BICENTENAIRE FLAUBERT : 1821 – 2021. Le 12 dĂ©cembre 2021 marquera le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert. Une annĂ©e souhaitons le riche en initiatives, Ă©vĂ©nements et cĂ©lĂ©brations. CLASSIQUENEWS sâinterroge sur les Ćuvres de lâĂ©crivain portĂ©es sur la scĂšne lyrique.
Le solitaire de Croisset, Gustave Flaubert (1821 – 1880), dans sa Normandie prĂ©servĂ©e sut se retirer au vert pour ne sâadonner quâĂ sa seule passion terrestre : lâĂ©criture. Pour lui seul importe la vĂ©ritĂ© servie par une forme esthĂ©tique qui se rĂ©vĂšle dans la beautĂ© du style. La haine de la platitude, il la doit Ă son admiration pour Chateaubriand dont il admire les Ă©lans de lâextravagance et les vertiges lyriques de la pensĂ©e critique. Bien que de contexture fragile – il nâa que 22 ans, en octobre 1843, lorsque la maladie nerveuse le terrasse, Gustave sait nĂ©anmoins se conserver et mĂȘme voyager. Au retour dâun sĂ©jour en Egypte, il se consacre corps et Ăąme pendant 53 mois, Ă la conception dâun roman rĂ©aliste, Madame Bovary, inspirĂ© dâun fait rĂ©el – comme Berg et son Wozzek ; le texte publiĂ© en 1857, aprĂšs un procĂšs retentissant dont il sort vainqueur, le rend brusquement cĂ©lĂšbre. Le bal chez le marquis de la Vaubyessard concentre alors tous les Ă©garements fantasques dâune petite provinciale, Ă©levĂ©e Ă la ferme, qui se rĂȘve princesse et vit comme une Ă©lue mĂ©connue qui attend son chevalier servant⊠Le bovarysme est nĂ© : dĂ©nonçant les ravages des illusions inconscientes dans lâesprit des ĂȘtres trop fantasques.
EMMA Ă l’opĂ©ra… Flaubert aime lâopĂ©ra, du moins en a t-il mesurĂ© tous les enjeux sociaux et littĂ©raires, puisant dans ce spectacle humain, salle et scĂšne, – comme avant lui Balzac, les ressources utiles pour Ă©voquer ce théùtre des passions rĂ©aliste qui lâintĂ©resse. Ainsi, pour approfondir encore le portrait de son hĂ©roĂŻne romantique et fantasque, Flaubert dĂ©crit Emma Bovary Ă lâOpĂ©ra de Rouen pour une reprĂ©sentation de Lucia di Lammermoor. Deux figures fĂ©minines romantiques et tragiques⊠qui finissent par mourir : le parallĂšle est Ă©videmment Ă©loquent et la frontiĂšre illusion théùtrale et vie rĂ©elle, tĂ©nue.
Puis le voyage en Tunisie (1858) prĂ©pare Ă la composition de SalammbĂŽ, fresque colorĂ©e voire saturĂ©e, au rĂ©alisme archĂ©ologique; dĂ©diĂ©e Ă un Ă©pisode guerrier et mystique de lâAntiquitĂ© carthaginoise. Dans les jardins dâHamilcar Barca, les mercenaires qui attendent leur solde, voit, sidĂ©rĂ©s, la belle prĂȘtresse SalammbĂŽ, corps Ă©rotique pourtant dĂ©volue au culte de Tanit / AstartĂ©, lâAphrodite orientale⊠Câest lâun dâentre eux qui sĂ©duira la belle vierge dont lâesprit ainsi rĂ©vĂ©lĂ© ne se remettra pas aprĂšs lâĂ©xĂ©cution de son aimĂ© : elle meurt Ă©vanouie Ă la fin du drame. Le roman Ă©ditĂ© en 1862 nâa pas le succĂšs escomptĂ©, certes somptueusement Ă©crit, fouillĂ© dans ses Ă©vocations antiques mais trop lourd et statique.
A lâinverse, un autre sommet de la littĂ©rature française Trois contes (1877) dont fait partie Un cĆur simple et surtout Herodias, nouvelle Ă©vocation dâun Orient saturĂ©e de couleurs Ă©rotiques, marque les esprits et la critique pour la beautĂ© et le travail du style. Dans la lignĂ©e dâun Balzac, analyste de la nature humaine, avant Zola et les naturalistes qui le considĂšrent comme un modĂšle, Flaubert a cette obsession de lâexactitude documentaire, scintillement de dĂ©tails saisissants dâacuitĂ© poĂ©tique, qui Ă©maillent son rĂ©cit et lui apportent le relief et le mordant de la vie elle-mĂȘme. Mais nature sceptique voire fataliste sur la nature humaine et sa vanitĂ© essentielle, Flaubert aime Ă dĂ©crire les illusions et fantasmes de ses hĂ©ros pour mieux les railler. Tel est le pessimisme fondamental de lâermite de Croisset. Pour autant, son Ă©criture a ouvert les portes dâun imaginaire littĂ©raire inĂ©dit dont la puissance Ă©vocatrice, jusquâĂ la musicalitĂ© propre, suscite lâadmiration.
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Les textes de Flaubert mis en musique Ă lâopĂ©ra. Deux figures orientales traitĂ©es par lâĂ©crivain (HĂ©rodias, SalammbĂŽ) ont inspirĂ© les compositeurs Ă lâopĂ©ra : Massenet, Reyer, StraussâŠ
HERODIAS
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HĂ©rodias : devenue HĂ©rodiade chez Jules Massenet (1881). Le compositeur brosse le portrait dâHĂ©rodiade, Ă©pouse ambitieuse du TĂ©trarque HĂ©rode quâelle manipule en sacrifiant sa propre fille SalomĂ© ; la danse Ă©rotique de la jeune fille envoĂ»te le pervers qui consent Ă exĂ©cuter celui que SalomĂ© a dĂ©noncĂ© : le prophĂšte Jokanaan. Ainsi se venge la mĂšre HĂ©rodiade, furieuse que ce mĂȘme Jokanaan lâait critiquĂ© ouvertement, invectivant ses turpitudes et son esprit malĂ©fique⊠(Jean la traite de « Jezabel » , lâĂ©trangĂšre vicieuse et malfaisante). Contrairement Ă la SalomĂ© de Strauss / Wilde qui sâintĂ©ressent surtout au profil sensuel de la jeune femme, Ă son corps provoquant, lâouvrage de Massenet prĂ©fĂšre le profil plus mĂ»r et rĂ©flĂ©chi dâune amoureuse, Ă©prise de Jean / Jokanaan : pour le prophĂšte, elle donne sa vie, implore sa mĂšre de gracier son aimĂ© ; puis dĂ©jouant les manipulations dâHĂ©rodiade, SalomĂ© est prĂȘte Ă tuer sa propre mĂšre. En rĂ©alitĂ© elle se suicide en fin dâouvrage, pour rejoindre Jokanaan.
Du mĂȘme texte de Flaubert, Oscar Wilde fait une piĂšce de théùtre (1891), intitulĂ©e SalomĂ© que Richard Strauss en 1905 adapte pour la scĂšne lyrique avec lâimmense rĂ©ussite que lâon sait. La danse des 7 voiles, point dâorgue symphonique du drame (oĂč se concentre le dĂ©sir du tĂ©trarque et la lascivitĂ© innocente du corps pubĂšre et dansant), de mĂȘme que la scĂšne finale oĂč SalomĂ© baise la bouche de Jokanaan dĂ©capitĂ© avant dâĂȘtre elle-mĂȘme Ă©touffĂ©e par les boucliers des soldats horrifiĂ©s⊠restent deux Ă©pisodes parmi les plus marquants de toute expĂ©rience lyrique.
Production de lâOpĂ©ra de Saint-Etienne, 2018 : Pichon / Ossonce
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Production de lâOpĂ©ra de Marseille, mars 2018 : Pichon / Vanoosten
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SALAMMBĂ
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Ernest Reyer (marseillais nĂ© en 1823) adapte en 1890, SalammbĂŽ de Flaubert. LâopĂ©ra est un ouvrage riche et spectaculaire, proche de sa Sigurd (1885), autre Ă©vocation lĂ©gendaire, elle nĂ©owagnĂ©rienne, mais inspirĂ©e des lĂ©gendes scandinaves que vĂ©nĂ©rera dĂšs sa crĂ©ation le peintre Degas, familier du Palais Garnier Ă Paris. Câest Camille du Locle, librettiste chevronnĂ© de Don carlos puis dâAida de Verdi, qui adapte Flaubert pour Reyer. SalammbĂŽ est ainsi créé Ă Bruxelles en 1890. Le musicien formĂ© entre autres par sa tante, -lâexcellente pianiste et compositrice, Louise Farrenc-, sâillustre dâabord en mettant en musique plusieurs textes de ThĂ©ophile Gautier (dont la Symphonie Le SĂ©lam ou le ballet SacountalĂą de 1858âŠ). Avec SalammbĂŽ, Reyer retrouve et rĂ©alise ses aspirations musicales pour le rĂȘve et lâexotisme: un orientalisme de plus en plus prononcĂ© (Sacountala est dâinspiration hindoue, et son premier succĂšs lyrique, La statue de 1861, prend prĂ©texte des Mille et une nuits) qui porte son inspiration la plus rĂ©ussie. Illustration : Rose Caron dans le rĂŽle de SalammbĂŽ de Reyer, portrait de Bonnat, 1896 (DR).
Le chantier
Du reste, tous les commentaires louent la science des mĂ©lodies originales, un refus de toute complaisance et lieux communs, des harmonies âfraĂźchesâ, lâorchestration Ă la fois savante et personnelle. A lâorigine de SalammbĂŽ, auquel Reyer pense dĂšs 1864, Flaubert accepte une mise en musique, mais il songe dâabord Ă Verdi, dans une adaptation de ThĂ©ophile Gautier⊠Ce dernier meurt en 1872,⊠sans avoir rien Ă©crit. Flaubert se tourne alors vers Catulle MendĂšs. Heureusement, Reyer reprend la main et suggĂšre Ă Flaubert, Camille du Locle : lâauteur de SalammbĂŽ accepte. Le chantier peut donc commencer. Il sera encore interrompu quand meurt Flaubert en 1880, laissant un temps, Reyer, comme dĂ©muni. Mais les Ă©lĂ©ments du drame lyrique se prĂ©cisent. Ils modifient par exemple la mort de SalammbĂŽ, laquelle se poignarde (alors que dans lâouvrage originel, la jeune femme meurt Ă©vanouie, Ă la vue du coeur arrachĂ© de son amant, MathĂŽ).
Au final la partition laisse toute la place Ă lâhĂ©roĂŻne, offrant Ă la crĂ©atrice du rĂŽle, Ă Bruxelles, Rose Caron, une incarnation spectaculaire, mĂȘme si Reyer fusionne solos et rĂ©citatifs en un flux continu: pas dâairs isolĂ©s, ni de scĂšne fermĂ©es. Grand admirateur de Berlioz et aussi de Gluck, Reyer soigne la lisibilitĂ© du chant dĂ©clamĂ© auquel il associe un orchestre somptueux, dâun dramatisme efficace. Câest un tissu Ă la couleur permanente qui produit ce que les critiques de lâĂ©poque nâont pas manquĂ© de relever: mysticisme, rĂȘverie, climat dâextase et de ravissement⊠Au centre de la partition, point culminant de lâorientalisme rĂȘvĂ© par Reyer, les rituels lunaires de lâacte II, oĂč la prĂȘtresse plus langoureuse que jamais, cĂ©lĂšbre Tanit, oĂč paraĂźt MathĂŽ (venu dĂ©robĂ© le ZaĂŻmph, voile sacrĂ© de la dĂ©esse) que SalammbĂŽ, saisie, comme envoĂ»tĂ©e, prend pour un dieu soudainement rĂ©vĂ©lé⊠En lire plus : dossier SalammbĂŽ de Reyer
https://www.classiquenews.com/ernest-reyer-1823-1909-salammb-1890marseille-opra-du-27-septembre-au-5-octobre-2008/
LIRE aussi notre compte rendu de SalammbĂŽ de Reyer Ă lâOpĂ©ra de Marseille, octobre 2008 :
https://www.classiquenews.com/marseille-opra-le-5-octobre-2008-ernest-reyer-salammb/