samedi 20 avril 2024

Versailles. Opéra Royal, le 10 novembre 2012. Ballet des Fées des Forêts de Saint-Germain. Jean-François Novelli, taille. Shlemil Théâtre. Olivier Schneebeli, direction

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Tout d’abord, parlons de ce que nous attendions: un Ballet baroque à la Cour de Louis XIII. Divertissement, jeu, instruction composent la matière du ballet français; poésie et danse s’y associent pour édifier. De façon politique autant qu’esthétique. Rien de plus convaincant dans l’instant d’une représentation qu’un dessein politique quand il est couplé à la beauté. De fait, le Ballet des Fées, créé au Louvre en 1625, indique un sommet du ballet de Cour, au moment où la veine grotesque en particulier burlesque est à son sommet, c’est à dire dans les années 1625-1635, marquant le goût de Louis XIII pour les disciplines mêlées autour de la musique. Aux côtés des ballets sérieux, le grotesque ou burlesque développe une trame dramatiquement décousue, héritée des ballets mascarades d’Henri IV. Ici règne la fantaisie, le renversement parodique, séditieux, l’insolence de la farce, le rire et la charge critique… mais tout ballet du roi indique la célébration du pouvoir royal et donc fort opportunément, la conclusion marque le retour à l’équilibre et à l’harmonie grâce à la figure du Roi.

Dans la disparité apparemment confuse des tableaux (entrées), c’est au contraire la propre image du roi, la relation complexe entre pouvoir et courtisan, les alliances et rivalités dynastiques à l’échelle européenne qui surgissent sous le filtre des symboles: d’où dans le Ballet des Fées par exemple la caractérisation comique des espagnols (quatrième ballet: la guerre, ou entrée de la fée Alizon, celle des vaillants combattants): les ibériques, ennemis jurés des Français à l’aube de la Guerre de Trente Ans y sont copieusement caricaturés; c’est qu’ils sont les diables à abattre… Les Habsbourg menacent alors d’encercler les Bourbons…


Fantaisie burlesque

En dépit de la promesse de son titre, le spectacle créé à Versailles ce 10 novembre n’est pas dansé; les amateurs de reconstitution ne sont pas non plus exaucés. Les interprètes du Shlemil Théâtre retrouvent à sa source l’univers visuel et l’imaginaire déluré du ballet burlesque pour en déduire selon notre sensibilité du XXè, un programme à numéros, qui enchaîne scènes comiques et performances de cirque où acrobates et comédiens farfelus se succèdent, sans aucune pointe ni moraliste ni politique.

Le charme particulier de la production, si étrangère à toute idée de ballet historique baroque vient essentiellement de la participation des jeunes Pages de la Maîtrise du CMBV: autant chanteurs qu’acteurs, les talents en herbes se dépassent littéralement, démontrant tout ce que l’institution pédagogique apporte aujourd’hui en bénéfices formateurs; associés aux concerts à la Chapelle royale et ailleurs dans le chœur pour de plus amples programmes, les Pages expérimentent ce soir par le jeu et le mouvement, la dimension théâtrale de la scène, avec ici, une finesse de ton absolument convaincante.
Souvent le burlesque bascule en onirisme : passage millimétré que réalise chacun des enfants acteurs et qui produit sur la scène de nombreux épisodes esthétiquement abouti (le Page chantant sur une boule comme un équilibriste funambule)…

A l’Opéra royal de Versailles, les passionnés de danse restent sur leur faim. Les amateurs de joyaux baroques regrettent les nombreux décalages de l’orchestre, même si l’unique chanteur (Jean-François Novelli) a assumé crânement tous les rôles endossés… Et ceux qui souhaitaient voir le Ballet de 1625 dont les costumes et l’inventivité inouïe des tableaux sont préservés grâce aux nombreuses planches en couleur (recueil de dessins de Daniel Rabel, 1626, conservé au Louvre): ils attendent toujours … Le public lui a tranché: enthousiaste comme jamais dans la salle versaillaise, il a réservé une ovation au spectacle présenté. Les Fées étaient bien présentes, du côté des artistes et des Pages, particulièrement convaincants.

Versailles. Opéra Royal, le 10 novembre 2012. Ballet des Fées des Forêts de Saint-Germain. Jean-François Novelli, taille. Artistes du Shlemil Théâtre. Compagnie de théâtre visuel le Shlemil Théâtre. Cécile Roussat et Julien Lubek, mise en scène ; Elodie Monet, scénographie ; Sylvie Skinazi, costumes. Les Pages et les Symphonistes du Centre de musique baroque de Versailles. Olivier Schneebeli, direction

approfondir

Lire l’excellent ouvrage collectif édité par Thomas Leconte: « Les Fées des forêts de saint-Germain, 1625 » (Brepols). Collection  » Epitome musical « , Centre d’études supérieures de la Renaissance, Centre de musique baroque de Versailles. Pour comprendre dans sa foisonnante complexité le ballet burlesque à la Cour de Louis XIII, la publication apporte de nombreuses réponses. Incontournable. 425 pages. ISBN: 9 782503 547930. Parution: novembre 2012.

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