vendredi 19 avril 2024

Titus, prince des vertus politiques

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Titus empereur : il incarnait "les délices du genre humain"DOSSIER. Titus de Mozart : le prince des vertus à l’époque des Lumières. Après Son premier seria (éblouissant par sa justesse émotionnelle déjà) : Mitridate (1770, élaboré à 14 ans !), puis Lucio Silla (1772), Idomeneo (1781), la Clémence de Titus est créé en 1791 l’année de la mort de Mozart, répondant à une commande pour le couronnement de Leopold II au trône de Bohème. La langue mozartienne assouplit la sécheresse systématique de l’alternance recitatifs puis airs ; tout s’articule et ondule selon le traitement psychologique et le dévoilement de la psyché, en particulier sur le profil de Vitellia, la seule qui se transforme, passant de la haine pétrifiée, à la compassion tendre et fraternelle. Face à cette femmes monstrueuse qui s’humanise, Mozart suit cependant la tradition politico poétique dans le personnage du roi : Titus, que sa charge rend sombre, solitaire, comme isolé dans une posture qui le place d’emblée au dessus de ses sujets, fussent-ils proches voire plus (Sextus).

Titus, a contrario de l’opéra vénitien du XVIIè, où règnent les souverains pervers – « effeminatos », figures emblématiques du pouvoir corrompu : Nerone du Couronnement de Poppée de Monteverdi, Eliogaballo de Cavalli-, incarne un siècle plus tard toutes les vertus politiques. C’est la version Métatasienne qui valorise le pouvoir politique, prêtant au prince, des vertus mésestimées.

TITUS, lumière des vertus

TITUS FLAVIEN demeure le modèle du prince vertueux ; qualité rare chez les politiques de l’Antiquité romaine, plus connue pour ses intrigues et corruptions. Or l’Empereur qui succède à Trajan, ayant été transformé par l’amour de Bérénice en Judée, incarne dans les arts, le modèle du prince honnête, loyal, responsable et juste. L’opéra n’échappe pas à cette tradition et Mozart, composant un nouvel ouvrage (son dernier seria) pour le couronnement de l’Empereur Leopold II, met en musique la légende de Titus, mais il en fait un drame amoureux et intimiste, proche de sa propre esthétique musicale, soucieuse d’introspection et de vérité psychologique…

L’Empereur flavien qui règna si peu (79-81 après JC), réussit la conquête de Judée, profite évidemment de sa relation avec Bérénice, princesse juive qui lui apprend la sagesse et renforce sa lumineuse humanité. Dans l’opéra de Mozart, qui met en avant sa clémence, – un de ses nombreux traits hautement moraux, Titus est à Rome, mais seul : il a du sous pression des sénateurs racistes et xénophobes, renoncer à épouser Bérénice car elle était étrangère.
Autour de ce modèle de vertu, s’agrègent intrigues et trahisons. Face à la manipulation de Vittelia, la seule de tout l’opéra qui se métamorphose réellement, au II (dans son fameux air avec cor de basset : « non piu di fiori », Rondo n°23), Titus reste constant dans sa figuration sur la scène : prince à la carrure inflexible qui observe, analyse, réfléchit ; et comme distancié de l’action, prend du recul, avant de prendre une décision.

Dans l’acte I, Mozart lui réserve deux airs comme pour mieux assoir son autorité et pour affirmer l’ampleur de sa stature impériale : d’abord, installé par une marche et un chœur, qui précèdent la scène à plusieurs voix (Annio, Sesto), « Del più sublime soglio » /
; puis l’air tout autant développé : « Ah, se fosse intorno al trono ».

Au II, l’empereur paraît d’une tendresse amoureuse pour son peuple (choeur : « Ah grazia si rendano… »), accord sublime au souffle d’une lumineuse grandeur et noblesse ; puis en proie au doute le plus humain, tiraillé, sujet d’une haine jalouse (récitatif accompagné : « Che orror! Che tradimento! »), Titus envisage de faire exécuter celui qui l’a apparemment trahi, son ami (amant?), Sesto. Puis c’est le grand air héroïque qui veut exprimer l’intransigeance du pouvoir (par lequel Titus justifie d’avoir signé l’acte de mort de Sesto, même s’il regrette dans le même temps, qu’un prince digne de ce nom doit d’abord gagner l’amour de son peuple et non pas règner par la terreur… aria : « Se all’impero, amici Dei ».
Jusqu’à la scène ultime (XVII), Titus bras armé de la Loi, soucieux d’éradiquer les comploteurs qui en voulaient à sa vie, allait exécuter son ami… jusqu’au moment, décisif où Vittelia terrassée par le dévoilement de la vérité, se dénonce elle-même, auteur de l’indigne attentat, manipulatrice du pauvre coeur de Sesto, totalement épris d’elle.

Mozart a donc donné du souverain, l’image de l’infaillibilité politique, sachant sacrifier ses attaches affectives au nom de la raison d’état. il était prêt à faire exécuter son ami Sextus.

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Un récent enregistrement de La Clémence de Titus est paru, dirigé par Jérémie Rhorer :

 

LIRE aussi  :

mozart die entfuhrung aus dem serail cercle de l harmonie jeremie rhorer cd outhere presentation review critique CLASSIQUENEWS mai juin 2016CD, compte rendu critique. Mozart : L’Enlèvement au sérail (Jérémie Rhorer, Jane Archibald, septembre 2015 – 2 cd Alpha). Sous le masque léger, exotique d’une turquerie créée à Vienne en 1782, se précise en vérité non pas la confrontation de l’occident versus l’orient, occidentaux prisonniers, esclaves en terres musulmanes, mais bien un projet plus ample et philosophique : la lutte des fraternités contre le despotisme et la barbarie cruelle (la leçon de clémence et de pardon dont est capable Pacha Selim en fin d’opéra reste de nos jour d’une impossible posture : quels politiques de tout bord est-il capable de nos jours et dans le contexte géopolitique qui est le nôtre, d’un tel humanisme pratique ?). Cette fraternité, ce chant du sublime fraternel s’exprime bien dans la musique de Mozart, avant celle de Beethoven. LIRE la critique complète de l’Enlèvement au Sérail de Mozart par Jérémy Rohrer

 

 

 

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