mardi 16 avril 2024

Toulouse. Halle Aux Grains, le 12 octobre 2010. Schubert , Brahms et Schumann… Valeriy Sokolov, violon. Yannick Nézet-Séguin, direction

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Yannick Nézet-Seguin à Toulouse
Un romantique heureux

Ce premier concert de la saison des grands interprètes est d’une générosité rare tant en ce qui concerne le programme, trois œuvres majeures du romantisme allemand, que les interprètes tous absolument enthousiastes. Le Chamber Orchestra of Europe compte des solistes de premier plan issus pour une bonne part de l’Orchestre des Jeunes de l’Union Européenne. De l’avis de beaucoup, y compris de leur chef pour cette tournée européene, il est l’un des meilleurs du monde. Yannick Nézet-Seguin s’y entend, lui qui a dirigé les plus grands orchestres du monde et va prendre la direction de l’Orchestre de Philadelphie en 2012, l’un des « big five ».
Dès le premier accord fortissimo de la symphonie n° 4 de Schubert le public est subjugué par l’énergie débordante du chef qui se rue dans une interprétation très théâtrale, arrachant aux instrumentistes un enthousiasme hors du commun. La délicatesse de la réponse des cordes laisse ensuite sans voix. C’est bien l’esprit de la musique de chambre qui domine cette interprétation par un orchestre dans lequel chaque instrumentiste est très engagé, écoute autant qu’il regarde et semble ne pas quitter un instant une vigilance généreuse. Les regards complices répondent aux gestes précis et sensuels du chef. Dirigeant par coeur il est faible de dire combien Yannick Nézet-Seguin en connaît chaque infime nuance. Il est prodigieux de voir un chef aussi à l’aise en dirigeant, ne s’imposant aucune limite dans l’énergie de sa gestuelle et qui obtient ce qu’il veut de l’orchestre. Les nuances sont abyssales et les tempi souvent vertigineux. Cette symphonie décrite comme tragique n’a rien de grave ici. Tout y fuse d’une énergie vitale débordante. La tendresse du chant du hautbois apporte à l’andante une délicatesse rare qui gagne tous les pupitres. L’allegro final n’est pas fiévreux mais d’une santé joyeuse, avec des rythmes d’une précision diabolique dans un tempo d’enfer. Les bois méritent une mention particulière en raison de couleurs magnifiquement contrastées et les cuivres sont vivifiants.

Le concerto pour violon de Brahms permet d’accueillir un jeune soliste particulièrement prometteur. Valeriy Sokolov n’a que 24 ans et son sérieux impressionne. Il offre une interprétation concentrée et sans épanchements inutiles de cette partition complexe. La maturité dont il fait preuve est stupéfiante. Certes la technique est superlative mais c’est la tension que son jeu dégage qui émeut. Le son est dense sans aucune lourdeur, sans séduction facile non plus. Durant tout le concerto le jeune homme restera concentré et sérieux. Il ne répondra aux larges sourires de Yannick Nézet-Seguin que sur sa dernière note, visiblement soulagé et très heureux de leur prestation. Car si Pablo de Sarasate irrité par la longueur, et certainement la beauté du thème de l’andante confié au hautbois,a toujours refusé de jouer cette oeuvre, il a paru évident que Valeriy Soklov a dégusté cette introduction avant de trouver la même délicate tendresse dans son chant planant. Un grand moment de grâce dansé par le chef a complètement séduit le public. Le final est abordé par Yannick Nézet-Séguin comme une sorte de plaisanterie. Le lourd rondo gagne ainsi un esprit rare. Tout danse et la virtuosité devient comme un jeu facile à l’orchestre comme pour le vaillant soliste. La simplicité de tenue de Valeriy Sokolov a complètement fait oublier la difficulté de ce concerto, en opposition avec les audaces du chef d’orchestre qui ose des mouvements presque sportifs ! L’orchestre de bout en bout est somptueux et si certains aiment des cordes nombreuses et moelleuses dans ce concerto, la qualité des cordes est si parfaite, l’équilibre si juste que l’option chambriste convainc comme rarement. La disposition de l’orchestre est inhabituelle, avec contrebasses à gauche derrière les violons I, les violoncelles, puis les alto, le second violon tout à droite. Cela permet en tout cas une précision de jeux et une spatialisation délicieuse.

Après l’entracte la Symphonie en ut majeur de Schumann réserve les moments les plus inouïs. Cette partition trouve ici une sève inépuisable et le rythme implacablement maintenu par la main de fer de Yannick Nézet-Seguin obtient de l’orchestre un jeu brûlant à l’énergie incommensurable. Les couleurs irradient, les harmonies riches saturent presque. Les nuances sont très audacieusement amplifiées. Chaque soliste mérite les plus vifs éloges avec notamment des trombones profonds et un hautbois aérien à la sonorité féerique. La sombre couleur du basson, sans aucune lourdeur, impressionne par sa puissance maîtrisée. Mais surtout les cordes ont une vivacité et une précision de coup d’archet rarement entendues. Une phrase aérienne pianissimo des violons nous ouvre un instant le ciel.
La direction de Yannick Nézet-Seguin gagne encore en puissance et en charisme dans cette symphonie. On reste subjugué par un talent de direction unique alliant précision et fantaisie heureuse à un niveau d’enthousiasme constamment renouvelé. L’évidence du bonheur à faire de la musique ensemble a galvanisé le public, très gâté par un programme si riche, qui a fait une ovation méritée aux interprètes. Ils poursuivent leur tournée au-delà des Pyrenées pour enchanter un nombreux public.

Toulouse. Halle Aux Grains, le 12 octobre 2010. Frantz Schubert (1797-1828) : Symphonie n°4 en ut mineur , D.417 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op.77 ; Robert Schumann (1810-1856) : Symphonie n°2 en ut majeur op.61. Valeriy Sokolov. Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nézet-Seguin, direction

Illustration: Yannick Nézet-Séguin © M.Borggreve
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