vendredi 19 avril 2024

Wagner: La Walkyrie (Gergiev, 2011-2012) 4 cd Mariinski Label

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Plutôt que le volcan des enfers, Valery Gergiev convoque ici l’ombre dévorante du désespoir qui façonne deux profils immensément humains, c’est à dire bouleversants: Siegmund et Brunnhilde. Le premier a bouleversé la seconde: un pur sentiment de compassion s’écoule ici, avec un tact et une direction parfois murmurée qui captive par sa fièvre dramatique toute intérieure, jamais démonstrative. Le chef obtient de ses troupes du Mariinsky des lueurs ténues, des nuances d’une exceptionnelle justesse : tempos ralentis, baguette feutrée… et si le lion russe avait découvert un Wagner passionnément intimiste ? Belle découverte pour l’année du centenaire et aussi superbe approfondissement pour le travail de l’interprète qui n’a jamais semblé mieux ému et touché par la grâce wagnérienne, son mystère musical et sa profonde sincérité. L’on ne pouvait rêver théâtre plus investi, plus suggestif. En rien tapageur. La surprise est de taille et compose l’un des apports majeurs de cette année Wagner 2013…


Le Wagner intimiste et âpre de Gergiev

Dans la veine du Parsifal (2010), d’une étonnante carrure dramatique, déjà distingué par classiquenews, cette Walkyrie relève le défi de ses promesses et témoigne d’abord du wagnérisme à la fois tendre, âpre, sec et contenu de Gergiev. Enregistré en plusieurs sessions en 2011 et 2012 (pas facile de réunir une telle affiche dans la continuité d’un enregistrement), la lecture profite évidemment de l’immense Siegmund du ténor Jonas Kaufmann: il est un Lohengrin racé, au métal sombre et barytonant (une carrière à la Domingo s’annonce-t-elle ?), Kaufmann fait un Siegmund grave, chant lugubre et ullulant en ses éclairs maudits, révélant un être décalé, solitaire, à bout de souffle et pourtant d’une intense ferveur intérieure, à la fois fervent et désespéré : le héros idéal de Wagner. Le père de Siegfried, l’élu et vainqueur de Wotan, s’incarne ici en un chant d’une humanité infinie d’une suavité fauve.
On l’attendait déjà annoncé dans un disque Decca où sa vérité saisissait littéralement (il est vrai sous la direction alors de Claudio Abbado !). Voici donc en grand format et de façon intégrale son Siegmund, étoile au firmament de l’acte I de La Walkyrie. L’incarnation tient du prodige. Electisée par le feu de Kaufmann, la Sieglinde d’Anja Kampe ne démérite pas même si l’on regrette une certaine froideur tendue dans ce chant toujours trop maîtrisé.

La prise favorise l’introspection musicale et trouve toujours une balance parfaite entre voix et orchestre. Au début du drame, deux voix s’embrasent dans la nuit de leur amour incestueux : Siegmund et Sieglinde. Au crépuscule de l’opéra le plus humain et éperdument amoureux de toute la Tétralogie, deux autres âmes s’enflamment non sans douleur ; partageant avec Verdi, cette relation exacerbée, sujette à bien des épreuves, un père doit renoncer à sa fille favorite : Wotan perd Brünnhilde. Les adieux du souverain sont là encore déchirant d’humanité : un dieu s’efface sous le poids de son déchirement filial : et Wotan ne sera plus jamais le même : en se dépossédant de sa chair et de l’amour pur, il devient Wanderer, l’ombre de ce qu’il a été ; nouvelle effigie dérisoire dont René Pape exprime la destruction intérieure avec une noblesse d’intonation inouïe. Face à lui, la chair palpitante de Nina Stemme, elle aussi wagnérienne plus passionnée que subtile, lui donne la réplique… déchirante, parfois un rien épaisse mais si justement incarnée; magnifiquement articulé et très extatique, Gerviev nous réserve une Walkyrie chambriste, épurée, proche d’un oratorio (avec ce souci du théâtre intime comme celui hier d’un Karajan). Cet éclairage ne souligne que mieux le désespoir d’une vision qui frappe outre le luxe de son plateau vocal, par son désespoir inéluctable.

Entre les deux couples et les deux scènes qui se répondent d’une extrémité à l’autre, le Hunding de Mikhail Petrenko comme la Fricka (très assurée de la jeune Ekaterina Gubanova), l’épouse despotique de Wotan et la gardienne de la loi, s’affirment également par la finesse du style et une musicalité qui fait corps avec celle des autres. Belle cohérence.

Wagner: Die Walküre, La Walkyrie. Nina Stemme, Anja Kampe, Ekaterina Gubanova, René Pape, Jonas Kaufmann, Mikhail Petrenko. Orchestre Symphonique du Théâtre Mariinsky. Valery Gergiev, direction. 4 cd SACD Mariinsky. Enregistré en 2011 et 2012.

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