vendredi 29 mars 2024

Trip to Asia, en quête d’harmonie. Le Berliner en tournée, 2005 Film de Thomas Grube (Allemagne, 2008, 1h48mn)

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Des individus, un orchestre

Le film s’immerge dans l’orchestre, pendant une tournée en Asie (Chine, Corée, Taiwan, Japon…), courant 2005, où entre les vols d’avions, les répétitions, la lecture des oeuvres aussi diverses que Une vie de héros de Strauss, Ectasio d’Adès, La 3ème Symphonie de Beethoven (et sa fameuse marche funèbre), la caméra s’intéresse au mental et aux rapports ténus des individus qui font l’orchestre. Rapport du chef et du collectif, rapports des instrumentistes entre eux, surtout conception de l’intégration et de la fusion de chaque individualité pour que se précise la sonorité cohérente, unitaire, somptueuse du Berliner: une sonorité mystifiée, légendaire qui a connu ses heures de gloire et ses moments honteux (pendant le régime hitlérien) et dont les actuels musiciens, plutôt jeunes, doivent réussir le défi de l’approbation, pris dans l’histoire actuelle de la phalange philharmonique la plus célèbre au monde, entre tradition et nécessaire renouvellement.

A Pékin, chacun exprime ses doutes et ses attentes au moment où il a fallu se faire accepter pour rejoindre le « meilleur orchestre du monde ». A Séoul, confronté à la partition novatrice d’Ectasio de Thomas Adès, un compositeur contemporain choisi par Simon Rattle, directeur depuis 2002, l’orchestre éprouve d’autant le lien à la tradition, mise à mal par le défrichement de nouvelles oeuvres, et la constitution d’un nouveau répertoire. Un ancien qui a connu la direction de Karajan, se souvient de la sonorité du chef allemand: il n’a de cesse aujourd’hui de retrouver ce son perdu.
A Changhai, le film aborde l’autre qualité requise pour chaque musicien: la pédagogie. Au Conservatoire de Musique, plusieurs solistes sont invités à donner une masterclass: écoute de son propre son, recentrage de l’énergie sur l’instrument, musicalité, jeu et style sont autant de facettes de l’exercice musical abordés avec vivacité pour la transmission du savoir et de la pratique. Le film décolle alors vraiment puis retombe sur l’ego du musicien quand le documentaire évoque les répétitions de l’Eroïca de Beethoven: moi et l’autre, comment jouer dans l’orchestre en étant soliste… comment accepter la contrainte de la discipline collective et la respiration individuelle…

D’ailleurs, certains pour « tuer » le stress de la tournée et l’oppression du vase clos qui en découle: font du vélo (roues et cadres sont acheminés par valises depuis Berlin !) ou bien encore passionnés par la nature, décomptent le nombre d’espèces endémiques … comme à Hong Kong, les papillons (à peu près 500 quand l’Allemagne en dénombre 140)… autant de questions qui à la longue deviennent répétitives et surtout fastidieuses. Le montage aurait dû préférer un classement thématique des idées plutôt que revenir à chaque fois sur l’éternelle question des doutes et de difficultés d’être musicien dans un orchestre. La tension est d’autant plus vive voire insupportable pour les jeunes interprètes entrants qui doivent passer et réussir leur période probatoire: sont ainsi sur la sellette, pendant cette tournée « test », Martin von der Nahmer (alto, né en 1978), Raphael Haeger (percussioniste né en 1971), Micha Afkham (alto né en 1979)… quant à la piccolo Virginie Reibel… elle est la seule non retenue par les membres de l’orchestre, n’ayant pas été adoubée par vote auprès des 2/3 des voix du Berliner. Parmi les visages connus, les connaisseurs retrouveront l’oboïste solo Albrecht Mayer (né en 1965, membre depuis 1992) et le contrebassiste originaire de Caracas, partenaire de Gustavo Dudamel, Ediczon Ruiz (né en 1985) qui membre du Berliner depuis 2003, incarne la génération nouvelle.

Thomas Grube recueille chaque témoignage de musicien avec pudeur et distance. Il analyse ce qu’a de fragile la vie d’un instrumentiste d’orchestre, fut-il accepté dans la phalange la plus enviable au monde. Souvent la caméra se fait oeil du psychanalyste, quoique les sujets tournent toujours autour des mêmes angoisses: reconnaissance, intégration, acceptation… Même ici, les plus jeunes doivent passer une période probatoire pour faire leurs preuves et réussir leur insertion. En privilégiant l’humain sur le musical, le réalisateur qui s’est initié à la musique grâce à Uwe Dierks qui fut le chauffeur de Leonard Bernstein, offre aux 126 musiciens du Berliner, un film personnel dont les images accordées à la superbe musique d’Une vie de héros de Richard Strauss (qui a dirigé son oeuvre avec l’Orchestre) et que Karajan a maintes fois interprétée du temps où il était directeur à vie de l’orchestre, apportent un témoignage fidèle de la vie d’un musicien: inquiétudes, doutes, stress… enfin bannis quand le but ultime est atteint, nourris d’attentes et d’espoirs: cet accomplissement dans la musique, quand tous ne font plus qu’un. Les dernières images à Taipei, quand l’orchestre « rencontre » et se fond dans la masse du public venu l’entendre, comme image d’une communion sacrée, transcendée par l’expérience de la musique, reste le moment le plus fort du montage.

A défaut de la saisir durablement, chacun est porté par cette quête d’harmonie, audible dans chaque partition jouée de concert, concrète dans sa relation avec l’autre. Nécessaire, vitale. Le réalisateur a été visiblement submergé par les images collectées pendant ce « trip » asiatique. Dommage que la construction piétine, se répète souvent, ne rentre dans le travail musical que rarement. Reste la beauté des images et les parallèles plus juxtaposés que fondus entre les images des musiciens, et les innombrables clichés saisis dans les rues des métropoles d’Extrême-Orient.

Trip to Asia, en quête d’harmonie. Film documentaire de Thomas Grube. 1h48mn, Allemagne, 2008. Réalisé pendant la tournée en Asie de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Sortie française: 29 octobre 2008.

Illustrations: Martin von der Nahmer, alto en probation pendant la tournée. Sir Simon Rattle dans sa loge,. La communion entre le public et l’Orchestre,. Deux musiciens de l’Orchestre à Taipei font du vélo pour s’extraire de la vie de l’orchestre… © films sans frontières 2008

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