CD. Brahms : Symphonies n°1-4. Staatskapelle de Dresde. Christian Thielemann, direction (3 cd Deutsche Grammophon). Avouons notre pleine satisfaction globale pour cette lecture saisie sur le vif des Symphonies de Brahms par Christian Thieleman : parfois pesante, la direction du chef gagne de beaucoup au contact des excellents instrumentistes de la Staatskapelle de Dresde : affĂ»tĂ©s, nerveux, prĂ©cis allĂ©geant la texture, favorisant la transparence et la clartĂ© du propos grâce Ă leur expĂ©rience entre autres lyrique… De toute Ă©vidence, voici une lecture dramatiquement vive qui s’avère dans certaines sĂ©quences et mouvements, passionnante. La surprise est de taille et notre enthousiasme inattendu…  La Première Symphonie fait valoir les formidables qualitĂ©s de l’orchestre de la Staatskapelle de Dresde dont Thielemann nommĂ© directeur musical depuis 2012 propose un cycle Brahms d’une profondeur indiscutable : en tĂ©moigne le travail sur la transparence articulĂ©e de la texture surtout après un premier mouvement d’une irrĂ©pressible aspiration, un deuxième mouvement littĂ©ralement Ă tomber par une expressivitĂ© sensible oĂą le chef sait allĂ©ger la pâte instrumentale, trouve des respirations mozartiennes s’appuyant surtout sur le dialogue clarifiĂ© des cordes (d’une fluiditĂ© toute schumanienne) et des bois Ă©tincelants de tendresse maĂ®trisĂ©e: sont Ă©cartĂ©es les brumes et les langueurs maudites ; ainsi quand surgit le clair rayon solaire du violon solo dans la sĂ©quence finale du mouvement sostenuto, repris et soutenu en Ă©cho par le cor lointain, toute idĂ©e de rĂ©signation et de blessure s’est miraculeusement effacĂ©e. Dissipation totale des tensions : le fait mĂ©rite d’ĂŞtre saluĂ© tant le Brahms de Thielemann s’impose ici par son fini et son Ă©quilibre souverain. Magistrale comprĂ©hension de la partition.
Superbe Brahms de Thielemann
MĂŞme profondeur et suprĂŞme Ă©lĂ©gance du geste dans le Quatrième mouvement. Le drame s’y accomplit avec un sens souverain de l’action orchestrale, Ă chaque Ă©pisode si justement contrastĂ©. On y relève les mĂŞmes qualitĂ©s que prĂ©cĂ©demment : noblesse wagnĂ©rienne des cuivres, calibrage millimĂ©trĂ© des bois et cordes d’une fluiditĂ© ocĂ©ane… la rĂ©fĂ©rence Ă la 9ème de Beethoven s’y glisse allusivement rĂ©alisant cet Ă©lan fraternel d’un humanisme Ă©chevelĂ©, tournĂ© irrĂ©versiblement vers le soleil, et la pleine conscience d’une dĂ©termination coĂ»te que coĂ»te, assenĂ©e, triomphante. Tout au long des plus de 18mn de dĂ©veloppement, la direction se distingue par une caractĂ©risation Ă©loquente de chaque section, dosant très efficacement la participation de chaque pupitre … si l’on peut parfois regretter le choix de tempo lents au risque de diluer la tension et l’allant global, reconnaissons le relief et le sens intensĂ©ment dramatique de la direction : cette Symphonie n°1 est une rĂ©ussite totale.
Que suscite la Symphonie n°2 ? … un mĂŞme bonheur. L’aurore du dĂ©but est magnifiquement brossĂ© avec cette fluiditĂ© solaire et bienheureuse, qui regarde aussi du cĂ´tĂ© de la Pastorale beethovĂ©nienne, en sa coupe franche et puissamment structurĂ©e, Thielemann manie la direction avec une Ă©loquence souveraine. Ici superbement contenu dans la cadre formel instituĂ© dès le dĂ©part, tensions et forces en prĂ©sences sont finement canalisĂ©es : dans le chant des violoncelles, puis dans l’écho des cors lointains. Le dĂ©veloppement suit son cours prĂ©cisĂ©ment balisĂ© pendant plus de 20 mn, le chef ne poussant pas ses effectifs au delĂ d’un hĂ©donisme heureux d’une rondeur pacifiĂ©e, essentiellement sereine.  Le tendre et si sensible Adagio non troppo marque la mĂŞme rĂ©serve dans le geste très adouci : qui explore en filigrane les replis d’une intimitĂ© qui demeure toujours Ă distance comme inaccessible. Le chant des cordes et des violoncelles y trouve un Ă©largissement allusif superlatif, idĂ©alement caressant et nostalgique. PlĂ©nitude, et aussi articulation, le geste de Thielemann et ses musiciens dresdois font mouche dans l’un des adagios les plus aboutis de Brahms.
Une mĂŞme douceur apaisĂ©e et rayonnante qui passe par le chant solaire du hautbois traverse tout l’allègre allegretto grazioso, dont l’Ă©nergie signifie aussi en plus d’un Ă©noncĂ© simple d’un landler, la transe amorcĂ© d’une danse collective … aux champs. Le pastoralisme y est exprimĂ© avec une finesse de ton elle aussi passionnante. Enfin la vitalitĂ© nerveuse mozartienne (c’est Ă dire JupitĂ©rienne) de la conclusion Allegro con spirito s’affirme avec une souplesse caressante et ondulante. La cohĂ©rence de la lecture emporte l’enthousiasme. Au delĂ de la structure, de sa puissante assise – contrepoint rigoureux d’une mesure beethovĂ©nienne, Thielemann fait couler un sang palpitant, fluide et dansant, « mozartien » et schumanien.
PlĂ»tot que de relever les qualitĂ©s et les limites de chacune des symphonies qui suivent, – en particulier la 3ème, soulignons ce qui fait sens dans l’ultime : la 4 ème Symphonie. LĂ aussi, après des mouvements prĂ©cĂ©dents en demi teinte, le dernier mouvement, surtout dans sa rĂ©solution finale, s’impose par le tempĂ©rament articulĂ© du chef, superbe et sincère brahmsien.
D’emblĂ©e, la très belle cohĂ©sion organique de la direction s’impose. Le copieux premier mouvement allegro non troppo est surtout lissĂ© dans le sens d’une exposition Ă©motionnelle et intĂ©rieure dont Thielemann expose les directions diverses sans prendre partie. Ce geste de suprĂŞme sĂ©rĂ©nitĂ© qui manque certainement de caractĂ©risation plus fouillĂ©e dans les contrastes se ressent davantage encore dans le second mouvement très (trop) moderato : c’est d’un fini suprĂŞme Ă mettre au crĂ©dit de l’orchestre en bien des points superlatif : rondeur allusive des cordes, harmonie idĂ©alement articulĂ©e, cors lointains scintillants et cuivrĂ©s comme rarement. Mais comme charmĂ© par un sortilège qui vaut sĂ©datif, le chef semble bien peu saisi par la force et la violence du volcan Brahms. Sa vision est compacte et Ă©paisse voire sèche dans la rĂ©solution de ce second mouvement. Le 3 ème mouvement vaut par son temps vif lĂ©ger : un vrai dĂ©fi pour le maestro qui peine dans le nerveux tant il garde une baguette … lourde. Mais rĂ©capitulation et synthèse du pathos et de la subtilitĂ© tragique de Johannes, le dernier mouvement montre les mĂŞmes limites de la vision : prenante certes mais Ă©paisse et lourde. Pourtant un vrai sentiment d’angoisse tragique enfle et se dĂ©ploie tout au long des presque 10 mn : Thielemann progresse ici par une dĂ©termination qui passe dans la tenue tendue permanente des cordes idĂ©alement furieuses ; et aussi une très belle couleur d’extĂ©nuation des bois qui en offrent une rĂ©ponse Ă la fois apaisĂ©e et rĂ©signĂ©e (solo de flute Ă 3mn). Le pessimisme de Brahms revient cependant en force dans la rĂ©solution de ce mouvement final qui s’impose par sa noblesse noire et sombre. Reconnaissons Ă Thielemann de l’avoir rĂ©ussi au delĂ de nos attentes Ă partir de 5mn35 quand explose le ressac orchestral, expression de la violence tragique qui impose sa loi dĂ©sormais jusqu’à la fin de cet Ă©pisode sans issue. La lecture de ce dernier mouvement, dans sa section dernière, est de loin la mieux aboutie, nerveuse, âpre, engagĂ©e, expressive et comme brĂ»lĂ©e. Sans espoir. C’est sans demi mesure et finement Ă©noncĂ© : donc irrĂ©sistible.
Le coffret ajoute en bonus visuel un dvd comprenant d’autres oeuvres de Brahms, les Concerto pour piano par Pollini et le Concerto pour violon par Batiashvili : avouons notre nette prĂ©fĂ©rence pour le violon de Batiashvili : la gĂ©orgienne qui vient de publier un disque Bach avec son compagnon le oboĂŻste François Leleux, irradie par un jeu puissant et raffinĂ© qui laisse entrevoir des failles sensibles d’une profondeur lĂ aussi très convaincante.Â
Brahms : Symphonies N°1-4. Staatskapelle de Dresde. Christian Thielemann, direction. 3 cd + 1 dvd. enregistrement live SemperOper de Dresde, 2011-2012-2013 (Concertos pour piano : Maurizio Pollini, piano. Concerto pour violon : Batiashvili, violon) Deutsche Grammophon