OPERA, streaming ARTEconcert. HANDEL : ALCINA, Fasiolis / Poda. Jusquâau 15 oct 2022  -   Tout lâopĂ©ra de Haendel bĂ©nĂ©ficie dâun regard sur la psychĂ© humaine et le pouvoir de lâamour dâune Ă©tonnante et juste noirceur. DâaprĂšs LâArioste (Orlando Furioso, 1516), le compositeur construit son drame musical (1735) comme un Ă©chiquier amoureux, Ă©touffant, Ă©prouvant oĂč lâenchanteresse Alcina piĂšge les chevaliers qui se hasardent sur son Ăźle ; elle les envoĂ»te et les tient prisonniers Ă sa guise, selon son bon vouloir. Roger / Ruggiero incarne cependant malgrĂ© les sortilĂšges de la SorciĂšre, lâinconstance et la fĂ©brilitĂ© dâEros et Alcina doit bien reconnaĂźtre sa dĂ©faite cinglante Ă sâattacher la fidĂ©litĂ© et lâamour du seul chevalier quâelle aime⊠Le sommet de la partition est le grand air dâAlcina, celui de la destruction psychique dâune sorciĂšre amoureuse mais dĂ©munie, impuissante, dĂ©vorĂ©e par le feu de lâamour insatisfait « A mio cor » / (1h38mn38). La production de lâOpĂ©ra de Lausanne est trĂšs convaincante.
Le Ruggiero de Franco Fagioli dĂ©borde de vĂ©risme Ă©motionnel ; certes le style est parfois maniĂ©rĂ©, mais le dessin de la ligne vocale, lâintention jusquâauboutiste, expriment le dĂ©sarroi du chevalier qui est manipulĂ© sans le comprendre ; perdu, au bord de la folie sur lâĂźle de lâEnchanteresse. Son dernier grand air fait valoir la souplesse des passages de tĂȘte et de poitrine, lâexceptionnelle Ă©tendue de la tessiture et sur tout le spectre, une intensitĂ© Ă©gale des notes qui fusent dont des aigus perçants magnifiques (2h29mn49 : « Dans sa taniĂšre, la tigresse hĂ©site⊠»), le voici ce Ruggiero en fin dâĂ©preuves, encore guerrier, prĂȘt Ă en dĂ©coudre pour combattre et vaincre celle qui impose sa loi trompeuse et illusoire.
RĂŽle Ă©crasant que celui dâAlcina : recitatifs impĂ©tueux soutenus par un orchestre fiĂ©vreux, nerveux, sanguin, musclĂ© (2h00mn27) : lâenchanteresse haineuse, pleine de revanche car elle a Ă©tĂ© trahie par Ruggiero, sâobstine dans la magie pourtant vaine, elle doute, prĂȘte Ă sâeffondrer, vaincue, trompĂ©e, « que me reste-t-il »? (2â01â44 : « Ombre palide ») – intervalles assumĂ©s, intensitĂ© hallucinĂ©e, soprano incandescent, clair, mĂ©tallique parfois, toujours agile et percutant, douĂ© dâune excellente articulation, lâAlcina de Lenneken Ruiten est le pilier de cette production suisse. Câest un grand moment de dĂ©lire lacrymal exploitant des moyens indiscutables (aigus sidĂ©rants et pleins Ă lâavenant).
Dans ce labyrinthe des cĆurs Ă©prouvĂ©s, solitaires, souvent dĂ©munis, la Morgane de Sophie Lys apporte elle aussi une sincĂ©ritĂ© touchante (air dĂ©sespĂ©rĂ© et dâimploration  « Crede⊠», 2â10â41 avec viole obligĂ©e), Ă©cho Ă la dĂ©faite dâAlcina.
LâOronte de Juan Sancho est de la mĂȘme veine ; dâune sincĂ©ritĂ© bouleversante, celle dâune Ăąme ravie, conquise, accompagnĂ©e par un orchestre Ă©toilĂ©, aux cordes hyperĂ©lĂ©gantes (air dâextase amoureuse oĂč le jeune homme confesse son amour tant attendu, espĂ©rĂ© (par Morgana prĂ©cĂ©demment) : « Un momento di contento⊠» ; câest alors le seul vrai moment de comprĂ©hension amoureuse, une pause Ă©motionnelle bienvenue dans un tunnel de souffrance sentimentale : 2h21mn04)
Dans la fosse, habitĂ©, Ă la baguette crĂ©pitante, Ă lâĂ©coute des Ă©garements de la folie amoureuse, Diego Fasolis affirme un beau tempĂ©rament dramatique. Sa direction franche, nerveuse porte et cultive le drame fantastique et tragique, avec toute la finesse requise.
Cependant que, cÎté mise en scÚne, ces figures comme des ombres, ce jeu de sphÚres, et de structures armilliaires soulignent le statut des chevaliers prisonniers, pris dans les rets de la séductrice enchanteresse, au pouvoir finalement limités⊠Splendide.
____________________________________
REVOIR sur ARTEconcert, en replay jusquâau 15 oct 2022
FilmĂ© Ă lâOpĂ©ra de Lausanne, le 6 mars 2022.
https://www.arte.tv/fr/videos/108001-000-A/haendel-alcina/
Alcina / Lenneke Ruiten
Ruggiero / Franco Fagioli
Oronte / Juan Sancho
Melisso / Guilhem Worms
Bradamante / Marina Viotti
Morgana / Marie Lys
Oberto / Ludmila Schwartzwalder
Stefano Poda, mise en scĂšne
Choeur et Orchestre de chambre de Lausanne
Diego Fasolis, direction