vendredi 19 avril 2024

Théodore Dubois: les oeuvres concertantes (Heisser, 2010)1 cd Mirare

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Après la récente résurrection de l’oratorio Le Paradis Perdu (1878), bientôt parution discographique après la série de concerts à l’été 2011, après un concert événement (Venise, Frari mai 2011) consacré à ses motets, voici un nouveau jalon soutenu par le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, dévoilant cet éclectisme à la fois savant et accessible de Théodore Dubois (1837-1924).


Eclectisme raffiné et tendre de Dubois

Avant un prochain festival dédié uniquement à l’oeuvre du compositeur Prix de Rome (1861), élève de Thomas, directeur du Conservatoire (1896) et membre de l’Institut (1894), ce programme passionnant met l’accent sur l’écriture concertante et instrumentale d’un Dubois, moins conservateur qu’il n’y paraît. C’est d’ailleurs toute l’approche (légitime) d’Alexandre Dratwicki, signataire de l’excellente notice du présent album, et directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane que de « réconcilier » figure et même personnalité académique avec… créativité voire modernité. Dubois n’hésite pas par exemple à dépoussiérer grâce à de nombreuses « Notes, observations et remarques », le Traité d’harmonie de Reber en 1889, « référence absolue pour les apprentis compositeurs », comme le précise Jean-François Heisser en introduction. Ce sont justement ses notes devenues Traité d’Harmonie qui est passé comme bible rébarbative alors que son objet premier fut à son époque, la liberté et le renouvellement des idées musicales en matière de composition!
C’est bien le cas de ses contemporains tels Paladilhe, La Tombelle, Gouvy, Chaminade… tous tempéraments méritant absolument une réévaluation de leur oeuvre. Mais il y a bien à l’endroit de Dubois, une incompréhension tenace que le présent disque contribue encore à sérieusement corriger.
Pièce la plus ancienne (sur une forme ABA’), le Concerto capriccioso pour piano et orchestre, de près de 40 ans antérieur aux autres partitions ici dévoilées, met l’accent sur cette facilité virtuose du compositeur pour le brio et un lyrisme parfois échevelé: le démonstratif est souvent écarté, grâce à la liberté d’une écriture inspirée par les talents d’improvisateur (à l’orgue de la Madeleine dont il fut titulaire) de Dubois lui-même.
In memoriam mortuum marqué par la Grande Guerre, repris (et applaudi) en janvier 1918, honore la mémoire des milliers de soldats tués aux combats. Pièce de genre, la partition est écrite à la façon d’un ample nocturne, sombre mais serein, à l’énoncé soliste confié d’abord au hautbois. Avec pudeur et une réelle sensibilité, Dubois compose une prière élégiaque d’une évidente profondeur.
L’andante cantabile pour violoncelle exprime les mêmes qualités mélodiques, et d’orchestration d’un Dubois raffiné: le chant du violoncelle explore les couleurs de l’instrument solo selon le schéma de la cavatine d’opéra, dans le style des années 1880; proche par son énoncé tendre et d’une sensualité plus légère que Massenet, la pièce inédite rappelle la fameuse Méditation de Thaïs, qui est l’une des trouvailles mélodiques les plus géniales du début des années 1890 (1894 précisément).

Tout autant inspirés sur le métier d’un Dubois, mélodiste enchanteur et orchestrateur suave, les interprètes savent préserver ce naturel absent de toute emphase comme de toute virtuosité clinquante pour la Fantaisie-Stück pour violoncelle et orchestre (éditée en 1912, créée en 1914 par la violoncelliste Caponsacchi, initialement commandée pour le soliste Joseph Hollman). La Fantaisie revêt l’ambition d’un vrai concerto tripartite (vif-lent-vif), réactualisant la virtuosité baroque en performance purement romantique liée au vedettariat florissant: chant énergique et héroïque, surtout suavité mélodique d’un naturel sachant suivre des cheminements harmoniques en perpétuel balancement, l’écriture de Dubois surprend là encore par son éloquence souple, son imagination coulante, une écriture toujours raffinée et chantante. Même le format de la gigue finale, ne contraint en rien ce jaillissement permanent de l’inspiration: voici une perle concertante pour tout violoncelliste exigeant, un authentique chef d’oeuvre qui appartient à ces oeuvres méritantes dont l’auteur dans son journal intime disait que tôt ou tard, elles permettraient de réhabiliter son génie. Chose faite ici. Comparé à Saint-Saëns ou Lalo, il n’est pas certain que Dubois se classe … dernier.
La Suite concertante réunit les deux solistes piano et violoncelle avec l’orchestre: c’est une partition majeure, aboutissement artistique personnel et puissamment original, remontant au début des années 1910. Adepte de l’éloquence libre, d’une liberté versatile et d’une inspiration volubile, Dubois a cherché le titre de son oeuvre; le directeur et harmoniste éclairé révèle ici un goût pour la simplicité, un refus catégorique du pompeux. Les 3 parties violoncelle, piano, orchestre se mêlent comme dans un concerto pour 3 voix, également préservées; d’où la surprenante impression de légèreté, d’activité continue qui se dégage non sans énergie, avec toujours au sommet de ses préoccupations, une « musicalité » jamais sacrifiée. Les musiciens rééclairent ce wagnérisme flottant qui traverse tout le premier mouvement, le plus long (plus de 8mn: maestoso, sans lenteur); pétillance raffinée du scherzo; couleur propre aux combats homicides (solo de la trompette), le larghetto est d’une subtilité et d’une élégance pudique, empreinte d’un sentiment de solennité mesurée.
Atmosphérique, comme inspiré par plusieurs thèmes populaires, le début du dernier mouvement élargit le paysage sonore, sachant équilibrer remarquablement chaque partie dévolue aux 2 instruments solistes… Jean-François Heisser comme le violoncelliste Marc Coppey soulignent sans traits épais tout ce qui relève du génie d’un Dubois, généreux dans ses recherches harmoniques, non moins expérimental dans l’enchaînement de ses trouvailles mélodiques. Créée tardivement en 1921, la Suite concertante, emblématique de toute le disque, est l’un de ses apports les plus convaincants.

Théodore Dubois (1837-1924): les oeuvres concertantes. Fantaisie-Stück pour violoncelle et orchestre. Suite concertante pour violoncelle, piano et orchestre. Concerto capriccioso pour piano et orchestre. In memoriam mortuorum, chant élégiaque. Orch. Poitou Charentes. Jean-François Heisser, piano et direction. Marc Coppey, violoncelle.

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