Penny Dreadful. SĂ©rie tĂ©lĂ©, 2014. Créée par John Logan (le scĂ©nariste de Sam Mendes pour Skyfall) et diffusĂ© simultanĂ©ment au USA (Showtime), au Royaume Uni et au Canada, la sĂ©rie tĂ©lĂ© Penny Dreadful mĂȘle un scĂ©nario digne de Game of Thrones et esthĂ©tisme lĂ©chĂ© Ă la Mad men. Le plus de cette fiction magnifiquement rythmĂ©e est de combiner plusieurs grenres juste lĂ bien distincts : fantastique, romanesque, far west. Les scĂ©naristes ont habilement mĂȘlĂ© plusieurs univers transmis par la littĂ©rature et lâhistoire du cinĂ©ma : sây trouvent rĂ©unis, Dorian Gray (Reeve Carney) imaginĂ© par Oscar Wilde (et ses orgies bisexuelles, vĂ©ritable allĂ©gorie du plaisir et de la sĂ©duction sans limite), Jack lâEventreur, et Jonathan Harker, combinant la gore (mesurĂ©) et le vampirisme dĂ©moniaque classique. Pas de morts vivants Ă la façon de Walking Dead, mais des crĂ©atures dignes du fantastique surnaturel de lâAngleterre du XIXĂšme siĂšcle, Ă lâĂ©poque oĂč la puritanisme fait loi, et avec lui, lâhypocrisie sociale, les prostituĂ©es et les enfants exploitĂ©s dans les usines de lâĂšre industrielle.
Wagner, arme de sĂ©duction massiveâŠ
A cela, ajoutez Ethan qui a la gĂąchette la plus virtuose du royaume et qui semble venu dâun vrai western. Sans omettre le (jeune) docteur Frankestein qui peine Ă crĂ©er son ĂȘtre parfait. Le mĂ©rite de cette joyeuse Ă©quipĂ©e est leur union improbable, tous engagĂ©s dans une lutte Ă mort contre le Mal absolu, et la vĂȘte qui couve et menace dans lâombre. Chacun trouve sa propre identitĂ© grĂąces au regard de lâautre, en coopĂ©ration.
Cette vision allopathique contredit par exemple totalement la solitude cynique qui Ă©treint le coeur et lâĂąme de tous les personnages de mad Men, vaste fresque sur la vanitĂ© humaine. Ici, pouvoir enchanteur dâune action plus psychologique que dramatique (comme câest le cas du trĂšs shakespearien Game of Thrones), on comprend que tous dĂ©pendent les uns des autres ; ne peuvent rien sans lâautre, se dĂ©couvre et se rĂ©vĂšle mĂȘme grĂąces Ă lâautre.
Grand Macabre esthétique
Les beaux yeux de la française Eva green (Vanessa Ives : plus Ă©nigmatique et tragique que jamais), la fragilitĂ© virile de Josh Harntnett (Ethan Chandler, le tueur Ă gages : qui succombe dans les bras du beau Dorian dans lâĂ©pisode 4), la juvĂ©nilitĂ© passionnĂ© du scientifique Frankenstein (Harry Treadaway) ne sont pas les seuls arguments de cette fantaisie multigenre dont lâesthĂ©tisme atteint souvent un sublime photographique inĂ©dit (quoique rappelant la premiĂšre saison de Maison close dont lâĂ©poque est semblable). Cette immersion dans le Londres victorien se fait allĂ©gorie de lâillusion initiatique qui nous en apprend infiniment plus sur nous mĂȘmes et nos dĂ©mons intĂ©rieurs que toute cure de thĂ©rapie ; chaque Ă©pisode est un joyau de narration ciselé⊠Alors pourquoi cette chronique sur CLASSIQUENEWS ? Quel lien avec la musique classique ?
PENNY DREADFUL : Les 6 protagonistes de la sĂ©rie tĂ©lĂ© la plus raffinĂ©e de l’heure : de gauche Ă droite, Chandler (le nettoyeur), Brona Croft (sa fiancĂ©e qui est aussi une prostituĂ©e tuberculeuse, du moins dans la saison 1), le jeune docteur Victor Frankenstein et Miss Ives. A droite, Dorian Gray (Adonis immortel), Lord Malcom Murray et son majordome de grande classe, Sembene. Chacun est dĂ©vorĂ© par ses dĂ©mons intĂ©rieurs mais tous suivent le mĂȘme chemin contre la bĂȘte. De chasseurs deviendront-ils chassĂ©s ?
Câest que dĂšs le dĂ©but la musique y tient un rĂŽle important (comme la poĂ©sie dont les vers de Keats forment le secret du jeune laborantin Frankenstein)⊠Dans les scĂšnes oĂč Dorian Grey se dĂ©lecte dans la luxure, les thĂšmes chers Ă Oscar Wilde se prĂ©cisent et sont mĂȘme exprimĂ©s. La vie est une illusion (voir la sĂ©quence oĂč la premiĂšre crĂ©ature de Frankenstein est Ă©duquĂ© dans les coulisses du théùtre le Grand Guignol : artisan orfĂšvre des effets de scĂšne dont Ă©videmment, le sang jaillissant des victimes du loup garou de ⊠Londres), car rien ne dure or la musique qui ne dure pas est rĂ©elle câest de lĂ que vient son pouvoir hypnotique sur lâĂąme et les sens. Dorian se fait ambassadeur dâune philosophie esthĂ©tique et entraĂźne les spectateur Ă la contemplation muette de la beauté⊠lĂ , sur lâair « Mon coeur sâouvre Ă ta voix – grande sĂ©quence de sĂ©duction amoureuse- de lâopĂ©ra Samson et Dalila de Saint-SaĂ«ns, ailleurs, sur le liebstod du Tristan une Isolde de Wagner (câest dâailleurs sur cette musique irrĂ©sistible que Dorian sĂ©duit EthanâŠ). De lĂ Ă rĂ©aliser les vers de Shelley et leur hymne romantique : rĂ©unir dans la vie ce que la mort avait pour seul objet dâunir⊠Un pied de nez Ă tous les mythes amoureux et romantiques. « No more let Life divide what Death can join together “ / Ne plus jamais laisser la vie diviser ce que la Mort peut rĂ©unir.
Le macabre (inspirĂ© aussi de la Ligue des Gentlemen extraordinaires), dont il est question (Penny dreadfull dĂ©signe dans lâAngleterre des classes victoriennes, ce feuilleton sanglant vendu sur papier de rĂ©cup Ă la classe indigente et ouvriĂšre qui en est particuliĂšrement friande) sâaffirme ici Ă©lĂ©gantissime et esthĂ©tique, scĂ©narisĂ© avec de vrais moyens et une imagination humoristique et noire idĂ©ale : espĂ©rons que lâonirisme et lâesthĂ©tisme vaporeux recycle ce gothique fantaisiste et fantastique souvent caricatural : pour lâinstant rien de tel jusquâĂ prĂ©sent. PENNY DREADFUL. La Saison 1 comprend 8 Ă©pisodes. La Saison 2 (10 Ă©pisodes) vient juste de commencer sa diffusion (mai 2015). A suivre.