licieusement veloutĂ©. Hannah Morrison a quant Ă  elle un aigu un peu dur dans les parties difficiles et des passages de registres arrachĂ©s dans la virtuositĂ©. Lorsqu’elle quitte les passages pĂ©rilleux, elle remplit parfaitement sa partie, de mĂŞme que le tĂ©nor correct d’Hans Jörg Mammel, en dehors des accĂ©lĂ©rations qui mettent Ă  mal la justesse. Enfin, on aime la puissance et l’expressivitĂ© de la basse Matthias Vieweg, mĂŞme s’il a parfois tendance Ă  se laisser emporter par son tempĂ©rament, occasionnant un placement de voix approximatif. A suivre.

 

 

 

 

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Compte-rendu, concert. Bachfest, Schlosskapelle in Neu Augustusburg, Weißenfels, le 22 juin 2019. Jean-Sébastien Bach : Cantates de Weimar (II). Cantates «O heilges Geist- und Wasserbad», BWV 165 – Mein Herze schwimmt im Blut, BWV 199, «Barmherziges Herze der ewigen Liebe», BWV 185, «Ach! ich sehe, itzt, da ich zur Hochzeit gehe», BWV 162, «Mein Gott, wie lang, ach lange», BWV 155. Hannah Morrison (soprano), Leandro Marziotte (alto), Hans Jörg Mammel (ténor), Matthias Vieweg (basse), Ricercar Consort, Philippe Pierlot (direction). Illustrations : © Bachfest Leipzig / Gert Mothes