samedi 20 avril 2024

Venise. Palazzetto Bru Zane. Dimanche 3 octobre 2010. Festival Luigi Cherubini 2010. Luigi Cherubini: Clytemnestre, Circé, Pimmalione. Les Nouveaux Caractères

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Pimmalione, 1809

Autant les Cantates Clytemnestre et Circé nous renvoient à la filiation classique de la tragédie lyrique héritée des derniers Bourbons, celle de Gluck puis de Grétry (Andromaque, 1789, sujet d’une réévaluation récente du Centre de Musique romantique française), autant le dernier opus du programme, défendu à Venise par Sébastien d’Hérin, Pimmalione, drame en un acte, relève plutôt d’un genre visionnaire qui synthétise en 1809, les meilleurs Mozart et aussi le jeune Rossini; c’est dire ce jalon désormais essentiel que contient les oeuvres de Cherubini.
Le Centre de musique romantique française à Venise (Palazzetto Bru Zane) réussit son festival Cherubini: après un concert d’ouverture dédié au Quintette avec deux violoncelle du Florentin (Palazzetto Bru Zane, samedi 2 octobre 2010), l’apport de ce nouveau concert est à nouveau indiscutable.

Nous plongeons comme son festival antérieur dédié aux « Origines du romantisme français » (dévoilant la facture spécifique des pionniers aujourd’hui réhabilités, Hérold et Onslow), au coeur de la matrice stylistique française; une source synthétique qui éblouit par son sens de la mesure et de l’originalité, entre les tendances italiennes et germaniques, trouvant pour la France un renouveau dans l’opéra et ausi la musique de chambre…

Sur le plan lyrique, l’art de Cherubini, qui passe les régimes sans faiblir (du cercle de Marie-Antoinette, approché dès 1785 à Versailles, à la Révolution, de l’Empire à la Restauration), imposant même un art dramatique de plus en plus souverain, se précise: il y a chez lui une nette tendance exemplaire à cet éclectisme de synthèse qui permettra ensuite à Berlioz d’éblouir à sa suite dans l’art du dramatisme intense, passionné, violent (d’ailleurs, ce dernier aimait à relever chez son aîné, un trait propice à la colère voire à la brutalité). Mais là où Berlioz s’approche d’un Delacroix, riche en couleurs, génial dans le mouvement des compositions, Cherubini se rapproche quant à lui du néoclassicisme d’Ingres qui en fit le portrait (comme directeur du Conservatoire qu’il dirigea presque 20 ans; en 1842, l’année même de sa mort à … 82 ans); Pour autant réduire Cherubini à une leçon de classicisme et d’académisme poussiéreux comme le répétait ce diable de Berlioz (quoique plus admiratif vis à vis du Requiem et de certaines Messes de l’Italien…), serait une erreur. Cherubini comme Ingres est tout sauf appliqué, respectueux, prévisible: l’invention dépasse le convenu et souvent, Médée oblige (son chef-d’oeuvre de 1797), le génie musical dépasse les genres et les écritures de l’époque.

Talent réel des combinaisons ou fourmillent les idées mélodiques, la plume de Cherubini sait ficeler une action. Les deux premières Cantates montrent comment le Florentin maîtrise la déclamation du texte dont l’intensité expressive est constamment relevée par l’activité de l’orchestre. Assise vocale de la soprano Caroline Mutel dans Clytemnestre (on reste moins convaincu par ses aigus souvent criés et vibrés); magicienne défaite et encore amoureuse (d’Ulysse), Circé convient idéalement au velouté mielé du timbre de Karine Deshayes… la cantatrice sait colorer ses aigus, de la haine vengeresse aux visions lugubres et terrifiantes, de la tendresse impuissante à la tristesse profonde… Prosodie parfaite, naturelle et projetée; voix agile et tout autant investie, la chanteuse rayonne d’autant que l’orchestre dirigé par Sébastien d’Hérin fourmille de couleurs et de teintes nuancées que seul permet une formation d’instruments d’époque. Voilà qui marque nettement la différence avec les lectures aujourd’hui dépassées de Muti fut-il pionnier en la matière. L’écriture de Cherubini où brillent et s’épanouissent des trouvailles instrumentales, des alliances savoureuses, mérite assurément la vitalité souple et expressive des Nouveaux Caractères.
A près de 20 ans de distance avec les cantates déclamées, Pimmalione offre un autre type d’accomplissement dans la carrière de Cherubini: le rôle tenu par un castrat alto et le texte chanté en italien aux Tuileries en 1809 pour Joséphine (qui favorisait les italiens dont Spontini) sont des archaïsmes au coeur de la France impériale romantique. Mais Cherubini qui sait s’imposer à la Cour malgré le peu d’amitié que lui réservait Napoléon (Joséphine saura faire appel à lui pour un autre chef d’oeuvre, Les Abencérages de 1813), affirme sa dextérité inventive et la noblesse de sa facture dans l’écriture: là encore foisonnante et subtile, pleine de malices et d’invention qui permet au rôle-tire (Pygmalion), ici incarné par l’excellente diseuse Nora Gubisch, de sculpter sa partie avec finesse et mordant. Amoureux transi de sa propre création (Galatée), l’artiste délire, étouffe, expire, se lamente car il ne sait plus créer… Il faut bien à nouveau toute le sensualité souveraine et rayonnante de Karine Deshayes (Vénus) pour exaucer la prière du mortel terrassé: donner vie à la statue, maîtresse de son coeur. Cherubini varie les climats, souligne sans artifices, l’enjeu et la couleur de chaque tableau: monologue introductif douloureux de Pimmalione, apparition magicienne de Vénus (escorté par le jeune amour), choeur des sculpteurs, exalté appelant le triomphe de l’amour, puis duo entre le sculpteur et sa création miraculeusement animée, enfin trio en rondo des 3 personnages. Plus qu’un drame de circonstance, Cherubini nous plonge dans la palpitation du sentiment. D’autant que bénéficiant d’un plateau vocal plutôt convaincant, Pimmalione qui est une recréation car il a fallu travailler à partir de la partition manuscrite (jamais éditée à la différence de beaucoup d’opus de l’auteur) se fait magistrale exhumation.

Chez Cherubini comme chez Ingres, même phénomène: même audace rentrée et bien présente. Sous la touche et le vernis officiels, se cachent des pépites saisissantes par leurs raccourcis, leurs audaces, leur tempérament, ce feu bouillonnant jusque dans les dernières années qui est la marque des grands créateurs. Cherubini l’audacieux, l’inventif, le visonnaire, néo mozartien et rossinien, préberliozien.. qui l’aurait pensé? Grâce au festival européen proposé par le Cente de musique romantique française Palazzetto Bru Zane, l’image de Cherubini est dépoussiérée; le compositeur et son oeuvre réhabilitée. La prochaine recréation de son opéra comique de 1791, Lodoïska, devrait confirmer notre sentiment et tenir l’auteur de Médée comme l’un des dramaturges lyriques les plus intéressants au début du XIXè.

Le festival Cherubini et les premiers romantiques rayonne depuis Venise en Europe tout au long des mois d’octobre et de novembre 2010. Il sait écarter le déjà connu (Médée aujourdh’ui parfaitement estimée depuis son exhumation par Maria Callas à la fin des années 1950) et favorise les perles inédites chambristes et lyriques… Festival incontournable.

Venise. Scuola Grande San Giovanni Evangelista, dimanche 3 octobre 2010. Festival Luigi Cherubini et les premiers romantiques. Luigi Cherubini (1760-1842): Clytemnestre, Circé, cantates. Médée: extrait (aria di Dircé). Pimmalione (1809). Caroline Mutel, soprano. Karine Deshayes, mezzo. Nora Gubisch, mezzo. Les Nouveaux Caractères. Sébastien d’Hérin, direction.

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