CD, critique. VERS LâAILLEURS. GASPARD DEHAENE, piano. Schubert, Liszt, Bruneau-Boulmier (1 cd Collection 1001 Notes – nov 2018). ITINERANCES POETIQUES⊠Le pianiste Gaspard Dehaene confirme une sensibilitĂ© Ă part ; riche de filiations intimes. Câest un geste explorateur, qui ose des passerelles enivrantes entre Schubert, Liszt et la piĂšce contemporaine de Rodolphe Bruneau-Boulmier. Ce 2Ăš cd est une belle rĂ©ussite. AprĂšs son premier (Fantaisie – Ă©galement Ă©ditĂ© par 1001 Notes), le pianiste français rĂ©cidive dans la poĂ©sie et lâoriginalitĂ©. Il aime prendre son temps ; un temps intĂ©rieur pour concevoir chaque programme ; pour mesurer aussi dans quelle mesure chaque piĂšce choisie signifie autant que les autres, dans une continuitĂ© qui fait sens. La cohĂ©rence poĂ©tique de ce second cd Ă©blouit immĂ©diatement par sa justesse, sa sobre profondeur et dans lâĂ©loquence du clavier maĂźtrisĂ©, sa souple Ă©lĂ©gance. Les filiations inspirent son jeu allusif : la premiĂšre relie ainsi Schubert cĂ©lĂ©brĂ© par Liszt. La seconde engage le pianiste lui-mĂȘme dans le sillon qui le mĂšne Ă son grand pĂšre, Henri QueffĂ©lec, Ă©crivain de la mer, et figure inspirant ce cheminement entre terre et mer, « vers lâAilleurs ». En somme, câest le songe mobile de Schubert, – le wanderer / voyageur, dont lâerrance est comme rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e et superbement rĂ©investis, sous des doigts complices et fraternels.
VERS LâAILLEURS
Les itinĂ©rances poĂ©tiques de Gaspard DehaeneâŠ
2Ăš cd magistral

Les escales jalonnent un voyage personnel dont lâaboutissement / accomplissement est la sublime Sonate D 959 en la majeur de Franz Schubert (avant dernier opus datĂ© de sept 1828). Au terme de la traversĂ©e, les champs parcourus, Ă©prouvĂ©s enrichissent encore lâexquise mĂ©lancolie et la tendresse chantante du dernier Schubert.
Les deux premiers Ă©pisodes dĂ©montrent le soin et lâaffinitĂ© de Liszt pour son devancier Schubert. Le premier a rĂ©alisĂ© les arrangements des morceaux pour piano. Grave et lumineux, « Aufenthalt »ouvre le programme et amorce le voyage. Câest une gravitĂ© comme exaltĂ©e mais digne dans ses emportements que le pianiste exprime ; avec une respiration idĂ©ale, un naturel sobre et mĂȘme Ă©lĂ©gant, Gaspard Dehaene exprime la force et la puissance, lâivresse intĂ©rieure dâune partition qui saisit par son tragique intime. Dâune carrure presque Ă©gale, « Auf dem wasser zu singen » fait surgir au cĆur dâun vortex allant, la langueur et la mĂ©lancolie dâun Schubert enivrĂ©, au lyrisme Ă©perdu. LâĂ©nonciation du piansite se fait fraternelle et tendre ; il transmet un chant Ă©perdu qui est appel au renoncement et dĂ©chirante nostalgie. LâacuitĂ© du jeu, souligne dans les passages harmoniques, d’un ton Ă lâautre, la douceur du fluc musical Ă la fois entĂȘtant et aussi salvateur ; Ă chaque variation, correspond un Ă©clat distinct, une facette caractĂ©risĂ©e que le pianiste sĂ»r, inscrit dans une tempĂȘte intĂ©rieure de plus en plus rageuse et irrĂ©pressible. DĂ©taillĂ©e et viscĂ©rale, lâengagement de lâinterprĂšte convainc de bout en bout.
Puis la MĂ©lodie hongroise sâaffirme tout autant en une Ă©locution simple et intimiste. Le pianiste affiche une Ă©lĂ©gance altiĂšre, celle dâun un cavalier au trot, souple et acrobatique auquel le jeu restitue toutes les aspĂ©ritĂ©s et les nuances intĂ©rieures. La gestion et le rĂšglages des nuances se rĂ©vĂšlent bĂ©nĂ©fiques : tous les arriĂšres plans et tous les contrechamps restituent chaque souvenir convoquĂ©. Le rubato est riche de toutes ses connotations en perspective ; le toucher veille au veloutĂ© de la nostalgie : chaque nuance fait surgir un souvenir dont le moelleux accompagne dans le murmure lâĂ©loquente fin pianissimo. Quel remarquable ouvrage.
Autant Schubert brille par lâĂ©clat de ses nuances intimes, pudiques et crĂ©pusculaires. Autant Liszt crĂ©pite aussi mais en contrastes plus dĂ©clamĂ©s.
Le Liszt recompose le paysage schubertien et sâĂ©loigne quand mĂȘme, de cette sublimation du souvenir qui devient caresse et renoncement ; ici, la digitalitĂ© se fait plus vindicative et vibratile ; le claviern dâorganique et dramatique, bascule dans une marche priĂšre qui peu Ă peu s’Ă©lectrise dans l’Ă©noncĂ© du motif principal. Evidemment lâĂ©criture rhapsodique revendique clairement une libĂ©ration de lâĂ©criture et un foisonnement polyphonique dont Gaspard Dehane exprime bien le chant plus martelĂ© et comme conquĂ©rant ; il en dĂ©fend le lyrisme des divagations ; Ă©clairant chez Liszt, ce dĂ©bordement expressif, sa verve dĂ©lirante dont la spiritualitĂ© aime surprendre, dans la virtuositĂ© de son clavier orchestre.
A 8’14, le chant libre bascule dans une sorte de rĂ©flexion critique, douĂ©e d’une nouvelle ivresse plus souple et lyrique, exprimant la quĂȘte des cimes dans l’aigu jusqu’au vertige extatique. Puis le final se prĂ©cipite en une course vertigineuse (11â38), jusqu’au bord de la syncope et d’une frĂ©nĂ©sie panique. Le jeu est d’autant plus percutant qu’il reste dans cet agitato que beaucoup dâautres pianistes exacerbent, clair, prĂ©cis, nuancĂ©, Ă©clatant.
AprĂšs la filiation Schubert / Liszt, Gaspard Dehaere cultive une entente intime avec le texte de son grand pĂšre, – Henri QueffĂ©lec, « quand la terre fait naufrage ». A cette source, sâabreuve lâinspiration du compositeur Rodolphe Bruneau-Boulmier qui reprend le mĂȘme intitulĂ© : fluide et sĂ©quentiel, et pourtant jamais heurtĂ© ni sec, le jeu du pianiste joue des transparences et des scintillements flottants, expression dâune inquiĂ©tude sourde qui se diffuse et se rĂ©tracte dans un tapis sonore qui croĂźt et se replie. AInsi sâaffirme le climat incertain dâintranquillitĂ©, propre Ă beaucoup dâĆuvres contemporaines dâaujourdâhui dont la nappe harmonique se rĂ©pand progressivement en crescendo de plus en plus forte, jusquâĂ son milieu oĂč le mystĂšre assĂšne comme un carillon funĂšbre, son murmure dans le noir et le nĂ©ant⊠de la mer. Ainsi se prĂ©cise comme seule bouĂ©e dâun monde en chaos, le glas dâune « cathĂ©drale engloutie », cri bien prĂ©sent et dâune morne voluptĂ©. Les couleurs et les nuances du pianiste se rĂ©vĂšlent primordiales ici.

A mi chemin de la traversĂ©e (au mi temps du cd), nous voici plus riches, dâune Ă©coute mieux affĂ»tĂ©e encore pour mesurer les tableaux intĂ©rieurs de la D 959 (prise live) : dâautant que lâinterprĂšte se montre dâune Ă©loquence intĂ©rieure, mobile, explorant sur le motif schubertien lui-mĂȘme, toutes les nuances du souvenir ou de climats imaginaires. Lâintelligence sensible est vive : elle ressuscite mille et un mouvement de lâintrospection rĂȘveuse, nostalgique, grave souvent, toujours ardente. Voici les temps forts de cette lecture profonde et riche, concçue / vĂ©cue tel un formidable voyage intĂ©rieur.
Le portique d’ouverture affirmĂ©, Ă l’assise parfaite inscrit ce premier mouvement dans une dĂ©claration prĂ©liminaire absolument sereine et dĂ©jĂ le pianiste en exprime les fondations qui se dĂ©robent, en un flux ambivalent, Ă la fois intranquille et comme prĂȘt Ă vaciller. Ce trouble en arriĂšre plan finit par atteindre le motif principal dont il fait une confession pleine de tendresse.
Le cantabile et le legato feutrĂ© captivent dĂšs ce premier mouvement ; le motif principal nây est jamais clairement Ă©noncĂ© ; toujours voilĂ©, dĂ©robĂ© tel le tremplin au repli et au secret, en une cantilĂšne aux subtiles Ă©clats / Ă©clairs intĂ©rieurs. Le compositeur cultive le surgissement de cette ineffable aspiration Ă l’innocence, la perte de toute gravitĂ©. C’est ce qui transpire dans la rĂ©itĂ©ration du motif rĂ©exposĂ© avec une douceur sublime inscrite dans lâabsolu de la tendresse.
Plus court, l’andantino peint l’infini de la solitude, un accablement sans issue et pourtant conçu comme une berceuse intĂ©rieure qui sauve, berce, calme. Le pianiste inscrit son jeu dans l’allusion et le percussif avec une intelligence globale des climats, sachant faire jaillir toute lâimpulsion spontanĂ©e, plus viscĂ©rale de la sĂ©quence plus agitĂ©e et profonde.
A 5’38, tout Ă©tant dit, la rĂ©exposition frĂŽle lâhallucination et le rĂȘve flottant. L’Ă©conomie du jeu restitue la charge Ă©motionnelle et la profondeur ineffable de la conclusion, entre retrait et renoncement, bĂ©atitude morne et dĂ©sespoir absolu
Quel contraste assumĂ© avec le Scherzo, plus insouciant et mĂȘme frĂ©tillant.
LâAllegretto final est enveloppĂ© dans la douceur, dans un moelleux sonore qui dit l’appel Ă la rĂ©solution de tout conflit. La lĂ©gĂšretĂ© et l’insouciance clairement affichĂ©es, assumĂ©es chantent littĂ©ralement sous les doigts caressants du pianiste. Il joue comme un frĂšre, la confession d’une espĂ©rance coĂ»te que coĂ»te. VoilĂ qui nous rend Schubert plus bienveillant, d’une humanitĂ© reconstruite, restaurĂ©e, enfin rĂ©conciliĂ©e. Dont le chant apaise et guĂ©rit. Superbe lecture.
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CD, critique. VERS LâAILLEURS. GASPARD DEHAENE,
piano. Schubert, Liszt, Bruneau-Boulmier (1 cd Collection 1001 Notes – programme durĂ©e : 1h12 enregistrĂ© Ă Limoges en nov 2018). CLIC de CLASSIQUENEWS de fĂ©vrier 2019. Photos et illustrations : © Martin Trillaud – WAM
ENTRETIEN avec Gaspard DEHAENE, Ă propos de l’album “Vers l’Ailleurs”…
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ENTRETIEN avec le pianiste Gaspard Dehaene. Sur un Steinway, prĂ©parĂ© par GĂ©rard Fauvin, le pianiste  Gaspard Dehaene livre pour le label 1001 Notes, son dĂ©jĂ 2Ăš album : un programme ciselĂ©, serti de pĂ©pites aux filiations choisies et personnelles oĂč rayonne lâesprit libre du voyageur, de Schubert Ă Liszt, et de lâexplorateur entre terre et mer, selon la passion de son grand-pĂšre, lâĂ©crivain Henri QueffĂ©lec avec la piĂšce de Bruneau-Boulmier.  Ce nouveau cd est une invitation au plus beau des voyages : par lâimaginaire et le songe. Entretien pour classiquenews afin dâen relever quelques clĂ©s. LIRE notre entretien avec Gaspard Dehaene, pianiste.
VIDEOS
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VOIR aussi le teaser du CD Vers lâAilleurs par Gaspard Dehaene :
https://www.youtube.com/watch?v=KoAlipMdBYQ

 VOIR le CLIP vidéo ANDANTINO de la Sonate D959 de Franz SCHUBERT par Gaspard Dehaere

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Programme VERS LâAILLEURS
FRANZ SCHUBERT (Arr. FRANZ LISZT)
« Aufenthalt »
« Auf dem Wasser zu singen »
FRANZ SCHUBERT
Mélodie Hongroise
FRANZ LISZT
Rhapsodie Espagnole
RODOLPHE BRUNEAU-BOULMIER
« Quand la terre fait naufrage »
FRANZ SCHUBERT
Sonate D 959 en la Majeur (Live)
Allegro / Andantino / Scherzo : allegro vivace / Allegretto
Prise de son, mixage et mastering : Baptiste Chouquet â B media
Photos : Martin Trillaud â WAM
Création graphique : Gaëlle Delahaye
Production : Collection 1001 Notes
Piano : Gérard Fauvin
CD – EnregistrĂ© en novembre 2018 Ă Limoges
www.gasparddehaene.com
PROCHAINS CONCERTS 2019
de Gaspard DEHAENE
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12 avril : Narbonne – Violoncelle et piano, avec le violoncelliste Damien Ventula
14 avril : Bruxelles, Belgique – Concert en sonate piano / alto, avec lâaltiste Adrien Boisseau
âšâš3 juin : Les Invalides, Paris – Concert partagĂ© avec Anne QueffĂ©lec
âšâš5 juin : Maison du Japon, Paris
23 juin : Festival de Nohant
âšâš12-14 juillet : Folle JournĂ©e Ă Ekaterinburg, Russie
25 septembre : Carnegie Hall, New York
âšâš2 octobre : Tokyo, Japon – RĂ©cital au Toyosu civic center hall
PLUS DâINFOS :
https://festival1001notes.com/collection/projet/vers-lailleurs