Caluire, Radiant. Les 10 et 11 janvier 2015. Week-end Mozart avec le Quatuor Debussy, au Radiant de Caluire (69). Une « fin de semaine », au Radiant de Caluire, salle Ă Ă©ventail de programmation culture « tous publics ». Le « classique » est cette fois cĂ©lĂ©brĂ© par le Quatuor Debussy, qui choisit un thĂšme Mozart, autour du Requiem et dâairs dâopĂ©ra (instrumentalement rĂ©duits), mais aussi avec le Quintette pour clarinette et la SĂ©rĂ©nade « Petite Musique de Nuit ». Belle occasion dâadmiration, et dâinterrogations sur le gĂ©nie mozartien aujourdâhuiâŠ
Comment préférez-vous « votre » Mozart ?
Mozart, succĂšs garanti auprĂšs de (presque) tous publics. Et consensus autour de quelques partitions fĂ©tiches ( fĂ©tichisĂ©es, diraient les sceptiques). Au fait, vous le prĂ©fĂ©rez comment, « votre » Mozart ? En sale ado (tendance scato-porno) qui nâen finit pas de faire en riant-hennissant des farces plus ou moins amusantes, comme dans le film de Milos Forman ? En saint de vitrail, ravi-de-la-crĂšche-salzbourgeoise, gĂ©nial mais irresponsable de son gĂ©nie, composant par inspiration dâEn-Haut (« le Ciel, Sganarelle ! ») : un Divin (petit) Mozart, en somme ? Ou si vous avez lâesprit de contradiction sartrienne qui sâĂ©nerve de la solennitĂ© ambiante : « Un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous et que vaut nâimporte qui » ? Ou encore un homme des LumiĂšres, auto-libĂ©rĂ© de sa condition « « domestique », porteur et proclamateur Ă peine masquĂ© de ses « machines dĂ©sirantes » en tous genres, et en prime, prĂ©-rĂ©volutionnaire ?…
Trazom et ses 35 ans sur la terre
Deux siĂšcles et demi aprĂšs un mĂ©tĂ©orique passage sur la terre europĂ©enne, on en est encore Ă dĂ©couvrir â et discuter, et disputer, câest bon signe â du cĂŽtĂ© de chez Wolfgang, Amadeus, Amadeo, Amade, Gottlieb, Wolfie, alias encore par soi-mĂȘme nommĂ© Trazom, Hanswurst, Il Duca Basso, Signor dâAlto, Don Cacarella ? Et Ă imaginer non seulement ce quâil fut, mais ce quâil aurait pu devenir âmusicalement et autrement â si Dieu, les dieux, les virus et les bactĂ©ries lui avaient accordĂ© vingt ans de plus que son exigu 35 ansâŠertes on a dâabord lâimpression que les 626 n°s du catalogue dressĂ© au XIXe par Ludwig Ritter von Köchel ont « suffi » Ă rĂ©vĂ©ler le gĂ©nie protĂ©iforme et multidirectionnel dans lâopĂ©ra, la symphonie, les instruments Ă vent et Ă cordes, la musique de chambre, lâart vocal, lâart sacrĂ©, le concerto, et si on cherche la petite bĂȘte exemplaire, lâharmonica de verre. Alors deux jours dâune fin de semaine hivernale, deux concerts, une confĂ©rence, un brunch ( câest lĂ quâon entend sans broncher un concertino pour fourchettes et quatuor? ), une classe de maĂźtre(s), les K.525,581 et 626 en entier, et des extraits vocaux des K.366, 492, 527, 578, 620 et 621 (une rĂ©compense Ă qui rapporte tous ces n°s K. Ă leur Ćuvre) ?
Petit théùtre musical-mozartien
Dâautant que câest « seulement » un Quatuor Ă cordes, une chanteuse, un chanteur et un clarinettiste qui « font » lâorchestre et le chĆur : serait-ce suffisant en panorama, non, 626 fois non ! Mais les proposants ont bien conscience dâune dĂ©marche symbolico-minimaliste, et du fait que leur trĂšs petit théùtre musical mozartien a, dâemblĂ©e, ses limites. Mais on peut dire aussi que les deux concerts puisent Ă quatre sources : la diversitĂ© dramaturgique des airs lyriques, lâunitĂ© sacrale du Requiem, lâensoleillement sans mĂ©taphysique de la musique de nuit, la poĂ©sie absolue du Quintette.
Un Requiem quatuorisé
Le plus « surprenant » des quatre moments est sans doute celui du RequiemâŠquatuorisĂ© non par lâauteur de la partition, mais bien peu de temps aprĂšs -9 ans, 1802- la mort de Mozart lui-mĂȘme. Peter Lichtenthal nâĂ©tait pas nâimporte quel scribouilleur de notes, mais un musicien de grande qualitĂ©, ami de la famille Mozart sur lequel la notice (Florence Badol-Bertrand) du cd. DECCA(2009) enregistrĂ© par les Debussy donne toutes prĂ©cisions biographiques et esthĂ©tiques. Le principe mĂȘme et les modalitĂ©s de cette « rĂ©duction » ouvrent en tout cas des perspectives sur « la grandeur » dâune Ćuvre qui a depuis les origines saisi les auditeurs par ses dimensionsâŠpsycho-musicales, et la lĂ©gende non dorĂ©e mais noire qui a entourĂ© sa crĂ©ation. En quatuor, la vocation mĂȘme du laboratoire oĂč Haydn puis Mozart et bientĂŽt Beethoven expĂ©rimentent leur pensĂ©e la plus novatrice sâaffirme, « dĂ©cantant » les voix humaines et instrumentales en nombre et puissance jusquâĂ nâen plus faire surgir que lâessence dâun discoursâŠ
Chant de la vie et de la mort
Au fait, discours sur quoi, prioritairement ? Une fois balayĂ© ce quâon pourrait nommer le folklore-people de la tradition-qui-a-la-vie-dure (Salieri jouant les Brinvilliers dâAutriche, lâHomme en Noir qui poursuit Wolfgang de ses assiduitĂ©s mortifĂšres jusquâĂ ne plus le faire « penser quâà ça »âŠ), reste lâinterrogation fondamentale : quâest-ce quâun chant de (la ?) mort pour Mozart en ses derniers mois ? La dominante demeure-t-elle une peur panique entretenue par la « vision » catholique et autoritaire -Rex tremendae majestatis : Roi (et avatars incarnĂ©s de rois, empereurs ou princes qui gouvernent cette terre) dâune majestĂ© qui doit faire   trembler -, correspondant au « vieux monde » que Mozart nâaime pas ? Ou une espĂ©rance que donne la lumiĂšre dâune fraternitĂ© humaine rayonnant dans « la foi » Ă laquelle Mozart sâest « converti » quelques annĂ©es plus tĂŽt : la franc-maçonnerie, que les ultimes pensĂ©es et actes compositionnels de Wolfgang verront honorĂ©s dans lâĂ©criture de deux cantates pour les cĂ©rĂ©monies de Loges, et bien sĂ»r la chĂšre FlĂ»te EnchantĂ©e, dont le compositeur suivra jusquâau dernier instant le dĂ©roulement des reprĂ©sentations ?
Un double visage de Wolfgang
Ce rapport â fusionnel ? antagoniste ? â serait-il Ă dĂ©crypter entre un Amadeus jusquâau bout terrifiĂ© par une mort catholique, le sommant de « se repentir » en crĂ©ateur impie de tant de personnages qui vantent Ă lâopĂ©ra la libertĂ© de lâamour terrestre ? Et un Wolfgang cherchant autrement la dualitĂ© vie-mort, se fondant sur les actes de libĂ©ration sociale et de fraternitĂ© humaine pour faire advenir un nouveau mondeâŠÂ ? Les « vieux mozartiens français »ont toujours recours deux ouvrages fondamentaux parus Ă la fin des annĂ©es 1950 et qui prĂ©sentent ce « double » visage, le «Mozart » plus laĂŻque et dans le siĂšcle, de Jean Brigitte Massin, et « La pensĂ©e de Mozart », de J.V.Hocquard, spiritualisteâŠen diable, tout-Ăąme-contre-dangereux-corps. (On en trouve encore des occasions de réédition, cherchez sous le sapin du 1er janvier !) En tout cas, câest le musicologue-pianiste Philippe Barraud qui, en confĂ©rence, soulignera les nombreuses visions possibles du RequiemâŠ
Magie nocturne dâopĂ©ra
Une partition qui semble « sans problĂšmes », câest le K.525, alias « petite musique de nuit », mise Ă toutes sauces de gastronomie et fĂȘtes en parcs viennois, et devenue symbole des grĂąces dâAncien RĂ©gime. La nuit en tout cela nâest nullement romantique, bien sĂ»r. Mais composĂ©e en plein travail de Mozart sur Don Giovanni, nâest-elle pas « magie nocturne de lâopĂ©ra, forme sublimĂ©e, intime, suprĂȘmement concentrĂ©e » (Harry Halbreich) du climat oĂč vivent les « opĂ©ras-Da-Ponte » (Noces, Don Giovanni, Cosi) ? En tout cas, SĂ©rĂ©nade Ă©crite pour « lâorchestre de chambre le plus resserrĂ© qui soit :quatuor Ă cordes renforcĂ© dâune contrebasse Ă lâunisson du violoncelle, et peut-ĂȘtre rĂ©ponse allĂšgre et dĂ©licate Ă la grande angoisse des Quintettes du printemps 1787 » (J.B.Massin)⊠Câest plus tard, et en vulgarisation fort vulgairement-comm-et-pub, quâen ont Ă©tĂ© offertes au grand public des versions Ă gros effectifs parfaitement infidĂšles Ă lâesprit de la partitionâŠ
1789, lâannĂ©e de la radieuse Ă©claircie
On peut supposer quâil nâa pas Ă©tĂ© agi de semblable façon avec une Ćuvre aussi tissĂ©e de poĂ©sie que le quintette avec clarinette K.581 (1789, lâannĂ©e dâune « radieuse Ă©claircie », Ă©sotĂ©rique (les Massin y entendent, via le clarinettiste Stadler que Mozart frĂ©quente et fait alors travailler, les Ă©chos des idĂ©es musicales de la Franc-Maçonnerie) et pourtant accessible à « tous les frĂšres humains de toutes les Ă©poques ». Dans le larghetto central, J.V.Hocquard y fait Ă©couter « la puissance dâimmobilitĂ© et de vaste giration sur place, le contact pris avec la rĂ©alitĂ© musicale Ă lâĂ©tat pur : lâoreille intĂ©rieure remonte alors Ă la source du Temps »âŠ
PĂšre terrible et ChĂ©rubin dâamour
Et puis ce seront les citations du monde imaginaire auquel Mozart croyait peut-ĂȘtre encore davantage quâau « rĂ©aliste » : celui de lâopĂ©ra, lĂ oĂč tous les tĂ©moins de sa vie â y compris lui-mĂȘme, qui le dit dans ses lettres !- ont su quâil Ă©tait le plus heureux. Dans IdomĂ©nĂ©e (K.366), le dernier « grand opera seria », ce sera lâair(Vedrommi intorno) du pĂšre accablĂ© par lâidĂ©e que pour sauver sa vie il va sacrifier le premier humain paraissant sur le rivageâŠet bien sĂ»r, il sâagira de son fils Idamante. Cette donnĂ©e tragique de la mythologie intĂ©resse les psychanalystes « mozartiens » quiâŠsâintĂ©ressent aux relations complexes de Wolfgang avec son papa terrible, Leopold. Du cĂŽtĂ© de la folle journĂ©e des Noces (K.486), on Ă©coutera le ravissant « Cherubin dâamore » nous dire : « voi che sapeteâŠÂ », vous qui savez ce quâest lâamour, est-ce bien vrai ? Chez le grand seigneur mĂ©chant homme (Don Giovanni, K.527), on rencontrera lâidyllique Don Ottavio sâinquiĂ©tant pour son inaccessible DonnâAnna, Dalla sua pace.
Clémence et cadeau de Wolfie
On pourra «(re ?) dĂ©couvrir » dans le moins connu ClĂ©mence de Titus (K.621), oĂč lâempereur, alias « les dĂ©lices du genre humain », pardonne au patricien Sextus, (manipulĂ© par Vitellia), qui a son grand air de bravoure (Parto, parto). Et dans la trĂšs-aimĂ©e FlĂ»te EnchantĂ©e (K.620), la dĂ©couverte de Pamina par Tamino dans la « photographie » du portraitâŠEn prime de « nouveauté », lâair de concert K.578 Alma Grande : joli cadeau de Wolfie Ă une jolie interprĂšte Louise Villeneuve(qui sera bientĂŽt la Dorabella de Cosi) : « chaleur tragique Ă fleur de peau, ironie sous-jacente dans lâaccompagnement instrumental »(J.B.Massin). Un septuor lyonnaisIls sont un « septuor » pour faire partager le voyage mozartien. Quatre dâentre eux, les Debussy â travaillant Ă Lyon – ont une grande habiletĂ© de communicants pĂ©dagogiques-théùtraux, si bien menĂ©s par leur 1er violon, Christophe Collette : Marc Vieillefon, 2nd violon, Vincent Deprecq, alto, Fabrice Bihan, violoncelle. Ils seront rejoints par le clarinettiste Patrick Messina, soliste trĂšs international et « 1 » soliste Ă lâOrchestre National de France. Les « chargĂ©s-du-chant » ont aussi des attaches lyonnaises : Julien Behr est mĂȘme nĂ© dans la citĂ© aux deux fleuves, y a Ă©tudiĂ© (CNSM) et mĂšne sa jeune carriĂšre de tĂ©nor aprĂšs avoir renoncĂ© Ă sa vocation dâavocat. StĂ©phanie dâOustrac a aussi Ă©tudiĂ© aux Conservatoires de Lyon ; « lancĂ©e » avec les louanges de William Christie, elle est maintenant une des chanteuses françaises les mieux reconnues, dans rĂ©pertoire baroque et lâopĂ©ra plus particuliĂšrement.
Radiant , Caluire (69). Week end Mozart par le Quator Debussy Samedi 10 et dimanche 11 janvier 2015. Samedi 10 : 14h30 : Master-class ; 18h30 : confĂ©rence de Philippe Barraud ; 20h30 : concert : airs dâopĂ©ra, Requiem. Dimanche 11 : dĂšs 10h30 : brunch musical ; 15h : concert : Quintette, Petite Musique de nuit. Renseignements et rĂ©servations : T. 04 72 10 2219 ; www.radiant-bellevue.fr
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