vendredi 19 avril 2024

Toulouse. Halle-Aux-Grains. Le 23 novembre 2012. Kraus, Mozart, Beethoven: Martin Fröst, clarinette de basset ; Orch National du Capitole de Toulouse. Giovanni Antonini, direction

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L’Orchestre du Capitole est ce soir dirigé par Giovanni Antonini, un chef reconnu mondialement pour ses qualités de fondateur d’Il Giardino Armonico, orchestre baroque qui a su s’ouvrir les faveurs du public comme des critiques. Venu progressivement au répertoire classique et romantique en dirigeant des phalanges prestigieuses, Giovanni Antonini est ce soir un chef préromantique abouti et retrouve Toulouse pour un plaisir partagé.


Dans Mozart, Fröst nous emmène au ciel !

Dès les premières mesures de la symphonie en Ut mineur de Joseph Martin Kraus, il est évident devant ces chants gémissants des cordes divisées, que nous tenons là une oeuvre injustement méconnue qui va sur des chemins aussi originaux qu’inattendus. Cet exact contemporain de Mozart est dans cette oeuvre ouvertement mélancolique et sombre. Le Sturm und Drang, ce courant artistique si particulier, tient là un défenseur vibrant. Musicien mais aussi grand intellectuel, cet homme à la vie très courte marque de son empreinte une oeuvre fort vaste qui n’est vraiment découverte que très récemment. Joseph Martin Kraus a abordé tous les genres. L’inspiration atteinte dans cette symphonie est à un tel sommet qu’ il est temps que d’ autres oeuvres de Kraus sortent de l’oubli. Le premier mouvement se révèle donc plaintif mais avec une profondeur admirable et une énergie désespérée que la tonalité de do mineur magnifie. L’orchestration aussi est particulièrement étudiée : Pas de flûtes, les hautbois par deux, les bassons également mais les cors par quatre. Cette association permet des choix de couleur dans un camaïeux de noir. Rien de brillant ou de galant mais au contraire des moments de grande introspection avec une science de l’écriture qui permet une forte densité sans lourdeur. Les bassons ont un rôle déterminant avec un son rond et chaud mais à la profondeur angoissante. Les cors savent aussi vociférer une sorte de rage douloureuse ou exprimer une plainte comme un appel des profondeurs de la nature. Les violons sont souvent opposés et créent une tension permanente sans jamais de vrai repos. L’urgence est grande et les contre-chants, les jeux de questions-réponses, remplissent un espace sonore particulièrement riche de sens. Le deuxième mouvement est une danse sombre et un peu lourde qui ne cherche pas à faire croire à une joie feinte. Le final est particulièrement bouillonnant avec une sorte de course à l’abîme angoissante. À nouveau le basson apporte sa couleur sombre si belle. La plus grande virtuosité est requise dans le tempo vif demandé par le chef. Antonini se révèle très nuancé dans une direction qui fait la part belle aux gestes enveloppants. La précision est ainsi comme enrubannée par un phrasé onctueux.
Plus d’un aura été pantois devant cette très belle découverte : Joseph Martin Kraus, est un compositeur à réhabiliter.
LE concerto mozartien par excellence, le somptueux concerto K.622 pour clarinette, datant de la dernière année de vie de Mozart, était le moment le plus attendu du concert. La présence du très admiré Martin Fröst étant une chance que beaucoup appréciaient sur le seul nom de ce soliste très célèbre. La silhouette élancée du musicien suédois, à l’allure pleine d’énergie et de charme, son incarnation de la musique en un monde personnel s’est fait sentir, dès ses mouvements d’appropriation, lors de l’introduction orchestrale. Il faut dire que le chef allait faire bien plus que simplement l’accompagner ; il a pris cette partition à bras le corps pour nous donner à entendre bien des choses souvent vécues comme secondaires. C’est ainsi qu’attentif aux commentaires et couleurs de certains fragments, il a donné à cette partition sublime toutes les nuances et les couleurs rêvées. En totale osmose avec l’orchestre et le chef, Martin Fröst a été la musique à l’état pur. Il a choisi un instrument plus grave, proche du cor de basset pour lequel Mozart a écrit sa partition. La couleur sombre et chaude de cet instrument, qui n’est pas obligé de transposer dans l’aigu, respecte donc les vœux du compositeur. Tout s’équilibre donc parfaitement entre le soliste et l’orchestre dans un jeu de clair-obscur troublant. La virtuosité est totale, elle a su faire oublier l’instrument. Ici nous avons entendu l’âme de Mozart, frère maçon, ami offrant sa plus belle partition à un musicien utilisant un instrument original et à l’avenir incertain. Le premier mouvement virevolte en des nuances suaves et des phrasés admirablement dépliés. La longueur de souffle du clarinettiste, sa riche palette de couleurs, ses nuances extrêmement vastes, tout a permis de déguster les beautés de cette œuvre. La présence de graves solides, les subtils ornements dans les reprises et la saillie des traits, vivifient l’écoute d’une œuvre que chacun croyait connaître par cœur dans sa version pour clarinette. La poésie de cette interprétation atteint son apothéose dans le célébrissime Adagio. L’orchestre est présent et dialogue avec le soliste à l’envie. Antonini est attentif aux moindres moments. L’instrumentiste est si présent à la musique que les cieux de beauté s’ouvrent lors de la cadence qui dans le même souffle permet à Martin Fröst de reprendre le thème pianissimo sans rupture de ligne à la manière des plus grandes divas mozartiennes. L’émotion magique se dissout dans une note pianissimo prolongée du soliste à la fin de l‘Adagio, faisant continuité avec le silence encore musique, qui suit les œuvres de Mozart. Le final est vif et charpenté permettant à la joie de prendre provisoirement le devant de la scène. Dansant autant que possible en jouant, Martin Fröst subjugue par une maîtrise totale de la partition dans ses moindres recoins. Le succès est tel, que deux bis sont offerts. Le premier avec le quintet à cordes de l’orchestre offre une visitation de l’Ave Maria que Gounod a écrit sur un prélude de Bach. Assurant la basse continue à la clarinette, Fröst semble ne jamais respirer. Une composition toute personnelle en solo sera ensuite son cadeau d’adieu mêlant chant, souffle et fragments connus ou inventés dans un véritable feu d’artifice. Notons que pour les bis Martin Fröst est revenu à sa « petite » clarinette.

En deuxième partie de concert, la huitième symphonie de Beethoven n’a pas permis de retrouver ces hauteurs en raison du choix un peu trop nerveux du chef qui fait de cette oeuvre une symphonie avant tout brillante. Une certaine brutalité bouscule l’auditeur même si la réalisation musicale est sans failles. L’orchestre suit le chef presque sans siller, mais l’humour est absent ; le propos est trop abrupt et la poésie n’est pas présente, surtout dans le menuet. L’héritage baroque est un peu trop envahissant et demandait à être assoupli ; même si la mise en valeur de toutes les parties est exemplaire c’est un peu le sens général qui échappe. Le brillant orchestral a fait son effet car le final a été décoiffant et le public a manifesté son approbation avec enthousiasme à cette interprétation très particulière.

Toulouse. Halle-Aux-Grains. Le 23 novembre 2012. Joseph Martin Krauss (1756-1792) : symphonie en ut mineur, V.B.142 ; Wolgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur, KV.622 ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n° 8 en fa majeur, op.93 ; Martin Fröst, clarinette de basset ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Giovanni Antonini, direction.

Illustration: Martin Fröst (DR)
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