COMPTE-RENDU, concours. PONTOISE, le 2 fĂ©vrier 2020. CONCOURS PIANO CAMPUS 2020. Le 19Ăšme Concours International Piano Campus sâest dĂ©roulĂ© du 31 janvier au 2 fĂ©vrier Ă Pontoise. Les Ă©preuves Ă©liminatoires ont permis dâentendre les douze candidats sĂ©lectionnĂ©s dans un programme de 30 mn dont lâĆuvre imposĂ©e Ă©tait cette annĂ©e une piĂšce de la compositrice Germaine Tailleferre, « Seule dans la forĂȘt ». Les trois finalistes retenus, le français Virgile Roche (21 ans), lâitalien Davide Scarabottolo (18 ans), et le russe Timofei Vladimirov (18 ans), se sont produits sur la scĂšne du Théùtre des Louvrais dimanche 2 fĂ©vrier, devant un jury prĂ©sidĂ© par la pianiste Hisako Kawamura (Prix Clara Haskil 2007 et auparavant elle-mĂȘme laurĂ©ate du concours Piano Campus). Le compositeur Fabien Waksman, Ă©galement membre du jury, est lâauteur de la piĂšce contemporaine imposĂ©e, « Black Spirit », pour piano et orchestre, donnĂ©e en crĂ©ation mondiale par les trois jeunes pianistes. Tout de suite lâĂ©noncĂ© du palmarĂšs:
Piano Campus d’Or :Â Timofei Vladimirov – Russie
Piano Campus d’Argent :Â Virgile Roche – France
Piano Campus de Bronze : Davide Scarabottolo – Italie
Prix de la RĂ©gion Ile-de-France, prix du Public, prix Points communs, prix Piano au musĂ©e WĂŒrth, prix du Festival d’Auvers-sur-Oise, prix de l’Orchestre du CRR de Cergy-Pontoise, prix jejouedupiano.com : Timofei Vladimirov
Prix Philippe Foriel-Destezet : Andrey Zenin
Prix de la Sacem, prix du Festival Baroque de Pontoise : Virgile Roche
Prix du Barreau du Val d’Oise : Nikita Burzanitsa
Prix Mazda Pontoise : Elian Ramamonjisoa
Prix du Conservatoire de Puteaux, prix du Piano retrouvĂ© aux Musicales d’Arnouville,
prix de la revue musicale Pianiste : John Gade
Prix de la Presse Musicale : Rachel Breen
Black Spirit de Fabien Waksman: la magie Ă lâĆuvre
Les Ă©preuves de finale commençaient par un court programme au choix des candidats, avant de se poursuivre avec Black Spirit de Fabien Waksman, puis le premier mouvement du concerto n°2 opus 18 de Rachmaninov. Lâorchestre du CRR de Cergy-Pontoise sous la baguette efficace de son directeur BenoĂźt Girault, a Ă©tĂ© un partenaire de trĂšs haute tenue. On ne saurait que saluer le travail remarquable de prĂ©cision et de cohĂ©sion du chef et de ses musiciens, en particulier dans la crĂ©ation de Fabien Waksman: cette piĂšce de concours, virtuose et Ă©vocatrice, a Ă©tĂ© spĂ©cialement Ă©crite sous la forme dâun scherzo pour piano et orchestre, pour mettre en valeur les qualitĂ©s pianistiques et artistiques de ses interprĂštes. F. Waksman, lui-mĂȘme pianiste, nous dit quâil a eu Ă cĆur de proposer une piĂšce gratifiante tout en rĂ©pondant aux hautes exigences dâun concours international, et câest effectivement le cas. InspirĂ©e de la scĂšne des sorciĂšres autour du chaudron du Macbeth de Shakespeare, cette Ćuvre de 8 minutes est une danse satanique trĂšs rythmĂ©e, trĂšs imagĂ©e, mais pas si noire quâelle ne le laisse entendre: elle situe son propos dans les multiples facettes de lâenchantement, la magie, hors de la dualitĂ© bien/mal, bon/mauvais. Une piĂšce au climat trouble et surnaturel captivant, qui lassait entrevoir ça et lĂ des rĂ©fĂ©rences Ă©videntes, notamment Ă BartĂłk et Ă la musique rĂ©pĂ©titive.
Trois lauréats à leurs justes places
Si dĂ©partager des candidats peut parfois donner du fil Ă retordre Ă un jury, il semblerait que le rĂ©sultat et les rĂ©compenses attribuĂ©es aient Ă©tĂ© consensuels, tant pour le jury que pour le public. Timofei Vladimirov sâest nettement dĂ©tachĂ© au fil des trois Ă©tapes, rĂ©vĂ©lant des qualitĂ©s incontestables Ă tous niveaux, une inspiration et un sens musical exceptionnels. Le jeu de Davide Scarabottolo nâa pu souffrir la comparaison: trop souvent tendu, le son de son piano sâest avĂ©rĂ© court et cassant, manquant de couleurs, dans une Ă©chelle dynamique restreinte, en dĂ©pit de beaux moments dans les piĂšces avec orchestre. Enfin Virgile Roche a sĂ©duit par son art de respirer et de timbrer, la sobriĂ©tĂ© et la sensibilitĂ© touchante de son jeu. Son Ondine de Ravel un rien trop lente sâest dĂ©ployĂ©e souplement, sous un dĂ©licat toucher, et dans une progression dynamique maitrisĂ©e, suivie de lâĂtude tableau opus 39 n°9 de Rachmaninov, choix judicieux, dĂ©montrant une approche plus charnue du son. Davide Scarabottolo nâa pas eu la main heureuse avec ses Liszt : deux Ătudes dâexĂ©cution transcendante (n°10: allegro agitato molto, et n°12: Chasse-neige), la premiĂšre rĂ©vĂ©lant au dĂ©part quelques manques techniques, manquant de direction et de largeur sonore, la deuxiĂšme trop sonnante, passant Ă cĂŽtĂ© de ses subtilitĂ©s dynamiques et de ses variations dâĂ©clairage.
Timofei Vladimirov fit un choix trĂšs personnel et totalement assumĂ© avec lâĂtude n°1 de Marc-AndrĂ© Hamelin (triple Ă©tude dâaprĂšs Chopin) et trois piĂšces extraites de lâopus 10 de Georgi Lvovitch Catoire, mettant en valeur sa technique infaillible, dâune esthĂ©tique remarquable et dâune efficacitĂ© en permanence au service de lâexpression et des couleurs. Quelle subtilitĂ© et quel discernement chez ce pianiste, dans la sonoritĂ©, le phrasĂ©, et quelle belle rĂ©alisation du legato! Il sâest Ă©galement distinguĂ© en jouant sans partition Black Spirit – ce qui est une performance vu le temps mesurĂ© accordĂ© pour son Ă©tude – avec une prĂ©cision horlogĂšre, en permanence Ă lâaffut de lâorchestre, faisant preuve dâun sens accompli de la construction, colorant les accords de lâintĂ©rieur, dissociant les timbres, les longueurs de sons, accentuant Ă bon escient, transformant la fin en brasier. Dans cette mĂȘme piĂšce, Davide Scarabottolo a montrĂ© des qualitĂ©s sur le plan de lâapproche rythmique, mais lĂ encore les couleurs nây Ă©taient pas, et maintes fois le manque de projection et de caractĂ©risation du son lâa cantonnĂ© derriĂšre lâorchestre.
Virgile Roche sâest coulĂ© dans une vision de lâĆuvre trĂšs Ă©vocatrice, accordant ses couleurs avec celles de lâorchestre, entrant dans son atmosphĂšre trouble, lui restituant ses Ă©clairages mouvants, son inquiĂ©tante Ă©trangetĂ©, sa transe finale. Une qualitĂ© de rĂ©alisation qui lui a valu le prix de la Sacem. Son interprĂ©tation du concerto de Rachmaninov nâa pas manquĂ© de panache non plus, laissant tout entendre dans un beau son, son jeu lĂ©gĂšrement trop articulĂ©, mais dâun beau lyrisme surtout Ă la fin du mouvement, aprĂšs un passage dâaccords en rupture de tempo un peu trop appuyĂ©e. Lâitalien Davide Scarabottolo nâa pas convaincu dans ce concerto: un lĂ©ger dĂ©calage avec lâorchestre au dĂ©but, une absence de legato dans le chant, et un jeu plus vertical que dans la ligne, un manque de couleurs et de clartĂ© de la polyphonie, le son souvent noyĂ© sous lâorchestre. Quelques passages rĂ©ussis nĂ©anmoins comme celui en accords avant la fin. Avec Timofei Vladimirov, lâĂ©vidence est lĂ dĂšs les premiers accords. PrĂ©sence, justesse de lâexpression, incarnationâŠle pianiste entre dans ce concerto habitĂ© par lui. Son jeu a du poids, du corps, tout est parfaitement timbrĂ©, le chant est chaleureux et la ligne est dâune somptueuse longueur. Vladimirov vit ce quâil joue dans un Ă©lan passionnĂ©, et ce quâil joue est beau et noble.
Le verdict tombĂ© sans surprise, Timofei Vladimirov rafle sept prix en plus du Campus dâor, dont le prix du public. Virgile Roche est aussi bien dotĂ© avec le Prix de la Sacem, et le Prix du Festival baroque de Pontoise. Les candidats non retenus pour la finale ne sont pas oubliĂ©s: le français John Gade remporte trois prix spĂ©ciaux, lâamĂ©ricaine Rachel Green celui de la Presse Musicale pour son interprĂ©tation de la sonate n°27 opus 90 de Beethoven.
Pascal Escande, PrĂ©sident et directeur artistique du concours, a raison dâĂȘtre content de ce beau millĂ©sime dâartistes, et nous promet une prochaine Ă©dition, la 20Ăšme, festive et exceptionnelle, avec en ligne de mire la prĂ©sence de tous ceux qui ont marquĂ© le concours, et la crĂ©ation dâun Prix Brigitte Engerer.
En attendant, il reste Ă souhaiter belle vie artistique et pianistique aux douze participants et aux laurĂ©ats de lâannĂ©e.