Fin de saison passionnante Ă l’OpĂ©ra de Lille ! La premiĂšre mise en scĂšne lyrique de Jean-François Sivadier revient Ă la maison qui l’a commandĂ©e il y a plus de 10 ans. Il s’agĂźt de Madama Butterfly de Giacomo Puccini. Antonino Fogliani dirige l’Orchestre National de Lille et une excellente distribution de chanteurs-acteurs, avec atout distinctif, Armando Noguera reprenant le rĂŽle de Sharpless qu’il a créée en 2004.
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Butterfly lilloise, de grande dignité
Madama Butterfly Ă©tait l’opĂ©ra prĂ©fĂ©rĂ© du compositeur, « le plus sincĂšre et le plus Ă©vocateur que j’aie jamais conçu », disait-il. Il marque un retour au drame psychologique intimiste, Ă l’observation des sentiments, Ă la poĂ©sie du quotidien. Puccini pris par son sujet et son hĂ©roĂŻne, s’est plongĂ© dans l’Ă©tude de la musique, de la culture, des rites japonais, allant jusqu’Ă la rencontre de l’actrice Sada Jacco qui lui a permis de se familiariser avec le timbre des femmes japonaises ! L’histoire de Madama Butterfly s’inspire largement du roman de Pierre Lotti Madame ChrysanthĂšme. Le livret est le fruit de la collaboration des deux Ă©crivains familiers de Puccini, Giacosa et Illica, d’aprĂšs la piĂšce de David Belasco, tirĂ©e d’un rĂ©cit de John Luther Long, ce dernier directement inspirĂ© de Lotti. Il parle du lieutenant de la marine amĂ©ricaine B.F. Pinkerton qui se « marie » avec une jeune geisha nommĂ©e Cio-Cio San. Le tout est une farce mais Cio-Cio San y croit. Elle se convertit au christianisme et a un enfant de cette union. Elle sera dĂ©laissĂ©e par le lieutenant trop lĂ©ger, qui reviendra avec une femme amĂ©ricaine, sa vĂ©ritable Ă©pouse, pour rĂ©cupĂ©rer son fils bĂątard. Cio-Cio San ne peut que se tuer avec le couteau hĂ©ritĂ© de son pĂšre, et qu’il avait utilisĂ© pour son suicide rituel Hara-Kiri.
Ce soir, un trĂšs grand public a accĂšs Ă la tragĂ©die puccinienne, puisque l’opĂ©ra est diffusĂ© en direct et sur grand Ă©cran sur la grande place Ă l’extĂ©rieur de l’opĂ©ra, mais aussi retransmise sur plusieurs plateformes tĂ©lĂ©visuelles et radiophoniques. Une occasion qui peut s’avĂ©rer inoubliable grĂące aux talents combinĂ©s des artistes engagĂ©s. La Cio-Cio San de la soprano italienne Serena Farnocchia surprend immĂ©diatement par sa prestance, il s’agĂźt d’une geisha d’une grande dignitĂ©, malgrĂ© sa naĂŻvetĂ©. Elle rĂ©ussit au IIĂšme acte, lâair « Un bel di vedremo », Ă la fois rĂȘveur et idĂ©alement extatique. Si elle reste plutĂŽt en contrĂŽle d’elle mĂȘme lors du « Che tua madre », lâinterprĂšte arrive Ă y imprimer une profonde tristesse qui contraste avec la complexitĂ© horripilante de son dernier morceau « Tu, tu piccolo iddio ». Le Pinkerton du tĂ©nor Merunas Vitulskis a un beau timbre et il rayonne d’une certaine douceur, d’une certaine chaleur dans son interprĂ©tation, malgrĂ© la nature du rĂŽle. Il est appassionato comme on aime et a une grande complicitĂ© avec ses partenaires. Armando Noguera en tant que Consul Sharpless fait preuve de la sensibilitĂ© et de la rĂ©activitĂ© qui lui sont propres. Aussi trĂšs complice avec ses partenaires, il interprĂšte de façon trĂšs Ă©mouvante le sublime trio du IIIe acte avec Suzuki et Pinkerton « Io so che alle sue pene… ». La Suzuki de Victoria Yarovaya offre une prestation solide et sensible, tout comme Tim Kuypers dans les rĂŽles du Commissaire et du Prince Yamadori, davantage allĂ©chant par la beautĂ© de son instrument. Le Goro de François Piolino est trĂšs rĂ©ussi, le Suisse est rĂ©actif et drĂŽle et sĂ©vĂšre selon les besoins ; il affirme une grande conscience scĂ©nique. Remarquons Ă©galement le Bonze surprenant de Ramaz Chikviladze et la Kate Pinkerton touchante de Virginie Fouque, comme les chĆurs fabuleux de l’OpĂ©ra de Lille sous la direction d’Yves Parmentier.
Cette premiĂšre mise en scĂšne de Sivadier prĂ©sente les germes de son art du théùtre lyrique, dont les jalons manifestes demeurent la progression logique et le raffinement sincĂšre de la mĂ©thode qui lui est propre. Ainsi, les beaux dĂ©cors minimalistes de Virginie Gervaise, comme ses fabuleux costumes, ont une fonction purement théùtrale. L’importance rĂ©side dans le travail d’acteur, poussĂ©, ma non troppo ; dans une sĂ©rie de gestes théùtraux, parfois complĂštement arbitraires, qui illustrent lâĆuvre et l’enrichissent. Ce travail semble plutĂŽt rechercher l’aspect comique cachĂ© de certains moments qu’insister sur l’expression d’un pathos dĂ©jĂ trĂšs omniprĂ©sent dans la musique du compositeur dont la soif obsessionnelle des sentiments intenses est une Ă©vidence. Le rĂ©sultat est une production d’une certaine Ă©lĂ©gance, tout en Ă©tant sincĂšre et efficace. Une beautĂ©.
L’Orchestre National de Lille participe Ă cette sensation de beautĂ© musicale sous la direction d’Antonino Fogliani. Si hautbois ou basson se montrent ici et lĂ , Ă©trangement inaudible, la chose la plus frappante au niveau orchestral reste l’intention de prolonger l’expression des sentiments grĂące Ă des tempi souvent ralentis. Un bon effort qui a un sens mais qui requiert une acceptation totale et une entente entiĂšre avec les chanteurs, ce qui ne nous a pas paru totalement Ă©vident. Or, la phalange lilloise se montre maĂźtresse de la mĂ©lodie puccinienne, de l’harmonie, du coloris. Les leitmotive sont dĂ©licieusement nuancĂ©s et le tout est une rĂ©ussite gĂ©nĂ©rale. Nous conseillons nos lecteurs Ă dĂ©couvrir l’oeuvre de Sivadier et la gĂ©niale prestation des interprĂštes, sur les plateformes diverses (internet, radio, tv), ainsi que le 7 juin Ă l’OpĂ©ra de Lille ou encore les 19, 24 et 26 juin 2015 au Grand Théùtre de Luxembourg.