CD, critique. MAHLER : Symphonie n°8 – Philadelphia Symphony Orchestra, NĂ©zet SĂ©guin (2016 – 1 cd DG Deutsche Grammophon) –  PARTIE I. Percutante et nerveuse, voire d’une vĂ©hĂ©mence clairement assumĂ©e, avec des tutti et une ligne des cordes marcato, la lecture de NĂ©zet SĂ©guin ne manque ni de dramatisme ni d’intensitĂ©, ni d’élans tendres voire Ă©perdus, en particulier dans le « Veni Creator spiritus », dont il fait un appel, une aspiration au sublime et Ă la transcendance, avec un sentiment d’urgence collectif, absolument dĂ©lectable. Les troupes trĂ©pignent mĂŞme, jusqu’au dĂ©but de 4 (Tempo 1) oĂą les instruments marquent un premier jalon dans ce cheminement qui convoque des forces colossales Ă l’échelle du cosmos, avant que les solistes n’expriment une nouvelle phase de requĂŞte partagĂ©e (Infirma nostri corporis).
Mars 2016 : Les “Mille” Ă Philadelphie
Yannick Nézet-Séguin articule et cisèle
l’Ă©lan spirituel de la Symphonie n°8
En vrai chef lyrique, Nézet-Séguin aborde les « Mille » comme une vaste cantate, ou un oratorio d’une fraternité revendiquée, vindicative, dont la supplique et les prières sont amplifiées par les 6 solistes, d’autant que les choeurs (« Accende lumen sensibus ») savent non pas articuler le texte mais le projeter et le déclamer avec une acuité expressive, habitée, incarnée, superbe elle aussi. Le talent du chef bâtisseur et architecte s’impose dans la construction et la structuration ferme de cette séquence (la plus longue : plus de 5 mn)… abyssale et vertigineuse. La plus impressionnante de cette première partie. L’Apocalypse et le Jugement dernier s’y trouvent fusionnés en un sentiment de fièvre collective admirablement articulé, !parfois cependant trop continument forte), mais quel souffle et quelle sensation d’héroïsme et de fraternité combattive. Portée par une impérieuse nécessité, jusqu’à la conclusion de cet hymne de vie, vraie force jaillissante.
PARTIE II. Le début du Faust décrit très attentivement le dénuement dans la montagne, avec force détails et une belle acuité instrumentale là encore… digne d’un opéra, fantastique, romantique, habité par cette conscience panthéiste, proche d’un Berlioz, que fait scintiller la direction intense et dramatique de Nézet Séguin. Du grand art.
Les tempi sont larges et volontiers Ă©tirĂ©s pour que le grand souffle et l’alchimie du Mystère se rĂ©alisent. La sĂ©quence dĂ©finit le format du paysage en question, lui aussi Ă©tagĂ©, dans un espace Ă©tendu Ă perte de vue, vacuum aux perspectives infinies… aucun doute, NĂ©zet-SĂ©guin est un architecte hors normes. Tout le dĂ©but respire et s’exhale avec une sĂ©rĂ©nitĂ© comme hallucinĂ©e, elle aussi très habitĂ©e, comme si nous nagions dans les cercles suspendus d’un Purgatoire que dĂ©ssille bientĂ´t chacun des airs solistes, traitĂ©s comme dans un opĂ©ra : dès 12, avec l’air transi, amoureux de Pater Ecstaticus (le baryton – Markus Werba, est un peu droit et court), dont la vibration est encore davantage amplifiĂ©e par l’air de Pater Profundus qui suit, et ses Ă©vocations naturalistes (basse un peu Ă©crasĂ©e et engorgĂ©e)…
Le flux orchestral exprime une énergie très bien canalisée qui témoigne du souci de clarté et de structuration du chef.
Fin et détaillé, le maestro se montre d’une tendresse ardente et vivifiante dans la conduite du choeur « Jene Rosen », dont l’allant, le brio, la tension sont impeccables. Dans la succession des tableaux avec le double choeur et les solistes, Mahler s’engage sur des cimes lyriques avant lui cultivées par Wagner et Richard Strauss : profusion active et nerveuse du flux orchestral, scintillement dans la texture, harmonies rares qui conduisent les choeurs (adultes et d’enfants), avant et après la vision du Doctor Marianus, face à la Mater rayonnante; littéralement embrasé par son évocation (plage 19), prémisse de son invocation à la Déesse Mater (plage 31, après l’intervention de Mater Gloriosa, plage 30).
Le comble de l’élégance tendre est atteint dans l’exposé de la Mater gloriosa, déité enfin visible et audible (plage 21), aux cordes et cors, souples, étirés (harpes caressantes)… en un flux melliflu d’une souplesse qui rayonne de lumineuse quiétude. L’élévation du corps transcendé de Faust, et son accueil dans le sein du Paradis final est réalisé dans la prière éthérée de Mater Gloriosa (soprano clair et naturel de Lisette Oropesa, de loin la meilleure soliste d’une distribution bancale), enfin dans l’air du ténor (Doctor Marianus), aux cordes océaniques et voluptueuses.
Dans la dernière séquence, celle de l’Apothéose de Faust (après celle de Marguerite), Nézet-Séguin opte pour un tempo extrêmement lent, qui cisèle chaque couleur, amplifie le geste du choeur implorant et miséricordieux.
VIDEO : 8è Symphonie de Mahler par Yannick Nézet-Séguin / Philadelphia Orchestra (mars 2016) :
De toute Ă©vidence malgrĂ© un plateau de solistes perfectibles (baryton, basse, tĂ©nor en particulier), la puissance et l’implication de cette lecture sont indĂ©niables. RĂ©alisĂ© pour le centenaire de la crĂ©ation de la partition mahlĂ©rienne aux USA, par l’Orchestre de Philadelphie, cet enregistrement live, de mars 2016, confirme que NĂ©zet-SĂ©guin n’usurpe pas sa rĂ©putation de chef lyrique et symphonique ; il est douĂ© d’une ferveur communicative et d’un sens Ă©vident de l’architecture et du drame. Sa vision Ă©claire ce en quoi la 8è symphonie de Mahler est bien cette formidable machine Ă rĂ©demption, d’une fraternitĂ© enveloppante et irrĂ©sistible. Cet Everest en deux parties qui Ă©voque l’élĂ©vation des corps mortels, accomplissant le destin final de Faust, enfin sauvĂ©, est bien le sommet de son Ĺ“uvre symphonique car tout ce qui a prĂ©cĂ©dĂ©, comme le dit Mahler lui-mĂŞme, n’est qu’un prĂ©alable qui prĂ©pare Ă ce chef d’œuvre. Voici donc un opus captivant aux cĂ´tĂ©s des projets qui rĂ©unissent DG et le Philadelphia Orchestra autour de l’intĂ©grale des Symphonies et des Concertos pour piano de Rachmaninov (avec pour soliste : l’excellent Daniil Trifonov : enregistrements dĂ©jĂ Ă©ditĂ©s et critiquĂ©s sur classiquenews : Concertos pour piano 1 et 3 – CLIC de CLASSIQUENEWS). Parution annoncĂ©e le 31 janvier 2020.
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CD, critique. MAHLER : Symphonie n°8 – Philadelphia Symphony Orchestra, NĂ©zet SĂ©guin (LIVE, mars 2016). Symphony No. 8 /«  Symphony of a Thousand » – Symphonie des Mille, n°8 – The Philadelphia Orchestra – Yannick NĂ©zet-SĂ©guin, direction.
Int. Release 17 Jan. 2020 – Parution France : 31 janvier 2020.
1 cd DG Deutsche Grammophon 0289 483 7871 5
Distribution :
Solistes : Angela Meade, Erin Wall, Elizabeth Bishop, Lisette Oropesa, Mihoko Fujimura, Anthony Dean Griffey, Markus Werba, John Relyea,
The American Boychoir,
Westminster Symphonic Choir,
The Choral Arts Society of Washington,
Philadelphia Orchestra,
Yannick Nézet-Séguin, direction
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La SYMPHONIE n°8 en VIDÉO :
VOIR notre reportage vidĂ©o exclusif : Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille jouent la Symphonie n°8 des Mille de Gustav Mahler (Munich, 1910) au Nouveau Siècle de Lille (20, 21 nov 2019) :