mardi 19 mars 2024

CD coffret événement : BEETHOVEN revolution (vol1), Jordi SAVALL (Symphonies 1 à 5 – Le Concert des Nations, Académie Beethoven 250 – 3 cd Alia Vox, 2019)

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beethoven revolution symphonies 1 5 savall critique cd classiquenewsCD coffret événement : BEETHOVEN revolution (vol1), Jordi SAVALL (Symphonies 1 à 5 – Le Concert des Nations, Académie Beethoven 250 – 3 cd Alia Vox juin sept 2019). C’est un feu de joie dont l’allant percute et avance sans lourdeur ni épaisseur ; Jordi Savall dévoile un Beethoven dépoussiéré, vif argent, grâce aux tempos enfin rétablis. L’équilibre des pupitres (cordes en boyau, bois, vents et cuivres), la puissance des unissons, la violence des tutti, fouettés et onctueux, l’intelligence des nuances, la fermeté virile du geste… indiquent une lecture d’une rare cohérence.

Les premières symphonies sont relues avec une vitalité régénératrice, un sens du détail et aussi une clarté structurelle de premier plan. La n°1 (1800) impose un souffle, des respirations amoureuses, une hauteur de vue, un sens irrésistible des équilibres ; l’orchestre est conçu comme une assemblée d’individualités pourtant unifiées en une direction commune. L’emblème même de la société active réconciliée, fraternelle : soit l’accomplissement de l’idéal beethovénien. Sur le plan musical, l’auditeur se délecte tout autant de la ciselure, de l’énergie, de l’esprit réformateur comme de l’activité franche d’un orchestre impérial. Savall nous fait entendre le bruit du chaos primordial, la forge armée et conquérante, le relief des armes belliqueuses, les gouffres vertigineux ouverts et le pur esprit créateur, celui qui organise la matière pour que surgisse la lumière (pulsion dyonisiaque furieuse et dansante du dernier Allegro). Les temps de suspension plus méditative et de plénitude tendre, d’effusion fraternelle façonnent la superbe articulation du Larghetto de la Symphonie n°2 (1802) où scintillent frottements harmoniques et saveur des timbres caractérisés.

Dès le début de la 3è Eroïca (1804), en son Allegro con brio se déploie le vol de l’aigle, ses hauteurs olympiennes où les secousses militaires et les déflagrations semblent comme absorbées, distanciées / intégrées dans un panorama à l’échelle du cosmos : déjà le destin frappe à la porte (6 coups assénés), expression d’une détermination âpre, inextinguible, à laquelle trait du génie, succède la Marcia funèbre : Savall y élargit encore le cortex beethovénien , irrépressible déploration funèbre (le deuil des idées trahies par Bonaparte devenu Napoléon le tyran) ; le geste est mordant, nerveux (en écho avec l’aigreur millimétrée des cuivres) et la palette des nuances aussi étendue que délectable (les bois d’une voluptueuse présence, souple, affectueuse). La forge symphonique beethovénienne palpite à chaque mesure. Dans cette fabuleuse descente infernale s’accomplissent un relief instrumental, une intensité nimbée par les couleurs sidérantes des bois. Le travail est exceptionnel et rétablit la filiation de Ludwig avec Mozart et Haydn (colonnes maçonniques et gravitas du Requiem du Premier ; vibration fantastique de La Création du Second). Le chef catalan avait déjà abordé la partition en 1994 dans une version pleine de fougue et de contrastes, prélude nécessaire semble-t-il à l’accomplissement de 2019.

La 4è (1806) pétille et trépigne, assénant avec une motricité rythmique exaltée, l’avènement d’une ère nouvelle ; introduit par l’Adagio préliminaire, l’Allegro II avance, impérial, impérieux, ivre de sa force électrisée. Même jeu d’équilibre entre percus et cuivres tranchantes, bois onctueux et cordes trépidantes dans l’Adagio qui conduit à une plénitude nouvelle : le fini instrumental (clarinette olympienne) semble y recueillir la leçon du dernier Mozart. Tout s’accorde et s’organise pour la vitalité éruptive mais organisée du dernier Allegro : danse et transe à la fois, dramaturgie chorégraphique, feu de joie d’une irrépressible énergie.

La 5ème (1808) peut alors ciseler ses accents tranchants, véritables appels à la sidération ultime, pour que naisse en un dénouement cathartique, l’euphorie salvatrice finale. Là encore le détail, la nervosité, une certaine dramaturgie du désespoir qui confère la gravité, soutient une lecture somptueusement pensée : où l’Allegro serait l’expression d’un espoir planétaire et cosmique, bientôt déçu et enterré manu militari dans l’Andante qui suit, selon un diptyque bien connu à présent et inauguré dans la 3è « Eroica », elle aussi contrastée et bipolaire, exaltée puis méditative jusqu’au dénuement le plus total. Savall en comprend l’échelle des registres, l’écart vertigineux des deux versants. La jubilation olympienne, exaltation et extase fraternelle, du dernier Allegro affirme ce galop étincelant (éclairs et saillies des bois et des vents, clarinette, flûte…éperdues / « sempre più allegro »).

CLIC D'OR macaron 200Dans les faits, Jordi Savall démontre une compréhension profonde du massif beethovénien ; il en révèle les équilibres singuliers, d’autant mieux mesurés depuis son interprétation précédente des 3 dernières symphonies de Mozart (2017-2018). L’auditeur y détecte une filiation avec l’harmonie des bois et des vents, particulièrement ciselés et privilégiés, dialoguant avec les cordes, jamais trop puissantes. La martialité de Ludwig s’en trouve allégée, plus percutante, et c’est tout le bénéfice des instruments d’époque qui jaillit, renforçant les contrastes beethovéniens. La sonorité est l’autre superbe offrande de Savall grâce à l’effectif : autour de 60 instrumentistes dont 32 cordes ; la fidélité aux souhaits de Beethoven est éloquente dans cette clarification entre les pupitres. Voilà comment le chef catalan éclaire de l’intérieur l’expressivité beethovénienne où l’orchestre n’exprime pas la pensée musicale : il est cette pensée elle-même. Pas de masques ni d’enveloppe formelle : franc et direct, les musiciens fusionnent avec le sens : il porte l’esprit du génie créateur. Ce premier coffret des Symphonies 1 à 5 (un second est annoncé comprenant les 6 à 9) démontre aussi la pertinence des moyens mis en œuvre : Savall a organisé plusieurs académies musicales où instrumentistes aguerris de Concert des Nations encadrent et pilotent de plus jeunes ; de sorte qu’aux côtés de la pertinence artistique, la transmission et le partage s’invitent à cette fête collective de la transe et de l’élégance. Lecture majeure. Vite le 2è volume de cette intégrale Beethoven de premier plan. Pour l’année BEETHOVEN 2020, on ne pouvait rêver geste plus saisissant. CLIC de CLASSIQUENEWS.COM

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CD coffret événement : « BEETHOVEN révolution » Jordi SAVALL (Symphonies 1 à 5 – Le Concert des Nations, Académie Beethoven 250, château de Cardona, Catalogne, juin / sept 2019 – 3 cd Alia Vox)

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LIRE aussi notre critique du coffret des 3 dernières Symphonies de MOZART par Jordi Savall / CLIC de classiquenews (été 2019) :

https://www.classiquenews.com/cd-coffret-evenement-mozart-les-3-dernieres-symphonies-39-40-41-jupiter-jordi-savall-3-cd-alia-vox/

LIRE aussi notre dossier spécial LUDWIG BEETHOVEN 2020 : dossier pour les 250 ans de la naissance de Beethoven (cd, livres, dvd, biographie, etc…):

https://www.classiquenews.com/dossier-beethoven-2020-les-250-ans-de-la-naissance-1770-2020/

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