CRITIQUE, concerts. Festival Verao Classico 2021. Picadeiro Real de Belém (Lisbonne), le 7 août 2021 (21h) . Programme de musique de chambre dont le Quintette pour piano d’Antonin Dvorak réunissant Imogen Cooper (piano), Mihalea Martin (violon), Stéphane Picard (violon), Miguel da Silva (alto) et Frans Helmerson (violoncelle). Le Verao Musical est le grand rendez-vous musical incontournable de l’été au Portugal ; il se déroule depuis sept années maintenant en plein cœur de Lisbonne (la ville étant le principal mécène de la manifestation), dans des lieux historiques qui varient d’une année sur l’autre. Après le théâtre Thalia l’an passé, le somptueux Picadeiro Real de Belém (qui abrite le Museu Nacional dos Coches) accueille en 2021 les spectateurs, entourés de carrosses royaux dans une immense salle du XVIIIè magnifiquement décorée et à l’acoustique prodigieuse.
Chambrisme ciselé au Portugal
Le Festival VERAO CLASSICO conçu par le pianiste Filipe PINTO RIBEIRO
associe professionnels célébrés et jeunes instrumentistes en devenir
Du 1er au 10 août se sont ainsi déroulés 4 concerts « Masterfest » et 6 concerts « Talenfest » ; la particularité de cet attachant festival fait se côtoyer les grands maîtres aguerris et célébrés et de jeunes musiciens en devenir provenant de Conservatoires du monde entier. Cette « Académie » réunit ainsi chaque été environ 200 jeunes à Lisbonne, qui ont la chance de suivre des cours donnés par leurs pairs (500 masterclasses dispensées !), qui se produisent en concert le soir (21h), tandis que leurs élèves font montre de leur talent (et de l’enseignement reçu) dans des courtes pièces lors de concerts programmés plus tôt, à 18h.
Le concert du 7 août (« Masterfest III ») a d’abord payé de malchance après la défection (liée au Covid) de l’immense pianiste russe Elisabeth Leonskaja, mais l’infatigable directeur du festival, le pianiste portugais Filipe Pinto-Ribeiro, a su lui trouver une « remplaçante » de luxe avec la non moins grande Imogen Cooper ! La pianiste britannique, d’une élégance folle et au port altier, est indubitablement le pivot du Quintette avec piano de Dvorak opus 81 (troqué contre celui de Brahms qu’aurait dû interpréter sa consœur russe…), bien qu’elle soit entourée de musiciens aussi talentueux que Mihalea Martin (violon), Stephan Picard (violon), Miguel da Silva (alto) et Frans Helmerson (violoncelle). Par sa tonalité (la majeur), par son caractère expansif, par la générosité de ses thèmes, le second Quintette avec piano du compositeur tchèque (composé en 1887) entretient une parenté tant avec le Quintette « La Truite » de Schubert qu’avec le Deuxième quatuor avec piano de Brahms. Et c’est sans doute davantage dans la musique elle-même que dans les sous-titres des trois derniers mouvements (Dumka, Furiant et Polka) qu’il faut en rechercher le parfum typiquement tchèque, parfaitement mis en valeur par les cinq instrumentistes réunis ce soir. Une mention particulière revient au piano d’Imogen Cooper, conduit avec une énergie sans relâche, insufflée de la première à la dernière minute à ses partenaires, avec lesquels la connexion est ici permanente, en une mise en place parfaite (cf le très concertant Allegro ma nan tanto initial) ; l’anglaise mène le jeu, elle s’impose comme une très grande chambriste, d’une souplesse féline, dont la sonorité n’écrase jamais ses partenaires. Bravo Madame !
En première partie, c’est avec joie que nous avons retrouvé la talentueuse soprano russe Anna Samuil dans trois Lieder de Brahms, dont le superbe « Von ewiger Liebe » qui permet au public de goûter au timbre chaud et à la voix pleine de l’artiste, idéalement impliquée, très agile sur les intonations, et qui fait ressortir le texte avec précision. Son époux, le pianiste Mathias Samuil l’accompagnait en la couvant des yeux. Pilier familier du festival, le célèbre violoncelliste américain Gary Hoffamnn lui succédait, avec l’ami Filipe Pinto-Ribeiro, pour offrir tour à tour les magnifiques pièces « Sicilienne » et « Elégie » de Gabriel Fauré. La première pièce est l’une des partitions les plus connues du catalogue du compositeur grâce à sa radieuse mélodie introspective, ici interprétée de manière aussi délicate que chantante, tandis que les deux artistes s’en donnent à cœur joie dans le passage central de la seconde pièce, développé ici avec toute la fougue requise. On retrouvait le pianiste, cette fois aux côtés de la flûtiste italienne Silvia Carredu pour une interprétation du fameux « Prélude à l’après-midi d’un faune » (dans une transcription pour ces deux instruments) ; leur vision est très ciselée et intimiste, très « pastel » en somme. Autre grand habitué du Verao Classico, c’est ensuite le clarinettiste français Pascal Moraguès qui joue avec le pianiste / directeur, une pièce somme toute assez rare : la Sonate pour piano et clarinette de Poulenc. Respectant les intentions du compositeur, ils savent donner au premier mouvement cette vivacité triste (« Allegro tristamente ») telle qu’il la désirait, tandis qu’à l’inverse c’est le sentiment de fête qui domine dans l’Allegro con fuoco final, l’instrument de Moraguès prenant des airs de vraie chanteuse de cabaret !
Filipe Pinto Ribeiro et Pascal Moraguès jouent la Sonate de Poulenc (DR)
CRITIQUE, concert. Festival Verao Classico de Lisbonne. Picadeiro Real de Belém (Portugal), le 7 août 2021. Programme de musique de chambre dont le Quintette pour piano d’Antonin Dvorak – avec Imogen Cooper (piano), Mihalea Martin (violon), Stéphane Picard (violon), Miguel da Silva (alto) et Frans Helmerson (violoncelle). Photos : © Rita Carmo / Verao Classico 2021